Créer aujourd’hui, c’est créer dangereusement. Toute publication est un acte et cet acte expose aux passions d’un siècle qui ne pardonne rien. La question n’est donc pas de savoir si cela est ou n’est pas dommageable à l’art. La question, pour tout ceux qui ne peuvent vivre sans l’art et ce qu’il signifie, est seulement de savoir comment, parmi les polices de tant d’idéologies ( que d’églises, quelle solitude ! ) l’étrange liberté de la création reste possible.
Conférence « l’artiste et son temps » Université d’Upsal 14.12.1957
…C’est
un voilier qui hésite encore entre la voile d’hier, faite de bois et de cordes
qui sentent la paille et la voile de demain faite de matériaux lisses, et de
cordages qui sentent le plastic. C’est un bateau qui hésite, entre deux, il a
du gris dans les rares couleurs que le soleil lui a laissé, un gris qui parle
des marées, un gris qui parle des pluies d’hiver qui déchire le bleu de la mer.
A bord sur le pont, encombré de tous ces objets qui parlent vrai tant ils sont
usés, un homme se déplace lentement. Chaque chose qu’il touche semble le
remercier. Il n’est pas comme les autres, il semble déjà un peu plus loin, son
regard ne se disperse pas, son regard est à ce qu’il fait. Les autres, ceux
qui virevoltent sur des bateaux de
catalogue ont les yeux absents, on ne les devine même pas derrière des verres
de marques ou se reflètent des couleurs qui n’existent que pour les touristes
canonisés. Sur le pont, l’homme sans
lunettes se prépare pour le départ. Arrivé hier soir, sans bruit, il a cherché
un mouillage éloigné des autres pour ne rien dire, pour ne pas parler d’où il vient, pour ne pas utiliser de mots qui n’ont pas de
sens pour lui. Les autres, lorsqu’ils
sont au port aiment à raconter, se raconter, l’homme au navire sans âge n’est
pas de ceux-là. Il ne se mêle pas à la vie du port. Il ne les méprise pas, il
lui arrive même parfois de les écouter, de s’emplir de leurs rires pour s’en
faire une couverture, douillette pour la nuit. Il ne les méprise pas, mais il
n’aime pas qu’on pose de questions, il n’aime pas qu’on cherche à savoir. Son
histoire ne doit intéresser personne, il ne le veut pas. Il se souvient,
lorsqu’il est parti, il a mis le cap vers le nord, avec le vent de face.
C’était un vent coupant et lui serrait les dents, pour ne pas faiblir, pour ne
pas se poser de questions. Il était parti un matin tout simplement et quand il
avait posé la main sur la barre en sortant du port de Concarneau, il savait
qu’il ne parlerait plus, il avait tant à faire, tant à se dire à l’intérieur…
La brume a des remords de fleuve Et d’étang Les oiseaux nagent dans du mauve Les mots de ma plume se sauvent Me laissant Avec des phrases qui ne parlent Que de tourments Vienne le temps des amours neuves La brume a des remords de fleuve Et d’étangJe ne suis jamais qu’un enfant Tu le sais bien, toi que j’attends Tu le sais puisque tu m’attends Dans une dominante bleue Où le mauve fait ce qu’il peut La page blanche se noircit Laissant parfois une éclaircie Une lisière dans la marge Où passe comme un vent du largeLa brume a des remords de fleuve Et de pluie Les chansons naissent dans la frime Et les dictionnaires de rimes S’y ennuient Mes phrases meurent sur tes lèvres Mais la nuit Elles renaissent…
…La lumière est plus
basse, les premiers nuages naissent, ils se forment. On sent des trous de
fraîcheurs qui s’installent au-dessus des têtes. Des oiseaux effrayés
s’éparpillent sans réfléchir. Puis les
nuages n’enflent plus, ne s’élèvent plus. Ils ont éliminés l’horizon. Ils s’étirent,
s’étalent. Plus rien ne les empêche de se rassembler aux quatre coins,
là où le regard peut se poser.
Au sol, il y a ce noir qui tombe par plaques lourdes de ce
sombre qui repousse les derniers éclats d’un soleil qui en a trop fait
aujourd’hui.
En quelques heures, la
chaleur est oubliée. L’angoisse monte. Une angoisse emplie des respirations qui
se retiennent. C’est la crainte de ceux qui ont peur, de ceux qui ont appris
l’orage comme une colère, comme une punition. Ils attendent. Ils regrettent les
brûlures du soleil qu’ils maudissaient après déjeuner. Ils auraient pu
patienter, supporter.
Vu d’en haut, c’est
comme une étendue de silence, on dirait une mer d’huile qui se prépare aux
déchaînements. Il y a des yeux qui cherchent le premier éclair, le signe du
départ, du début. Les portes se ferment, les rideaux se tirent, les lèvres se
pincent, les mâchoires se crispent. C’est la peur qui déroule, qui enfle…
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Et rythmés lents sous les rutilements du jour, Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres, Fermentent les rousseurs amères de l’amour !
…Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes Et les ressacs et les courants : je sais le soir, L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes, Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !
…Et puis Et puis Et puis y’a Frida! Qu’est belle comme un soleil! Et qui m’aime pareil Que moi j’aime Frida!
Même qu’on se dit souvent Qu’on aura une maison Avec des tas d’fenêtres Avec presque pas d’murs Et qu’on vivra dedans Et qu’il f’ra bon y être Et que si c’est pas sûr C’est quand même peut-être Parce que les autres veulent pas Parce que les autres veulent pasLes autres ils disent comme ça Qu’elle est trop belle pour moi Que je suis tout juste bon À égorger les chats J’ai jamais tué d’chats Ou alors y’a longtemps Ou bien j’ai oublié Ou ils sentaient pas bon Enfin ils veulent pas Enfin ils veulent pas
J’ai proposé plusieurs textes : nouvelles, micro-nouvelles, poésies au site Short-Edition, en voici un qui vient d’être accepté par le comité des lecteurs et qui participera au grand concours de l’été 2019, au delà de la possibilité de voter… je vous recommande vivement ce site pour le sérieux et la qualité de sa production.
J’ai dans la mémoire de mes mains un trou d’où jaillit une
petite lueur. Lumière des mots oubliés, étouffés par l’ombre grise du
dictionnaire de l’utile dont on habille les phrases pour sortir dans la pudeur
administrative. Je pose mon œil poétique au-dessus, juste au-dessus et soudain
les doigts retrouvent le chemin, on dirait qu’ils dansent sur le papier, ils
sont chargés de beau, ils sont emplis de
ces courbes que prennent les mots quand ils sont libérés de leurs prisons
académiques ; et ils dansent et ils chantent de la fraîcheur retrouvé.
… Une ville se fâne Dans les brouillards salés La colère océane est trop près Les tourments la condamnent Aux écrans de fumée Et personne ne s’éloigne du quai…
Extrait de la préface à « Poète… vos papiers! », écrite par Ferré en 1956
…La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n’être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie; elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l’archet qui le touche. Il faut que l’oeil écoute le chant de l’imprimerie, il faut qu’il en soit de la poésie lue comme de la lecture des sous-titres sur une bande filmée: le vers écrit ne doit être que la version originale d’une photographie, d’un tableau, d’une sculpture…
…La lumière est plus
basse, les premiers nuages naissent, ils se forment. On sent des trous de
fraîcheurs qui s’installent au-dessus des têtes. Des oiseaux effrayés
s’éparpillent sans réfléchir. Puis les
nuages n’enflent plus, ne s’élèvent plus. Ils ont éliminés l’horizon. Ils s’étirent,
s’étalent. Plus rien ne les empêche de se rassembler aux quatre coins,
là où le regard peut se poser.
Au sol, il y a ce noir qui tombe par plaques lourdes de ce
sombre qui repousse les derniers éclats d’un soleil qui en a trop fait
aujourd’hui.
En quelques heures, la
chaleur est oubliée. L’angoisse monte. Une angoisse emplie des respirations qui
se retiennent. C’est la crainte de ceux qui ont peur, de ceux qui ont appris
l’orage comme une colère, comme une punition. Ils attendent. Ils regrettent les
brûlures du soleil qu’ils maudissaient après déjeuner. Ils auraient pu
patienter, supporter.
Vu d’en haut, c’est
comme une étendue de silence, on dirait une mer d’huile qui se prépare aux
déchaînements. Il y a des yeux qui cherchent le premier éclair, le signe du
départ, du début. Les portes se ferment, les rideaux se tirent, les lèvres se
pincent, les mâchoires se crispent. C’est la peur qui déroule, qui enfle…
« Dans l’affreuse société où nous vivons, où l’on se fait un point d’honneur de la déloyauté, où le réflexe a remplacé la réflexion, où l’on pense à coups de slogans et où la méchanceté essaie trop souvent de se faire passer pour l’intelligence, je ne suis pas de ces amants de la justice qui veulent que l’appareil de la chaîne redouble, ni de ces serviteurs de la justice qui pensent qu’on ne sert la justice qu’en vouant plusieurs générations à l’injustice!
Nous ne sommes pas ici, loin s’en faut dans la poésie. Mais ces paroles de Albert Camus, me guident, et guident ma plume ou plutôt mes doigts sur le clavier. C’est la raison pour laquelle je les intègre dans mes « everest »
Il y a un an mon père qui m’a transmis l’amour de la mer nous quittait pour le long sommeil des absents. Je pense à lui aujourd’hui
Il a mis le pied sur le quai et
ce qu’il a tout de suite senti, très fort, c’est l’air. Il l’a senti sur sa
peau, il l’a senti entrer en lui, partout, par tous les pores. Alors il s’est
arrêté, et il a compris que la mer dans la ville, dans cette ville est partout.
L’air qu’on respire n’est pas le même, il est parfumé, avec juste cette
sensation d’humide qui ne glace pas le sang mais qui donne le sourire. Oui,
elle est là la différence, c’est dans l’air ! C’est un sourire qui
caresse, doux comme le premier chant d’oiseau à la fin de l’hiver, on ouvre la
fenêtre, on respire : la vie est partout et on sourit. Il n’est là que
depuis cinq minutes. Il ouvre les yeux, son cœur bat, très fort, les autres il
ne les voit plus. Il est sorti de la gare et il avance, il sent, il reconnaît
il comprend tous ces récits de la mer qui commencent là, au port. Les mouettes
d’abord, leurs cris ne sont pas beaux, mais leurs cris le bouleversent. Elles
l’appellent, elles le savent nouveau. Il avance. Tout est si beau : une
lumière de fin d’après-midi, un soleil déclinant qui laissent traîner quelques
couleurs ; la moindre pierre est étincelle, et les flaques d’eau
graisseuse belles comme des toiles de maître. Le port est encore loin mais il
le comprend déjà, il perçoit les cliquetis, cocktails de bruits symphoniques.
Les bruits, la lumière les odeurs qui racontent la vie qui les a faites. Il
voudrait courir pour être au plus vite au port, mais aussi prendre le temps,
entrer comme un navire, calme, glissant, apaisant, masse métallique qui se pose
le long du quai.
En arrivant ce matin sur le quai
de la gare, j’ai perçu un petit quelque chose de bizarre, d’anormal. D’abord
une sensation physique : je respire… Oui c’est cela : c’est dans
l’air ! La respiration est un vrai
bonheur, subtil mélange de fraîcheurs et d’odeurs d’herbe coupée. Je me suis
dit que dans le fond de l’air il y avait certainement un petit peu de
bonheur, un tout petit peu. Alors j’ai
souri, parce que le bonheur c’est pour fabriquer du sourire, sinon ce n’est qu’une escroquerie de plus.
Je souris et – c’est bien cela
que j’ai ressenti comme inhabituel – la première personne que j’ai croisée, une
habituée comme moi, souriait aussi, d’abord seule, pour elle, comme moi, et
puis j’ai bien vu qu’elle me souriait. Elle qui tous les jours serrent les
dents pour ne pas risquer d’être obligé de répondre à mon regard, aujourd’hui
elle me sourit. Incroyable ! Je me dis que c’est un hasard, un heureux
hasard, que ce matin, enfin, elle est contente, peut-être même heureuse. Elle
est contente de cette journée qui s’ouvre, contente de ce qu’elle est, de ce qu’elle
fait. Tout simplement contente de vivre. Mais, je reste sur l’hypothèse du
hasard.
Quand j’arrive sur le quai je me
dis que le hasard a beau bien faire les choses, là c’est quand même beaucoup,
j’ai même pensé à un tournage : peut-être un film publicitaire sur le bonheur
de prendre le train ou la joie d’aller travailler. Mais non je me trompe, je
connais toutes ces silhouettes, je les croise tous les jours, certaines depuis
des années. Et là, tout le monde sourit, il y en même qui parle, et mieux
encore qui se parlent. Je n’en peux plus, ma joie déborde. Je vais enfin
pouvoir dire bonjour à toutes ces compagnies du matin sans qu’elles ne se
sentent agressées.
« Bonjour, bonjour, bonjour » !
Je suis comme un rossignol, je sautille
sur le quai, je suis empli d’un incroyable bonheur ferroviaire. Sur le quai
d’en face il semble que ce soit pareil. Je m’emballe, je me dis que je vais
enfin pouvoir parler avec cette jeune fille qui tous les matins, depuis trois
ans attend au même endroit, qui monte
avec moi dans le même compartiment qui descend dans la même gare. Je vais lui parler, tout simplement, elle va me répondre : je le sens, je le sais, je le veux.
Je m’approche d’elle, d’abord un
bonjour, puis un sourire, puis deux, ma bouche s’ouvre pour lui proposer une de
ces insignifiances qui ce matin seront de vraies perles à conserver pour ce
petit bonheur matinal qui nous a surpris en plein réveil. « Je, je
…. »
Et soudain, la terrible voix féminine
de la SNCF, terrible voix si belle, si chaude si sensuelle, cette voix qui fige
tout le monde sur le quai : « que va-t-elle annoncer, ce matin :
encore du retard, une annulation, peut-être ? »
« Votre attention s’il vous
plait : en raison de la réutilisation tardive d’un triste matériel, le
bonheur que vous respirez depuis ce matin, aura une durée indéterminée, nous
vous tiendrons informé de l’évolution de la situation : en cas de
difficulté à poursuivre votre voyage vers la morosité ferroviaire,
veuillez-vous adresser aux agents les plus tristes sur le quai »
J’ai baissé la tête, avalé mon
sourire et comme tous les matins j’ai regardé le cadran de ma montre.
J’ai décidé sur ce blog dédié à l’amour des mots et aux émotions qu’ils procurent à être écrits, lus, dits de partager ce que j’appelle mes « Everest poétiques ». Il s’agit parfois d’un simple vers, d’une phrase, d’une expression, et qui ont provoqué une vibration durable et une admiration sans failles…
Pour commencer voici ce premier Everest, deux couplets de cette extraordinaire chanson de Jacques Brel : « j’arrive »
…J’arrive, j’arrive
Mais qu’est-ce que j’aurais bien aimé
Encore une fois prendre un amour
Comme on prend le train pour plus être seul
Pour être ailleurs, pour être bien
J’arrive, j’arrive
Mais qu’est-ce que j’aurais bien aimé
Encore une fois remplir d’étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d’amour, le cœur en cendres…