250 abonnés plus…2 = 252…

J’ai franchi aujourd’hui le cap des 250 abonnés à mon blog. Ravi que  » les mots d’Eric » plaise, suscite des commentaires…Ravi aussi de decouvrir d’autres passionnés de déguster leurs friandises littéraires. Le but que je recherchais était bien de partager mon plaisir des mots, de la poésie, de l’écriture. Peu à peu je me détache totalement de Facebook où comme le disait Camus le réflexe a remplacé la réflexion et où la méchanceté se prend pour de l’intelligence…

Merci à tous : continuons !

Retrouvons Jules…et ce qu’il appelle le désordre poétique

Jules aime la beauté du désordre

Jules aime ce qui dérange l’ordre des autres. Jules aime ce qui n’a ni début, ni fin. 

Jules aime ce qu’il appelle la beauté du désordre poétique. Les objets sont heureux des espaces qu’on leur laisse. Jules aime les objets quand ils vivent, quand ils sont libérés des contraintes du rangement où la seule règle admise est la perpendicularité.

Jules a mal à la mémoire. Depuis le plus jeune âge, il essaie de trouver le fil, remonter au début, là où tout a commencé. Il cherche l’endroit mystérieux, magique où la première histoire s’est enregistrée : son histoire, le commencement de son histoire. Il essaie de se frayer un passage. Parfois il trouve des voies, rencontre des obstacles, parfois des chemins dégagés et c’est comme un courant d’air frais qui lui entre dans la tête. C’est comme quand on vit, on sent qu’on y est, là dans le vrai, dans le souffle d’un cœur qui bat, si fort, si beau.

Le plus fréquemment c’est aux murs qu’il se heurte, les hauts murs dont il ne distingue pas la cime. Alors dans son demi-sommeil, il recule, il revient, perd le fil et s’endort avec l’espoir d’une issue, d’une réponse, dans un rêve. Et chaque matin c’est la même chose, c’est une pagaille effrayante, pas de logique, pas de bout, pas de commencement : il n’y comprend rien : comme s’ils étaient plusieurs à rêver aux carrefours de plusieurs vies.

Jules n’a pas de mémoire, il en a plusieurs. Elles s’ajoutent et se mélangent. Elles ne lui appartiennent pas, il les a empruntées à d’autres. Toujours au même moment, toujours à cause de l’orage. Il essaie de le croire, il y a tant de choses dans sa boîte à images, tant de traces laissées par d’autres vies. Certains appellent cela les rêves, ces histoires qui s’invitent la nuit. Jules ne croit plus à cet imaginaire-là, il est sûr que ce qui arrive dans sa tête c’est de l’existence, c’est de la vie qui s’est imprimée. Elle est entrée là chez lui au contact des autres. 

Rencontres ferroviaires…

Contre la vitre

Dans le compartiment, il y a cette odeur, unique, qui s’accroche aux vêtements. Une odeur de voyages, trop courts, pour que la sueur soit absorbée par les souvenirs touristiques. Une odeur de vitre propre, de soupirs fatigués, une odeur de vie qui est à la peine, pour s’approcher de ce dont on rêve quand on est la tête contre la vitre. On ressent les vibrations, et puis il y a l’humidité de l’haleine qui fait comme un voile. Le voyage contre la vitre peut commencer, les yeux qui se ferment et le skaï devient cuir sauvage. Les néons ferroviaires sont des reflets de lune sur l’eau, pas un son, pas une voix qui ne troublent le rien d’un songe qui cherche son issue. Comme une musique, comme une mélodie. Et le couple d’en face, si vieux, si bons, qui posent leurs yeux sur la main de l’autre, pour signifier leur amour. Ils sont si beaux, si vrais, avec des souvenirs en réserve, pour chaque aiguillage, des regards croisés. Le front fait corps contre la vitre, les vibrations se font plus douces, le couple est comme un bouquet. Plus loin des jeunes filles rient, elles sont heureuses, heureuses de leurs sens, de ce qu’elles disent, de ce qu’elles montrent aux regards des peureux du bonheur. Elles batifolent, de mots en mots, d’histoires banales en tranches de vie. Et leurs rires nous réchauffent dans ce temps qui ne fait que passer.

Octobre 2010

Mes Everest : « les vieux » Jacques Brel…

Un des plus beaux textes de Brel, d’une qualité littéraire exceptionnelle. L’occasion ici de rendre hommage à une formidable professeur de français que j’eus, il y 43 ans et qui nous fit présenter ce texte au bac.

Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux
Même riches ils sont pauvres, ils n’ont plus d’illusions et n’ont qu’un cœur pour deux
Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d’antan
Que l’on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps
Est-ce d’avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d’hier
Et d’avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières
Et s’ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d’argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit: « Je t’attends »

Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s’ensommeillent, leurs pianos sont fermés
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter
Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit
Et s’ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillés de raide
C’est pour suivre au soleil l’enterrement d’un plus vieux, l’enterrement d’une plus laide
Et le temps d’un sanglot, oublier toute une heure la pendule d’argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend

Les vieux ne meurent pas, ils s’endorment un jour et dorment trop longtemps
Ils se tiennent par la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Et l’autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n’importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer
Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin
Traverser le présent en s’excusant déjà de n’être pas plus loin
Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d’argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit: « Je t’attends »
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend

Retrouvons Armand et Fanny…

Un nouvel extrait de ce roman, un voyage contre la vitre, écrit il y a maintenant plus de 20 ans, roman dans lequel j’envisageai qu’un groupe d’enfants, dont Armand et Fanny puisse, ,à distance, et en utilisant Internet prendre le pouvoir…. Ce manuscrit avait été en son temps repéré par Yves Berger, directeur littéraire de Grasset. Et puis je l’ai laissé dormir au fond d’un tiroir. Je le redécouvre aujourd’hui avec délice.

Derrière la colline…

Armand avait interrogé Fanny, lui demandant comment elle envisageait le problème de l’après. Elle s’était fâchée, lui reprochant, une fois encore, son obsession du détail, de l’organisation. Il faut laisser faire, il faut faire confiance en l’imaginaire, en l’imprévu. L’imprévu est parfois merveilleux. Et puis, avait‑elle ajouté, ce qu’il y a de plus jouissif, encore un de ces mots qu’elle affectionnait, c’est d’essayer. C’est d’aller jusqu’au bout du rêve.

  • Quand tu vois un beau paysage, au loin, une colline par exemple, avec des arbres fleuris, une herbe verdoyante, si t’as envie de t’en approcher, d’aller au sommet, tu ne te poses pas la question de savoir ce qu’il y a derrière. Tu y vas, parce que ça te fait plaisir, parce que tout le long du chemin t’imagines ce que tu vas trouver là‑haut, tu te prépares aux odeurs, aux sons et plus tu t’approches plus t’es heureux. C’est ça qui est beau, c’est ça l’espoir. Parce que si tu te demandes ce que tu vas trouver en haut, derrière la colline, derrière ce que tu ne peux pas voir, alors t’as qu’une solution c’est de rester chez toi et de ne plus en bouger. Comme ça tu ne risqueras jamais de mauvaises surprises. Non tu vois Armand, moi je ne vois pas les choses de cette façon. Je suis sûr que le bonheur, enfin le mien, c’est d’avoir envie d’aller là‑haut, sur cette colline, et tant pis si derrière il y a une autoroute, ou une usine d’incinération, parce que j’aurais éprouvé une telle joie en m’approchant, en me jetant au milieu des fleurs, en me roulant dans l’herbe que je serais capable de supporter la déception de ce qu’il y a derrière. Et puis un jour, je recommencerai…

Poèmes de jeunesse : « dans la nuit d’un samedi stéphanois »

J’ai écrit ce texte il y a quarante ans, avec vraisemblablement comme fond musical, le stéphanois de Bernard Lavilliers, la photo est beaucoup plus récente….

Nuit stéphanoise

Samedi soir

Nouveau départ

Nouvelle chute

Pour une inconnue

De rires

Liquides

Béquilles pour s’éclater

Dans les rues

Des comme nous

Qui traînent leur habitude

De la petite semaine

Qu’ils ont brûlée

Dans des pauvres jeux quotidiens

Qu’ils continuent encore

Parce que c’est bon

Parce que le siècle s’éssouffle

Et ne veut plus d’eux

Ils sont nés pendant l’épidémie

Ils subsistent pendant l’agonie

Alors ils s’en foutent

Ils veulent aller plus vite

Parce qu’autrement

Ils n’auront plus que leur ombre cerceuil

A simuler

On les montre du doigt

Quand ils s’exagèrent

On les ignore quand ils se terrent

Ils traînent tous ensemble

A construire un monde

Qui s’écroule à chaque aurore

Regarde les dans les villes qui s’enterrent

Regarde les dans les villes qu’ils aiment

Par la multitude des autres

Des ceux qui sont comme eux

Regarde les

T’es comme eux

Regarde les….

Mes blogs « coup de cœur »: 2

Cela va faire trois mois que j’ai ouvert mon blog et j’éprouve beaucoup de plaisir à partager mon amour des mots, de l’écriture, de la poésie . J’essaie depuis quelques semaines de prendre aussi le temps de déguster aussi ce que d’autres blogueuses et blogueurs partagent, et je vous propose aujourd’hui mon deuxième coup de cœur pour le blog de Béatrice. Quand prose et poésie s’assemblent et se ressemblent cela donne de magnifiques textes

https://artetsemence.wordpress.com/

Art et Semence

Ce matin, tu fredonnes les souvenirs, qui deviennent graines de lumière, évasés par le miroitement des pensées qui dansent. Ainsi, le soupir se transforme en présence et lorsque le soleil d’automne frisonne, le printemps n’est pas loin. Il se glisse sous les feuilles et soulève un pan du monde. Je ne serai plus jamais comme avant, échappée du bruit, ivre comme le vent, je ne serai plus comme avant, perdue dans les abîmes, celles de la seule gloire, celles du jour. Ne voyez-vous pas que ce matin est un corps entier et que chaque chose se pose légère et que chaque chose s’envole sans rien retenir ? Ne voyez-vous pas que la vie sur terre est une maison et qu’il faut prendre le temps, le laisser s’engouffrer hors des circonstances, jeter un pont, faire de soi un don ?

Voir l’article original

Inspiration…

Ecrire sur des pages de ciel bleu,

Voir les mots blanchis d’angoisse.

Ne pas finir, en petite note

Dans un coin triste

D’une marge grise.

Les entendre se poser,

Un par un.

Feuilles d’ange,

Regarde-les,

Doux, légers,

Ils roulent, entre tes lèvres.

Ecoute les.

Douce mélodie,

Aux syllabes arrondies

Ils planent et flottent

Sous la grand-voile

De ton rêve

Aux rimes oubliées.

Il est l’heure,

Invite-les,

Là, tout bas

Entre main et feuille

Dans l’entre-deux pâle et mauve 

D’une douce poésie

Qui caresse l’horizon.  

26 septembre 2019

Un matin à Montparnasse…

Sur les rives poisseuses de carrelage blanc,

Pas un souffle de vent,

Foule pressée d’un matin chagrin

Les corps se touchent,

Contacts mécaniques…

Pas un mot, trop de clics.

L’aube est effacée,

Mon sourire est de trop,

Calme tes couleurs,

Retiens tes ardeurs.

Tous tes mots sont abîmés

Leur ciels n’est pas invité.

26 septembre 2019

Mes Everest : Natacha, François Béranger

François Béranger

Natacha
Ton nom est déjà un voyage
A quoi bon dépenser nos sous
A partir et pour où
A partir
J’aime mieux les rivages ombreux
De notre grand lit aux draps bleus
Où l’on découvre des merveilles
Natacha
Ton ventre est une plaine à blé
Où le Lion court après la Vierge
Dans le soleil de Juillet
Et la plaine
Quand elle finit c’est pour venir
Caresser des montagnes douces
Où je cueille des fruits délectables

Natacha après les monts après les plaines
On arrive dans un pays
Où les mots ne peuvent plus rien dire
Un pays
Où je crois voir ton visage
Avec ta bouche qui s’entrouvre
Avec tes yeux qui cherchent l’ombre
Natacha
L’air que je respire est le tien
Je me baigne dans les grands flots
De tes cheveux abandonnés
Nos navires
Selon le temps selon la mer
Vont calmement ou bien se brisent
Mais c’est toujours pour le plaisir

Natacha

En toi je fais de longs voyages
Les plus beaux les plus délectables
Il me semblait que toi aussi
Tu t’en vas
Tu t’en vas faire le tour du monde
Le vrai cette fois avec des trains
Des Boings, des machs des turbines
Natacha
Je crois bien que tu reviendras
Non pas que je sois prétentieux
Mais nos voyages c’était bien mieux
A partir
J’aime mieux les rivages ombreux
De notre grand lit aux draps bleus
Où l’on découvrait des merveilles

Les mots s’envolent…

Il ouvre son livre intérieur

Et ajoute quelques pages.

L’encre ne sèche plus.

Elle coule

Douce et légère.

C’est le sang vif des mots.

Ils s’échappent, lumineux.

Le jour les éveille.

C’est si beau

Ces mots qui s’envolent.

Dans le vent qui attend, quelques grains de lumière,

Les yeux les lisent, le regard se plisse.

Le cœur s’affole,

On est bien.

Pas un son n’essaye le bruit,

Tout est mélodie.  

Des notes s’enroulent

Autour des mots,

Flotte comme un doux parfum de nuit

La Norme et la Beauté…

Où l’on découvre que norme et beauté ont parfois un peu de mal à s’entendre, à se comprendre. Aujourd’hui nous retrouvons une norme « étonnée » pour ne pas dire irritée. Elle a convoqué une beauté libérée et l’interroge sur ses mauvaises fréquentations.

Norme : Que fais-tu ici ? Regarde autour de toi, ouvre les yeux, tu le vois bien, ici il n’y a rien que tu puisses regarder.

Beauté : Ce que je fais ici ? Mais je ne fais rien, je suis, je sens, je ressens. Et toi tu ne vois rien ? Ici je suis bien, ici je suis invitée. Alors tu vois, même pour quelques instants je vais m’installer…

Norme : Invitée ? Invitée ? Toi la beauté ? Mais regarde, ici tout est laid, qui t’aurait donc invité ?

Beauté : Du laid, du laid ? Suis-je à ce point aveuglée, que je n’ai rien vu de tout ce laid que tu as décidé de m’inventer. Moi je n’ai rien vu, et ici, tout, oui tout me plait. Toi tu restes enfermée entre les murs lisses de tes lignes droites. Regarde la douceur de ces courbes, c’est si simple, ici je suis bien.

Norme : Tu n’as rien vu et moi je n’ai rien su. Tu le sais, tu ne peux l’ignorer, jamais tu ne dois distribuer de la beauté sans que j’en sois informée. La beauté m’appartient, tu n’es que messagère.

Beauté : Oui je le sais, et je l’ai voulu, je suis venu et je ne t’ai rien dit. Peut-être pour que tu ne puisses rien abîmer. Ici vit un gris, un si beau gris oublié, il s’est souvenu de qui il était, alors il m’a appelé et sans hésiter je suis venue.

Norme : Un gris oublié ? Mais tu t’égares ma pauvre beauté. Regarde autour de toi, regarde ce que je vois, ce n’est que du terne, avec un gris qui nous désespère. Ici tout est sale, et si plein de triste.

Beauté : Mais ce que tu vois, ma pauvre, ce n’est que ce que tu crois. Ouvre les portes, aère-toi, regarde avec l’arrière de tes yeux et alors tu comprendras.

Norme : Cela suffit ! Je te le rappelle une dernière fois, tu ne peux pas décider n’importe quoi. Remballe tes couleurs, range ton gris oublié et rentre chez toi.

Beauté : Moi tu vois, c’est ce qui me plait, ici. A cette table je me sens vivante. Ici tout est riant. Regarde, ouvre-toi, tout est surprenant. Ici personne ne m’attend.

Norme : Je veux bien, mais juste quelques instants, je ne veux pas d’incidents.

Poèmes de jeunesse

Parce que c’était triste sans mensonge

Il était né sur un papier qui attendra la poubelle

Il avait vécu sur une croûte de vie qu’avait produit

L’histoire du malheur de ses frères

Qu’il ne rencontrerait jamais

Parce que eux-aussi ils se sentaient si seuls

Qu’ils oublient parfois d’en regarder

Ailleurs

Février 1981

Mes Everest. Noces, Albert Camus…

 » Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. A peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village et s’ébranle d’un rythme sûr et pesant pour aller s’accroupir dans la mer. »

Tu t’en foutais d’être né : fin

Tu devrais plus souvent être seul

T’es trop souvent avec lui

Il est tricheur

Parce qu’il perd souvent

Quand il veut

Il est frimeur

Parce qu’il a toujours peur

Parle lui

Dis lui qu’on le vire

Dis lui qu’il ne se correspond pas

Qu’il est autre

Comme ceux qu’il a créés

Comme ceux qu’il a jugés

Dis lui qu’il est dépassé

Mais lui il s’en fout

Il le sait

Mais il faut s’aider

Parce qu’on est rien

Parce qu’on ne peut entendre sa raison

Parce qu’on ne peut attendre que ça passe

De toute façon demain tu seras écrasé par un tramway

Tu peux être peureux

De supposer

Que finalement t’es pas là pour rien

Tu sais que l’unique ne peut exister

Sinon chez les théoriciens

Masturbateurs de cerveaux

Sinon chez les jardiniers

Du sentiment des autres

Tu ne peux pas passer ta vie à imaginer l’homme

Sans savoir s’il existe réellement

Comme les autres

Tu ne peux pas passer ta vie

A t’imaginer

Dans ton rêve

Sans savoir s’il est tien

Sans savoir s’il est réalité

Sauf peut-être pour d’autres

Pour elles

Pour eux

Veux tu encore construire de l’amour

Parce que c’est un jeu entre deux fous

Parce qu’on invente des règles

Parce qu’on recommence

Toujours les mêmes règles

Mêmes conneries

Jamais le même prudent

Jamais le même perdant

Et de toute façon demain tu seras écrasé par un tramway

On dirait que tu cours après ceux qui te fuient

Parce qu’ils ont vu l’image

Parce qu’ils ont tourné la page

Parce qu’ils s’en foutent

Et toi tu t’essouffles à espérer

Quelquefois

Suicide toi

Meurs un peu

Fabrique toi une fin

Les yeux fermés

Sans les autres parce tu aurais peur

De toute façon demain tu seras peut-être écrasé par un tramway

Tu t’es peut-être trompé

Tu veux peut-être te lever de ton lits de songes

Qu’est ce que tu attends pour enfin distribuer ton portrait

Sans le faire payer au prix de tes mots d’avenir

Qu’est ce que tu attends pour te raconter

A ton auteur

Sans te mettre à trembler

Tu touches la vie

Comme celle que tu aimes

Tu veux la faire aimer

Tu veux qu’elle te réponde

Mais elle se tait

Parce qu’elle s’en fout

Parce qu’il est trop tard

Et toi t’es pas d’accord

Alors tu continue

Parce qu’autrement tu te ferais écrasé par un tramway.

Il manquait un voyageur….

J’ai regroupé dans un seul article les deux anciennes parties de ce portrait ferroviaire que j’ai achevé hier. C’est devenu une micro-nouvelles que je publie d’un bloc pour en faciliter la lecture. Et je lui ai donné un titre

Ce sont trois informaticiens, ou techniciens, de ces hommes qui m’impressionnent parce qu’ils arrivent à réfléchir en trois dimensions. Tout le long du trajet, dans ce « carré » que je partage avec eux, ils parlent une autre langue, presque une langue de signes. Ils rient, ils sont bien dans leurs anecdotes technologiques. Ils mettent du sourire et du bonheur dans les codes, dans les chiffres. Il y a du soleil dans leurs langages obscurs. Je ne comprends, ce n’est pas grave, je les écoute avec délice. Ils ont de la passion, elle déborde dans ce compartiment monotone et j’aime ça. Ils ne jouent pas, ils ne forcent pas, ils disent, ils racontent, et ils vivent.

Le plus près de moi est massif, il a les mains lourdes, les doigts épais. Je ne l’imagine pas devant un clavier, mais plus devant un sac de ciment, un arbre à abattre. Il est fort, sa voix résonne, il est calme, il aime la vie.

Silencieux, mais attentif, depuis le début du trajet je me décide à parler. Peut-être parce que je me sens bien, que cela me semble naturel de parler à ceux qui sont proches. Comment peut-on presque se toucher et ne rien se dire ?  Il n’est jamais simple d’entrer dans une conversation, il ne faut pas donner le sentiment d’être indiscret, d’avoir écouté. Les réactions peuvent parfois être surprenantes. Tout cela je le savais, tout cela je l’avais déjà expérimenté mais tant pis, je me suis lancé.  

« Euh, excusez-moi, je vous écoute depuis un petit moment, et je ne comprends rien à ce que vous dites, vous êtes dans quoi au juste ? »

Le plus jeune des trois, celui qui est en face de moi, a semblé abasourdi par cette question. Il m’a regardé avec étonnement, presque avec effroi, comme si je venais d’entrer par surprise dans sa chambre à coucher, juste au moment où il allait se glisser sous les draps. Les deux autres l’ont regardé, m’ont regardé : le plus bavard des trois, celui qui il y a quelques minutes ponctuait toutes ses explications de grands éclats de rires, s’est figé instantanément dans un silence glaçant. J’étais gêné, presque pétrifié. Le doux balancement du compartiment dans une longue courbe prise à grande vitesse, me donnait presque la nausée. J’allais ouvrir la bouche pour m’excuser, leur dire que j’étais désolé de les avoir dérangés quand le plus grand des trois, celui que j’admirais il y a quelques instants, se tourne vers moi et me dit simplement.

« Tu veux savoir, dans quoi on est, et ben c’est simple là pour le moment et pour encore deux heures on est dans le train, dans ce compartiment, avec toi, mais sinon tu sais on n’est dans rien, on ne travaille pas, on ne travaille plus. On est ensemble parce qu’on va à l’enterrement d’un ami, notre ami, c’était le quatrième, celui qui était avec nous, d’habitude, là, à ta place. On était quatre, quatre techniciens, on aimait vraiment ce qu’on faisait, et puis la boîte a fermé, elle nous a virés. Lui, il n’a pas supporté, il s’est suicidé…Il s’appelait Jules. C’était la semaine dernière, alors on est tellement triste, qu’on fait comme avant, on parle, on rit, et tu vois tu nous as réveillé et là on pense à lui… »

Tu t’en foutais d’être né : -3-

…T’es sûr qu’aimer n’est pas original

C’est peut-être le mot qui pue

Mais t’es sûr d’autre chose

Parce que tu le cherches

Tu en parles pourtant

Comme les autres

Mais tu t’en fous

Ou tu fais semblant

Comme les autres

De toute façon demain tu seras écrasé par un tramway

On dirait que t’as peur

De ne plus pouvoir te taire quand t’es triste

Et pourtant tu ris derrière ton enterrement

Tu ris

Et les autres savent pas

Que tu trembles

Pour qui t’a tué

Pour qui t’a oublié

Tu trembles

Et les autres croient qu’il n’y a qu’une réalité

Celle de l’utile apparence

Et pourtant tu voudrais leur dire

Et pourtant tu voudrais craquer

Mais tu ne dis rien

Parce que t’as peur

Parce que tu attends

Parce que tu attends la fin de ton rêve

Heureux tu l’as trouvé

Et c’était pas mieux

Tu veux revenir au début

Parce que tu hais les fins

Qui n’existent pas

Tu veux revenir au début

Pour que les autres sachent

Qu’il y a autre chose

Que tu l’as trouvé

Déjà tu vas plus vite

Que ton rêve

Je crois que tu vas laisser tomber

Pas les autres

Eux aussi ils cherchent

Ils te croisent

Vite

Toujours le rêve

Ils sont ailleurs

Tu les fais tien

Et tu les oublies

Ils sont autres

L’océan n’en peut plus…

L’océan n’en peut plus.

Aujourd’hui c’en est trop !

La coupe est pleine.

Tous ces bleus qu’on lui colle,

De l’azur, de l’outre-mer, du turquoise, du ciel…

Du ciel ?

Mais pour qui le prend-on ?

L’océan n’en peut plus.

Aujourd’hui il abandonne.

Plein le dos des aurores matinales !

Toutes ces teintes pastel,

Déclamées par des poètes fatigués,

C’est dit, c’est fait,

Il les rejette.

Qu’elles échouent donc sur tous ces bords

Lisses et ternes,

Et qu’on oublie de chanter

Parce qu’elles ne collent pas avec les couleurs

Qu’on lui impose.

L’océan n’en peut plus.

Photographié, exploité,

C’est en rugissant

Qu’à tous les touristes canonisés,

Il rappelle en souriant

Que sous tous les vents d’Est et d’Ouest

Du Sud et du Nord,

C’est simple, il est incolore !

« Je vous en supplie, cessez de vous extasier ! »

L’océan n’en veut plus

De ces couchers de soleil

Que tous les soirs on lui impose,

Pour que chacun prenne la pose.

L’océan est révolté.

Ce matin il a bloqué le reflet.

Tout est fini.

Seules,

Les couleurs sont abandonnées,

A leur triste sort.

Ce matin l’océan est apaisé,

A la surface grise et lisse,

Pas un cri, pas un pli.

Ce n’est que de l’eau ;

Et c’est si beau.

Aujourd’hui l’océan s’est reposé.

Septembre 2019

Poèmes de jeunesse : tu t’en foutais d’être né -2-

…Et pourtant on sent que t’as peur

Pour elle

Du silence

De ses questions sans secrets

Et pourtant elle ne veut rien te dire

Et pourtant elle tue tes rêves

Et pourtant elle te tue

Parce que tu ne dis rien

Parce que tu parles avec celle qui est en toi

Parce qu’elle n’est pas celle là

Parce que c’est déjà une autre

Parce qu’elle est déjà dans le rêve d’un plus étrange que toi

Et toi tu parlais avec ton rêve

Et tu t’en foutais d’être né

Tu vois la réalité

Alors tu ne dis rien

Parce que t’as peur

Parce que tu sais qu’elle s’est échappée

Parce que tu t’es trompé

T’as encore peur

T’es un peu paumé

Je crois que tu finiras par comprendre

Que les autres t’oublieront

Parce que tu n’es que toi-même

Parce que tu n’es qu’un autre

Tu n’es que l’infime particule

D’un sentiment qui appartient

A ceux que tu n’as pas revus

A ceux qu tu n’as pas prévus

Tu veux pas réussir

Comme les autres

T’es sûr qu’il y a mieux

T’es sûr de trouver

T’es sûr qu’aimer n’est pas original

Retrouvons ce brave Patouf

Ils sont venus me chercher à plusieurs, j’ai toujours autant de mal avec le calcul. Je ne sais pas pourquoi. Bref, ils sont plusieurs et je remue la queue. Le plus grand c’est Yann. Il me prend dans ses bras et les autres me regardent avec envie. Il y a leur père qui est ému et ça, ça me fait rire, enfin à l’intérieur, parce que ça non plus je n’ai pas le droit de le montrer. En fait, je crois que je n’ai pas le droit de montrer les dents, il paraît pas que ça se fait pas pour un chien. Pour un loup oui, là ça fait bien, ça fait sauvage. Le plus grand, c’est l’aîné je crois, ils disent comme ça chez les hommes. Chez nous ce n’est pas pareil, dans la portée il y a des plus grands, des plus gros, mais on a tous le même âge. Mais je m’égare, et on va certainement dire que j’écris mal : en plus du plus grand, il y a un autre garçon, un petit blondinet, petit mais costaud, je l’aime bien lui, on l’appelle Bastien. Et surtout, il y a une petite, c’est Alice. Elle est petite Alice. C’est la plus petite, mais je sais déjà qu’avec elle ça va être la fête. D’ailleurs tous mes frères et sœurs ont compris qu’avec elle ça promet d’être la belle vie, alors avec moi ils s’accrochent tous au bas de sa robe, on la mordille et comme elle est très calme, elle n’a pas peur, on continue ça nous plait, on dirait un manège de chiots. Les autres ne voient pas, ils discutent, demandent des conseils, pour me nourrir. J’ai envie de leur dire de pas s’inquiéter, j’ai l’estomac en béton. Personne ne le sait ici mais j’ai déjà mangé deux éponges la semaine dernière. En cachette. Pourquoi des éponges ?  Je ne sais pas, mais franchement j’adore ça surtout quand elles sont encore un peu grasses, je les gobe comme des huîtres.

Le chef de la meute ç’est bien sur le plus vieux, c’est lui qui donne l’argent à l’autre.  Je dis l’autre parce que je ne connais pas son prénom.  Ça y est : il lui sert la main. L’autre je ne l’aimais pas : il ne me parlait jamais, ni à moi ni à mes frères et sœurs. Ni à maman…

Poèmes de jeunesse : « Tu t’en foutais d’être né… » -1-

Un nouveau texte, très long celui ci aussi, écrit entre 1978 et 1979, je le publierai en plusieurs fois : son titre « tu t’en foutais d’être né… »

Tu t’en foutais d’être né

Dis tu t’en foutais

Tu rêvais pas

Ou tu t’en souviens pas

Et maintenant t’as peur

T’as peur

Et tu sais pourquoi

Le chaque jour de ta vie

Est un bagne de rêves

Et tu veux pas t’évader

De toute façon demain tu seras écrasé par un tramway

Sors du foetus

Arrête de dire que t’es né

Pour ta liberté

Comprends qu’ils t’ont condamné

Comprends que le code t’a accouché

Pour que les lois puissent t’élever

T’en avais pris pour une vie

Et t’as cru t’échapper

T’as failli tout perdre parce que t’as cru être le plus fort

Arrête de dire que les autres ont tort

Parce qu’ils déracinent ton arbre de vérité

Arrête de conjuguer les autres à la troisième personne

Arrête de te déchirer sur leur indifférence

Criminelle

Un jour peut-être on parlera de toi au futur

Un jour peut-être…

Jules et Lisa se retrouvent…

…Aujourd’hui Jules s’est réveillé avec la réserve à gaieté pleine à craquer. Il a des sourires d’avance, et sait ainsi qu’il pourra puiser dans son garde tendresse quand Lisa lui reviendra.

Jules déborde de bonheur aujourd’hui car il sait que ce soir Lisa reviendra. Il a reçu une carte postale, hier, toute simple en provenance d’Italie, d’un village des Pouilles. Un village entre ciel et mer. Lisa lui dit : « je serai à Saint-Etienne demain, viens me chercher au TGV de 21 h 53.

21 h 53, cette heure est jolie, pas tout à fait ronde comme Jules les aime habituellement. Cela vient peut-être du chiffre impair, il trouve les pairs plus ronds, plus tendres. Mais aujourd’hui il oublie ses principes, 21 h 53, jamais il n’aurait pensé qu’une pareille heure puisse exister. A compter d’aujourd’hui, il ajoutera au lexique du temps qui passe l’heure Lisa, et chaque jour, il se le promet, il ne dira pas : « il est 21 h 53, mais il est       Lisa qui revient ». Il est Lisa et alors il sentira les heures qui enrobent cette heure magique faire comme une caresse.

Toute la journée, il s’est préparé, toute la journée il a imaginé ce que serait son retour. En fin de matinée il est même allé sur le quai de la gare pour vérifier l’existence, l’existence de ces lieux qui en verront deux s’aimer ce soir, l’existence de ce temps, de cette heure. Il la voit, elle est là, elle existe, elle est écrite : 21 h 53, TGV en provenance de Paris gare de Lyon. C’est bien vrai, mais il a envie de plus, dire aux contrôleurs, il faut ajouter : « train spécial, spécial Lisa, spécial Lisa qui revient ».

Et l’après-midi il la passe à s’adoucir le visage dans le miroir, à se questionner, sur ce qu’il lui donnera à voir, à espérer. Chaque minute qui passe le conduit à plus d’impatience. Ce sont des minutes pétillantes. Il tourne comme un lion en cage, sur le balcon il observe les gens qui passent dans la rue, il les observe et ne comprend pas pourquoi ils ne sont pas gais eux aussi. Ils ne savent pas, ils ne savent pas que Lisa revient. Elle revient.  Ce soir, elle sera là. Le vide sera enseveli sous leurs baisers.

Jules est arrivé à la gare avec vingt minutes d’avance. Il veut s’imprégner du décor, il veut que lorsque Lisa descendra du train, qu’elle posera le pied sur le quai, elle le voit, elle le sente partout. Il veut inonder la gare de sa présence. Alors il fait les cent pas, il se tord le cou à vérifier le tableau lumineux, accroché si haut. 21 h 53, toujours affiché, voie C. Dans quelques minutes elle sera là. Il la regardera d’abord de loin, et puis il baissera les yeux jusqu’à ce qu’elle approche, pour pas qu’elle voit les larmes, ou plutôt qu’elle les devine. Et quand elle sera arrivée à sa hauteur, quand il sentira l’odeur de ses cheveux brillants, il tendra les bras et leurs mains se toucheront, parce qu’elle fera pareil et doucement et tout doucement, ils relèveront la tête jusqu’à ce que leurs yeux se jettent dans la bataille du regard. Et il y aura des milliers de mots et encore plus dans cet instant suspendu. Ils s’approcheront l’un de l’autre, et leurs lèvres se toucheront, à peine, juste pour établir le contact, comme deux vaisseaux qui s’arriment dans l’espace. Puis le courant passera, le sang circulera, entre les deux et ça vibrera de partout. Jules aura mal au ventre, à la mâchoire, Lisa aura les paupières endolories, de ne pas avoir dormi toutes ces dernières nuits et ils se serreront fort, si fort, qu’ils ne seront plus qu’un sur le quai.

Le train est à l’heure, Jules n’a plus aucune goutte de salive dans la bouche. Il s’épuise à fabriquer l’arrivée de Lisa. Le TGV en provenance de Paris gare de Lyon est annoncé voie C. Jules ne sait de quel wagon elle sortira. Il s’est posé au centre de la rame.

Il l’a vue le premier, elle est petite, son visage comme un scintillement dans la grisaille de ce quai un peu désert…

Poèmes de jeunesse: regards..

Un souffle

De vie.

Pour longtemps.

Deux sourires,

Soudain.

En format souvenir.

Une joie,

Qui cogne

Aux fenêtres d’un civilisé du retard.

Rapide,

Un regard qui dure.

Deux regards qui tremblent

Et ils comptent

Sur leurs échiquiers intérieurs

Les fous qui leur jouent

Un hymne de mots

Pour un soir

Qui dure

Et ils trouvent ensemble

La route des autres

Et ils s’aiment

Vite

Mes Everest : vagabond, Franck Bouysse…

Je découvre peut à peu, ce maître du style de la prose poétique qu’est Franck Bouysse, certaines de ces phrases me font vibrer, j’ai envie de les partager…

…Et tout en progressant vers l’arrêt de bus, il eut le sentiment de marcher à l’envers. Il vit un train arriver et des gens descendre et d’autres monter dans des wagons. Il entendit un sifflet et il observa un couple mal assorti qui s’embrassait, qui ressemblait à ses propres parents, et alors le ciel s’effondra sur l’horloge du quai, sur les heures molles, sur des nuages de temps dégueulant de sa mémoire…

Retrouvons Anton qui prend le train…

Nouvelle version un peu améliorée et surtout corrigée. Ce qui prouve quand on lit la première version qu’écrire c’est bien du travail…Voilà ça m’apprendra….

Anton prend régulièrement le TGV depuis qu’il a décidé de se présenter aux élections. Si au début il trouvait cela plaisant, surtout dans les compartiments de première classe, là franchement il n’en peut plus, il ne supporte plus. Il en devient presque agressif, au moins dans le regard. Ceux qui peuplent ces espaces de privilégiés deviennent rapidement insupportables. Lorsqu’ils entrent dans le wagon on dirait de petits généraux en campagne, entrant en conquérants sur un champ de bataille sans combattants, leurs toutes premières obsessions armés de leurs billets numériques c’est de vite prendre possession du petit périmètre de velours que la compagnie ferrée leur a provisoirement attribué. Et pendant deux heures ils occupent leur espace, ils le marquent. Tout dans leur être est une insulte à la beauté, à la vérité. Petits coqs frustrés, mais si fiers de ce pouvoir qu’ils détiennent souvent ils se répandent de la voix et du corps. A plusieurs, ils ne conversent pas, ils sont continuellement dans la parole utilitaire, leurs mots ne sentent rien, ce sont des mots droits, sortis de manuels de management, et ils les envoient sans pitié pour les pauvres oreilles de Anton qui lui s’est assis dans son fauteuil, et qui rapidement pose sa tête contre la vitre. Leurs mots sont une souffrance, ce sont des mots chiffres, remplis de courbes pour gestionnaires et dans leurs regards on sent l’inquiétude :  » ai-je été entendu ? » Il faut bien exister. Faussement décontractés ils travaillent une espèce d’affalement soigné, juste pour que le costume soit légèrement froissé preuve qu’ils y étaient, eux , dans le TGV du lundi matin. Anton les regarde, et il navigue entre colère, tristesse et le dégout.  

Ecrire, c’est du travail….

Dans quelques jours, ou semaine, je vais publier un nouveau texte, un dialogue entre la norme et la beauté… Ces deux images pour bien montrer que si écrire c’est de l’expression, littéralement faire sortir de…., c’est aussi du travail, beaucoup de travail , entre le premier jet, et le résultat. En ce qui me concerne le papier est toujours là, j »écris, je réécris, je rature, je complète, j’utilise les couleurs. Bref écrire c’est du travail….

Mes Everest : Brel rend hommage à Jaurès…

Je réunis deux de mes maîtres, Brel et Jaurès, en publiant ce magnifique texte de Brel : « pourquoi ont-ils tué Jaurès »

Ils étaient usés à quinze ans
Ils finissaient en débutant
Les douze mois s’appelaient décembre
Quelle vie ont eu nos grand-parents
Entre l’absinthe et les grand-messes
Ils étaient vieux avant que d’être
Quinze heures par jour le corps en laisse
Laissent au visage un teint de cendres
Oui notre Monsieur, oui notre bon MaîtrePourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?On ne peut pas dire qu’ils furent esclaves
De là à dire qu’ils ont vécu
Lorsque l’on part aussi vaincu
C’est dur de sortir de l’enclave
Et pourtant l’espoir fleurissait
Dans les rêves qui montaient aux yeux
Des quelques ceux qui refusaient
De ramper jusqu’à la vieillesseOui notre bon Maître, oui notre Monsieur
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?Pourquoi ont-ils tué Jaurès?Si par malheur ils survivaient
C’était pour partir à la guerre
C’était pour finir à la guerre
Aux ordres de quelques sabreurs
Qui exigeaient du bout des lèvres
Qu’ils aillent ouvrir au champ d’horreur
Leurs vingt ans qui n’avaient pu naître
Et ils mouraient à pleine peur
Tout miséreux oui notre bon Maître
Couverts de prêles oui notre MonsieurDemandez-vous belle jeunesse
Le temps de l’ombre d’un souvenir
Le temps du souffle d’un soupir
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?
Pourquoi ont-ils tué Jaurès?

Et si nous découvrions qui est Fanny, la révoltée…

Quand ils parlaient de ce monde qu’il ne voulait plus, et de celui qu’ils désiraient Fanny était la plus dure, la plus violente. C’est elle qui a donné le ton de cette révolte, c’est elle qui bat la mesure. Elle a longuement réfléchi à tous ces problèmes. Chez elle, à Istres, elle entend souvent dire que l’enfant est roi. Il est peut‑être roi, mais ne gouverne qu’un royaume corrompu, où chacun s’enferme dans une tour d’égoïsme. Elle est écœurée, ne supporte plus de voir les adultes tricher avec elle. Ils commencent par donner l’illusion qu’ils écoutent, puis ils finissent par prouver qu’ils sont incapables de communiquer autrement que par des formules convenues et inutiles. Elle voudrait les entendre dire qu’elle les fatigue, les indispose, les dérange dans leur monde trop parfait. Ce qu’elle souhaite par-dessus tout, c’est qu’ils cessent de jouer aux enfants, de les singer, de les caricaturer. Ils sont ridicules, tristes à pleurer quand ils se roulent dans l’herbe, s’éclaboussent, pour faire bien, pour faire jeune. Elle a honte. Honte d’être cette image stupide. Non, elle ne ressemble pas à cela, elle ne ressemblera jamais à cela. Elle n’est pas ce spectacle grotesque, elle n’est pas cet amoncellement de niaiseries qu’on lui sert avec délectation chaque fois qu’il est prévu de lui faire plaisir.

Fanny estime qu’il ne devrait pas y avoir de droit des enfants. Elle les a étudiés l’année dernière avec son institutrice. Dans sa chambre elle a affiché la déclaration des droits de l’homme. Elle connaît l’article un par cœur. «  Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » . Au début elle ne saisissait pas ce que l’on entendait par « les hommes ». Elle voyait des êtres humains de sexe masculin, les mêmes dont sa mère s’affublait régulièrement. Son institutrice avait expliqué que lorsqu’on dit les hommes, cela regroupe tous les êtres humains, masculins ou féminins, petits ou grands, jeunes ou vieux. Nous sommes tous des êtres humains, avait‑elle écrit sur le tableau.

Aussi Fanny ne comprenait pas pourquoi il fallait ajouter des droits aux enfants puisqu’ils en avaient déjà. A moins que, à moins que comme en orthographe, il n’y ait aussi des exceptions. Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit, sauf s’ils ont moins de dix‑huit ans… L’autre jour elle a feuilleté le Quid et a lu ce qui concernait le droit des enfants. Elle n’a pas tout compris, mais a ri intérieurement en découvrant que dès l’âge de douze ans un enfant peut livrer des combats de boxe. Elle a lu aussi qu’aux Etats‑Unis un certain Gregory Kingsley a attaqué ses parents en justice pour obtenir le droit de s’en séparer.

C’est curieux, elle n’y avait jamais pensé. Comme ce serait bien d’avoir le droit d’abandonner ses propres parents, de les déclarer inaptes au service, de les répudier en quelque sorte. Pas forcément pour en changer. Elle a en partie réussi ce travail puisque son père, enfin l’être humain de sexe masculin qui a le plus longtemps partagé la chambre de sa belle blonde de mère est parti. Il s’est enfui même. Il faut dire qu’elle lui rendait la vie impossible. Elle le trouvait ridicule avec sa queue de cheval et son gros anneau à l’oreille droite. Ridicule aussi son rire, comme si quelqu’un l’avait chatouillé à l’aide d’un plumeau. Ridicule aussi tous ces mots : cool, super, extra, génial, je m’éclate. Fanny, elle aurait voulu un papa Rambo. Rambo un, c’est celui qu’elle préférait. Qu’est-ce qu’il était fort ! Elle aurait voulu un papa qui ne fume pas n’importe quoi sous ses narines, qui ne lui impose pas ses musiques planantes donnant envie de pleurer au plus grand des comiques.

Elle est restée avec sa mère. Gentille, sa mère, mais un peu paumée, incapable de prendre une décision. Sa mère, c’était une toxicomane du futur. On verra, on ira, on fera, un futur se transformant invariablement en conditionnel ou même en futur antérieur : « on aurait pu faire, on aurait pu aller… »

Mes Everest : Léo Ferré, eh basta…

Pour terminer une journée placée sous le signe des mots… retour à mon maître absolu , Léo, et cet incroyable texte, eh basta, j’en publie ici un extrait…. Mais tout est magnifique

La solitude est une configuration particulière du mec : une large tache d’ombre pour un soleil littéraire
La solitude c’est encore de l’imagination
C’est le bruit d’une machine à écrire
J’aimerais autant écrire sur des oiseaux chantant dans les matins d’hiver
J’ai rendez-vous avec les fantômes de la merde
Les jours de fête, je les maudis, cette façon de sucre d’orge donné à sucer aux pauvres gens, et qui sont d’accord avec ça et on retournera lundi pointer
Je vois des oranges dans ce ciel d’hiver à peine levé
Le soleil, quand ça se lève, ça ne fait même pas de bruit en descendant de son lit. Ça ne va pas à son bureau, ni traîner Faubourg Saint-Honoré et quand ça y traîne, dans le Faubourg, tout le monde s’en rengorge. Tu parles ! Ni rien de ces choses banales que les hommes font qu’ils soient de la haute ou qu’ils croupissent dans le syndicat. Le soleil, quand ça se lève, ça fait drôlement chier les gens qui se couchent tôt le matin
Quant à ceux qui se lèvent, ils portent leur soleil avec eux, dans leur transistor.
Le chien dort sous ma machine à écrire. Son soleil, c’est moi
Son soleil ne se couche jamais… Alors il ne dort que d’un œil
C’est pour ça que les loups crient à la lune. Ils se trompent de jour

Flaques d’huiles bleutées…

Carcasse abîmée, navire d’acier

Sur le quai s’est affalé.

J’aime cette rouille,

Rime salée

De couleurs oubliées.

J’aime les câbles qui grincent

Et les flaques d’huiles bleutées,

Grasses sueurs d’une mer attendrie.

Sur le port, pas un homme, pas un bruit.

Les chaînes sont tendues,

J’entends les cliquetis,

Douce mélodie

Du port qui attend la nuit.

Poèmes de jeunesse…

Parmi mes nombreux poèmes de jeunesse, il y a en a de très longs comme celui que j’ai publié en plusieurs parties et parfois de très courts comme celui -ci écrit aussi il y a quarante ans

Ailleurs …

Parce que c’était triste sans mensonges

Il était né sur un papier qui attendra la poubelle

Il avait vécu sur une croûte de vie qu’avait produite

L’histoire du malheur de ses frères

Qu’il ne rencontrerait jamais

Parce qu’eux aussi, ils se sentaient si seuls

Qu’ils oublient parfois d’en regarder

Ailleurs…

Retrouvons Anton qui voyage contre la vitre

Anton, tête contre la vitre, en route vers l’Ouest…

Dans le compartiment, Anton trouve une place contre la vitre. C’est ce qu’il veut : poser son front, un peu de côté, sentir le contact de l’humide et la vibration qui finit par entrer en lui. Dans le compartiment, il n’y a qu’un couple. Ils se regardent si fort qu’on entend presque ce qu’ils se voudraient se dire, si lui n’était pas là à s’emplir du dehors qui l’avale.

Beaucoup de champs immenses : c’est du maïs. Il n’aime pas le maïs, ni dans les champs, ni dans l’assiette. Aujourd’hui peu importe, à cette vitesse, avec la buée qui s’est formée sur la vitre, cette vague le prépare à la mer. S’il plisse les yeux, à presque les fermer, il ressent comme une ondulation qui le traverse. La mer est au bout, il y va, il va la voir il va savoir si elle est comme celle de ses rêves comme celle qui lui entre dans la tête les soirs quand il aime être seul, à tourner les pages de ces livres qui lui racontent ces aventures de solitaires qui un jour sont partis. Il est contre la vitre et souvient de ce roman qu’il a lu à quinze ans : « perdus dans l’Atlantique ». Sur la première page, une petite barque, deux enfants sont à l’intérieur, regards pleins d’effroi. Autour, d’immenses vagues vertes prêtes à les avaler. Il a aimé ce livre, la peur il ne la ressent pas. Il sait que c’est autre chose qui doit se passer, la peur il la connaît, elle est froide, elle noue le ventre et assèche la gorge. Elle s’entend avec le silence, avec le vide. Anton pense à la peur de la mer. Il ferme les yeux et se fabrique une tempête, avec les mots qu’il a lus, qu’il a retenus. Il vibre, ce n’est plus la vitre, c’est un frisson. La peur ? Il ne peut plus se contenter de ce mot. Seul au milieu de l’Atlantique avec des montagnes d’eau qui se déversent, ce n’est pas de la peur, c’est autre chose, cette autre chose qui se fabrique quand on les mots ont disparu, les mots les gestes qui vont avec parce que tout est inutile, la peur c’est pour les terriens pour ceux qui sont en mer, il n’y a rien, il n’y a plus rien, il le sait, il le sent.

Pour en savoir un peu plus sur Eugène Mollard….

Face au mur de l’indifférence, Eugène Mollard cherchait une ouverture…

Il ne lui était jamais rien arrivé. Rien qui puisse le marquer. Sa vie était une ligne droite au milieu d’un paysage monotone, sous un ciel sans nuages. Pas le moindre virage, pas le moindre relief pour accrocher le regard. Aucun de ses sens n’était sollicité plus qu’il ne fallait. Quand il se retournait, il ne distinguait rien. Il était atteint d’une curieuse maladie qui aurait pu s’appeler la platitude. Ce n’était pas douloureux. Comme il ne pouvait ni regretter, ni espérer, il finissait par s’habituer. Au commencement d’une journée, il se levait en ignorant ce que lui réservait l’avenir proche. Il attendait l’enchaînement des gestes mécaniques. Quand il sortait, il savait qu’il retrouverait son chemin. Il savait qu’un grand nombre de passants lui souhaiteraient le bonjour. » Bonjour Monsieur Mollard ». Il savait que rien de grave n’arriverait. C’était ainsi depuis toujours. Demain, il aura quarante ans.

Il finissait par s’habituer, mais il en souffrait. Il aurait voulu fabriquer une histoire. Une histoire à lui, une vraie, piquante, troublante qu’on rêve ensuite de raconter. Il aurait voulu inventer des projets. Des projets avec virages, des projets avec des orages, des projets pour courber cette ligne droite, insupportable. Il lui arrivait d’avoir mal, en forçant les tiroirs de sa mémoire. Ils étaient coincés, toujours vides.

Il y avait bien quelques photos, témoignages glacés des périodes où il s’était arrêté. Elles ne produisaient guère plus d’effets que s’il avait feuilleté un livre d’images. Il reconnaissait ses parents sans éprouver la moindre émotion. Il les voyait, comme deux visages rencontrés auxquels on ne prête qu’une attention distraite. Alors, il refermait la boîte. Il la glissait sous son lit, au milieu d’autres boîtes. Boîtes à chaussures, boîtes à gâteaux, toutes pleines d’étranges reliques d’un autre passé.

Il vivait seul, et passait ses dimanches avec sa sœur Justine. Elle habitait à quelques rues avec trois enfants dispensés de père. Il ne venait pas parce qu’il était invité, il venait parce qu’il le fallait. C’était la seule façon de garder le contact avec ce qui l’avait fait Mollard, Mollard Eugène. Justine était sa petite sœur, de huit ans sa cadette. Aujourd’hui comme hier, avec la patience de ces personnes qu’on imagine être nées pour les autres, elle le supportait sans rien demander. Il observait les enfants. Pendant de longues heures il les étudiait avec l’attention passionnée et le regard glauque d’un entomologiste amateur. Il cherchait un indice, une trace de ce qu’il avait été. Ils en étaient agacés. Justine réclamait leur indulgence, mais ils ne voulaient plus dilapider leurs dimanches avec Eugène, l’oncle un peu dérangé.

Eugène sentait cette hostilité.  Persuadé d’être atteint d’une maladie rare, il se sentait persécuté et supposait que le monde entier lui en voulait. Le psychiatre qui le suivait depuis près de dix ans ne comprenait pas. Il cherchait la clé. Il aurait voulu qu’il s’agisse d’un traumatisme. Un traumatisme psychique datant de la petite enfance ayant causé des dégâts irréparables. Un tel diagnostic l’aurait rassuré sur la fiabilité de sa science. Mais Sigmund Freud n’était d’aucun secours pour Eugène Mollard. Eugène Mollard était un cas unique. Il ne pouvait entrer dans aucune des catégories prévues par les spécialistes des troubles mentaux. Aussitôt que l’on tentait de le sérier, de le caractériser, il s’échappait, il fuyait. On l’attendait au coin du désespoir, il surgissait en pleine euphorie. On le supposait haineux, aigri, on le retrouvait convivial, social, solidaire…

Nouvelle rubrique : « mes blogs coups de cœur…

Cela va faire trois mois que j’ai ouvert mon blog et j’éprouve beaucoup de plaisir à partager mon amour des mots, de l’écriture, de la poésie . J’essaie depuis quelques semaines de prendre aussi le temps de déguster aussi ce que d’autres blogueuses et blogueurs partagent, et je vous propose aujourd’hui mon premier coup de cœur : https://lireditelle.wordpress.com/

Faisons connaissance avec un certain « Eugène Mollard »

Parmi les nombreux personnages de mon deuxième roman,  » un voyage contre la vitre » voici Eugène Mollard, il est un peu spécial…. Je vous propose aujourd’hui le début de son portrait….

Eugène Mollard souffrait. Il souffrait de ne pas se souvenir. Ce n’était pas de l’amnésie, les médecins l’avaient affirmé. Il ne se rappelait rien. Sa mémoire dont le mécanisme était déréglé broyait du noir. Eugène Mollard avait mal. Mal à l’intérieur. Mal à la vie qu’il regardait s’enfuir, se déroulant comme une bobine de fil échappée.

Eugène Mollard approchait la quarantaine. Il ne s’en inquiétait pas. Il ignorait la nostalgie. Il aurait quarante ans et ne les fêterait pas. Il ne fêtait pas ses anniversaires.

Eugène Mollard était de ceux qu’on oublie après une première rencontre. Il portait le cheveu gras et plaqué. Sa personne entière était imprégnée de mollesse moite. Il n’utilisait pas sa grande taille. Il en était embarrassé, étonné même. Son visage était un florilège de défauts exagérés. Tous les ingrédients étaient réunis pour qu’il se transforme en caricature. On ne pouvait pas parler de laideur, c’eût été lui attribuer un signe particulier qu’on est capable de retenir. Il était pâle, sans aucune force dans les traits, comme s’il ne s’agissait que d’une simple esquisse. Son regard semblait attendre. Le moindre de ses enthousiasmes optiques était stoppé dans son élan par deux épais verres pour myopes. Certaines personnes se découvrent une nouvelle élégance grâce aux lunettes. Eugène en était affublé. Il s’agissait d’un poids supplémentaire qu’il encombrait de sparadraps. Il avait la peau fragile et ses montures l’écorchaient.

Sur le plan vestimentaire, il vouait un véritable culte aux sous‑pulls en acrylique. Il ne choisissait pas les couleurs et n’éprouvait aucune appréhension à assortir un mauve vinasse à un bleu patriotique. Il portait des mocassins à boucle, et en toutes saisons ne sortait jamais sans un vêtement de pluie, roulé en boule autour du ventre, comme une ceinture abdominale.

Depuis dix‑sept ans, il exerçait les fonctions d’aide‑comptable dans une charcuterie industrielle de la banlieue de Bourges. Il ne prenait aucun plaisir dans son travail, accomplissant sa tâche avec application, ne posant aucune question. Il ne cherchait pas à s’élever dans la hiérarchie. Il ne jugeait pas ses journées monotones et ignorait les sens du verbe répéter (répéter : « dire ce qu’on a déjà dit », « refaire ce qu’on a déjà fait ») …

Chaque jour, il avait besoin de quelques minutes pour découvrir ce qu’il avait abandonné la veille. Il ne redisait pas, il disait. Il ne refaisait pas, il faisait. Pour ne rien oublier, même s’il n’était qu’opérateur de saisie, il était devenu un maniaque des pense bête. Ce qui lui avait valu le surnom de « post‑it ».

Mes Everest : Chant d’automne, Baudelaire, suite

J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,

Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,

Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,

Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

Et pourtant aimez moi tendre cœur ! soyez mère,

Même pour un ingrat, même pour un méchant ;

Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère

D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.

Courte tâche ! La tombe attend : elle est avide !

Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,

Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,

De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !

Mes Everest : Chant d’Automne, Baudelaire, première partie…

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;

Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !

J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres

Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,

Haine, frissons, horreur, labeur du et forcé,

Et, comme le soleil dans son enfer polaire,

Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.

J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;

L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.

Mon esprit est pareil à la tour qui succombe

Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,

Qu’on cloue en grande hâte un grand cercueil quelque part.

Pour qui ? – C’était hier l’été ! Voici l’automne !

Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

Après Armand, Boris, etc découvrons qui est Julien…

Julien à Paris, était le plus vieil internaute du groupe Son école fut l’une de premières à être connectée au réseau. L’image du village planétaire l’avait enthousiasmé et il avait cherché une colo informatique. Autant Boris était discret, secret même, autant Julien était un véritable moulin à paroles. Il ne pouvait rester plus de trois minutes sans rien dire. Il parlait tout le temps. Parler était chez lui une deuxième respiration. Lorsqu’il était seul, et qu’il pensait, c’était à voix haute, pour mieux se comprendre expliquait‑il. Chez lui, tout le monde était bavard, tout le monde était exubérant. Ses parents étaient forains. C’était une famille unie, sans histoire apparente. On avait acheté un microordinateur pour la comptabilité du commerce, pour être plus moderne. Mais le soir, au moment de s’y intéresser, le père s’endormait et la mère sortait ses cahiers Héraclès. Elle s’y mettrait, un jour, mais pour l’instant ça fonctionnait bien, alors… Julien n’avait aucune difficulté à jouir du matériel autant qu’il le désirait. Ses frères et sœurs étaient jeunes, et il n’avait qu’à les installer devant la télévision pour être tranquille durant de longues heures.

Il était le seul du groupe à disposer d’une adresse électronique avant le début du séjour. Cette supériorité aurait pu lui donner un privilège sur les autres, mais il n’a pas su ou voulu en profiter. Il est comme ça Julien, il donne l’impression de ne pas attacher d’importance à sa propre réussite, on le croirait indifférent voire fumiste. Il est tout simplement d’une telle générosité, d’une telle simplicité qu’il se sent gêné lorsqu’il est le premier. Il souffre quand les autres ne réussissent pas. Et s’il parle beaucoup, cela ne gêne personne tant sa présence est une assurance contre l’ennui et la morosité.

Poèmes de jeunesse : suite et fin

Je termine aujourd’hui la publication de ce très long texte, commis il y a plus de quarante ans et auquel j’avais donné le titre ronflant de  » Avant que ne meurent les victoires écorchées… »

Avant que ne meurent les victoires écorchées

Avant que ne s’entendent les discours du hasard

Tu regardes

Pour savoir

Pour l’espoir

Dans la foule pas un qui ne bouge

Pas un qui ne songe à remuer son poids de graisse

Alphabétique

Pas un qui n’oublie son anonymat

Pas un qui n’épèle son nom

Pas un pour croire qu’il y autre chose

Au dessus d’eux

Pas un qui n’ait un visage qui se reconnaît

Parce que tous attendent le lendemain

Qui suivra leur journée d’adoption

Qui passe en les tuant

Par paquets de minutes

Qu’ils ont volés à la pendule de ceux qui veulent pas

Mais qui sont morts

Pour l’instant ils ne marchent pas

Ils avancent

Mécaniques amnésiques

D’un mot qui revient

Sur toutes les lèvres pincées

Des ceux qu’on dit gagnants

Alors toi t’as plus que tes amis

Derrière d’autres fenêtres

Alors tu te dis que les leurs vont s’ouvrir

Et t’entends déjà le frémissement d’une autre foule

La foule aux visages ouverts

Alors tu joues une dernière fois à perdre l’espoir

Pour accroître ta haine

Pour que ton amour pousse

Au rythme des humains

Tu t’en fous que les fusils

Soient les croix des cimetières

Parce que toi tu veux te mettre à la fenêtre

Sans avoir la face éclaboussée

Par une flaque de calamité

Parce que toi tu veux revenir de ton voyage

Avec pour tout bagage

Le seul mot que tu auras rencontré

Parce que toi tu veux voir ce que tu as choisi

Voir deux amis se rencontrer

Voir deux années se raconter

Voir ou les hommes pleurent de joie

Voir où les enfants rient

D’avoir trop pleuré

Ailleurs

Voir les chefs mourir

Voir la beauté sans miroir

Voir des sourires sans bénéfices

Voir

Tout voir

Te voir

Novembre 1979

Ses mains se posent…

Ses mains se posent.

A plat, fines et légères.

Ses mains reposent, ailes d’ange

Autour le silence,

La douceur s’impose

Sur ses doigts mon regard se pose.

Longs  pétales, d’un regard je les effeuille.

C’est beau ces yeux d’ailleurs,

La peau si fine  ils effleurent.

Quand la lumière faiblit,

Quand les derniers rayons sont suspendus,  

C’est beau cette main entre ombre et lueur.

Je ferme les yeux, sa main est fleur.

Les doigts se touchent,

Un frisson m’entoure.

J’aime ces mains,

Lisses et douces,

Pour en savoir un peu plus sur Armand

Armand aime les remorqueurs

Armand n’aime pas le sport. Armand n’aime pas les émissions pour la jeunesse à la télé. Armand n’invite jamais de copains de son âge à la maison, pas plus qu’il ne se rend chez les autres. Armand ne prend jamais de fous rires. Armand ne se sert jamais une deuxième part de frites. Armand n’aime pas les récréations trop longues et souffre quand il faut aller à la piscine. Armand n’est ni matheux, ni littéraire, il ne préfère et ne déteste ni l’un, ni l’autre. Armand aime apprendre mais il n’aime pas l’école parce qu’on passe trop de temps à répéter les mêmes choses et surtout à apprendre ce qu’il ne faut pas savoir. Armand aime parler avec son père, rire avec sa mère. Armand n’aime pas poser des questions inutiles et répugne encore plus qu’on lui en pose des stupides : »qu’est-ce que tu voudras faire quand tu seras plus grand ?  » Armand aime quand il pleut, et préfère contempler un vieux remorqueur rouillé plutôt qu’un hors‑bord flambant neuf. Armand, c’est un peu tout cela, c’est aussi tout ce que Marc ne sait pas et ne veut pas savoir.

Poursuivons dans les portraits : voici Jacques…

Je poursuis dans ma série de portraits, de tous ces petits personnages de mon deuxième roman, écrit il y a un peu plus de vingt ans…

Le désordre : tout ce que le père de Jacques ne supporte pas…

A Villeurbanne, Jacques est celui qui a le plus de mal à négocier l’utilisation régulière de l’ordinateur. Chez lui, les principes règnent en maître et de règlement en règlements, la vie devient une annexe du code civil. C’est tout juste si son père n’a pas installé une pointeuse pour vérifier que le temps passé par chacun ne dépasse pas les limites imparties. Il est professeur de mathématiques au lycée du Parc et s’il est quelqu’un de cultivé, d’intéressant à écouter, il est d’une telle sévérité avec l’ensemble de sa famille que les journées où il est absent ont la saveur du fruit défendu qu’on peut enfin croquer.

Tout est codifié, tout doit se prévoir. Il est intolérable, inconcevable que surviennent des événements inattendus. Jacques souffre de ce délire organisationnel, car il a plutôt hérité du caractère maternel. Il est spontané, affectif, poétique. Mais il ne peut plus se réfugier auprès d’elle. Il y deux ans un cancer de la thyroïde l’a fauchée à l’aube de la quarantaine. Son père n’a pas pleuré. Il n’a versé aucune larme extérieure et Jacques lui en veut. Depuis, la vie est devenue un enfer. Ses deux frères, plus âgés, se sont murés dans le silence imposée par le respect de la parole paternelle. On devine qu’il subsiste un peu d’amour en réserve dans cette famille, mais il ne se contente que de rôder aux portes de chacun. Depuis la mort de la mère les baisers n’ont plus le droit de séjour et les quatre hommes partagent une existence pleine de raideur. Une journée à la maison rappelle les cours de mathématiques du papa professeur. Tout est rationnel, structuré, pas un mot de trop ne doit être prononcé. L’atmosphère est tendue, les repas pris en commun sont aussi animés qu’un cours de géométrie euclidienne. Les trois fils ont été stupéfaits quand avant l’été, leur père a annoncé son intention d’acquérir un ordinateur. Ils se sont bien gardés de s’enthousiasmer inutilement, se doutant bien des arrière-pensées pédagogiques. Il s’attendait surtout à voir naître un règlement supplémentaire. Ils ne se trompaient pas.

« Evidemment, je ne veux aucun jeu sur cet appareil. Il vous servira essentiellement de traitement de texte. Vous ne l’utiliserez qu’une heure par jour et à l’unique condition que vos devoirs soient terminés. Et justes ! Si j’ai choisi de prendre un abonnement d’essai à Internet c’est surtout pour poursuivre mes recherches. Vous pourrez essayer aussi mais le montant des communications sera déduit de votre argent de poche… »

Poèmes de jeunesse : suite

Avant que ne s’entendent les victoires écorchées

Avant que ne meurent les discours du hasard

Toi t’entends déjà

Les pas de la ville

Qui résonnent aux fenêtres

Des fils sans drapeaux

Le pas fasciste de la ville

Le pas creux de ceux qui t’étouffent

En vainqueur

Alors t’as peur

T’as peur parce-qu’on t’a dit

Que tu étais foutu

T’as peur et pourtant tu disais que tu voulais pas finir

Ainsi

Comme les autres

Ceux qui sont en bas

Et toi tu dis que ça ne recommencera pas

Qu’on y reviendra

Mais ils t’ont bouffé ton présent

Alors n’y crois plus

Parce que les autres ont réussi

T’étais tant sûr de toi

Quand tu leur disais qu’ils avaient tort

Mais toi tu travaillais sans filet

Et les autres ils sont en bas

Ils attendent que tu te casses la gueule

Déjà tu commences à te lamenter

Dans le musée de ton angoisse

Aïeul de ton soupir de haine

Tes yeux ne sont plus des fenêtres

Ils sont déjà des barreaux sanglants

Sur des fentes qui se ferment

Tes mains ne sont plus des amies pour celles des autres

Ce sont déjà des armes pour ceux qu’ont les bottes

Tu sens déjà ta bouche pourrir

A s’attarder sur leurs mots de pierre

Que leur construisent des temples d’enfer…

Mes Everest : Baudelaire, « Tristesses de la lune »

Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ;

Ainsi qu’une beauté, sur de nombreux coussins,

Qui d’une main distraite et légère caresse

Avant de s’endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,

Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons

Et promène ses yeux sur les visions blanches

Qui montent dans l’azur comme des floraisons

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,

Elle laisse filer une larme furtive,

Un poète pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,

Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,

Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil

Faisons la connaissance de Boris…

Je vais finalement créer une nouvelle rubrique que j’appellerai « Portraits » , en effet en relisant mes anciens manuscrits, notamment celui de mon deuxième roman, je découvre tout une série de portraits. Après Marc, Armand, voici Boris…

Boris n’est pas bavard. Il ne l’a jamais été. A tel point qu’il y a quelques années il avait intercepté un conciliabule familial le concernant, où l’on évoquait, bouche en cul de poule, le syndrome de l’autisme. Le mot était prononcé à voix basse, comme s’agissant d’une de ces vulgarités populeuses nécessitant un lavement de bouche à celui qui a osé le prononcer. C’était sa maîtresse du cours préparatoire, une hystérique en cours de fabrication, chantant à tout propos, qui avait alerté sa pauvre mère. Stupide ! S’il ne parlait pas à voix haute, c’est qu’il n’y prenait aucun plaisir. Ce qu’il préférait, c’était la musique. Elle lui emplissait la tête et alors il partait…

Boris est prêt, il est très méticuleux. Maniaque presque, il note tout. Il codifie. Il a fabriqué un organigramme à partir d’étiquettes de différentes couleurs. Il est le plus inquiet aussi. Il a peur des grains de sable et n’imagine pas qu’un tel projet puisse être conduit à terme. Il s’est préparé à l’échec total, humiliant. Alors, il hésite, a quelques réticences, n’aurait pas voulu aller si loin.

Contrairement aux autres il a peu à reprocher aux adultes. Il les ignore, vit sans eux, ne cherche pas à s’opposer puisqu’ils lui laissent suffisamment d’espaces libres. Il est fou de son instituteur. Cela le rend triste de devoir le mêler à cette aventure. Il est tellement juste, tellement vrai. Il est le seul à ne pas lui reprocher ses longs silences. Il le respecte. Ce qui l’a finalement convaincu cet été, c’est le mépris quasi général ( il y a cinq exceptions ) qu’il porte aux autres, à ceux de son âge. Ceux qui sonnent creux. Ceux qui ricanent lorsqu’il avoue pleurer en écoutant Brahms. Ceux qui prétendent écouter de la musique alors qu’ils n’emmagasinent que des borborygmes publicitaires. Boris est prêt…

Mes Everest : « la tristesse », Léo Ferré…

La Tristesse a jeté ses feux rue d’ Amsterdam
Dans les yeux d’une fille accrochée aux pavés
Les gens qui s’en allaient dans ce Paris de flamme
Ne la regardaient plus, elle s’était pavée
La Tristesse a changé d’hôtel et vit en face
Et la rue renversée dans ses yeux du malheur
Ne sait plus par quel bout se prendre et puis se casse
Au bout du boulevard comme un delta majeur

La Tristesse…

C’est un chat étendu comme un drap sur la route
C’est ce vieux qui s’en va doucement se casser
C’est la peur de t’ entendre aux frontières du doute
C’est la mélancolie qu’a pris quelques années
C’est le chant du silence emprunté à l’automne
C’est les feuilles chaussant leurs lunettes d’hiver
C’est un chagrin passé qui prend le téléphone
C’est une flaque d’eau qui se prend pour la mer

La Tristesse…

La Tristesse a passé la main et court encore
On la voit quelquefois traîner dans le quartier
Ou prendre ses quartiers de joie dans le drugstore
Où meurent des idées découpées en quartiers
La Tristesse a planqué tes yeux dans les étoiles
Et te mêle au silence étoilé des années
Dont le regard lumière est voilé de ces voiles
Dont tu t’en vas drapant ton destin constellé

La Tristesse…

C’est cet enfant perdu au bout de mes caresses
C’est le sang de la terre avorté cette nuit
C’est le bruit de mes pas quand marche ta détresse
Et c’est l’imaginaire au coin de la folie
C’est ta gorge en allée de ce foulard de soie
C’est un soleil bâtard bon pour les rayons  » X « 
C’est la pension pour Un dans un caveau pour trois
C’est un espoir perdu qui se cherche un préfixe

Le désespoir…

Poèmes de jeunesse, suite…

Avant que ne s’entendent les victoires écorchées

Avant que ne meurent les discours du hasard

Toi t’entends déjà

Les pas de la ville

Qui résonnent aux fenêtres

Des fils sans drapeaux

Le pas fasciste de la ville

Le pas creux de ceux qui t’étouffent

En vainqueur

Alors t’as peur

T’as peur parce qu’on t’a dit

Que t’étais foutu

T’as peur et pourtant tu disais que tu voulais pas finir

Ainsi

Comme les autres

Ceux qui sont en bas

Et toi tu te dis que ça ne recommencera pas

Qu’on y reviendra

Mais ils t’ont bouffé ton présent

Alors n’y crois plus

Parce que les autres ont réussi

T’étais tant sûr de toi

Quand tu leur disais qu’ils avaient tort

Mais toi tu travaillais sans filet

Et les autres ils sont en bas

Ils attendent que tu te casses la gueule

Déjà tu commences à te lamenter

Dans le musée de ton angoisse

Aïeul de ton soupir de haine

Tes yeux ne sont plus des fenêtres

Ils sont déjà des barreaux sanglants

Sur des fentes qui se ferment

L’automne balbutie…

Dans la fin de l’été déclinant,

Traces d’un automne impatient.

Humidité à l’odeur si épaisse,

Froid nouvel arrivant,

Incapable d’être cinglant,

Timide,

Il essaie de s’inviter,

A la table mauve d’une aube,

Aux couleurs délavées.

Plus une trace de lumière.

Les objets sont gavés d’ombres qui les étouffent.

Des gens passent,

Sourires en berne,

Ils traînent les restes du bel été  

Qu’on ne veut abandonner.

Pas un qui ne rit,

Plus un qui ne vit.

Automne colonisateur,

Feuilles jamais sèches, piétinées

Restent collées,

Tristes, sous le pied.

Tout se traîne, se désespère.

La mer est habillée de gris,

Ne pas froisser le ciel si bas

Il pourrait la gober.

Demain sera mieux,

Demain sera heureux.