Attente ferroviaire : 1

Le 25 février 2005, j’ai écrit ce texte que je viens de retrouver et que je publie en deux parties.

L’air est glacial, coupant, comme un rasoir neuf sur une peau juvénile. Il a laissé tourner le moteur de sa voiture, encore quelques instants, pour s’emplir de cette chaleur aux senteurs mécaniques, qui donne encore pour quelques instants l’illusion du bien-être. Lorsqu’il est sorti, qu’il a claqué la portière, il a perçu comme un rétrécissement. Il est encore plein de ces sensations « ouateuses » que laissent une nuit sous une couette. Le train est annoncé dans un quart d’heure. Il attendra dans le grand hall d’accueil. Il aime ses petits moments de presque rien, où on sent chaque minute qui passe laisser sa trace grise dans la chair. Il est un habitué du lieu, mais pas de cet horaire. Il est de ceux qui entrent dans le train, avec des souliers vernis, les mains fines et l’air préoccupés. A cette heure, ce sont surtout ceux qui travaillent dur, ce sont dont les mains racontent l’histoire caleuse des chantiers. Dans la salle, ils sont six à lutter contre les courants d’air. Sept avec la femme de ménage de la gare. Elle semble hors du temps, qui passe et qu’il fait, absorbée par son entreprise de nettoyage. Elle est haute comme trois pommes et sautille pour atteindre les vitres du guichet. Elle est comme une mélodie virevoltante dans le silence glacial de l’aurore. Contre le mur, tassés les uns contre les autres, quatre hommes, épaules larges, l’œil vif. Ce sont des turcs, ils parlent entre eux doucement. Il ne semble pas souffrir du froid, on dirait que toutes leurs forces, toute leur énergie est consacrée à se donner une contenance sereine. Contre les fenêtres, un grand, bonnet vissé jusqu’aux lunettes, d’une immobilité qui s’apparente à de la pétrification. On croirait que le froid ne l’atteint pas , qu’il le contourne, qu’il hésite à le déranger dans sa raideur matinale.

Pas une voix pour arrondir les angles du froid. Seuls les regards se croisent : on se connait, mais chaque matin on se découvre. Et dans ce simple petit matin de février, il y a comme une éruption de solennel dans ce petit espace de ce rien de tous les jours. Il est le seul à ne pas rester en place. Comme toujours, il cherche à embrasser de tous ses sens ce qui l’entoure…

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