Un orage en février, suite…

Aujourd’hui Jules s’est réveillé avec la réserve à gaieté pleine à craquer. Il a des sourires d’avance, et sait ainsi qu’il pourra puiser dans son garde tendresse quand Lisa lui reviendra.

Jules déborde de bonheur aujourd’hui car il sait que ce soir Lisa reviendra. Il a reçu une carte postale, hier, toute simple en provenance d’Italie, d’un village des Pouilles. Un village entre ciel et mer. Lisa lui dit : « je serai à Saint-Etienne demain, viens me chercher au TGV de 21 h 53.

21 h 53, cette heure est jolie, pas tout à fait ronde comme Jules les aime habituellement. Cela vient peut-être du chiffre impair, il trouve les pairs plus ronds, plus tendres. Mais aujourd’hui il oublie ses principes, 21 h 53, jamais il n’aurait pensé qu’une pareille heure puisse exister. A compter d’aujourd’hui, il ajoutera au lexique du temps qui passe l’heure Lisa, et chaque jour, il se le promet, il ne dira pas : « il est 21 h 53, mais il est       Lisa qui revient ». Il est Lisa et alors il sentira les heures qui enrobent cette heure magique faire comme une caresse.

Toute la journée, il s’est préparé, toute la journée il a imaginé ce que serait son retour. En fin de matinée il est même allé sur le quai de la gare pour vérifier l’existence, l’existence de ces lieux qui en verront deux s’aimer ce soir, l’existence de ce temps, de cette heure. Il la voit, elle est là, elle existe, elle est écrite : 21 h 53, TGV en provenance de Paris gare de Lyon. C’est bien vrai, mais il a envie de plus, dire aux contrôleurs, il faut ajouter : « train spécial, spécial Lisa, spécial Lisa qui revient ».

Et l’après midi il la passe à s’adoucir le visage dans le miroir, à se questionner, sur ce qu’il lui donnera à voir, à espérer. Chaque minute qui passe le conduit à plus d’impatience. Ce sont des minutes pétillantes. Il tourne comme un lion en cage, sur le balcon il observe les gens qui passent dans la rue, il les observe et ne comprend pas pourquoi ils ne sont pas gais eux aussi. Ils ne savent pas, ils ne savent pas que Lisa revient. Elle revient.  Ce soir, elle sera là. Le vide sera enseveli sous leurs baisers.

Jules est arrivé à la gare avec vingt minutes d’avance. Il veut s’imprégner du décor, il veut que lorsque Lisa descendra du train, qu’elle posera le pied sur le quai, elle le voit, elle le sente partout. Il veut inonder la gare de sa présence. Alors il fait les cent pas, il se tord le cou à vérifier le tableau lumineux, accroché si haut. 21 h 53, toujours affiché, voie C. Dans quelques minutes elle sera là. Il la regardera d’abord de loin, et puis il baissera les yeux jusqu’à ce qu’elle approche, pour pas qu’elle voit les larmes, ou plutôt qu’elle les devine. Et quand elle sera arrivée à sa hauteur, quand il sentira l’odeur de ses cheveux brillants, il tendra les bras et leurs mains se toucheront, parce qu’elle fera pareil et doucement et tout doucement, ils relèveront la tête jusqu’à ce que leurs yeux se jettent dans la bataille du regard. Et il y aura des milliers de mots et encore plus dans cet instant suspendu. Ils s’approcheront l’un de l’autre, et leurs lèvres se toucheront, à peine, juste pour établir le contact, comme deux vaisseaux qui s’arriment dans l’espace. Puis le courant passera, le sang circulera, entre les deux et ça vibrera de partout. Jules aura mal au ventre, à la mâchoire, Lisa aura les paupières endolories, de ne pas avoir dormi toutes ces dernières nuits et ils se serreront fort, si fort, qu’ils ne seront plus qu’un sur le quai.

Le train est à l’heure, Jules n’a plus aucune goutte de salive dans la bouche. Il s’épuise à fabriquer l’arrivée de Lisa. Le TGV en provenance de Paris gare de Lyon est annoncé voie C. Jules ne sait de quel wagon elle sortira. Il s’est posé au centre de la rame.

Il l’a vue le premier, elle est petite, son visage comme un scintillement dans la grisaille de ce quai un peu désert.

Elle semble le chercher du regard.

Ils se voient, de si loin, entre eux il n’y a plus que quelques mètres. Ils sont maladroits à combler le vide de leur retour. Les quelques secondes qui leur restent à franchir dans cet espace d’impatience sont si belles, ils s’entendent penser, tous les deux, si fort, qu’il y a comme un bourdonnement. Les autres, ceux qui constituent le décor des vivants sont figés, comme pétrifiés. Jules et Lisa sont à deux lèvres l’un de l’autre. Il y a comme une hésitation, une timidité à s’enserrer, à s’embrasser, à s’entourer de ces quatre bras orphelins de caresses. Ils sont là, à se regarder, les sourires sont imperceptibles, les gorges sont sèches, les doigts sont crispés. Jules est nerveux, il ne sait pas par où commencer, parler, toucher, sentir, goûter, entendre. Il voudrait tout réunir dans le petit espace qui les retient. Lisa a les yeux qui s’éclaircissent, elle remue les lèvres, légèrement, comme dans un spasme, ses cheveux brillent comme jamais. Son odeur a enveloppé le quai. Lisa est revenue, Lisa est là et Jules franchit les derniers mètres. Elle est petite. Il lui prend la tête entre les mains, ses doigts l’encerclent, il sent les oreilles sous la paume, et la nuque.

Déjà la première caresse, il serre, fort, de plus en plus, comme pour se recharger, il sent son torse se gonfler, le plaisir, le bonheur, son front se baisse. Elle lève les yeux, ne dit rien, toujours, parce que c’est inutile, parce qu’ils auront le temps après, parce que dans des moments comme ceux ci, il y a toujours des mots de trop, des mots pour abîmer le plaisir de se toucher, le plaisir de se parler.

Puis leurs fronts sont l’un contre l’autre, leurs corps se touchent, le quai se met à bouger, il est un fleuve, ils flottent, les trains sont des navires. Leurs yeux se ferment, les bouches se cherchent, doucement. Jules commence à lui effleurer les paupières, elles sont fraîches comme le reste de son corps, il a bougé ses mains, elles redescendent, cherchent le cou, si fin, il sent les veines qui palpitent. Elle lui caresse la nuque avec le bout des doigts, les ongles presque. Un frisson le parcourt, il tremble. Il dit : « Lisa, Lisa ». C’est tout, ça suffit, et elle lui répond : « Jules, c’est doux, c’est bon. »

Ils sont serrés l’un contre l’autre, si près, si fort, il sent son dos, sa peau, si fine. Puis les lèvres se touchent, ce n’est plus un frisson, c’est une décharge, il sursaute, elles sont douces, un peu sucrées, et puis les langues s’animent, légèrement, sans insister. Ils ne sont plus dans les retrouvailles de gare, celles qu’on voit sur les mauvaises cartes postales. Ils sont ailleurs, ils sont revenus dans la suite de leur histoire. Tout ce qu’il y autour devient le paquet cadeau qui entoure leurs enlacements. Ils ne bougent plus, ils fondent. Il recule la tête pour mieux la voir, il y a quelques larmes qui ont glissé, qui se sont échappées, il les laisse et ne dit rien, lui prend les mains, les porte à hauteur de son visage et les regarde avec passion, il déplie chaque doigt, tout en les caressant du bout des lèvres. Ses mains, il les aime, elles ont tant de vie à raconter. Et Lisa pose sa tête contre son épaule, là, dans ce creux qu’elle s’invente et qui ferme les yeux, et qui ne souffre plus. Lisa est bien, Lisa sent la vie derrière ce creux, Lisa est heureuse.

Ils ont enfin bougé, sont sortis de la gare, ils marchent avec difficulté, à trop se regarder ils ne vont pas droit. Lisa a envie de quelque chose de frais. Jules a envie de ce que Lisa veut. Ils se tiennent par la main, s’arrêtent, s’embrassent, s’embrasent. Ils sont bien.

Ils sont assis, à se toucher, presque, toujours le presque, ce petit peu qui donne envie de plus, et les genoux sous la table qui se font des douceurs, et les mains d’abord posées à plat, au repos, qui s’approchent. On dirait qu’elles rampent, chaque doigt est un œil qui cherche l’autre, chaque doigt est une bouche qui invente des lèvres aux mains d’en face. Et les doigts se rejoignent, ils s’enlacent, ils s’emmêlent, ils sont bien dans ce corps à corps, ils sont bien, et les yeux d’en haut, les laisse faire, trop occupé à s’emplir de tout ce que chacun a vu, a rêvé sans l’autre.

Et Jules comprend que Lisa veut parler, il sent les mots qui se forment. Ça produit d’abord comme un plissement au bord des yeux et la bouche qui remue légèrement, doucement, comme si elle sortait d’un sommeil profond. Et Lisa commence. D’abord une inspiration, comme une respiration dont elle est la seule à connaître les règles d’usage. Les mots elle les entoure de silence et dans chacune de ses phrases ça fait comme une mélodie. Jules ferme les yeux, il l’écoute à en pleurer, parce que quand elle parle, tous les autres sons deviennent des bruits et sa voix lui fait comme une caresse. Elle ne lui dit pas grand-chose : « tu vois, je suis revenue » mais c’est déjà une œuvre complète. Les mots les plus simples s’associent et ses lèvres les adoucissent. Elle lui parle de ce qu’elle a vu ces derniers jours alors qu’elle buvait son café crème du matin au bord de la piscine de l’hôtel où elle est allée se reposer quelques jours avant de revenir : « c’était très beau, l’eau turquoise de la piscine, et autour la végétation très dense et les chênes qui dégringolent sur la mer bleue marine, et des plages de sable fin et au loin la montagne et des petits nuages blancs ». Quand elle raconte ce qu’elle a vu, elle a un sourire dans les yeux et Jules se voit dedans. Il est deux dans son regard, un pour chaque œil.

Ce qu’elle lui dit est décousu, il faut que cela sorte, elle lui raconte ses émotions, ses souvenirs. Et ça tourbillonne. Et Jules l’emmagasine, il fait le plein des vies de Lisa, il s’en barbouille la mémoire. Il est bien à ne lui dire que très peu. Et le « tu m’as manqué tu sais » qui claque comme une blessure.

Ils boivent, c’est frais, ça fait comme un frisson dans tout le corps. Et soudain les mains qui s’agitent, qui ne se suffisent plus, le désir qui monte, les fronts se rapprochent encore. Et Lisa qui lui sourit en dessous. Lisa lui demande de sortir : « j’ai envie de toi, rentrons ». Ils sont dans la rue, bateaux ivres, enivrés l’un de l’autre. Jules bombe le torse, Lisa est sa voile. Ils tanguent dans le désir, ils s’arrêtent quand une vague les assaille, et les baisers deviennent tempêtes, les yeux se ferment, les bouches sont unies, les lèvres se confondent.

Dans l’escalier, Lisa est devant, elle sautille de marche en marche, ses cheveux volent encore dans son sillage et Jules entend son cœur s’affoler.

Ils se jettent à l’intérieur, Lisa est dans l’encadrement de la porte de la cuisine, Jules lui a pris le visage entre les mains, les joues dans les paumes, elle a fermé les yeux, se laisse faire, les lèvres s’effleurent. Lisa s’amollit, s’ouvre dans tout son corps, elle veut que Jules lui entre partout, elle veut le sentir circuler dans son en dedans.

Et Jules se baisse, d’abord le cou, et ses mains qui dessinent l’intérieur des cuisses, là où la peau est si fine qu’on la sent frémir.

Et Jules qui se baisse encore, Lisa est si petite, il est à la hauteur de son ventre, sa langue cherche le nombril. Jules lui prend la tête et l’appuie encore plus fort.

Et Jules se relève. Ils échouent sur le lit.

Le lit devient une île. Jules et Lisa en sont les naufragés volontaires. Lisa est sur le dos, Jules est en contemplation. Elle a une jambe allongée, l’autre repliée, sa robe est remontée très haut, découvrant les cuisses. Sa chevelure fait comme une flaque de noir sur le blanc du drap. Elle ferme les yeux, légèrement, très légèrement, si légèrement que Jules devine la lumière qui passe, juste sous les paupières et Lisa le voit approcher.

Jules ne sait pas où poser mes mains, il voudrait s’en inventer d’autres pour que Lisa n’ait pas assez de peau à offrir. Jules s’est dévêtu le premier, il veut que toute sa peau puisse lire Lisa, les jambes s’enlacent, de ses pieds il lui feuillette les siens. Ses mains s’attardent à l’intérieur des cuisses, il y a d’abord la fraîcheur de la peau et plus il remonte, plus il sent une chaleur discrète. Elle porte une culotte si fine qu’il devine tous les mouvements de son désir. Elle a le bassin qui roule et les jambes s’ouvrent plus. Et Jules a le cœur qui bat un peu plus, de l’autre main il explore la base du cou, là où il y a un petit creux pour contenir quelques larmes et Lisa le caresse avec plus d’insistance. Une caresse frottement, elle lui pétrit les pectoraux, les poils crissent sous la paume, ça fait comme du sable. La robe est entièrement déboutonnée, et Jules découvre ce corps, il explore le ventre, un peu rond et si vivant qu’il s’en barbouille le visage. La culotte est imprégnée de désir, les doigts de Jules sont absorbés, ils avancent d’abord avec timidité aux limites de la couture, après semblent happés, avalés, Lisa s’abandonne, elle mordille l’oreille de Jules, il sent sa langue qui lui redessine le lobe de l’oreille.

Et Jules s’attarde sur les seins, d’abord sa main qui englobe le tout pour ressentir la fraîcheur, toujours cette fraîcheur, Lisa pince les lèvres, elle aime que Jules insiste sur sa poitrine. Puis les doigts se font plus habiles, il aime quand le bout durcit, quand il roule entre les doigts. Il finit par poser sa langue et Lisa commence à gémir, d’abord un soupir dans un sourire qui l’illumine, d’une main elle caresse le sexe de Jules, d’abord doucement, comme le contact d’une plume, puis elle insiste, elle alourdit la pression et Jules se tord, se cambre. Ses baisers s’accélèrent, c’est un feu d’artifice qu’il ne contrôle plus, il passe du front au cou, s’attarde sur une épaule, découvre l’intérieur du bras et brusquement il descend, pose ses lèvres à l’intérieur des cuisses. Lisa est ouverte, de sa langue il trace des lignes, il n’oublie pas les genoux, devant, derrière où la peau est si fine. Et Lisa qui s’agite, qui tire Jules contre elle. Et Lisa qui s’essaie à la géométrie des formes, elle se plie, elle se courbe, ses jambes forment des angles, et Jules en perd la tête, il a envie d’elle, furieusement, mais il veut attendre encore un peu, avant d’entrer en elle. Alors il ralentit un peu, juste ce qu’il faut pour que le calme revienne, que le corps de Lisa se détende. Il lui caresse les fesses, lui remonte la colonne vertébrale là où la peau est si fine qu’on croirait qu’elle va craquer.

Il est en elle. Jules est en Lisa et les yeux sont ouverts. Jules a l’air grave, et Lisa serre les lèvres, elle est sous lui, toute petite, il lui touche les pieds, il aime lui toucher les pieds, les prendre dans ses mains. Et Lisa ouvre les yeux presque ronds, elle est si bien.

Et Jules est bien, il se dit qu’il y a de la vie entre eux, que la vie est là qu’elle se forme, qu’elle s’ouvre comme une fleur dans cet instant magique.

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