
Eugène est seul chez lui. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il soit seul, car Eugène vit seul. Il n’a plus de famille, il n’a pas d’amis. Eugène est seul, et il attend. Lorsqu’on a frappé, Eugène n’a même pas semblé surpris. Il s’est levé, a ouvert la porte et comme s’il était habitué à ce qu’on vienne chez lui à n’importe quelle heure, il a tout de suite engagé la discussion avec la personne, là, devant lui, sur le palier.
– Bonjour, je ne vous attendais pas… Que voulez-vous ?
– Je ne sais pas, vous seul pouvez me le dire… Pour être franc, lorsque j’ai frappé à votre porte mon intention était justement de vous poser cette question…
L’homme qui a répondu à Eugène est difficile à décrire. Si on devait se contenter d’un seul mot, il faudrait dire qu’il est commun. Oui c’est cela, commun : quelqu’un qu’on ne remarque pas, dont on ne se souviendra pas, qui n’a aucune ressemblance particulière et pourrait se confondre avec beaucoup.
Eugène n’est ni effrayé, ni surpris et se dit qu’après tout, cela lui fait une visite. Il aura quelque chose à raconter. Ou plutôt quelque chose dont il se souviendra, parce qu’il n’a personne à qui raconter. Il invite l’homme à entrer, et lui propose de prendre place sur le divan afin qu’il lui offre un verre.
Les voici désormais assis l’un en face de l’autre. Eugène le regarde, il attend, il se dit qu’il serait bien normal que son invité lui fournisse quelques explications.
– En fait je crois que j’avais simplement envie de vous revoir,
Eugène ne semble pas étonné, il est tellement habitué à la solitude et à la platitude de sa vie que cette présence ne le déstabilise pas. Il ne sait plus ce qu’est une surprise et il est à peine curieux
– Ah parce qu’on se connaît ?
– Ça dépend…
– Ça dépend de quoi ?
– Ça dépend de vous, mais de moi aussi…En fait ça dépend de nous…
Eugène lui a servi une bière. Il a toujours deux canettes au frais. Au cas où. Ils trinquent sans enthousiasme, mais ils trinquent… Et l’homme de lui expliquer qu’il a marché toute la journée, que ce matin quand il s’est levé, il a eu la certitude de s’être trompé.
– Trompé ? Mais sur quoi ?
– Sur moi, sur vous, j’étais certain que je vous trouverai ici, que vous seriez seul et que vous ne me reconnaitriez pas…
– Et bien jusque-là, vous ne vous êtes pas trompé
– Si, justement, je me suis trompé sur un point essentiel, c’est que désormais vous n’êtes plus seul. Je suis là avec vous et ce que je voulais justement vous demander c’est la raison pour laquelle vous étiez toujours seul.
– Et bien disons que je vous attendais…
26 juin 2025
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