Le monde est à terre. Pâle d’ennui, Il chante à mots bas. Entends ce long murmure, Dans le souffle de mes bras. Il s’étire jusqu’à demain. Enroulés dans un lourd drap de brume, Nos enfants chagrins Pleurent au large. Leurs cris se glissent. Entre les plis de ton visage…
Il y a parfois un oiseau dans ma tête, Un oiseau aux mille couleurs qui étouffent le gris de mes yeux, Un oiseau qui plane au-dessus des plaines de ma mémoire. Au matin levant, il frémit des ailes. Les perles de rosée glissent sur la plume dorée, Tout doucement la nuit s’est effacée. L’oiseau dans ma tête a chanté. Il est l’heure de réveiller les couleurs. Au bout de mes yeux la lumière s’est étirée. Au bord de mes yeux quelques larmes de beauté. C’est un matin sans saison, le froid ne pique pas Il est une caresse souriante qui imite la douce fraicheur. Ce matin j’ai un oiseau dans la tête, Tout doucement de la plume de mes mains
En musique, en poésie comme en tout, tout
ce qui cherche à s’approcher de la
perfection académique, ne les touche pas, et les prouesses électroniques de
ceux qui font de la musique avec des
logiciels les laissent indifférents. Le
père le rappelle souvent d’ailleurs en
citant Ferré « la musique est une clameur » et le fils, lui répond à
chaque fois « et les poètes qui ont recours à leur doigts pour savoir
s’ils ont leur compte de pieds ne sont pas des poètes ce sont des
dactylographes ».
La pluie, il leur faudra de la pluie,
pour que leurs gorges se serrent aux évocations des ouvriers de Pittsburgh, de Youngstown
ou d’ailleurs. Il leur faudra de la
pluie pour entendre la rivière : « the river », c’est curieux ce
mot lorsqu’il est chanté, avec dans le fond les frottements de balais d’essuie- glaces vous donne envie de
retrouver la source, toutes les sources, celles qui pour Bruce comme pour
d’autres habillent les mots, les enrobent, leur donnent de telles tonalités
qu’ils ne sont plus des mots, mais des cocktails qui mélangent regards sourires
et soupirs.
Ils ont acheté l’auto, c’est le père qui
a payé, elle n’était pas chère, forcément une voiture qui sent le vieux cuir et
la graisse refroidie. Ils partiront le week-end suivant, il faudra d’abord installer
le lecteur de CD et penser à l’itinéraire qui les conduira pendant plus de
trente sept heures dans une série de villes industrielles. Ils partiront de Saint Etienne, évidemment, c’est qu’ils
sont nés, ils partiront de cette ville où leur idole a fait un de ses plus
grands concerts, il y a longtemps déjà, avant même que le fils ne naisse, à une
époque, où il y avait encore de la fumée grise qui sortait des cheminées des
aciéries.
Après ils continueront vers le nord et
l’est.
Ils sont montés sans un mot se sont
étirés sur les sièges, et ils ont démarré.
Ils ne parlent que très peu, c’est
inutile, il faut laisser agir les émotions
Au
bout d’une quinzaine d’heures, à
la presque moitié du parcours, le père
a souri, il était bien dans ses
cinquante ans, il a regardé son fils, habité par un de ses morceaux
préférés : Philadelphia…
John SteinbeckJack Kerouac HemingwayBruce Springsteen
Le père n’est pas musicien, ne comprend
pas grand-chose à l’anglais, mais ce qu’il aime avec ce chanteur c’est que tout
devient simple. La musique, elle lui entre dans la tête sans poser de
questions, sans chercher à se faire remarquer, sans chercher à ce qu’on prenne
l’air sérieux pour en comprendre les portées.
Cette musique, surtout les morceaux
acoustiques, on sent qu’elle est faite pour ceux qui n’obligent pas leurs
émotions à prendre d’autres chemins que ceux qu’elles sont habituées à
emprunter. Ce sont les mêmes chemins qu’à la lecture d’un passage de Steinbeck,
de Camus, de Kerouac, ou d’Hemingway. Les paroles il ne les comprend pas
toutes, contrairement à son fils qui est à l’aise avec l’anglais. Il ne les
comprend pas toutes mais il les ressent, il sait qu’elles parlent, pour
beaucoup d’entre elles, de ce qui est vrai.
Le fils lui connaît tout de ce chanteur,
il est un passionné, pas un fan ; le mot ne convient pas pour décrire ce
qui se passe chez lui quand il a les tripes secouées lors des nombreux concerts
auxquels il a assisté. On parle de fans pour les autres, ceux qui reçoivent
paroles et musiques avec passivité, comme des oies qu’on gave, lui il n’a pas
la bouche ouverte, il laisse entrer les émotions, il les laisse naviguer dans l’arrière-pays
de sa tête, alors elle rencontre ses autres passions, ses révoltes, ses
indignations, ses doutes et ce qui se passe c’est plus que du plaisir, c’est
autre chose. Les mots n’existent pas toujours pour décrire quand on sent un
frisson qui parcourt l’échine, avec des picotements sur tout le corps et
irrésistiblement des larmes qui montent, de ces larmes qu’on ne cherche pas à
ravaler parce qu’elles sont le sang de cette vie qu’on a en soi, une vie qu’on
ne retient pas, une vie qu’on laisse dire, qu’on laisse faire.
Le père il comprend bien cela, il
éprouve aussi ces sensations quand il lit les premières pages de l’étranger,
quand il lit et entend ce que dit Léo Ferré. Et lui non plus n’est fan de rien,
parce que lui non plus n’aime pas cette réduction du fanatisme. Tous les deux
ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est la vie, ses contrastes, ses
simplicités, ce qu’ils redoutent, ce qu’ils ne supportent pas, c’est les
fausses certitudes de celles et ceux qui prétendent savoir.
Il se souvient de cet homme. Il lui a
proposé d’entrer avec lui, à l’intérieur, de s’asseoir doucement, d’écouter la
portière qui claque, le craquement du mauvais cuir quand on s’assoit. Il lui a conseillé
de fermer les yeux et d’attendre, d’entendre. Il l’a pris pour un malade, pour un original, mais il est quand même entré. Il a fermé les
yeux, vite, parce qu’il était pressé, et c’est vrai il s’en souvient : il
était bien. Il pleuvait légèrement et les gouttes de pluie faisaient comme une mélodie,
une espèce de mélancolie qui rappelle tant le blues qui navigue toujours entre
le rire et les larmes.
Alors quand il les a vus arriver tous
les deux, il s’est souvenu de son musicien et quand ils les a vus sentir l’intérieur
des voitures il a su qu’il pourrait enfin vendre cette vieille Plymouth.
Il pourrait la vendre sans crainte, il
respecterait sa promesse. Il est un peu superstitieux et chaque fois qu’il fait
le tour de son parc, et qu’il s’approche de la carrosserie verdâtre il ne peut
s’’empêcher de revoir le visage raviné du musicien qui ne voulait plus rouler
dans cette carcasse récalcitrante.
Il leur explique qu’ils ne pourront pas
en attendre grand-chose ; il explique qu’elle est solide, mais pas nerveuse
il ne vaut mieux pas l’utiliser sur de petites routes sinueuses parce
qu’évidemment elle n’a pas de direction assistée.
Peu importe, ce qu’ils veulent tous les
deux c’est prendre la route, et aller le plus droit possible.
Ils expliquent. Ce qu’ils veulent, c’est
rouler en se relayant pendant plus de 37 heures, c’est le cadeau qu’ils ont
décidé de se faire, un cadeau dont ils sont à peu près les seuls à comprendre
le sens.
Pourquoi trente-sept heures ? Parce
que c’est à quelques minutes près la durée compilée de tous les disques de leur
maître, de leur idole commune, de leur compagnon de rêveries de celui qui
aurait pu conduire lui aussi cette voiture celui que les autres appellent le
Boss.
Ils ont décidé simplement de s’offrir un
voyage en voiture avec comme fonds musical tout ce que Bruce Springsteen a
écrit, chanté, joué, simplement sur un lecteur de CD assez simple avec des
vrais boutons qui tournent.
Au début ils avaient simplement décidé qu’il
faudrait qu’ils fassent quelque chose, ensemble, autour de cette passion
commune. Ils peuvent, ils s’en sont souvenus l’un comme l’autre recevoir des
bouquets d’émotions à l’écoute de ces
mélodies, avec pour envelopper la voix rauque, parfois plaintive de Bruce, le
ronronnement d’un moteur et le glissement des essuie- glaces.
Sur le pare- brise, de la buée ; on
ne sait pas au juste si c’est de la buée posée là par le souffle du père et de
son fils, ou s’il s’agit d’une simple humidité, conséquence d’une mauvaise
isolation.
La voiture qu’ils ont prise leur va
bien. Ils ne l’ont pas choisie pour le confort, encore moins pour le compte-tours
ou le carburateur mais pour l’odeur. Quand ils ont fait le tour du parc des
occasions, curieusement ils n’ont pas tapé dans les pneus avec les pieds.
Ils ne connaissent pas ces gestes
d’hommes, ils ne les connaissent pas et ne les comprennent pas. Ça ne les
intéresse pas. Lorsqu’un capot est ouvert, ils ne songent même pas à se pencher
au-dessus des entrailles de la bête. Ce qu’ils distinguent n’a pas beaucoup de
sens.
Non, tous les deux ils ont ouvert les
portières, ont reniflé l’intérieur. Ils se baissent, passent la tête en tendant
le cou. Ils savent, sans se le dire, ce qu’ils cherchent. Ils savent, ils le savent,
parce qu’ils ont lu et aimé Kerouac ; ils sentent, ils respirent, les yeux
légèrement plissés pour que les odeurs appellent rapidement les souvenirs. Ils
s’emplissent les narines des ces effluves si particuliers, et finissent, naturellement,
sans le besoin d’en discuter, par se mettre d’accord sur une drôle de machine, toute
droite débarquée d’un vieux road movie.
Son odeur est un mélange de mauvais cuir
vieilli, une odeur de mécanique fatiguée, imprégnée de graisse froide, avec
même derrière, qui produit comme un picotement dans les narines une sensation
de chaleur, diffuse comme si la route, l’asphalte avaient traversé l’habitacle.
« C’est celle-ci qui nous
faut ! »
Le garagiste a le sourire. On ne sait
pas s’il se moque ou s’il est heureux d’enfin se séparer de cette carcasse.
Elle est un peu vivante, elle garde en elle un peu de toutes ces vies que les
autres lui ont confiées dans l’intimité métallique.
Il se souvient de celui qui l’a vendue,
un musicien, mal rasé, la voix recouverte d’une fine couche de tabac, une voix
qu’on n’oublie pas même quand on est garagiste et qu’on a des goûts musicaux
assez sommaires. L’homme qui lui a vendu la machine n’en voulait pas
grand-chose, juste de quoi payer un billet de train pour rentrer chez lui, à
l’est.
Il s’en souvient. L’homme lui a demandé
de veiller sur elle : « c’est un peu comme ma moitié, ou mon double
vous savez, on a vu toute l’Europe ensemble, elle m’a tant attendu, elle m’a
tant entendu. »
Il lui a fait promettre de ne pas la
vendre à n’importe qui, à des gens qui ne la prendraient que pour une voiture,
pour se déplacer, pour faire des courses ou partir en vacances à la plage:
« voyez vous c’est autre chose, elle a tout gardé dans sa mémoire
intérieure, les chants, les rires, les peurs, les cris, les colères contre elle
et contre les autres, surtout contre les
autres ».
Je vois brûler l’eau pure et l’herbe du matin Je vais de fleur en fleur sur un corps auroral Midi qui dort je veux l’entourer de clameurs L’honorer dans son jour de senteurs de lueurs
Je ne me méfie plus je suis un fils de femme La vacance de l’homme et le temps bonifié La réplique grandiloquente Des étoiles minuscules
Et nous montons
Les derniers arguments du néant sont vaincus Et le dernier bourdonnement Des pas revenant sur eux-mêmes
Peu à peu se décomposent Les alphabets ânonnés De l’histoire et des morales Et la syntaxe soumise Des souvenirs enseignés Et c’est très vite La liberté conquise La liberté feuille de mai Chauffée à blanc Et le feu aux nuages Et le feu aux oiseaux Et le feu dans les caves Et les hommes dehors Et les hommes partout
Tenant toute la place Abattant les murailles Se partageant le pain Dévêtant le soleil S’embrassant sur le front Habillant les orages Et s’embrassant les mains Faisant fleurir charnel Et le temps et l’espace Faisant chanter les verrous Et respirer les poitrines
Les prunelles s’écarquillent Les cachettes se dévoilent La pauvreté rit aux larmes De ses chagrins ridicules Et minuit mûrit ses fruits Et midi mûrit des lunes
Tout se vide et se remplit Au rythme de l’infini Et disons la vérité La jeunesse est un trésor La vieillesse est un trésor L’océan est un trésor Et la terre est une mine L’hiver est une fourrure L’été une boisson fraîche Et l’automne un lait d’accueil
Quant au printemps c’est l’aube Et la bouche c’est l’aube Et les yeux immortels Ont la forme de tout
Nous deux toi toute nue Moi tel que j’ai vécu
Toi la source du sang Et moi les mains ouvertes Comme des yeux
Nous deux nous ne vivons que pour être fidèles A la vie
Il m’arrive parfois d’aller à la recherche d’une belle d’une vraie trace de joie dans l’armoire à souvenirs. En voilà une : une joie animale, forte. Elle réchauffe le cœur et le corps. Elle ne réveille pas mon inspiration, mais elle stimule ma respiration…
Rêvons Ô oui rêvons du risque de joie Belle et bleue Elle roule sur la vitre de mes oublis Simple joie Jaillit dans le soudain Du tendresse matin Regarde elle brûle et brille Au coin mauve D’un œil qui glisse sur nos restes de larmes Odeurs de lilas Aux angles durs des rancœurs de l’hiver Rondissent en fleurant Elle est là Sautillante Frissonnante Fondue dans le brise chagrin Du lourd glacier de nos mémoires pour demain
Je cherche dans le fond humide de ma réserve à mots, un verbe qui pourrait survivre sans complément, sans adverbe, sans tous ces parasites qui au mieux affadissent au pire empoisonnent l’essence première du mot, cette saveur originelle qui lorsqu’elle fut la première fois utilisée suffisait, exprimait à elle seule ce qui était ressenti, c’est-à-dire vu, entendu, touché, goûté. Ces mots verbes existent je le sais, je les cherche, je les traque. Mais il y a aussi ceux que la grammaire a décidé d’entrer dans la catégorie des noms communs. A-t-on pris le temps de s’interroger sur la signification de ce commun, qu’on ajouter pour désigner ce qui pourtant désigne à lui seul l’essentiel. Peut-être s’agit-il d’une juste opposition au qualificatif propre. Serait-ce la propreté ou la propriété qu’on veut opposer au commun, au collectif. Il y aurait donc le mot qui appartient à un seul et ce qui est à tous ; pourquoi pas ! Mais le commun peut aussi être vu comme le banal, comme le courant, qui n’a aucune aspérité, aucune singularité. Ne dit-on pas d’un vin qu’il est commun pour éviter de dire qu’il n’est pas bon… Le vin, le ciel, le vent, la brume, le mauve, l’amour, que de noms communs qui dans ma réserve occupent une place singulière… 10 mars 2023
J’ai plongé la main, Dans le fond mauve de ma poche à sourires. Il y restait quelques miettes d’air marin ; Dans le doux creux de ma paume de cire J’entends, elles chuchotent un chant câlin. Ô si beaux ces mots loin du pire. Lavés, salés, à ma bouche les ai portés, comme le bon pain. Les yeux j’ai fermés : la mer est entrée, elle a tant à me dire…
Ce qui me manque lorsque je n’écris pas ? C’est simple C’est le frisson, Oui je sais Ce ne sont qu’ombres noires ou bleues Dissipées sur la longue plaine blanche De mes inspirations C’est si peu Et pourtant je frissonne Oui je frissonne Là à l’instant Regarde ma main Elle tremble comme une feuille Mon cœur s’affole J’ai le souffle court les lèvres sèches Les yeux emplis des buées de l’intérieur Oui je frissonne De bonheur de douleur Les mots passent se posent Je les entends Je les écris Tu les lis Et je vois Tu frissonnes