Mots qui s’envolent…

Il a ouvert son livre intérieur pour y ajouter quelques pages.
L’encre ne sèche plus, elle est le sang des mots
Il s’échappent quand la lumière les éveille,
Mots qui s’envolent, plus rien ne les retient
Dans le vent qui les attend, quelques grains de lumière,
Les yeux les lisent, le regard se plisse
Et le cœur qui s’affole, on est bien
Pas un son qui ne s’essaye au bruit
Tout est dans la mélodie les notes s’enroulent
Autour des mots, il flotte comme un doux rien de légèreté

Ses mains se posent…

Ses mains se posent.
A plat, fines et légères
Ses mains reposent, ailes d’ange
Autour le silence
La douceur s’impose
Sur ses doigts mon regard se pose,
Longs pétales, d’un regard je les effeuille
C’est beau ces yeux d’ailleurs
Sur la peau, ils effleurent,
Quand la lumière faiblit,
Quand les derniers rayons sont suspendus
C’est beau cette main, entre ombre et lueur
Je ferme les yeux, sa main est fleur
Les doigts se touchent
Un frisson m’entoure
J’aime ses mains,
Elles lisent en moi

Petite lueur…

Photographie : Alice Nédélec

J’ai dans la mémoire de mes mains un trou d’où jaillit une petite lueur. Lumière des mots oubliés, étouffés par l’ombre grise du dictionnaire de l’utile dont on habille les phrases pour sortir dans la pudeur administrative. Je pose mon œil poétique au-dessus, juste au-dessus et soudain les doigts retrouvent le chemin, on dirait qu’ils dansent sur le papier, ils sont chargés de beau, ils sont emplis de ces courbes que prennent les mots quand ils sont libérés de leurs prisons académiques ; et ils dansent et ils chantent de la fraîcheur retrouvé.
Qu’ils sont beaux les mots !

Des mots aux ailes bleues…

Je voudrais écrire,

Oh oui, je le veux…

Écrire pour deux,

Pour toi, pour eux.

Je voudrais écrire

Heureux,

Entre deux lourdes marges en feu.

Oh, je voudrai tant écrire,

Ce mot qui caresse,

Là, seul,

Il attend, rien ne presse.

Je voudrais tant écrire

Tendresse,

Sur une feuille d’automne

Aux rimes mauves

Sur le titre accrochées.

Je voudrais tant…

Tremper ma plume

Dans une flaque de rires jolis.

Je voudrais tant entendre

De longs mots aux ailes bleues.

Ils chantent, ils dansent,

C’est eux, ils sont arrivés.

10 février 2020

Mes Everest, Paul Eluard

Grain de sable de mon salut

A force d’être claire et de donner à boire
Comme on ouvre la main pour libérer une aile
À force d’être partagée et réunie
Comme une bouche qui s’amasse ou qui frissonne
Comme une langue de raison qui s’abandonne
Deux bras qui s’ouvrent qui se ferment
Faisant le jour faisant la nuit et rallumant
Un feu qui couve mille enfants perdus d’espoir
À force d’incarner la nature fidèle
Forte comme un fruit mûr faible comme une aurore
Débordant des saisons et recouvrant des hommes
À force d’être comme un pré qui hume l’eau
Qui donne à boire à son terrain de haute essence
Innocent attendant un pas balbutiant
Comme un travail et comme un jeu comme un calcul
Faux jusqu’à l’os comme un cadeau et comme un rapt
À force d’être si patiente et souple et droite
À force de mêler le blé de la lumière
Aux caresses des chairs de la terre à minuit
À midi sans savoir si la vie est valable
Tu m’as ouvert un jour de plus est-ce aujourd’hui
Est-ce demain Toujours est nul Jamais n’est pas
Et tu risques de vivre aux dépens de toi-même
Moins que moi qui descends d’une autre et du néant.

A tire d’ailes…

Sur la peau blanche de mes espoirs
J’écris les mots pour demain

Dans un bouquet de rires enfouis
Je trempe ma plume épuisée

Sur le papier au grain glacé
Une boucle aux bords bleutés
Je trace en pleurant

Ces mots que j’aime
Pour toi
Pour nous
Je les lie

Main dans la main
Loin du hier de nos ennuis
Ils s’envolent
A tire d’ailes
Entre les bras du couchant

Regarde-les
Ils s’enfuient
Regarde-les
Nous sommes en vie

Mes Everest, Bruce Springsteen : le survivant…

Des photos jaunies dans un vieil album
Des photos jaunies que quelqu’un a prises
Quand tu étais brave, jeune et fier
Dos au mur, sauvage et bruyant

Un gilet en peau de serpent et un costume en peau de requin
Des talons cubains sur tes bottes
Un coup de pied dans le groupe et côte à côte
Tu emmènes la foule dans une ballade mystérieuse

Chevaliers de Colomb et le bal des pompiers
Vendredi soir au Union Hall
Y’a des clubs « cuir noir » le long de la route 9
Où on compte les noms des disparus comme un compte à rebours

Une nuée d’anges permet à me
Quelque part, haut et fort et bruyant
Quelque part, au cœur de la foule
Je suis le dernier debout à présent
Je suis le dernier debout à présent

Sorti de l’école, et sans travail
Jeans usés et chemise en flanelle
Les lumières se tamisent et on fait face à la foule
Le dernier debout à présent

Les lumières s’allument dans la salle du Legion Hall
Les queues de billard sont associées au mur
Tu remballes ta guitare et vides ta dernière bière
Avec ce bourdonnement dans tes oreilles

Une nuée d’anges permet à moi
Quelque part, haut et fort et bruyant
Quelque part, au cœur de la foule
Je suis le dernier debout à présent
Je suis le
Je suis le dernier debout à présent

La douce-amère aux yeux de mousses

Merci à Barbara d’aider chaque matin mon soleil à se lever…

au matin je prendrai par la main ton âme déshabillée de la mémoire des chambres et je l’emmènerai au jardin pour l’habituer doucement à la joie et à l’ensemencement des possibles confiante en d’autres espaces en d’autres lois et tisseuse de fables en la saison où penche notre coque je glisserai candidement à la cloison […]

La douce-amère aux yeux de mousses

Flash..

Englué entre les quatre murs de mon angoisse

Je voudrais sauter comme l’enfant

Tête à l’envers

Pieds joints dans la flaque d’un reste de bleu

Je voudrais aplanir la larme coupante

Du peut-être des demains aiguisés

A la pierre des tristes peurs

Ô pluie des rires arrondis

Je t’attends c’est promis…

30 mai 2023

Dernier rêve…

Je ne rêve plus dit l’homme apaisé

Je n’en ai plus l’utilité

Je me passe des faux espoirs bleutés

Je n’ai pas le temps de m’abimer dans l’angoisse

Belle à en pleurer

La tristesse est là elle attend

Je ne la crains pas

Nous partagerons nos larmes salées

Et demain sera plus vrai

Carnets…

Je reprends mes petites pensées du jour, mon carnet journalier…

Il m’arrive assez régulièrement de dire, de me dire, que ce monde est devenu fou, qu’il ne tourne pas rond. Et je regrette immédiatement mon propos et j’en viens même à m’excuser auprès de ce monde qui continue à tourner invariablement sur lui-même. Et je plonge alors dans une réflexion sur le sens qu’ont les mots et celui qu’on leur donne. De quoi parle t’on lorsqu’on parle du monde : de la terre, de cette planète qui nous abrite et qui convenons-en est ronde ou tout au moins sphérique? Oui elle est sphérique, c’est plutôt une boule. Mais on préfère quand même dire que la terre est ronde. Ce n’est pas grave, et oui n’en déplaise aux infâmes bigots et complotistes : la terre est ronde et elle tourne sur elle-même.

On appelle cela une révolution…Tiens donc, il faudra que je me penche sur ces révolutions qui durent depuis plusieurs milliards d’années…Mais revenons à ce monde qui ne tourne pas rond…Peut-être, finalement que lorsque je parle du monde il s’agit de celles et ceux qui vivent sur cette terre. Quand il n’y a personne on se contente de dire qu’il n’y a personne et plus ces personnes remplissent ce qu’on croit être le vide de cette terre plus on dit qu’il y a du monde…Et quand il y a beaucoup de monde, voire trop on ressent vite que tout cela ne tourne pas bien rond…Que font-ils, que disent-ils, où vont-ils ? Je n’en sais rien. Je ne dis rien. Moi aussi je fais, je dis, je vais et surtout je tourne en rond…

25 octobre

Flash…

Le premier que j’entends me dire que tout est dans le « cloud », je l’obligerai, une fois au moins dans sa vie, à lever les yeux. Oui homme numérique, regarde bien, redresse toi : ce que tu vois, cet amas, gris, vaporeux, aux angles ronds c’est un nuage ! Oui mon ami un nuage ! Ce n’est qu’un nuage qui inspire, qui respire, qui soupire. Dans le nuage des gouttes d’eau, des perles de rêves, des espoirs. Ton nuage numérique je n’en veux pas: ne le traduis pas il pollue ma poésie et je t’en prie, je t’en supplie lorsque tu parles de mémoire fais un effort, cherche, creuse le sillon de cette vie que tu as laissée t’échapper…

Mes Everest, Baudelaire

Vincent van Gogh, La chambre, détail (musée AIC Chicago)

Les Fenêtres

Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?

Ce soir c’est vers…

Ce soir c’est vers. Finie la pause prose, ce soir je vous prends à revers, ce soir je me pose, je prends un verre et je me mets aux vers. Je vous entends déjà : il nous dit qu’il se remet aux vers mais il reste en prose. Tout ça n’est peut-être que de la frime, de la frime pour trouver une rime. Alors attendons un peu…

La prose tout doucement s’essouffle.

Sans rien dire elle s’efface.

Prose s’envole

Un verre, puis deux

Les vers sont là

Dans le peuple des mots

Quelques-uns se sont levés

Ils tendent le point

Le point oublié

Mais plus rien ne compte

Les vers sont là

Suspendus

Aux lèvres mauves

De tes larmes bleues…

Je te savais…

C’était l’heure des sans amis
Penché vers un presque rien
Je voulais prendre ce chemin
Et rêvais d’y rencontrer les hommes
Aux doux regard paisibles
Qui rêvent de lendemains
Aux bords ronds et malins
J’ai marché jusqu’au dernier bout
Lointain
Oh si lointain
Elle était là
Seule et perdue
Vêtue d’une longue trainée de brume
Elle attendait en souriant
Je te savais
Tu le sais
Entre tes larges marges inventées
Je t’avais inventé

Regarde…

Regarde
Oh oui regarde
Lève les yeux
Oublie
L’ombre épaisse des mauvais rêves
De tes nuits agitées
Glisse
Penche-toi en riant
A la fenêtre des absents
Regarde
Oh oui regarde
La lumière est si belle
Elle s’étire doucement
Entre les tendres bras
Du matin des amants
Ecoute
Oh oui écoute
Tu l’entends te dire
Je t’attends…

Bouée…

L’homme est courbé,

Son dur regard racle le sol.

Lever les yeux ?

Il ne le veut pas,

Il ne le peut plus.

L’homme est triste,

Il marche

Sur le fil gris de la peur.

Il tire sur les manches de la douleur,

Soudain,

Merle siffle ;

L’homme déplie un bout de sourire,

Essuie la buée de ses larmes bleues,  

Bouée est là, ronde et fleurie.

Elle est pour lui

Il la serre,

Tout est fini.  

Matinales…

Dans l’erreur de déclenchement

Parfois l’incompréhensible beauté

Clin d’œil du hasard

Habillé de rien

Sorti d’un nulle part

Où le gris invite les mauves oubliés

A valser au son d’une fanfare de cuivres fous

Je sais des matins aux rires retenus

Qui attendent qu’on ne leur dise rien

Semailles…

Dans le jardin des mémoires de demain

J’ai semé un vieux fond de graines de rires faciles

C’est la bonne saison

Je le sais je le sens

C’est le temps

Le temps si rond si long

De la bonne raison

Il le faut on attend

Regarde

Les granges débordent de molles pailles

Oubliées de vieilles moissons

Entends les pleurs des rides sèches de la terre

Aux prochains soleils levés

Tu cueilleras ta première fleur au sourire câlin…

Mes Everest, René Char

Ne laisse pas le soin de gouverner ton cœur à ces tendresses parentes de l’automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L’œil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau: tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n’a plus de vitres. Tu es impatient de t’unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D’autres chanteront l’incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t’identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l’impossible.

Pourtant.

Tu n’as fait qu’augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d’une entente qui s’affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. A quand la récolte de l’abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires…

Qu’est-ce qui t’a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre?

Il n’y a pas de siège pur.

L’homme est heureux…

L’homme est heureux,

Il le dit, il le rit.

Autour de lui,

Pas un œil qui ne luit.

L’homme est heureux

Son cœur bat pour deux

« Je vais marcher,

Il le faut, c’est si beau. »

« Je vais marcher,  

Et lèverais les yeux. »

L’homme inspire,

L’air est si frais,

L’homme s’emplit de vrai…

Il faut attendre lui dit-on

L’heure n’est pas aux rêves creux ;

Il faut entendre le souffle fatigué

D’un bleu délavé, lessivé

Par la basse marée.

L’homme n’écoute pas,

L’homme est heureux.

Fleuve oublie

Au matin qui s’ennuie,

Fleuve ne frissonne plus,

Sans un flot, lisse et nu

Fleuve entre dans la ville.

Si loin le chant de la source,

Si loin la caresse blanche

De l’eau claire qui jaillit.

Tout est oublié,

Fleuve se laisse aller,

Entre deux rives rêches

Sa mémoire de brume mauve,

Il a abandonné.

Mes Everest, Albert Camus

J’ai grandi dans la mer et la pauvreté m’a été fastueuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m’ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j’attends. J’attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide. Je patiente, je suis poli de toutes mes forces. On me voit passer dans de belles rues savantes, j’admire les paysages, j’applaudis comme tout le monde, je donne la main, ce n’est pas moi qui parle. On me loue, je rêve un peu, on m’offense, je m’étonne à peine. Puis j’oublie et souris à qui m’outrage, ou je salue trop courtoisement celui que j’aime. Que faire si je n’ai de mémoire que pour une seule image ? On me somme enfin de dire qui je suis. « Rien encore, rien encore… »
C’est aux enterrements que je me surpasse. J’excelle vraiment. Je marche d’un pas lent dans des banlieues fleuries de ferrailles, j’emprunte de larges allées, plantées d’arbres de ciment, et qui conduisent à des trous de terre froide. Là, sous le pansement à peine rougi du ciel, je regarde de hardis compagnons inhumer mes amis par trois mètres de fond. La fleur qu’une main glaiseuse me tend alors, si je la jette, elle ne manque jamais la fosse. J’ai la piété précise, l’émotion exacte, la nuque convenablement inclinée. On admire que mes paroles soient justes. Mais je n’ai pas de mérite : j’attends.

Albert Camus, L’Été, « La mer au plus près (Journal de bord) »

Mes Everest : Léo Ferré : le loup…

Le loup n’a plus de dents, il mange des idées ;                                                    

À la radio il nous commente les nouvelles :                                                      

 As-tu vu ce matin mourir une chandelle ?                                                        

Cette étoile de cire où meurent des années…

Il en va de l’espoir comme d’un tapis de vert.

Usé, l’espoir déçu se trame une autre chaîne                                                        

Sur les brisées de ceux qui portent de la laine.                                                      

En guise de moutons le loup va prendre l’air ;

Je sais de vieux sapins qui n’ont pas leur raison,                                                  

Ils fleurissent des jours, des mois, des parenthèses.                                            

Je sais des paradis perchés sur une chaise                                                          

À scruter sous la pluie un désir de pardon…

Les arbres sont polis quand j’y passe mon cœur,                                                  

Je me les fais copains d’une ancienne habitude,                                                  

Et mes racines se mêlant à leur étude,                                                            

Quand je deviens forêt ils deviennent malheur.

Je suis le chêne blond d’un automne déçu,                                                          

Des perdrix pour la chasse ont mis leur feu arrière,                                              

Les chansons de l’été des grillons de naguère                                                

Grillent dans le phono vers l’Ouest descendu.

Voilier d’hier…

Peinture à l’huile de Claude Nédélec

…C’est un voilier qui hésite encore entre la voile d’hier, faite de bois et de cordes qui sentent la paille et la voile de demain faite de matériaux lisses, et de cordages qui sentent le plastique. C’est un bateau qui hésite, entre deux, il a du gris dans les rares couleurs que le soleil lui a laissé, un gris qui parle des marées, un gris qui parle des pluies d’hiver qui déchire le bleu de la mer. A bord sur le pont, encombré de tous ces objets qui parlent vrai tant ils sont usés, un homme se déplace lentement. Chaque chose qu’il touche semble le remercier. Il n’est pas comme les autres, il semble déjà un peu plus loin, son regard ne se disperse pas, son regard est à ce qu’il fait. Les autres, ceux qui virevoltent sur des bateaux de catalogue ont les yeux absents, on ne les devine même pas derrière des verres de marques ou se reflètent des couleurs qui n’existent que pour les touristes canonisés. Sur le pont, l’homme sans lunettes se prépare pour le départ. Arrivé hier soir, sans bruit, il a cherché un mouillage éloigné des autres pour ne rien dire, pour ne pas parler d’où il vient, pour ne pas utiliser de mots qui n’ont pas de sens pour lui. Les autres, lorsqu’ils sont au port aiment à raconter, se raconter, l’homme au navire sans âge n’est pas de ceux-là. Il ne se mêle pas à la vie du port. Il ne les méprise pas, il lui arrive même parfois de les écouter, de s’emplir de leurs rires pour s’en faire une couverture, douillette pour la nuit. Il ne les méprise pas, mais il n’aime pas qu’on pose de questions, il n’aime pas qu’on cherche à savoir. Son histoire ne doit intéresser personne, il ne le veut pas. Il se souvient, lorsqu’il est parti, il a mis le cap vers le nord, avec le vent de face. C’était un vent coupant et lui serrait les dents, pour ne pas faiblir, pour ne pas se poser de questions. Il était parti un matin tout simplement et quand il avait posé la main sur la barre en sortant du port de Concarneau, il savait qu’il ne parlerait plus, il avait tant à faire, tant à se dire à l’intérieur…

Ecoute petit homme…

Ecoute petit homme,

Ecoute.

Il est si beau ce monde qui ne dit rien.

Il est si beau ce monde,  

Il te parle, c’est le tien.

Regarde petit homme heureux,

Regarde ces furieux,

Fanatiques, frénétiques,

Ils ont le cœur électrique.

Ils préparent la prière,

Hymne cathodique

Aux rimes numériques,

C’est le matin du malin.

Nuques raides, regards vides,

Les impatients sont livides,

Epuisés, lessivés,

Un long sommeil les a lavés.

Ô Nuit blanche et câline,   

Ne t’épuise plus à blanchir

Ces haines rances à mourir.

Semées sur l’écran creux

De leurs rêves sans bleu.

La nuit les a libérés.

Il est l’heure,  

Affamés, ils attendent

La victime par eux condamnée.

Leurs mots sont prêts

Ils vibrent, affutés, aiguisés,

Ils vont frapper !

Pas un regard pour ton monde qui sourit.

Ils attendent leurs matins numériques.

Rien ne brille, rien ne bouge.

Hystériques ils cliquent, ils cliquent,

Ils cliquent.

Et ce matin, petit homme,  

C’est une claque,

Une claque pour les creux.

Les écrans sont lisses et vides.

Les nouvelles du jour ?

Parties, envolées, manipulées, falsifiées ?

Que va-t-on devenir, on est seul, isolés…

Le monde les voit

Il pleure de cette embolie

Il rit de cette folie

Mais cette nuit, petit homme,

Le monde a agi.

Le monde ne regrette rien

Il le fallait, il l’a fait.

C’est si simple,

Petit homme

La poubelle était pleine,

Le monde l’a vidée,

Et dehors l’a laissée

26 janvier 2020

Le vieil homme et le port…

J’illustre ce texte écrit il y a une vingtaine d’années par un tableau peint par mon père…

C’était la guerre froide entre la brume et le port. On ne se souvenait même plus de quand datait le dernier rayon de fausse lumière. On ne devinait le jour qu’à une impression générale qui flottait à la surface des eaux. Les chalutiers étaient contraints d’utiliser leurs couleurs comme des signes particuliers, accrochés à leur identité d’embarcation. Toutes les berges, toutes les coques avaient le teint blafard, piqués de bruns et d’embruns, indices d’une angoisse qui se lève avec le jour. Le bout du port, gueule ouverte, crachait périodiquement ses coquilles de noix. Il avait l’attrait d’un goulot de bouteille où toutes les lèvres salées des compagnons de port se seraient posées.
Cette flaque d’eau était posée au milieu de la ville, comme une cicatrice sur un visage burinée de soleil et de siècles. La ville n’était pas un port, la ville était un empiècement de croûte sombre qui s’étendait autour. Les rues n’avaient point d’origine, elles étaient là, pour marquer l’appartenance à un système urbain. Mais ces associations de réalités qu’on aurait cru naturelles ne parvenait à donner à ce paysage que l’apparence lointaine d’une ville. La brume elle-même ne parvenait pas à adoucir les traits d’une ou deux maisons à la lourdeur extrême.
Derrière chacune de ces façades épuisées d’être fouettées par les vents salés, il y avait des symptômes de vie, d’imperceptibles indices de société. A quelques fenêtres se tenaient en berne quelques bouts de chiffons. Des cheminées sortes des bouffées de vapeur. Les maisons se touchent très forts, on les croirait enlacées, pour se tenir chaud, pour oublier la peur, le vide de ceux qui ne reviennent pas. Parfois on aperçoit une ombre ou deux, elles se faufilent, et disparaissent aux angles ronds des rues noyées des brumes océanes.
Derrière la vitre crasseuse, que ce bout de port qui se prend pour un tableau de peintre mélancolique, ses yeux ne parviennent plus à fixer le paysage. C’est le paysage qui est en lui et qui donne à ses yeux cette lueur intérieure. On dirait qu’il scrute une terre, une terre qui ne viendra plus. Ses yeux ont été cloués à l’envers. Il voit de l’intérieur, l’intérieur de ce pourquoi il est né…

Mes Everest, Albert Camus…

Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. A peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s’ébranle d’un rythme sûr et pesant pour aller s’accroupir dans la mer.
Nous arrivons par le village qui s’ouvre déjà sur la baie. Nous entrons dans un monde jaune et bleu où nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre d’été en Algérie. Partout, des bougainvillées rosat dépassent les murs des villas; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de roses thé épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus. Toutes les pierres sont chaudes. A l’heure où nous descendons de l’autobus couleur de bouton d’or, les bouchers dans leurs voitures rouges font leur tournée matinale et les sonneries de leurs trompettes appellent les habitants.
A gauche du port, un escalier de pierres sèches mène aux ruines, parmi les lentisques et les genêts. Le chemin passe devant un petit phare pour plonger ensuite en pleine campagne. Déjà, au pied de ce phare, de grosses plantes grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la lumière descendre du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents éclatantes. Avant d’entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes spectateurs.

Exrait de Noces à Tipasa, écrit par Camus en 1937…

Petite pluie est venue…

Vêtue de son manteau de drame gris

La pluie est là, elle n’était pas invitée…

C’est bien lui, lourd mardi maudit,

Dans longues rimes de novembre empêtrés

Qui a osé la convoquer dans le dernier souffle du midi.

« Je ne veux pas que joie sente des ailes lui pousser,

Petite ou drue, Ô pluie, reviens je t’en prie. »

Mais pluie têtue a résisté et son sourire lumineux

Sur chaque flaque a posé petites perles bleues..

13 MAI

Contre la vitre…

Dans le compartiment, il y a cette odeur, unique, qui s’accroche aux vêtements. Une odeur de voyages, trop courts, pour que la sueur soit absorbée par les souvenirs touristiques. Une odeur de vitre propre, de soupirs fatigués, une odeur de vie qui est à la peine, pour s’approcher de ce dont on rêve quand on est la tête contre la vitre. On ressent les vibrations, et puis il y a l’humidité de l’haleine qui fait comme un voile. Le voyage contre la vitre peut commencer, les yeux qui se ferment et le skaï devient cuir sauvage. Les néons ferroviaires sont des reflets de lune sur l’eau, pas un son, pas une voix qui ne troublent le rien d’un songe qui cherche son issue. Comme une musique, comme une mélodie. Et le couple d’en face, si vieux, si bons, qui posent leurs yeux sur la main de l’autre, pour signifier leur amour. Ils sont si beaux, si vrais, avec des souvenirs en réserve, pour chaque aiguillage, des regards croisés. Le front fait corps contre la vitre, les vibrations se font plus douces, le couple est comme un bouquet. Plus loin des jeunes filles rient, elles sont heureuses, heureuses de leurs sens, de ce qu’elles disent, de ce qu’elles montrent aux regards des peureux du bonheur. Elles batifolent, de mots en mots, d’histoires banales en tranches de vie. Et leurs rires nous réchauffent dans ce temps qui ne fait que passer.

Matinales…

Spéciale dédicace à Barbara Auzou aujourd’hui, ses textes matinaux sont un souffle d’inspiration dans le creux de mon oreille…. Merci à elle

Le combat sera rude ce matin

A ma gauche rêveuse fragile fleur des fossés

A ma droite ferreuse train bleu veuf de mer

L’une brille et vacille

Rouge bonheur

L’autre grince et crisse

Bleu pâleur

Mon œil tendre et reposé

S’est fait une beauté

Au doux miroir des mots de Barbara

Ce matin je ne choisis pas

Fleur des fossés machine au cœur d’acier

Je vous ai aimés

16 mai

J’attends… Inédit…

Je suis d’une grammaire oubliée
Je conjugue le verbe attendre
A tous les temps de l’impatience
J’écoute aux portes des sourires croisées
J’y entends le chant secret des absents
Je cherche des traces d’amitiés
Les arrime aux belles et rondes rimes
Sur la rive mauve de mes basses marées
Ô vous qui ne me voyez
J’attends
Oui j’attends vous le savez
Un signe de la main
A ceux qui se baissent pour pleurer

Matinales…

Oh reste encore je t’en prie

Il y a encore tant à voir

Tant de rires à cueillir

Dans les draps parfumés de fraîches prairies

Tant de douces brumes

Accrochées aux boucles de mes mots

Tant de larmes rosées

Perles perdues aux fils tendus

De mes silences aux gorges serrées

Tant de vagues noyées de bleus

Tant de feuilles aux longues lignes gorgées

D’une belle encre au mauve oublié

Oh oui je reste

Jusqu’à l’unique loin matin

Je rêve encore et pose ces quelques mots

Dans le creux de ton soleil câlin

15 mai 2023

Le survivant…

J’étais hier soir au concert de Bruce Springsteen, à Paris. Et j’ai rarement été aussi ému, seul au milieu de tous, en entendant ce magnifique morceau, qu’on peut traduire comme « le survivant ». Chanson où Bruce évoque son premier groupe de rock dont il est le dernier survivant. Je publierai le texte de cette chanson d’ici peu…

Bruce Springsteen hier soir à Paris

Non je t’en prie
Ne bouge pas
Ne dis rien
Les larmes montent
Roulent en silence
Sur la trace encore vive
D’une mémoire abîmée
Une pincée d’un sel chagrin
Se pose sur les plaies des vivants
Il est seul
Tu es seul
Au milieu des errants
Une voix
Des mots
Tu es empli
Et tu pleures
Doucement
Sur la rive asséchée
De l’absurde crue d’une foule étonnée
Seul
Et tes mains tremblent
C’est le chant du survivant

14 mai

Sourires au conseil des ministres, fin

Le président remonte la jupe, il découvre la cuisse, elle est musclée, sa peau est fraîche, si douce. Il a envie d’elle, tout de suite. Il rêvait de revivre ce moment. Il se souvient de leur première rencontre. Il pleuvait, il s’était égaré. Il a frappé et elle a ouvert. Trempé, elle l’avait dévêtu en silence, avec précision. Pour que ces vêtements sèchent. Il s’est retrouvé en caleçon devant cette femme énergique, elle l’a frotté avec une serviette à l’odeur de fougère. Ils ont fait l’amour sur le sol, ils faisaient si chauds.
Il était parti sans savoir, qui elle était. Et depuis son seul désir était de revenir.
Ses mains lui effleurent l’intérieur des cuisses. Elle a ouvert le haut de son corsage.
C’est elle la première qui a entendu les coups de feu suivi de plusieurs cris

Des cris, des pas qui se rapprochent, très vite, on doit courir, dehors. Le président s’est éloigné de France. France ça ne s’invente pas, cette belle femme, à l’allure sauvage, cette femme qui l’habite depuis plusieurs mois, qui l’a colonisé diraient certains, s’appelle France. En quelques secondes les cris sont devenus des souffles d’impatience, on frappe à la porte, avec le plat de la main. On sent la peur. Le président ouvre la porte, ils sont cinq à s’engouffrer à se jeter dans la pièce. Le président n’est pas surpris de la composition de ce petit groupe : trois hommes et deux femmes, ce sont les seuls qui depuis la formation du gouvernement se comportent la plupart du temps avec franchise. Lorsqu’ils prennent la parole, autour de la table du conseil des ministres, on ressent la bienveillance qu’ils ont les uns pour les autres. Ce n’est certainement pas un hasard mais aucun d’entre eux n’a suivi la voie dite royale, sciences po, ENA, passage par un cabinet, ces cinq-là ont eu des parcours atypiques, syndicalisme, entreprise…. Le président les laisse reprendre leur souffle, c’est la Ministre de la santé, Frédérique, des larmes au bord des yeux, le souffle court qui explique. Les autres ne disent rien, on les sent terrorisés.
« Ça y est président ils ont disjoncté. Quelques minutes après votre départ, on a commencé à redescendre et évidemment est arrivé le moment, ou parvenus à cette espèce de patte d’oie que personne n’avait remarqué à l’aller, il a fallu opérer un choix. Evidemment personne n’était d’accord. Évidemment toujours les mêmes ont cherché à affirmer leur supériorité. C’est quand même incroyable président, mais même dans cette situation, il y en a qui ne trouve rien de plus intelligent à dire que « moi je suis ministre d’état » donc forcément mon avis a plus de poids. Et puis, comme je m’y attendais les regards se sont rapidement tournés vers Armand. Armand ton protégé, Armand ton tireur d’élite, si prompt à décapiter un premier ministre. Bref, tout le monde, moi y compris, l’a suspecté d’être au courant, d’en savoir plus. Et là, comment dire, de vrais bêtes sauvages ! Ils sont une dizaine à s’être jeté sur lui comme des fauves. Des coups de feu sont partis, il a essayé de se défendre : « écoutez-moi, écoutez-moi je vais vous expliquer ». On n’est pas entré dans la mêlée et on a couru à travers le bois, tout droit, sans réfléchir, instinctivement…. Je pense qu’il y a plusieurs morts là-haut. Armand, je pense qu’ils l’ont massacré. Explique-nous Président… »
Le président est assis sur un des vieilles chaises de la cuisine, France est derrière lui, le regard noir. Tout doucement elle se détache de lui, sa main lui caresse le visage. Elle rejoint le bout de la table, et s’assoit :
« Je vous en prie, prenez une chaise et asseyez-vous : nous vous attendions, nous allons pouvoir commencer. »
« Ce que je vais vous raconter, vous décevra, j’en suis convaincu. Je le comprendrais tout à fait. Les événements que vous avez vécus, ces dernières heures, sont hors normes. Et vous vous attendez à de l’incroyable, de l’extraordinaire, du sordide peut-être. Oui je le répète : je vais vous décevoir, tous, surtout toi ma chère Frédérique.
Au passage, je dois vous le dire, je ne suis pas étonné de vous voir ici, vous, mes cinq préférés. Je le savais parce que je vous ai choisis : vous n’êtes pas des imposés, des convenus. Vous êtes des hommes et des femmes à qui il reste encore, de la lumière derrière les yeux. Mais oui je vais vous décevoir. C’est vrai que ce matin, au réveil, je n’avais pas d’autres intentions que celle que je vous ai annoncée quand j’ai interrompu le conseil des ministres. Je voulais tout simplement proposer une promenade destinée à donner à chacun le sourire. Ce sourire que j’avais ce matin, dans le parc, tellement touché par la lumière du soleil encore bas à travers les feuillages, tellement ému par la fraîcheur persistante de la nuit. Ce matin j’ai souri, et j’ai pensé à mon père qui me répétait tous les jours, oui tous les jours, que tout est simple, que tout est facile.

  • Il faut vivre, c’est tout, c’est simple, et surtout c’est suffisant !
    J’ai pensé à mon père parti si tôt, mon père que je n’ai jamais oublié. Et ce matin je me suis souvenu de cette belle forêt ou grand père m’emmenait, pour me sortir de la tristesse dans laquelle le départ de papa m’avait plongé. Comme je vous l’ai expliqué, je suis revenu ici, il y a trois mois, je suis revenu un jour où je n’en pouvais plus, j’ai marché seul, j’avais demandé à Maurice mon garde du corps d’attendre dans la clairière, celle ou l’autocar doit encore être stationné. J’ai marché seul et j’ai pleuré, puis, je me suis souvenu, des paroles de papa.
  • Il faut vivre, c’est tout, c’est simple, et surtout c’est suffisant !
    J’ai marché et je suis arrivé ici, devant cette petite maison. J’ai frappé, et France m’a dit d’entrer, elle m’a reconnu bien sûr. Tout le monde connait le président de la république, même France qui n’a pourtant pas la télévision. France a tiré une chaise, celle où je suis assis aujourd’hui et m’a dit de m’asseoir. Sans rien dire, elle m’a apporté une assiette fumante. J’ai mangé avec appétit. C’était bon, c’était chaud. Elle s’est assise en face de moi et m’a regardé. Elle souriait. J’étais bien. Je me suis levé. Elle aussi. Nous nous sommes approchés l’un de l’autre ; j’allais lui parler. Il fallait que je lui parle. Il le fallait. Lui dire, lui dire que, je ne sais pas, je ne savais, je cherchais, mon cœur battait fort. Doucement elle m’a fait signe de ne rien dire. Et France, France que je suis heureux de vous présenter ce soir m’a alors simplement dit.
  • Ne dis rien, il faut vivre, c’est tout, c’est simple et surtout c’est suffisant !

Sourires au conseil des ministres, 6

Ce sont les dernières paroles du président, du moins ses dernières paroles avant qu’il ne reprenne son chemin accompagné par une nuée d’oiseau. Tous les ministres sont restés immobiles, la plupart déjà trop fatigués pour emboîter le pas au président qui s’est engouffré dans l’épaisseur de la forêt. Ils sont immobiles, un peu tétanisés, abasourdis par ce qui vient de se produire, par cet incroyable enchaînement d’événements. Marie France, l’une des plus jeunes, ministre de la culture, est la première à rompre le silence.
« Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant, on ne va pas rester planter là, on va retourner sur nos pas et on tombera forcément sur clairière où est garé le bus. »
Retourner sur leurs pas ? Evidemment, tout le monde a ça en tête. Il faut le faire et si possible sans trop tarder. La lumière se fait rare et s’orienter deviendra bientôt compliqué. Sans attendre, le groupe se met en marche. Il ne faut pas attendre plus d’une centaine de mètres pour que survienne le premier problème.
En effet, et personne n’y avait prêté attention, lorsque le président, tout à l’heure, a choisi le « chemin du haut » celui sur lequel ils se trouvent maintenant, il y avait aussi deux autres sentiers qui y conduisaient, deux autres, l’un au-dessus et l’autre légèrement en dessous. En fait ils se sont trouvés face à un échangeur, non pas un nœud autoroutier, mais bien un carrefour pour les randonneurs. Et évidemment trop concentrés à mettre un pied l’un devant l’autre, personne n’a pris la peine de prendre le moindre repère. Il est même fort probable très peu d’entre eux n’ont remarqué la présence des deux autres sentiers.
Ils se sont tous arrêtés. Mais rapidement trois d’entre eux n’hésitent plus. Ils continuent ! Ils sont sûrs de leur choix pour ce qui semble en toute logique la bonne direction : le chemin du centre. Evidemment…
« Arrêtez, je suis sûr que ce n’est pas par là qu’on est passé tout à l’heure ! »
C’est Bernard le ministre de la Défense qui vient de parler. Les trois « éclaireurs », ministre de la culture toujours en tête ont stoppé net. Ils étaient persuadés du bien-fondé de leur choix et maintenant ils doutent. Il y en a plusieurs d’ailleurs qui confirment qu’ils ne reconnaissent rien. La ministre de l’éducation est catégorique.
« On n’est pas passé à côté de ce rocher. Je l’aurai vu quand même ! »
« Et pourquoi tu l’aurais vu, ce n’est qu’un rocher, il y en a d’autres des rochers…Moi je suis sûr qu’on est passé ici. C’est logique quand même : on ne fait que suivre le sentier du haut. »
Le silence est définitivement rompu. Chacun y va de son souvenir, de sa certitude, et au bout de quelques minutes il faut bien se rendre à l’évidence, il y a trois choix possibles et personne n’est d’accord. Personne n’est d’accord et personne ne veut céder. Chacun, évidemment, a toutes les bonnes raisons pour affirmer, avec des arguments imparables que c’est son option qui est la bonne.
Le Ministre du budget demande un peu de silence. Il évoque la disparition du premier ministre, et constate froidement que tout cela était bien pensé, bien préparé par le président.
Le calme est revenu et peu à peu tous les regards qui, le crépuscule aidant, deviennent de plus en plus inquiets convergent vers le jeune secrétaire d’état aux sports. C’est quand même lui qui a tiré tout à l’heure. Il était forcément au courant, il sait quelque chose, il doit avoir une carte. Il a une carte, c’est certain, c’est évident il est le « complice » du président ! D’ailleurs il ne dit rien, il est en retrait, quelques mètres derrière. Comme pour se faire oublier.
Il n’en faut pas plus pour que la ministre déléguée à la famille explose de colère
Plus exactement, cela commence par ce qui ressemble à une colère, une vraie, tout y passe, tous y passent, puis rapidement cela devient une vraie crise de nerfs. Elle finit par s’asseoir, sur le bord du sentier, elle tremble, elle sanglote. Elle ne comprend pas, elle qui connait le président depuis plus de trente ans, une vieille amitié… Elle se sent trahi aujourd’hui. Le secrétaire d’état aux sports est toujours silencieux. Ce qui est inquiétant c’est qu’il a l’air terriblement sûr de lui. Certains diraient même qu’il a un petit sourire au coin des lèvres.
« Je connais le chemin, je sais par où il faut passer. »
C’est tellement rare de l’entendre parler. C’est vrai qu’il prend rarement la parole au conseil des ministres, ou quand il le fait, généralement invité par le président personne ne l’écoute. Ses sujets ne passionnent guère, et puis ce n’est pas un politique lui… Il ne s’est jamais frotté au terrain / jamais candidat, jamais élu, jamais battu…. Ses seules victoires il les a connues au tir à la carabine. D’ailleurs beaucoup ne savent même pas d’où il vient exactement. Où le président est-il allé le pêcher… Mystère…Chacun se souvient aujourd’hui de leur complicité, petits clins d’œil, accolades un peu plus affectives que l’usage ne le permet. En fait, pour dire vrai chacun a pris conscience qu’il n’y a jamais d’hypocrisie dans ces gestes d’affection. Comme si leur lien était très fort.
Alors quand il a pris la parole, personne n’a ni bougé, ni réagi. Chacun comprend qu’il ne ment pas et n’essaie pas d’imposer un point de vue : oui il connait le chemin, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Il connait très bien le président, intimement… Toutes les circonstances sont désormais réunies : Il devient important, il suscite de l’intérêt. Il connait le chemin.
Pendant ce temps, déjà à quelques kilomètres, le président est entré dans ce que dans les contes pour enfant on appellerait une chaumière. Une petite maison de chasse à dire vrai, une seule pièce, elle sent le bois, humide, elle sent le renfermé. Au centre de la pièce, une table sur laquelle sont posées deux couverts. La femme semble attendre.
Le président a refermé la porte, il accroche sa veste au porte manteau sur lequel pend déjà une veste de chasse en cuir vieilli. Il s’approche et se penche à peine, pour poser tendrement un baiser sur le front de cette femme qui lui sourit doucement.
« Je t’attendais, je suis heureuse que tu sois revenu. Je n’y croyais plus. J’étais sûr que tu m’aurais oublié. Tu dois avoir faim, j’ai préparé à manger. »
L’unique pièce est enveloppée d’une belle odeur de cuisine, pas de ces effluves qui font saliver, par réflexe, non c’est plus qu’une odeur de cuisine. Ce qui se dégage du fourneau qu’on distingue dans le fond de la pièce, mérite amplement le nom de parfum. Ce qui envahit le président, ce sont les émotions, les souvenirs, il y a dans cette petite pièce un concentré de vie, de cette vie qui lui a échappé depuis si longtemps. La femme assise derrière la table penche un peu plus la tête en arrière, sa gorge est tendue, la peau est blanche et fine, elle frémit à chaque inspiration. Il est toujours debout derrière elle et se penche à son tour pour poser un baiser. Elle frémit, elle sourit. Il n’est entré que depuis quelques minutes et il se sent bien. Ils se regardent, leurs yeux brillent. Il se sentent bien.
Ça y est ? C’est fait ? Tu les as perdus tes brebis.
Le président s’est assis en face d’elle, un petit sourire lui adoucit le visage. Il a faim, il a envie de la prendre contre lui de sentir son odeur, cette odeur végétale avec une pointe fumée juste ce qu’il faut pour que sa peau si blanche soit épicée.
« Ils ne sont certainement pas loin d’ici mais on est tranquille pour un bon moment je ne les pense pas capable de se mettre d’accord sur un même chemin ; A l’heure qu’il est ils doivent être en train de tous se méfier les uns des autres. Ils ne forment pas une équipe. Leur vie n’est qu’une succession de coups tordus et de trahisons contre ceux qu’ils présentent comme leurs amis. Ils sont déjà en train de douter de chacun, de constituer des petits groupes, des alliances de circonstances. Mais ils n’y parviendront pas et ça je le sais. C’est la leçon que je veux leur donner. Comment prétendre diriger un pays quand on est incapable, en groupe de retrouver son chemin en forêt »
Elle est amusée. On le comprend aux lumières qui brillent dans ses yeux.
« Tu dois avoir faim. J’ai préparé un civet, Comme tu les aimes. »
Elle s’est levée, il la regarde. C’est une belle femme : elle est assez grande, on devine un corps ferme sous le blanc crémeux des vêtements qui l’enveloppent. Elle est belle. Il soupire, il est bien.
Elle est déjà près de la cuisinière pour empoigner la petite marmite. Elle n’en a pas le temps, il l’enlace avec fougue, l’odeur de son corps lui revient en mémoire. Il croyait l’avoir oublié. La marmite n’a pas bougé elle l’a repoussée un peu plus loin. Elle est face à lui, ses longues mains effleurent la nuque.

Sourires au conseil des ministres, 4

Les perdre dans la forêt, avec leur petit sac de pique-nique et leurs baskets ! Non mais franchement on se croirait dans une série parodique et délirante dont le seul objectif est de se moquer toujours un peu plus de nos gouvernants !
Il a presque envie de rire tellement la situation lui semble surréaliste : le président est encore debout à expliquer en long, en large, et en travers, s qu’il va les perdre, comme s’il s’agissait de tous ses petits-enfants… Grotesque…
Pierre, le premier ministre s’est levé presque calmement, on dirait même qu’il y a de la tendresse dans son geste, sa main tendue vers le président pour lui demander le micro. Il n’a pas le temps d’ouvrir la bouche que sa tête éclate comme une pastèque.
Il vient de prendre une balle en pleine tête….
La France n’a plus de premier ministre. Il a perdu la tête.
Perdu n’est d’ailleurs pas le mot approprié pour qualifier ce qui vient de se produire. La tête du premier ministre, puisque c’est de cela dont il s’agit a littéralement éclaté. C’est le jeune secrétaire d’état, exceptionnellement invité aujourd’hui qui a tiré. Jean Marc Dourcet puisque c’est de lui dont il s’agit est à quelques mètres seulement son arme toujours pointée, dans le cas, fort peu probable d’ailleurs, où un courageux essaierait à son tour de maitriser le président.
Ce dernier tient toujours fermement le micro la main, le coup de feu l’a interrompu et il semble contrarié.
« C’est dommage pour Pierre, c’était quelqu’un de bien. Mais vous le savez je n’aime pas trop être interrompu quand je souhaite parler. Merci mon petit Jacques. Il faudrait peut-être que je vous nomme premier ministre. Enfin on n’en est pas encore là »
Jean Marc, le secrétaire d’état au sport est très calme. Il faut dire qu’il fait partie de ces personnalités de la société civile que le président a souhaité intégrer dans son gouvernement. C’est un ancien champion olympique de tir au pistolet. Le premier ministre n’était pas des plus enthousiastes mais le président a insisté, mettant en avant les qualités de concentration de cet homme.
Dans le fond de l’Autobus, les potaches n’ont plus du tout mais alors plus du tout envie de plaisanter. Le plus difficile est de comprendre, de mettre en place au plus vite tous les mécanismes intellectuels pour analyser la situation. Tout est tellement inattendu. En silence, chacun cherche, ces derniers jours, ces dernières semaines ce qui a pu se passer, chacun essaie de se souvenir, un indice, quelque chose qui leur permettrait de comprendre ce qui est en train de se passer. Mais rien, c’est le néant pour chacun. Tous prennent conscience à cet instant précis qu’ils ne prêtent aucune attention aux autres. Quand ils se regardent c’est pour se surveiller, identifier un éventuel signe de faiblesse. Tous à cet instant comprennent que ce qu’ils n’ont pas vu c’est à quel point le président n’en pouvait plus, était épuisé. En revanche tous savent que le président ne supportait plus son premier ministre, son arrogance, sa froideur, son intelligence purement mécanique. Tous savent qu’il ne l’a pas choisi pour ses qualités humaines, pour sa capacité à le compléter, à le réguler, non il l’a choisi par calcul politique. Tous le savent mais personne ne le dit. Tout est calcul.
Le président tapote à nouveau sur le micro : il va parler. Il s’éclaircit la voix. Ce sont les premiers mots depuis le coup de feu, ils brisent le silence…
« Bien, tout cela est embêtant. Je ne voulais pas changer de premier ministre, pas encore, pas tout de suite, mais là convenons en tous, je ne vais plus trop avoir le choix. Mais ce n’est pas le plus important, c’est dommage bien sûr ! Certains trouveront même que c’est triste, que c’est grave, mais croyez-moi ce qui vient de se passer n’est pas de nature à me faire changer d’avis. Et puis, après tout soyez honnêtes, tout le monde détestait Pierre. Je vois bien dans vos regards que personne ne le regrette. Vous le savez comme moi, en politique on apprend tellement à lire dans le regard des autres que je peux vous dire, simplement en vous observant, que la plupart d’entre vous sont déjà entrés dans le calcul, se disant probablement : pourquoi pas moi ? Et maintenant je sais, je suis absolument certain que personne ne parlera, que personne n’expliquera ce qui s’est passé dans le huis clos de cet autocar. »
Certains, surtout dans le fond de l’autocar, fidèles à leurs habitudes de groupies ont déjà oublié la tête qui a roulé et dodelinent la leur à chaque phrase du président afin qu’il comprenne bien que l’incident est clos, qu’ils sont à nouveau avec lui. Il y en a bien un ou deux qui ont le regard effaré, mais le président les connait suffisamment pour savoir sur quelles cordes il faudra appuyer.
Le président n’a pas lâché le micro : il poursuit
Après cette interruption fâcheuse, je reprends mon propos. Mes amis c’est simple j’en ai marre, je n’en peux plus. Je n’en peux plus de ce que nous sommes. Je n’en peux plus de ce que nous donnons à voir. Je n’en peux plus de ces grappes de conseillers qui nous collent comme des mouches, qui ne sont là que pour servir leur propre intérêt. Je n’ai pas changé d’avis, je veux qu’on redevienne des êtres humains, je veux que vous retrouviez le sens des émotions, je veux que vous preniez seuls des décisions, sans conseil. Alors je le maintiens nous irons dans cette forêt et je vous perdrai. Je veux que vous sachiez pourquoi je veux que vous vous perdiez !
Le calme s’est installé dans l’autocar, le président s’est assis, on dirait même qu’il s’est assoupi. C’est le jeune secrétaire d’état, auteur du tir, qui a ramassé la tête, enfin ce qui était autrefois une tête pour la glisser tranquillement dans un sac de sport. Il a même trouvé de quoi nettoyer. Le corps décapité du premier ministre est resté sur son siège.
La circulation est de plus en plus fluide. Par petits groupes, les membres du gouvernement échangent, certains ont revêtu avec les fameuses baskets des survêtements soigneusement pliés dans les coffres à bagage. On entend même quelques plaisanteries, et curieusement on ressent une espèce de sérénité. Le ministre de la Défense s’est même endormi et son ronflement retentit jusqu’au fond du car.
Au fond du car justement, il y a discussion, on essaie de comprendre, ce n’est pas tant la disparition du locataire de Matignon qui semble perturber le petit groupe, que l’intention du président.
L’autocar a ralenti, il vient de s’engager sur une petite route qui hésite entre le chemin vicinal et le sentier forestier. La forêt qu’ils aperçoivent par les vitres est épaisse, très épaisse même, la lumière ne passe pas.
L’autocar roule à très petite allure encore une bonne vingtaine de minutes avant de stopper au milieu d’une clairière. Le président saisit le micro.

Sourires au conseil des ministres, 3

Il commence à taper frénétiquement sur son clavier quand il entend la voix du président un peu irritée qui lui dit :

  • Pierre, je te vois, ton portable s’il te plait, allez tout de suite, tu le fais passer et je le récupère !
  • Mais monsieur le Président, c’est impossible, comment on va faire cet après-midi…L’assemblée…
  • Pas de mais mon petit Pierre, je te rappelle que nous sommes encore officiellement en conseil des ministres. Je maitrise l’ordre du jour et je te rappelle aussi que la constitution précise que c’est le président de la république qui nomme le premier ministre.
  • Mais monsieur le président
  • Pas de mais Pierre, si ton portable ne me parvient pas instantanément tu n’es plus premier ministre
  • Bien Monsieur le Président
    Pierre puisque c’est ainsi que nous l’appellerons à présent s’exécute ; le brouhaha s’est atténué, c’est le silence maintenant qui devient plus pesant.
    Tous les ministres sont montés, ils se sont installés, certains, ont déjà pris les places du fond (les vieux réflexes ne disparaissent pas même lorsqu’on est ministre).
    Le président est devant à côté du chauffeur, il a pris le micro, l’autocar démarre…
    Le président, a le micro posé en bas du menton, il est debout et tousse un peu. On ne saurait dire de quelle nature est cette toux, et ce d’autant plus que le sourire de tout à l’heure a disparu. Il jette un coup d’œil à sa petite troupe.
    Ils sont tous là à attendre qu’il veuille bien commencer. Tous, enfin, si on ne tient pas compte des cinq ministres qui se sont encastrés au fond de l’autobus et qui sont complétement entrés dans le jeu. En quelques minutes ils ont oublié le conseil des ministres, la tension, ils sont au fond d’un autobus et ils chahutent. Ils chahutent comme des adolescents, heureux de se retrouver dans l’intimité de ce fond de car, ce fond objet de tous les fantasmes, objet de toutes les convoitises. Combien de souvenirs de voyages scolaires ne se résument qu’à ce combat gagné ou perdu, avec ses proches ou celles qu’on rêve d’effleurer, pour gagner le fond du bus.
    Evidemment le président les a repérés, il sait qu’ils seront ses alliés, mais la limite entre le chahut et l’impertinence est très légère.
    Il tousse encore et réclame un peu d’attention ;
    « On m’écoute dans le fond s’il vous plait… »
    Et dans le fond, les ministres de la justice, de l’industrie, de la santé, de l’outre-mer et des universités pouffent comme de joyeux étudiants.
    Le premier ministre, Pierre, occupe un des deux sièges les plus proches du chauffeur. Il ne plaisante pas, il ne sourit pas, et pour être complétement sincère il commence même à être excédé. Contrairement à tous ses collègues, il n’a pas encore essayé les fameuses paires de baskets, il y en a sur tous les sièges, on les examine, certains les reniflent même, pour être certains qu’elles sont neuves, qu’elles n’ont jamais été portées. Les pointures ont été disposées un peu au hasard, alors on se les fait passer d’un siège à un autre, les escarpins encombrent l’allée centrale. La ministre de l’économie les a enfilés et elle fait quelques pas, quelques-uns sifflotent, d’autres rient. Finalement on a le sentiment que tout le monde est détendu. Sauf le premier ministre bien entendu et le ministre chargé des relations avec le parlement. Ces deux-là s’envoient des signes qui en disent long sur le jugement qu’ils portent sur la situation
    Le président s’est éclairci la voix : il a même retrouvé le sourire
    « Mes chers amis, je vous dois désormais quelques explications. Maintenant que la plupart d’entre vous semble avoir pris leur marque et surtout leur chaussures…. Il est temps que vous compreniez ce qui se passe, ce qui est en train de se passer. L’autocar vient de démarrer et nous allons nous rendre dans une forêt que je connais bien et soyez très attentif : là-bas j’ai décidé de vous perdre… »
    Même les dissipés du fond se sont tus, la plupart pensent avoir mal entendu ou mal compris, mais le président continue.
    « Vous avez bien entendu, vous êtes monté dans cet autocar, et nous allons dans deux heures environ nous garer à un endroit un peu à l’écart de tout, vous prendrez votre petit sac de pique-nique, nous marcherons ensemble pendant une trentaine de minutes, nous nous enfoncerons au plus profond de cette forêt avec le chauffeur qui la connait parfaitement, et là nous vous perdrons, je vous perdrai. Il arrivera un moment où vous ne me verrez plus, j’ai repéré l’endroit, vous verrez c’est un peu épais, très impressionnant et là vous serez perdu… »
    Le premier Ministre a compris, cette fois ci il n’y a plus aucun doute le président, son président est devenu fou. Il faut qu’il fasse, qu’il tente quelque chose. Il est encore temps….

Il n’est pas très grand, contrairement au président qui lui est un grand gaillard, mais il va le ceinturer le forcer à s’asseoir calmement, reprendre le micro et mettre un terme à cette mascarade. Il est encore possible d’arriver à temps pour la séance des questions au gouvernement.

Matinales…

Je cherche

Oui je cherche toujours

Toi qui me lit

Toi qui me rit

Toi qui me vit

Je cherche le mot

Ni le le bon ni le beau

Je cherche celui qui me rime

Qui me grime

Qui me grise

Qui me frise

Mot brume

Mot bleu

Je cherche dans les vastes plaines

De mes mémoires en jachère

Il est là

Dans le peut-être d’un angle mou

De mon rêve vitreux à n’en plus finir…

Flash…

Tout va si vide me dites vous ?

Vide vite tout se confond

Oui j’entends ce que vous me dites

Un trou dans une traversée de silence

Votre temps ne s’écoute pas

Le mieux est une goutte mauve

Regardez si vous le pouvez

Vous la verrez

Elle roule sur la lisse vitre

De mes rêves en délit de tristesse

25 avril

Silence pluvieux…

Silence pluvieux,
J’ai la mer au bord des yeux.
Dans le loin bleu
De mes mémoires salées,
Deux ailes se sont envolées.
Vent d’hier,
Sur les vagues les a posées.
Explose l’écume,
S’envolent perles de brume.
Regarde la mer belle.
Sur la plume de tes mots
A la feuille amarrée,
Mer a chanté,
Mer a soufflé.

Entre larmes et mers…

Retour de Paris, c’est toujours contre la vitre que les émotions s’écrivent…

Entre larmes et mers

Brune ou brumes

Belles ou bleues

Roulent perles de vie

Sueur salée de simples bonheurs

Corps et cœurs envahis

On aime

On frissonne

Ne retiens rien mon fils

Hier

Demain

Toujours

Petit homme est là

De trace en trace

Il suivra

Mémoires

La nuit est là

Épaisse

Lourde

Elle pèse sur tes jambes

Qui cherchent le frais

Entre les plis du drap bleuté

Rien n’y fait

La nuit t’oppresse

Tes yeux se serrent

Ta gorge est sèche

Tu voudrais une douce brise

Un chant d’oiseau

Des rires d’enfants

Rien n’y fait

La nuit est là…

Flash…

Je voudrais raconter l’histoire de l’invisible inconnu

Oublié derrière la vitre de mon regard fuyant

Magie d’un instant révélé

sur la feuille d’acier d’une blanche vitesse

Nous ne savons rien l’un de l’autre

J’ai traversé sans le vouloir

Le peut-être calme couloir

D’une journée de rires aux larmes

Il est tard et loin le peut-etre signe d’une main

Que je serre entre deux brumes de mémoire

18 avril

Flash…

Un soir de presque rien

Au dernier soleil tombé

Seuls et affamés

Nous avons pris le temps de contempler

Ô je vous rassure

C’était si peu

Un simple clin d’œil

Au dernier rose souffle

D’un ciel qui se retire

Sur la pointe bleue de ses brumes fanées

14 avril

Matinales…

A l’heure molle des impatiences cadencées

J’entends parfois le cri de l’oiseau noir

Il pleure une curiosité engloutie

Au fond du gouffre numérique

Visages courbés

Nuques raides

Regards polis de vides

Ils ont effacé

D’un doigt qui glisse sur le verre appauvri

Les derniers chants qu’ils prennent pour des cris

Pas un signe pour lui

Oiseau noir ce matin est encore seul

Je lève les yeux

Je sais qu’il me voit qu’il m’attend

Oiseau noir du matin

Tu es mon réveil chagrin

12 avril

Flash…

Il est des rivières qui coulent en riant

Et toi l’ami perdu sur les rives de l’ennui

Écoute le chant de l’eau

Laisse le te traverser

Laisse te raconter

Cette belle histoire des neiges d’en haut

Tu verras les mille couleurs pétillantes

Qui attendent le frisson de ton œil attendri

11 avril

Matinales…

C’est un matin au gris surpris

Je ne l’attendais plus

Au creux d’une nuit de songes soleil

Je riais à n’en plus rêver

De ces rideaux levés sur des mots enfants

Mots pirouette

Mots cabrioles

Qui bondissent rougissent

Te tiennent d’une main épuisée du sucre interdit

Je ne l’entendais plus

Ce long cri de ce toujours dernier jour

Enfoui sous les draps d’une mémoire oubliée

11 avril 2023

Retour de Marrakech, compilations

C’est un matin qui sent le sud

Au bord d’un rêve d’ocre sable

Une fenêtre ouvre son œil taquin

Entends le doux chant berbère

De la ville au lointain désert

26 mars 2023

La place vibre et crie

Au soleil envolé

Une lente fraîcheur s’est invitée

Elle glisse et charme en riant

Les longues tresses des épices endormies…

27 mars

Les couleurs cherchent leur nom

Entre ocre et rouille

Vert et olive

Le village accroche mon regard

Lassé de bleus sans histoires

27 mars…

A toi l’ami du si loin

Je t’écris de cette vieille terre

Regarde ces longues traces de mémoires

Les couleurs s’y inventent des heureux

A L’encre de leurs yeux

Qui fleure bon le miel épais

Je trace cette lettre à la plume de mon rire bleu

Si tu la reçois

N’ouvre pas

Ne dis rien

Entends le doux chant de ce loin désert…

28 mars

Sur la première ligne j’écris un presque vers

Sa rime rousse épouse le désert

Belle, je l’attrape au bond

Elle fleure bon le sel d’une vie d’hier

Pas de bruits inutiles

Il est beau ce silence qui m’existe

29 mars

Dans l’angle bleu de ma mémoire lointaine
Repose une longue mélodie andalouse
Je l’entends qui appelle les absents
Dans la chaleur qui épuise
Ses dernières cartouches de lueur
Elle est là drapée de mauve nuit
Me tend la main
Larmes éternelles
Au bord d’une jeunesse infinie


30 mars

Je reviens d’une longue absence…

Photo : Aline Nédélec

Je reviens d’une longue absence

Et j’ai vu

Dans l’arrière-pays de ma tête

Sur une corde tendue de silence

Pendre quelques loques grises

Elles claquent et se froissent

Sous le souffle mauvais

Des tempêtes aux mots durs

Qu’on voudrait oublier

Je reviens d’une longue absence

Et j’ai entendu

Le rire sautillant d’un enfant

Il est là

Il attend

La brume s’est levée

Nos mains se sont tendues

L’espoir renaît

Il y a parfois un oiseau dans ma tête…

Il y a parfois un oiseau dans ma tête,
Un oiseau aux mille couleurs qui étouffent le gris de mes yeux,
Un oiseau qui plane au-dessus des plaines de ma mémoire.
Au matin levant, il frémit des ailes.
Les perles de rosée glissent sur la plume dorée,
Tout doucement la nuit s’est effacée.
L’oiseau dans ma tête a chanté.
Il est l’heure de réveiller les couleurs.
Au bout de mes yeux la lumière s’est étirée.
Au bord de mes yeux quelques larmes de beauté.
C’est un matin sans saison, le froid ne pique pas
Il est une caresse souriante qui imite la douce fraicheur.
Ce matin j’ai un oiseau dans la tête,
Tout doucement de la plume de mes mains

Ciels…

Souviens toi c’était hier.

C’était dans ce vieux pli du passé,

Que tu as tant de fois étiré.

C’était hier,

Et toi tu disais :

« Il n’y a plus rien à rater

Tous les murs sont debout »

C’était hier,

Et le ciel se souvient,

Regarde,

Dans le coin de ton œil,

Il y a une ride de pierre

Qui rime en riant

Ce vieux reste de bleu

Matinales

Il m’arrive parfois d’aller à la recherche d’une belle d’une vraie trace de joie dans l’armoire à souvenirs. En voilà une : une joie animale, forte. Elle réchauffe le cœur et le corps. Elle ne réveille pas mon inspiration, mais elle stimule ma respiration…

Flash…

Rêvons
Ô oui rêvons du risque de joie
Belle et bleue
Elle roule sur la vitre de mes oublis
Simple joie
Jaillit dans le soudain
Du tendresse matin
Regarde elle brûle et brille
Au coin mauve
D’un œil qui glisse sur nos restes de larmes
Odeurs de lilas
Aux angles durs des rancœurs de l’hiver
Rondissent en fleurant
Elle est là
Sautillante
Frissonnante
Fondue dans le brise chagrin
Du lourd glacier de nos mémoires pour demain

13 mars 2023

Flash…

Prendre le temps

Ne rien dire

Regarder

Te regarder

Dans ce presque sommeil

Voyageuse inconnue

Quel est ce rêve qui apaise ton visage

J’aime ce souffle de silence

On lit sur tes lèvres

Comme deux ailes légères

Dansant et frisonnant

Dans le soir ferroviaire

Dans le Ter 10 mars…

Carnets…

Je cherche dans le fond humide de ma réserve à mots, un verbe qui pourrait survivre sans complément, sans adverbe, sans tous ces parasites qui au mieux affadissent au pire empoisonnent l’essence première du mot, cette saveur originelle qui lorsqu’elle fut la première fois utilisée suffisait, exprimait à elle seule ce qui était ressenti, c’est-à-dire vu, entendu, touché, goûté.
Ces mots verbes existent je le sais, je les cherche, je les traque. Mais il y a aussi ceux que la grammaire a décidé d’entrer dans la catégorie des noms communs. A-t-on pris le temps de s’interroger sur la signification de ce commun, qu’on ajouter pour désigner ce qui pourtant désigne à lui seul l’essentiel. Peut-être s’agit-il d’une juste opposition au qualificatif propre. Serait-ce la propreté ou la propriété qu’on veut opposer au commun, au collectif. Il y aurait donc le mot qui appartient à un seul et ce qui est à tous ; pourquoi pas ! Mais le commun peut aussi être vu comme le banal, comme le courant, qui n’a aucune aspérité, aucune singularité. Ne dit-on pas d’un vin qu’il est commun pour éviter de dire qu’il n’est pas bon…
Le vin, le ciel, le vent, la brume, le mauve, l’amour, que de noms communs qui dans ma réserve occupent une place singulière…
10 mars 2023

Matinales…

Dans le vide de mes mémoires enfouies

Parfois le frisson d’une ride

Grossie au souffle des rires d’hier

Je pose le lourd bagage d’une nuit de grises vagues

Des angoisses gravées à l’épaisse lame

De la peur attendent dans la longue plaine

De l’homme seul à la tête baissée

J’arrive au carrefour de ces souvenirs

Aux douces couleurs qui caressent

J’hésite un instant

Mon regard cherche le chemin de l’apaisant

Je le vois il est là

Au pied de cet autre matin impatient

8 mars

Flash…

Ce qui me manque lorsque je n’écris pas ?
C’est simple
C’est le frisson,
Oui je sais
Ce ne sont qu’ombres noires ou bleues
Dissipées sur la longue plaine blanche
De mes inspirations
C’est si peu
Et pourtant je frissonne
Oui je frissonne
Là à l’instant
Regarde ma main
Elle tremble comme une feuille
Mon cœur s’affole
J’ai le souffle court les lèvres sèches
Les yeux emplis des buées de l’intérieur
Oui je frissonne
De bonheur de douleur
Les mots passent se posent
Je les entends
Je les écris
Tu les lis
Et je vois
Tu frissonnes

6 mars

Flash…

Mais où êtes vous donc l’ami

Voici plusieurs jours qu’on ne vous entend

Nous nous inquiétons vous le savez

Vos mots nous manquent

Dans le soir frissonnant

Il nous réchauffe en murmurant

Pas de souci je suis là

La pâte de mes mots repose

Je veille sur elle

Avant qu’elle ne lève

Demain peut-être

J’étirerai je pétrirai

Et sur le feu doux de mes émotions

Doucement je la poserai

Et elle chantera

Je le sais…

1 mars

Flash…

C’est le jour de la feuille blanche

Affamé je me suis invité

A la table des bien nourris

Au régime des lettres arrondies

Autour tous les ventrus

Les repus de verbes académiques

Le menu du jour est sinistre

Fade comme un jour sans pain

En entrée un vague sonnet

Le plat de résistance ne dit rien

On me dit sans rire que c’est du réchauffé

Où sont les rires

Ou sont les mots que j’aime

Les flacons flocons blasons

Les nénuphars et tintamarres

Les balbuzards

Où sont les boucles et plumes

Les ailes et doubles l

Je n’en peux plus

Je quitte ce banquet de rimes en rôt

27 février

Mes Everest , Tomas Tranströmer

Face à face

En février, la vie était à l’arrêt.

Les oiseaux volaient à contrecœur et l’âme

raclait le paysage comme un bateau

se frotte au ponton où on l’a amarré.

Les arbres avaient tourné le dos de ce côté.

L’épaisseur de la neige se mesurait aux herbes mortes.

Les traces de pas vieillissaient sur les congères.

Et sous une bâche, le verbe s’étiolait.

Un jour, quelque chose s’approcha de la fenêtre;

Le travail s’arrêta, je levai le regard.

Les couleurs irradiaient. Tout se retournait.

Nous bondîmes l’un vers l’autre, le sol et moi.

Flash…

On dirait que tu m’oublies lui dit l’océan

T’oublier ?

Mais comment le pourrais je ?

Tu es là je le sais

Au bout de ce vide bétonné

J’entends tes vagues qui frottent

Le fragile quai de mes attentes de brume

Au coin de mon œil plissé

L’ombre tressée de tes embruns salées

J’entends dans le loin de tes silences embués

Les restes de nos étreintes enflammées

24 février

Flash…

Incroyable, ils se parlent !
Que tu dis-tu ? J’ai bien entendu ? Ils se parlent ! Tu me dis qu’ils se parlent ? Tu divagues…Ils ne peuvent pas se parler, c’est impossible ! Se parler, se parler, mais je rêve. Pour se dire quoi ? Oui, c’est ça, que se disent t’ils ? Est-ce que tu les as entendus ? C’est grave, il faut qu’on prévienne. Il va se passer quelque chose, tu te rends compte. Parce que s’ils se parlent, cela veut dire qu’ils ont levé la tête, qu’ils se regardent, qu’ils se voient…

Ecoute je te le dis, je crois que j’ai peur…

23 février…