
Le tribunal académique, vous l’avez certainement constaté, ne s’est pas beaucoup réuni ces derniers temps. Il faut dire que l’affaire qu’il avait à instruire a pris beaucoup de temps, tant il est vrai qu’il n’est pas courant pour lui d’avoir à juger une telle bande organisée.
Ou plus exactement si on se réfère à l’article 450-1 du Code pénal de juger en vue de les condamner une association de malfaiteurs.
Qui sont-ils ces malfaiteurs organisés ? Nous allons les citer dans l’ordre de leurs entrées dans le box des accusés : le premier arrivé, fier et droit dans ses bottes prétend s’appeler « distanciel », le second un peu plus petit, le regard torve, est heureux d’annoncer qu’il porte, s’il vous plait, un nom composé : « télé-travail ». Il est accompagné de deux malfaiteurs qui nous l’apprendrons plus tard se font appeler dans le milieu l’un « zoom » et l’autre « teams ». Ils ont l’air très nerveux et ne cessent, en douce, de mettre des coups de coude à « télétravail » qui lui essaie autant que possible de rester à distance. Le cinquième larron est arrivé en dernier dans le box des accusés, mine patibulaire, on dirait bien qu’il est le chef de la bande, et lorsque le juge lui demandera de décliner son identité, il prétendra s’appeler « protocole ».
Bref, après plusieurs mois d’instruction nous voici parvenu au moment attendu du jugement. Le juge a le regard sombre, il est entré en marmonnant dans la salle d’audience et on le devine franchement de mauvaise humeur.
Le jury qui a été constitué est, comme toujours, un peu hétéroclite : autour de la grande table en chêne, il y a un souffleur de rêves, une lanceuse de perles, un chauffeur litreur (contrairement au chauffeur livreur qui ne transporte que des livres, celui ci est spécialisé dans les bouteilles), une soupirante exténuée, un bourreau des cœurs et une prêtresse convertie.
Le juge visiblement exténué rappelle les faits. Les cinq malfaiteurs qui comparaissent aujourd’hui devant nous sont accusés de s’être concertés depuis plusieurs mois afin de porter gravement atteinte à l’intégrité mentale de toute une partie de la population et ce afin de leur subtiliser une partie de leurs possessions. Ils se sont ainsi emparés des biens suivants : accolades, embrassades, bourrades et autres rigolades, se sont aussi saisis de la spontanéité, de la beauté, de l’amitié et surtout de la vérité, et enfin ils ont aussi par le jeu de leur escroqueries numériques anéanti la chaleur, la fraicheur, la pâleur et la candeur.
En conséquence et à l’unanimité du jury les cinq prévenus sont condamnés à ne plus se rencontrer, et à rapidement se transformer en changeant tous les cinq de nom. Distanciel deviendra arc-en-ciel, télétravail désormais vous serez tarétravail, zoom vous deviendrez vroum, teams on vous appellera trime, quant à protocole vous répondrez désormais au nom de Petit Paul.
Et espérons le, tout devrait changer…
La séance est lavée, euh levée.