La poésie est partout, je la sens, la ressens, la partage…
Auteur : Eric Nedelec
Agé de 61 ans, depuis que je sais tenir un crayon, j'aime écrire, jouer avec les mots, les assembler pour qu'ils provoquent des émotions. J'aime qu'à la lecture de mes textes on éprouve des émotions identiques à celle que j'ai éprouvées en les vivant, puis en les écrivant.
Ce que j’aime, c’est surprendre le lecteur ou le regardeur ( je ne sais pas si le mot existe réellement, mais peu importe ) et me dire avec un brin d’ironie que certains chercheront peut-être un rapport entre le texte et l’image. Et bien je vous l’assure il n’y a en a pas tout le temps. L’image est parfois la source de mon inspiration ou elle est en l’illustration mais le plus souvent le seul rapport qu’il y entre les deux c’est un rapport émotionnel. J’ai éprouvé une émotion, une sensation en regardant et c’est alors qu’une couleur, une atmosphère réveille alors un mot, un rythme et la poésie est là, elle entre par les deux portes que je lui ai ouvertes, celle de mes yeux et celle de mon cœur.
Jules ne s’y retrouve plus dans ses souvenirs. C’est comme un puzzle. Plusieurs milliers de pièces: on agite, on manipule, on remue et chaque essai pour retrouver le sens se termine par un échec. Jules déteste les puzzles. Il déteste tout ce qu’il faut classer, trier, regrouper par catégories.
Jules aime ce qui dérange l’ordre des autres. Jules aime ce qui n’a ni début, ni fin.
Jules aime ce qu’il appelle la beauté du désordre poétique. Les objets sont heureux des espaces qu’on leur laisse. Jules aime les objets quand ils vivent, quand ils sont libérés des contraintes du rangement où la seule règle admise est la perpendicularité.
Jules a mal à la mémoire. Depuis le plus jeune âge, il essaie de trouver le fil, remonter au début, là où tout a commencé. Il cherche l’endroit mystérieux, magique où la première histoire s’est enregistrée: son histoire, le commencement de son…
J’illustre ce texte écrit il y a une vingtaine d’années par un tableau peint par mon père, qui nous a quittés le 13 avril dernier…
C’était la guerre froide entre la brume et le port. On ne se souvenait même plus de quand datait le dernier rayon de fausse lumière. On ne devinait le jour qu’à une impression générale qui flottait à la surface des eaux. Les chalutiers étaient contraints d’utiliser leurs couleurs comme des signes particuliers, accrochés à leur identité d’embarcation. Toutes les berges, toutes les coques avaient le teint blafard, piqués de bruns et d’embruns, indices d’une angoisse qui se lève avec le jour. Le bout du port, gueule ouverte, crachait périodiquement ses coquilles de noix. Il avait l’attrait d’un goulot de bouteille où toutes les lèvres salées des compagnons de port se seraient posées. Cette flaque d’eau était posée au milieu de la ville, comme une cicatrice sur un visage burinée de soleil et de siècles. La ville n’était pas un port, la ville était un empiècement de croûte sombre qui s’étendait autour. Les rues n’avaient point d’origine, elles étaient là, pour marquer l’appartenance à un système urbain. Mais ces associations de réalités qu’on aurait cru naturelles ne parvenait à donner à ce paysage que l’apparence lointaine d’une ville. La brume elle-même ne parvenait pas à adoucir les traits d’une ou deux maisons à la lourdeur extrême. Derrière chacune de ces façades épuisées d’être fouettées par les vents salés, il y avait des symptômes de vie, d’imperceptibles indices de société. A quelques fenêtres se tenaient en berne quelques bouts de chiffons. Des cheminées sortes des bouffées de vapeur. Les maisons se touchent très forts, on les croirait enlacées, pour se tenir chaud, pour oublier la peur, le vide de ceux qui ne reviennent pas. Parfois on aperçoit une ombre ou deux, elles se faufilent, et disparaissent aux angles ronds des rues noyées des brumes océanes. Derrière la vitre crasseuse, que ce bout de port qui se prend pour un tableau de peintre mélancolique, ses yeux ne parviennent plus à fixer le paysage. C’est le paysage qui est en lui et qui donne à ses yeux cette lueur intérieure. On dirait qu’il scrute une terre, une terre qui ne viendra plus. Ses yeux ont été cloués à l’envers. Il voit de l’intérieur, l’intérieur de ce pourquoi il est né…
Comme il pleut, j’en profite pour ranger, je fouille dans mes vieux cahiers qui sentent l’humidité. Et là je tombe sur le début de quelque chose, un texte visiblement écrit d’un seul jet, très vite, ( j’ai souffert pour le déchiffrer ) et je suis agréablement surpris. Je pense l’avoir écrit au début de l’année 1982… Je le publierai en deux ou trois fois..
Tout avait commencé par une boule au fond de la gorge. Avec cette désagréable impression de ne plus être capable de déglutir…
Le silence qui accompagne cette angoisse physique, est un voile de brume qui enveloppe l’être tout entier.
L’angoisse n’existe pas, elle est l’existence même, et le regard acquiert cette autre faculté qu’on évite de lui reconnaître. Celle de voir l’en dedans, l’envers du chaos, comme une preuve qui s’est tapie dans un repli de toutes les mémoires.
Fenêtre ouverte Sur le rond silence bleu Du matin frileux J’attends les mots blancs Qui frappent sur les vitres endormies J’entends la pointe dure du stylo Elle crisse et glisse Sur ma belle feuille fripée De sa longue nuit agitée
Dans l’angle mort d’une histoire en pointillé J’ai trouvé un vieux reste de lumière figée Le bavard au cœur creux Sans rien dire l’a abandonné Dans l’onde dodue Des ronds de mes rires bleus Je l’ai jeté pour un dernier souvenir ricochet
Mon papa, est parti la semaine dernière, nous l’avons accompagné hier pour son dernier voyage. J’ai le réservoir à émotions qui déborde…En attendant je republie cette série de textes que j’ai appelé mémoires. En voici un premier…
Le monde pleure doucement Dans le creux des longues larmes Roulent des gouttes d’ennui Sur la vitre sale du hier sans fin J’ai gratté de mon ongle rongé d’impatience Une vieille trace de mémoire
Il est des jours blancs Jours glacés Pour papier froissés Tout se tait, Tout se paie, Lourd monde qui bruit, J’attends, Je feuillette, Ici, là, partout, Mots endormis, Il est des jours blancs
Samedi ? Eh bien, c’est dit, je m’accorde une pause en prose. Oui bien sûr, vous me direz que peu de différences vous ne voyez, si ce n’est la modeste preuve de ma paresse, à pêcher de la rime au bout de ma ligne. C’est vrai, j’en conviens il est des jours, comme celui-ci, ou rien ne mord. Dans ma boîte à appâts j’avais ce matin, un bel échantillon : des illes, des ouches, des oules, des oins, et bien d’autres « queues de vers » toutes bien fraîches, prêtes pour la pêche du samedi. Je les ai préparées, et à mon hameçon les ai accrochées. Une première j’ai lancée. Au passage, j’avoue être assez fier du rond dans l’eau, bien plus réussi qu’un rondeau. J’ai ensuite choisi d’appâter avec une ille, car mon intention était de prendre du gros. Du gros mot évidemment ! Ciel, ça mord ! Vite, je mouline ! Déception, pas de bille, ni de quille, encore mois de grille. Autant vous dire que j’ai tenté avec une ouche, une oule, et même un petit oin et au bout de la ligne : rien ! Oh tant pis, me dis-je, c’est samedi, je fais une pause. Point à la ligne…
Souviens-toi passager, Souviens-toi, C’est un mardi, Un petit mardi Aux bords affaissés. Tout va si vite, Tant de terres traversées Tant de terres séparées… Souviens-toi, Derrière la vitre,
C’est un homme qui pleure, Personne ne le voit. Chacun est à son clic, Les larmes ne s’affichent pas. L’homme regarde le monde, Les autres ne le voient pas, Rides sur le front, Ils habitent le monde numérique. L’homme pleure le monde perdu, Son monde frissonne et boite bas.
Dans le peuple de l’aube Pas un qui ne bouge Sur la table basse De la nuit qui s’achève Quelques restes de silence Une odeur de café Charme les papilles endormies Battement d’ailes Les paupières s’étirent C’est un matin qui sourit
Dans la rousse lande D’une île du Ponant, Hommes en berne, Cueillent un bouquet de silence. De vagues en vagues, Pleurant l’ami emporté, Au fond du vase l’ont déposé. Une à une, fleurs engluées, Ivres de brume, se sont dressées. Sous le vent levant, De vert se sont poudrées. Hiver est là, sec, pressé. Hommes en pleurs Sous une lourde pierre Deux larmes ont posé…
Oui, c’est vrai, je le constate aujourd’hui encore, les jours rallongent. Pourquoi d’ailleurs ne pas se contenter de dire qu’ils sont plus longs où qu’ils s’allongent (même si comme moi vous aurez constaté que les jours, ou plutôt les journées continuent éternellement d’avoir 24 heures…). Pourquoi ajouter une fois de plus ce préfixe répétitif qui racle la gorge. Vous remarquerez d’ailleurs que je n’ai pas parlé de rajouter, parce que convenons-en, un ajout est bien suffisant et ne prenons pas le risque de sombrer dans le bégaiement. Rallonger, allonger, je m’interroge : après tout une allonge ou une rallonge ce n’est pas exactement la même chose. Quand on me parle d’allonge j’étire le bras et je pense aux boxeurs, et quand on me parle de rallonge je cherche une prise et je vois un câble électrique. Ce câble qu’on ajoute quand le cordon est trop court et qu’on veut éclairer avec une torche par exemple, un peu plus loin, là où il fait sombre. Et en effet dans ce cas on ne peut que constater que grâce à la rallonge on allonge le jour ou tout au moins on l’éloigne un peu, mais par contre on ne parvient pas à le faire durer plus longtemps car il arrive toujours un moment ou tout devient trop long (comme ce texte d’ailleurs ), un peu comme un long jour sans fin. Mais une fois de plus je m’égare et la nuit bien qu’elle soit moins longue est déjà tombée. Tiens tiens voilà autre chose, la nuit est tombée…
Sur le chemin des écoles vides Trois mots d’amour se sont perdus ; Pas une rime pour se guider. Seuls et légers, Sur un fil de douce rosée, Ensemble se sont posés. Pas un cri, pas un chant, Les enfants sont oubliés. Trois perles de silence Sur leurs L se sont posées. Mots d’amour, Tendrement se sont regardés. Dans un souffle de vent frais, A tire d’aile se sont envolés.
Dans le coin sombre d’une journée ordinaire Une boule de triste silence s’est endormie La foule des bruyants passait Regard levé Pas pressé Pas un pour lui parler Et doucement la rassurer Pas un pour murmurer Ne crains rien petite Ne crains rien Tu verras on va t’aider Tu verras on va t’aimer Et ton chemin vers un long demain Tu trouveras Petite boule a souri Un chant, un cri, un souffle Tous sont réunis Oh petite boule notre amie
Première inspiration d’une longue semaine blanche…Ecrire pour se nettoyer…
C’est un silence épais Un silence de grasse suie Que je suis seul à la trace A la sortie du virage de cette longue nuit J’ai voulu prendre le pouls de ton impatience fleurie Sous la fine peau de ton poignet Ton cœur a vibré Mon sourire a décroché Un vieux reste d’un rose lendemain Au bout de mon doigt s’est accroché J’aurai tant voulu Tant voulu Ne rien dire Ne pas abîmer le vide heureux De ce fragile braise matin Qui couve sous le feu
Dans ma réserve à émotions, Dorment quelques ports, Aux couleurs métalliques. Pas une voile, pas un visage buriné. Dans ma réserve à poésie, Tant de terres oubliées, Tant de beautés condamnées. De mots en mots, J’accoste sur des rives étonnées, Je cueille les couleurs abandonnées. Une à une, je les inspire, Feuille à feuille, Elles peuplent ma mémoire de papier
J’ai dans la mémoire de mes mains un trou d’où jaillit une petite lueur. Lumière des mots oubliés, étouffés par l’ombre grise du dictionnaire de l’utile dont on habille les phrases pour sortir dans la pudeur administrative. Je pose mon œil poétique au-dessus, juste au-dessus et soudain les doigts retrouvent le chemin, on dirait qu’ils dansent sur le papier, ils sont chargés de beau, ils sont emplis de ces courbes que prennent les mots quand ils sont libérés de leurs prisons académiques ; et ils dansent et ils chantent de la fraîcheur retrouvé. Qu’ils sont beaux les mots !
Allongée sur le dos, feuille blanche repose sur le bureau. Pas un bruit, pas un pli, il est si tôt. Quelques miettes de nuit au bord du papier se sont glissées. Dos brisé, regard embué, des griffes de ses draps il s’est échappé. Emportant avec lui, petits paquets de mots froissés qu’il a tant aimé rêver. Sur feuille blanche son regard a posé. Tremblant et crispé, de ses doigts glacés la surface du papier il a caressé. Blanche et fragile, feuille lisse, dans sa mémoire de papier a puisé. Quelques mots elle a retrouvé, une à une, les lettres se sont formées. Sur feuille blanche un souffle est passé. Page blanche en est étonnée, et de plaisir a vibré. Derrière la vitre, la lumière s’est invitée. Douce et légère, la pièce a inondé. Elle et lui, feuille blanche, matin gris. Seuls dans la nuit qui disparaît, lentement l’angoisse est effacée. Goutte à goutte les mots se sont rencontrés. Sur feuille blanche ils se sont aimés. Une à une, les lignes se sont formées. Sur la rive de papier, les larmes ont échoué. La blancheur est assoupie. Feuille blanche est agitée. De rides en rides, vois les mots qui divaguent. Et dans la ville endormie, à tire d’ailes de papier, un sourire s’est envolé. C’est mon soleil, il est levé.
Ville nouvelle, Pousse et grandit. Jour après jour, Ville pose ses lignes. Pures et droites, Arêtes sans ailes, Pour faire les belles Se croisent et s’emmêlent. Longues, effilées, Regarde-les, Au bord du bleu s’arrimer. Ciel fait ce qu’il peut, Sort une vieille palette de bois creux. Gratte, frotte Sort un pinceau de plume Attrape quelques perles de brume Les invite dans ses filets Pâles pétales D’un souffle étalé…
On me dit qu’il gazouille… Je le vois qui bafouille. J’ai mal à mon oiseau liberté. Où sont tes chants qui caressent ? Un par un, Sur le clavier ils ont cloué Tes mots plumes si légers. Perles de haines ont enfilés, Petit oiseau ils t’ont enfermé. Aux cris qu’ils posent sur l’écran, Tu réponds par des souffles de silence. N’abîmez plus les mots. Les vôtres se sont tus. Dans cette longue nuit numérique… Petit oiseau s’est échappé…
Le jour se lève me dites-vous ? Était-il donc endormi ? Comment ? Assoupi, simplement… Tiens donc… Étrange, n’est-ce pas ? Je n’ai rien vu. J’ai cherché, vous dis-je. J’ai cherché sans un bruit, Me perdant Jusqu’aux bords mauves De votre trop longue nuit Et ne l’ai point rencontré. Vous doutez ? C’est tant pis : Je n’irai plus déranger Les belles couleurs de votre ennui…
LETTRE 3 Je viens de lire ta première lettre (elle date du 23 novembre 1960). Tu m’as donc écrit, en moyenne, depuis cette date, une lettre toutes les six semaines deux tiers (il n’y a jamais eu d’intervalle de moins de six semaines et de plus de sept entre deux de tes lettres) et quelque chose m’a frappé. Tu m’écrivais (je te le rappelle, au cas où tu l’aurais oublié) : « As-tu reçu ma dernière lettre? Si oui (et je serais fort étonné que tu ne l’aies pas reçue encore (si c’était le cas, fais-le moi savoir)), as-tu l’intention d’y répondre ? ». Or, je n’ai aucune trace, dans mes archives, où je conserve de manière systématique et absolue, toutes les lettres que je reçois, et des doubles de toutes celles que j’envoie, je n’ai aucune trace, dis-je, d’une lettre de toi antérieure à celle du 23 novembre 1960, dont je viens de te rappeler la première phrase. Ni, d’ailleurs, ce qui est au moins aussi troublant, de cette lettre de moi à laquelle tu fais allusion au milieu de ta lettre du 23 novembre 1960 qui, dans mes archives, porte, de ma main, inscrit en haut à gauche du quart de feuille 21×27, format dont tu ne t’es jamais départi pendant toutes ces années, au crayon, le n°1. Pourtant, je me souviens on ne peut plus clairement de l’arrivée de ta lettre du 23 novembre 1960 (je venais de rentrer chez moi après une réunion de travail avec des amis). L’écriture m’était inconnue, ainsi que la signature, Q.B., (je ne connais toujours pas, après quarante ans, autre chose de ton nom que tes initiales). Je t’ai répondu immédiatement, et notre correspondance, quarante ans plus tard, dure encore. Comme tu me dis, dans cette même lettre, celle du 23 novembre 1960, que tu conserves dans tes archives des doubles de toutes les lettres que tu envoies comme de toutes celles que tu reçois (information que tu ne manques pas de répéter (je le remarque en relisant notre correspondance) dans toutes, je dis bien toutes tes lettres) tu as certainement conservé le double de celle dont tu parles au commencement de la lettre du 23 novembre 1960. Tu pourras donc éclaircir aisément ce petit mystère.
LETTRE 4 Je n’ai rien reçu de toi depuis sept semaines. Que se passe-t-il ?
LETTRE 5 (FRAGMENTS) Je viens de recevoir (enfin!) ta dernière lettre et j’y réponds immédiatement. Tu me demandes si j’ai bien reçu ta dernière lettre et si j’ai l’intention d’y répondre. … … PS – tu me demandes comment je répondrai à ta prochaine lettre s’il n’y a pas de prochaine lettre. Gros malin, va ! Rien n’est plus facile … FIN
Je publie en deux parties cette correspondance succulente qui nous est proposé par le non moins succulent Jacques Roubaud, membre notoire des « oulipiens »…
LETTRE 1 Je viens de recevoir ta dernière lettre et j’y réponds immédiatement. Tu me demandes si j’ai bien reçu ta dernière lettre et si j’ai l’intention d’y répondre. Je me permets de te faire remarquer que l’envoi de ta dernière lettre fait que la lettre que tu m’as envoyée précédemment n’est plus désormais ta dernière lettre et que si je réponds comme je suis en train de le faire à ta dernière lettre, je ne réponds pas à celle qui est maintenant ton avant-dernière lettre. Je ne peux donc satisfaire à la demande que tu me fais dans ta dernière lettre. J’observerai par ailleurs que ta dernière lettre ne répond pas, contrairement à ce que tu affirmes (je te cite : « J’ai bien reçu ta dernière lettre et j’y réponds immédiatement ») à la lettre où je te demandais, si je m’abuse (mais je ne m’abuse pas, j’ai les doubles) si tu avais bien reçu ma dernière lettre et si tu avais l’intention d’y répondre. En l’absence d’éclaircissements et de réponses de ta part sur ces deux points auxquels j’attache (à bon droit je pense) une certaine importance, je me verrai, à mon regret, obligé d’interrompre notre correspondance.
LETTRE 2 Je n’ai pas encore reçu ta prochaine lettre mais j’y réponds immédiatement. Tu m’y demandes si j’ai bien reçu ta dernière lettre et si j’ai l’intention d’y répondre. Tu te demanderas peut-être comment, n’ayant pas encore reçu ta prochaine lettre, je peux savoir que tu m’y demandes si j’ai bien reçu ta dernière lettre et si j’ai l’intention d’y répondre. La réponse est simple : toutes tes lettres, et celle-ci sera la trois-cent-dix-septième (je les ai toutes, ainsi que les doubles de toutes mes lettres) commencent par : « As-tu reçu ma dernière lettre ? Si oui (et je serais fort étonné que tu ne l’aies pas reçue encore (si c’était le cas, fais-le moi savoir)), as-tu l’intention d’y répondre ? ». C’est ainsi que commençait la première lettre que j’ai reçue de toi. C’est ainsi que commençait la deuxième, la troisième, et ainsi de suite jusqu’à ta dernière lettre, la trois-cent-seizième. Raisonnant donc par induction, j’en déduis que ta prochaine lettre commencera comme les précédentes. Je me considère en conséquence autorisé à y répondre comme si je l’avais dès maintenant reçue. Et je te réponds comme suit : Je viens de recevoir ta dernière lettre et j’y réponds immédiatement. Tu me demandes si j’ai bien reçu ta dernière lettre et si j’ai l’intention d’y répondre. Je me permets de te faire remarquer que l’envoi de ta dernière lettre fait que la lettre que tu m’as envoyée précédemment n’est plus désormais ta dernière lettre et que si je réponds comme je suis en train de le faire à ta dernière lettre, je ne réponds pas à celle qui est maintenant ton avant-dernière lettre. Je ne peux donc satisfaire à la demande que tu me fais dans ta dernière lettre. J’observerai par ailleurs que ta dernière lettre ne répond pas, contrairement à ce que tu affirmes (je te cite : « J’ai bien reçu ta dernière lettre et j’y réponds immédiatement «) à la lettre où je te demandais, si je ne m’abuse (mais je ne m’abuse pas, j’ai les doubles) si tu avais bien reçu ma dernière lettre et si tu avais l’intention d’y répondre. En l’absence d’éclaircissements et de réponses de ta part sur ces deux points auxquels j’attache (à bon droit je pense) une certaine importance, je me verrai, à mon regret, obligé d’interrompre notre correspondance.
Il y a un an je publiai ce texte, esquisse de mon nouveau roman, je le propose aujourd’hui à nouveau en hommage à ce magnifique avion qui est en fait ukrainien et que l’armée russe a détruit…
Au lever du jour, lorsque je marche, en silence, j’entends les mots qui se bousculent. Ils sont là, quelque part, dans un coin reculé de ce que j’aime appeler l’arrière-pays de ma tête. Ils veulent entrer, ils sont pressés, eux aussi, de prendre l’air et de se dégourdir pour certains les l et pour d’autres les rondes jambes de leur m. Je les laisse se disputer. Ils m’amusent, à vouloir être les premiers. Je sens bien que chacun rêve de donner le tempo, ou même le la.
Alors oui, chaque matin c’est la foire d’empoigne et c’est à celui qui trouvera le plus facilement le passage ; ce passage qui le conduira non pas jusqu’aux portes de mes lèvres parce que je ne dis rien, mais là juste à l’entrée de ce chemin que j’hésite encore à emprunter. J’hésite, oui parce que je sais déjà que lorsque je me…
Il m’arrive souvent de regretter l’impudence de celles et ceux qui ont pris et qui prennent continuellement le train en marche. Oui, quelle impudence, pour ne pas dire quelle goujaterie que de ne pas, comme tout le monde, attendre que le train arrive, et d’attendre son tour pour monter. C’est ainsi qu’au moment où chacun commence à prendre ses marques, à faire connaissance avec tous ses compagnons rompus aux exercices de la patience, il n’est pas rare de voir surgir brutalement ces voyageurs de la dernière heure. Ils ne se contentent pas de monter, discrètement, tout à leur honte d’avoir un train de retard, non ils ajoutent au désagréable de la situation de l’impertinence, de l’insolence et, quand ils sont en nombre, du mépris pour celles et ceux qui les ont devancés, et qui, osons le dire, ont pris le temps de la réflexion et de l’engagement réfléchi. Non, vous l’aurez compris, je n’aime pas ces invités de la dernière heure, qui parlent fort et creux, qui savent avant d’avoir compris et qui pérorent en se posant comme les grands moralisateurs d’une cause qu’ils n’ont pas pris le temps de comprendre, si ce n’est qu’au dernier moment ils se sont dits que lorsqu’on a un train de retard, on reste sur le quai. Pour ce qui me concerne et nombreux sont mes compagnons de voyage dans ce cas, un train avant de le prendre, il faut l’attendre, l’espérer, il faut avoir une envie irrésistible de se joindre à ceux qui sont à l’intérieur. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis souvent, pour ne pas dire tout le temps en avance, pas trop pour ne pas risquer le désespoir de l’ennui, mais suffisamment pour savourer les saveurs épicées d’une juste impatience…
Le ciel est au plus bas, Lourd d’un gris épais. Il pèse sur les épaules rentrées, Des quelques ceux qui errent A la recherche d’un printemps Que quelques oiseaux impatients Ont appelé en sifflotant…
Quand vient le soir, Quand tombent les premières gouttes de nuit. Quand les fenêtres se ferment, Quand les regards se taisent, Quand les mots se font rares et lents, Alors, Alors, la ville fronce ses sourcils de béton fatigué, Et sur les façades à la blancheur inventée On aperçoit quelques trous de lumière. Entends-les, ils scintillent, Entends-les, ils t’invitent à rentrer.
Le monde est à terre. Pâle d’ennui, Il chante à mots bas. Entends ce long murmure, Dans le souffle de mes bras. Il s’étire jusqu’à demain. Enroulés dans un lourd drap de brume, Nos enfants chagrins Pleurent au large. Leurs cris se glissent. Entre les plis de ton visage…
Le ciel ? Bleu, dites-vous ? Un instant, je vous prie : Je lève les yeux… Silence… Je cherche les mots : Des beaux, des doux, Des qui font du bien. Où sont-ils ? Perdus ? Abîmés, oubliés, échappés, Sur ma marge rouge Un ou deux, Se sont posés. Regarde : Ville brille et brûle. Entends son chant fauve, Voix brisée aux éclats de nuit Elle les a attrapés. Revenez, gémit-elle. Je vous en prie, Prenez ma main… Allons, Doucement, Nous serons si bien. A deux, Il est déjà demain…
Au fond de mes poches, Quelques miettes de ciel. Dans le creux de ma paume pressée, J’ai pris quelques cailloux mauves. En riant les ai semés. Une à une, bulles légères Sautillent, pétillent Dans long couloir sans écume Foule sans sillage, N’entend pas le chant du large.
Le jour se lève me dites-vous ? Était-il donc endormi ? Comment ? Assoupi, simplement… Tiens donc… Étrange, n’est-ce pas ? Je n’ai rien vu. J’ai cherché, vous dis-je. J’ai cherché sans un bruit, Me perdant Jusqu’aux bords mauves De votre trop longue nuit Et ne l’ai point rencontré. Vous doutez ? C’est tant pis : Je n’irai plus déranger Les belles couleurs de votre ennui…
Silence pluvieux, J’ai la mer au bord des yeux. Dans le loin bleu De mes mémoires salées, Deux ailes se sont envolées. Vent d’hier, Sur les vagues les a posées. Explose l’écume, S’envolent perles de brume. Regarde la mer belle. Sur la plume de tes mots A la feuille amarrée, Mer a chanté, Mer a soufflé.
Je ferme les yeux, Doucement, tout doucement. Derrière les paupières lumière si douce. Légère, fraiche, caresse que mon regard entend. Et derrière mes yeux, ton regard brillant Tes yeux, mes yeux nos regards mémoires. Mes yeux, tes yeux, nos yeux qui s’effleurent et s’entendent. Dans nos regards, la mer et la brume. Dans nos regards un bouquet de souvenirs. Regarde petite, regarde… Regarde à l’intérieur de ton coffret à images Quelques bijoux brillent pour deux. Ecoute, petite, écoute. Dans le creux de ta main, Il y a le bruit de la mer Ils ne sont deux à l’entendre. Il est loin. La caresse de ses mots sèche les larmes Au coin de son regard, le sel a séché, C’est beau, c’est si bon à caresser.
Sur cette belle ligne brune Tracée sur une page bleu océan. Tu souffles ces quelques mots, De ta plume d’eau Trempée dans le vent. A chaque vers ajouté, C’est une perle envoyée Aux mémoires de papier. C’est si beau une île dans le vent, S’envolent les feuilles légères, Une à une se posent en riant Sur la fine marge de l’île d’Ouessant…
Enroulés dans le dernier rêve de la nuit qui s’éteint, Protégés par leurs souvenirs d’océan, Regarde bien les enfants d’Ouessant. Dans leurs regards prudents, Il y a comme un bouquet de vent.
Entre Brest et Le Conquet Entre ciel et mer La terre s’est avancée. Entre les bras des gris cotonneux, Raide et fière, elle s’est abandonnée. Amies fidèles, Contre vents et marées, Mer et terre, Jamais ne sont quittées. Amies fidèles, Elles se sont protégées…
Il a voulu voir la mer, Au fond de ses poches, quelques miettes Pour des oiseaux qui ne viennent pas. Ses bras pendent : il y a de l’ombre autour de lui. Il a voulu voir la mer. Il ne la connaissait pas : les autres en parlaient. Les autres en parlaient comme d’une fête foraine. Il a pris son chapeau : pour sortir il lui faut un chapeau. Il est arrivé quand la nuit se retire, La mer est devant lui, les autres ont menti. Pas de cris, ni de lampions, la mer s’étire, Elle est pâle, la nuit a gobé ses lueurs. Son corps est drapé de gris, il a voulu voir la mer. Et il pense à elle, hier elle est partie. Ses yeux sont usés d’avoir tant pleuré Ses larmes sont englouties, dans les vagues elles se sont noyées Son costume est usé, les coudes sont râpés ll est sur la plage, immobile, pétrifié : C’est beau la mer
Il a voulu voir la mer, Au fond de ses poches, quelques miettes Pour des oiseaux qui ne viennent pas. Ses bras pendent : il y a de l’ombre autour de lui. Il a voulu voir la mer. Il ne la connaissait pas : les autres en parlaient. Les autres en parlaient comme d’une fête foraine. Il a pris son chapeau : pour sortir il lui faut un chapeau. Il est arrivé quand la nuit se retire, La mer est devant lui, les autres ont menti. Pas de cris, ni de lampions, la mer s’étire, Elle est pâle, la nuit a gobé ses lueurs. Son corps est drapé de gris, il a voulu voir la mer. Et il pense à elle, hier elle est partie. Ses yeux sont usés d’avoir tant pleuré Ses larmes sont englouties, dans les vagues elles se sont noyées Son costume est usé, les coudes sont râpés ll est sur la plage, immobile, pétrifié : C’est beau la mer
Il a voulu voir la mer, Au fond de ses poches, quelques miettes Pour des oiseaux qui ne viennent pas. Ses bras pendent : il y a de l’ombre autour de lui. Il a voulu voir la mer. Il ne la connaissait pas : les autres en parlaient. Les autres en parlaient comme d’une fête foraine. Il a pris son chapeau : pour sortir il lui faut un chapeau. Il est arrivé quand la nuit se retire, La mer est devant lui, les autres ont menti. Pas de cris, ni de lampions, la mer s’étire, Elle est pâle, la nuit a gobé ses lueurs. Son corps est drapé de gris, il a voulu voir la mer. Et il pense à elle, hier elle est partie. Ses yeux sont usés d’avoir tant pleuré Ses larmes sont englouties, dans les vagues elles se sont noyées Son costume est usé, les coudes sont râpés ll est sur la plage, immobile, pétrifié : C’est beau la mer
La faim d’écrire est forte, très forte, peut-être trop forte. Le garde-manger est plein, il déborde, il dégouline, de mots, de phrases déjà prêtes, qui attendent simplement la chaude caresse de la feuille que je leur ouvrirai. Je n’ai pas besoin de les garder au frais. Ils se conservent très bien, mais sont peut-être trop nombreux. Je ne sais lequel choisir. J’ouvre la porte de la réserve. J’entends d’abord comme un murmure : « il est là, c’est lui, il va me choisir, c’est mon tour ». Ils attendent patiemment tous ces mots que j’aime. Certains sont couchés, bien à plat, à l’abri des regards mauvais, ce sont mes grands crus. Je reconnais libellule, il est seul, couvert de poussière, cela fait bien longtemps qu’il vieillit, peut-être trop ; il faudra que je me décide à en faire quelque chose. Au-dessus, mes préférés tout une rangée de flacons, de balbutiements, de mauves. Les casiers de brumes et de gris sont presque vides ; j’en ai peut-être trop consommé ces derniers temps. Dans le placard du fond j’ai stocké quelques phrases, toutes faites, toutes fraîches, mais je ne l’ouvre pas, je ne veux pas qu’elles s’échappent, il n’est pas encore temps, je dois chercher, encore, le menu, et tous les magnifiques plats qui le composeront. Je referme la porte de ma réserve, doucement pour ne pas éveiller les endormis, celles et ceux vers qui je ne vais jamais, parce que je les ai oubliés. Demain, peut-être je les retrouverai… Peut-être.
Il est l’heure de la lumière, Il me reste un bout de rêve mauve. Infime miette dans un bol de rire noir, Laissée là, douce et croquante Par une nuit rassasiée. Au creux du silence du matin qui gémit, J’avance tête baissée, Tirant sur le long fil de ce songe qui sourit.
Je n’en peux plus du bruit de la peur, Je n’en veux pas de la suie grasse de vos haines, Je n’en veux plus des complaintes aux rimes dures. Parlez-moi de la mer, je vous en prie. Où sont les vagues, Où sont-elles ? Entendez le vent, Il pleure, vous dis-je, On l’oublie,
Il est seul, il appelle. J’entends son chant qui ondule, Mes yeux se ferment, Petites larmes coulent. Vagues amères, Douces et belles, Sur les rives de mes lèvres muettes Ont répondu, ô vent, à ton appel. Parlez-moi de la mer je vous en prie…
Parmi les pauses lecture que je m’accorde pendant mon chantier d’écriture, il y a eu ce magnifique roman de Grégoire Delacourt. L’extrait que je vous propose est comment dire d’une intensité poétique qui me provoque des vibrations.
/… Sa famille.
Des cultivateurs dans le Cambrésis. Vingt hectares de lecture fourragère. Quelques bêtes. Des nuits de peu d’heures, des mains usées, des ongles noirs, comme des griffes, la peau tannée, un vieux cuir craquelé. Jamais de vacances, jamais de premier mai parfumé au muguet ; la terre, toujours, la terre exigeante, capricieuse ; et la mer, une fois, une seule, pour mes sept ans, a-t-il précisé, mais pas vraiment la mer, une plage plutôt, celle des Argales, à Rieulay, du sable fin au bord d’un lac artificiel sur un ancien terril ; mes parents n’avaient pas voulu me décevoir : ils avaient dit qu’il n’y avait pas de vagues ce jour…
J’ai ouvert une fenêtre oubliée, Sur la façade nord De ma mémoire étonnée. Dans un trou de lumière bleue, J’ai plongé ma plume engourdie, L’ai posée sur les douces rides, Du soir tombant qui s’étire. Quelques mots légers, Pour la nuit j’ai réveillé… Et tes pâles lèvres sucrées, Doucement ont murmuré…
Beauté : Egarée ? Nullement, sachez chère Norme, que si je me suis posée ici, sur cette belle fleur de pissenlit, c’est parce que je le voulais, et surtout parce qu’il le fallait.
Norme : Une fleur de pissenlit ! Pourquoi pas du chiendent, ou non du trèfle, oui tiens du trèfle ! Encore une fois je me dois d’intervenir. Je vous le dis, je vous le répète : jamais, je ne dis bien jamais, vous ne devez prendre la liberté de vous poser où bon vous semble, sans au préalable ne m’en avoir parlé…
Beauté : Je vous entends, je vous entends chère Norme, mais sachez que je ne me pose jamais au hasard…Voyez-vous ce que j’aime par-dessus tout, c’est la légèreté, la douceur, la délicatesse et surtout la discrétion. Vous conviendrez que ce ne sont pas les premières qualités de toutes ces fleurs qu’habituellement vous m’imposez dans vos plans de vols.
Norme : Mais enfin Beauté, reprenez-vous, je ne vous demande pas de faire de la poésie, mais simplement d’ouvrir les yeux. Regardez autour de vous, ces jonquilles, ces roses qui éclosent. Vous ne me direz pas que ce vulgaire pissenlit mérite plus qu’elles qu’on leur rende les honneurs qu’elles méritent.
Beauté : Je vous écoute chère Norme et je ne vous dis pas que les fleurs que vous me citez doivent être oubliées, mais voyez-vous, il est des jours, où la beauté ne vous appartient plus. Elle s’envole, elle respire, elle est libre… Alors oui, je persiste dans ma désobéissance, et, je le sais, chère Norme vous n’aurez pas à le regretter…
Beauté : Ce soir je suis heureuse, tellement heureuse, ce n’était pas simple mais j’y suis arrivée.
Norme : De quoi me parles-tu ? De ce gribouillis fumeux que tu es allée me poser sur cette horrible plage que je me tue à dissimuler.
Beauté : Gribouillis fumeux, horrible plage…Chère norme, as-tu bien regardé ? Mais je m’égare…Comment la norme peut-elle simplement regarder ? Tu n’es là que pour mesurer…
Norme : Quelle impertinente ! Beauté, mais as-tu simplement regardé, ces traces que tu as laissées ? Que va-t-on dire ? Où sont tes limites ? Quatre cheminées ! Et pourquoi pas un pétrolier !
Beauté : Un pétrolier, quelle bonne idée, et j’y ajouterai aussi un amandier, un parolier, un cabanon, un réservoir, et surtout, surtout, norme engourdie, un peu d’espoir…
Norme : Il suffit beauté, je ne peux tolérer de tels écarts, tu le sais !
Beauté : Je te comprends norme, je le sais, tu n’y es pour rien. Je te demande une simple petite faveur…
Norme : Je t’écoute beauté.
Beauté : Ferme les yeux. Pendant quelques instants, oublie ce qu’on t’a raconté. Attends bien quelques minutes et doucement, tout doucement, soulève tes lourdes paupières et là, je te promets, tu verras. Et tu vivras…
Beauté : Je vais partir, je veux partir. Je veux qu’on m’oublie. Quelques temps peut-être, ou quelques instants, je ne sais pas, mais je veux partir. Alors on se souviendra, on me réclamera. Je les entends déjà : reviens, reviens…
Norme : Je ne comprends pas ce que tu gémis. Tu veux partir c’est bien cela ?
Norme : Je ne te comprends pas, je ne te comprends plus. Tu parles comme une enfant gâtée. Regarde, tout est ici : regarde autour de toi, tout est là : pour réussir, pour t’imposer. Ressaisis-toi, il faut que tu poses, il faut que tu oses.
Beauté : Tu prétends que j’ai tout, ici, tout ce qu’il me faut, mais je ne vois rien, je ne sens rien. Je m’ennuie à mourir. Tout est tracé, tout est formaté : tu choisis, tu élimines, tu décides, tu juges, tu convoques, tu condamnes. Quand il faut que j’apparaisse, les couleurs sont au garde à vous, elles sont pétrifiées, ma lumière les a abandonnés, tes paysages sont figés. Pire ils sont coagulés ! Tes visages sont communs, tes regards sont vides. C’en est trop, je n’en peux plus, je reprends ma liberté.
Norme : Voilà que tu recommences avec tes délires, tes envies de gris, de flaques poisseuses. Mais que veux-tu ? Tu le sais pourtant : ce que je décide n’est pas pour t’embêter ou t’humilier. Ce n’est pas une lubie. Ce sont les autres : ils me tiennent la main, me dictent ma conduite. Tu le sais, je suis une norme, je suis LA NORME, et ne suis pas née toute seule. Moi aussi, comme toi j’ai été convoquée, moi aussi je n’ai pas de liberté.
Beauté : Eh bien, échappe-toi aussi et laisse-moi m’envoler. Les autres finiront par s’habituer.
Norme : Mais que diront-ils ces autres si plus rien de ce qu’ils attendent n’est beau. Que diront-ils, que deviendront-ils, que ressentiront-ils ?
Beauté : Ils feront comme nous, il faut qu’ils sortent eux aussi, il faut qu’ils bougent. Il faut qu’ils changent, que leurs regards souffrent un peu, juste un peu, pour ensuite pouvoir s’étonner…
Norme : Impossible, nous ne pouvons pas, nous n’avons pas le droit….
Beauté : C’est fini, je vous quitte, je vous abandonne, je vous laisse à vos paysages lisses et glacées,
Norme : Nous quitter, nous abandonner, pauvre folle mais pour qui te prends tu ?
Beauté : Je suis la beauté, celle dont on rêve, celle qu’on attend, celle qu’on ressent quand on est vivant, là, à l’intérieur, celle qui explose pour tos nos sens quand on espère, quand on aime….
Je republie aujourd’hui quelques unes de mes « tribunes » sur le thème de la norme et la beauté…
Où l’on découvre que norme et beauté ont parfois un peu de mal à s’entendre, à se comprendre. Aujourd’hui nous retrouvons une norme « étonnée » pour ne pas dire irritée. Elle a convoqué une beauté libérée et l’interroge sur ses mauvaises fréquentations.
Norme : Que fais-tu ici ? Regarde autour de toi, ouvre les yeux, tu le vois bien, ici il n’y a rien que tu puisses regarder.
Beauté : Ce que je fais ici ? Mais je ne fais rien, je suis, je sens, je ressens. Et toi tu ne vois rien ? Ici je suis bien, ici je suis invitée. Alors tu vois, même pour quelques instants je vais m’installer…
Norme : Invitée ? Invitée ? Toi la beauté ? Mais regarde, ici tout est laid, qui t’aurait donc invité ?
Beauté : Du laid, du laid ? Suis-je à ce point aveuglée, que je n’ai rien vu de tout ce laid que tu as décidé de m’inventer. Moi je n’ai rien vu, et ici, tout, oui tout me plait. Toi tu restes enfermée entre les murs lisses de tes lignes droites. Regarde la douceur de ces courbes, c’est si simple, ici je suis bien.
Norme : Tu n’as rien vu et moi je n’ai rien su. Tu le sais, tu ne peux l’ignorer, jamais tu ne dois distribuer de la beauté sans que j’en sois informée. La beauté m’appartient, tu n’es que messagère.
Beauté : Oui je le sais, et je l’ai voulu, je suis venu et je ne t’ai rien dit. Peut-être pour que tu ne puisses rien abîmer. Ici vit un gris, un si beau gris oublié, il s’est souvenu de qui il était, alors il m’a appelé et sans hésiter je suis venue.
Norme : Un gris oublié ? Mais tu t’égares ma pauvre beauté. Regarde autour de toi, regarde ce que je vois, ce n’est que du terne, avec un gris qui nous désespère. Ici tout est sale, et si plein de triste.
Beauté : Mais ce que tu vois, ma pauvre, ce n’est que ce que tu crois. Ouvre les portes, aère-toi, regarde avec l’arrière de tes yeux et alors tu comprendras.
Norme : Cela suffit ! Je te le rappelle une dernière fois, tu ne peux pas décider n’importe quoi. Remballe tes couleurs, range ton gris oublié et rentre chez toi.
Beauté : Moi tu vois, c’est ce qui me plait, ici. A cette table je me sens vivante. Ici tout est riant. Regarde, ouvre-toi, tout est surprenant. Ici personne ne m’attend.
Norme : Je veux bien, mais juste quelques instants, je ne veux pas d’incidents
Homme en presque pleurs Il est l’heure, Il est tôt… Ta bouche est sèche Du silence d’une nuit agitée. Le feu de la peur Dévore les mots. « Ouvre les yeux, Homme qui tremble. » Derrière la vitre, Nuit moite a tiré le rideau. Dans les coulisses de ses rêves, Un pli de ciel brille. Je le vois, Il est pour moi. Je le vois, Il est à toi.
Samedi ? Eh bien, c’est dit, je m’accorde une pause en prose. Oui bien sûr, vous me direz que peu de différences vous ne voyez, si ce n’est la modeste preuve de ma paresse, à pêcher de la rime au bout de ma ligne. C’est vrai, j’en conviens il est des jours, comme celui-ci, ou rien ne mord. Dans ma boîte à appâts j’avais ce matin, un bel échantillon : des illes, des ouches, des oules, des oins, et bien d’autres « queues de vers » toutes bien fraîches, prêtes pour la pêche du samedi. Je les ai préparées, et à mon hameçon les ai accrochées. Une première j’ai lancée. Au passage, j’avoue être assez fier du rond dans l’eau, bien plus réussi qu’un rondeau. J’ai ensuite choisi d’appâter avec une ille, car mon intention était de prendre du gros. Du gros mot évidemment ! Ciel, ça mord ! Vite, je mouline ! Déception, pas de bille, ni de quille, encore mois de grille. Autant vous dire que j’ai tenté avec une ouche, une oule, et même un petit oin et au bout de la ligne : rien ! Oh tant pis, me dis-je, c’est samedi, je fais une pause. Point à la ligne…
Le tribunal académique se réunit pour la dernière fois en cette année 2020. Oh bien sûr, chacun, président en tête, préférerait être dispensé de cette dernière séance, mais le menu qui est proposé est pour le moins alléchant.
Si la journée n’est pas ordinaire, le jugement attendu ne l’est pas moins. En effet, et c’est assez rare, le jury aura aujourd’hui à répondre à une seule et unique requête. Requête précisons le qui a été déposée, par un collectif de citoyens. Le collectif des citoyens qui ne croient plus aux lendemains.
Voici la requête : « Est-il envisageable, ne serait ce que pour une durée limitée à un mois à compter de ce jour, d’interdire l’usage des mots suivants : vœux, souhait, bonne, heureuse, bonheur, santé, prospérité ». Dans l’attente du rendu de la décision le collectif précise qu’il gardera un silence absolu.
Le jury est constitué aujourd’hui d’un dresseur d’ours en peluche, d’une trompettiste bègue, d’un ventriloque ventripotent, d’une arracheuse de larmes de crocodile, d’un équilibriste amnésique et d’une cuisinière buveuse de rhum.
Le président présente la requête à la cour et donne la parole à l’avocat du collectif. Sa plaidoirie est exemplaire. Il explique qu’il est des périodes où il vaut mieux ne rien dire plutôt que de vendre du rêve. Il appuie son argumentation en effectuant un parallèle avec les nombreux jugements prononcés pour publicité mensongère.
Le président et le jury se retirent, et au grand étonnement de l’assistance très nombreuse ne reviennent que quelques minutes après.
Raclement de gorge : le président s’éclaircit la voix.
En cette journée, considérée par de nombreux calendriers comme la dernière de l’année, et après avoir entendu les différentes parties, le jury se présente devant vous avec la fierté du devoir accompli. Nous sommes heureux d’être parvenus en quelques minutes seulement à nous mettre d’accord à l’unanimité sur la décision suivante : en vertu des pouvoirs conférés au tribunal académique, eu égard à la situation, nous décidons qu’à compter de ce soir minuit, toute utilisation des mots qui étaient l’objet de cette requête (vœu, souhait, bonne, heureuse, santé, prospérité) sera soumise à l’autorisation préalable d’une nouvelle haute autorité constitué à la date de ce jour. Il s’agit de la HAOS : la Haute Autorité pour un Optimisme Raisonné…. Cette haute autorité siégera en permanence pendant un mois et sera exclusivement composée de poètes amnésiques…
Comme tous les matins, Il prend le train. Comme tous les matins, il sort son livre, prend son casque et invite Léo Ferré, à l’accompagner dans sa lecture ferroviaire. Camus sous les yeux, Ferré dans les oreilles : le trajet devient voyage. Quelques minutes passent, et les compagnons de « route », tout doucement s’effacent.
Ce matin-là, il lui semble pourtant, dès le début que quelques détails ont changé. Il ne pourrait dire lesquels mais quand il a posé le pied dans le compartiment, cherchant sa place habituelle (il aime les rites, il en a besoin pour s’envoler), il lui a semblé qu’aucun des visages ne lui étaient familiers. Curieux, cela fait quinze ans qu’il fait ce trajet, sensiblement aux mêmes heures, et tout le monde se connaît, ou plutôt tout le monde se reconnait, prenant évidemment grand soin à ne rien se dire pour ne pas prendre le risque de percer toutes ces petites bulles dans lesquelles chacun s’est enfermé.
Il s’assied, sort son casque, s’énervant au passage sur les nœuds qui comme toujours ont profité de la nuit pour se former. Il sort un livre de poche. De poche parce qu’il ne faut pas trop se charger. Il commence sa lecture.
Évidemment il s’agit de Camus. C’est l’étranger qu’il a choisi ce matin dans le rayon dédié à son maître absolu. Il l’ouvre, au hasard, et de toute façon sait qu’en quelques secondes il sera transporté. Il commence sa lecture : c’est le passage où Meursault est sur la plage et le drame va se produire ….
« C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent… » Il lève les yeux, pour reprendre son souffle : chaque mot est une vibration intérieure qui le secoue. Autour de lui les visages sont pâles, on devine l’angoisse… Il n’y prête pas attention. Il continue.
« Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver… » Il s’arrête, le souffle court. Il comprend que ce sont des gouttes de sueur qui tombent sur la page. « La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. »
Le train s’est arrêté, brusquement, il ne comprend pas tout de suite ce qui se passe. C’est la police ferroviaire, elle a surgi dans le compartiment. Ils se sont approchés de lui, et ont fait signe d’enlever le casque.
Que se passe-t-‘il ici monsieur ?
Il ne se passe rien, je lis c’est tout…
Mais vous ne pouvez pas, ce n’est pas possible, cela trouble le voyage des autres passagers !
Cela trouble le voyage des autres passagers. Il ne comprend pas, enfin pas tout de suite. Le policier est toujours devant lui, le regard un peu menaçant :
Vous savez lire non ?
Il pointe une petite affichette sur laquelle est écrit :
« Compartiment non-lecteur, no reading »
Il est discipliné et demande seulement une petite faveur : celle de terminer les quelques lignes qui lui restent sur cette page.
« J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur… »
Pour le vendredi, Une recette osée je vous ai préparée. Une marmite à mots, Sur le feu j’ai posé, Quelques mots piquants, Dans son fond beurré, Doucement j’ai fait revenir, Une fois dorés Le feu j’ai baissé. Hum…. Ça grésille, Ça pétille, Ça frétille, Les mots sont à points, C’est le moment, Il faut pimenter… Pour commencer : Un souffle de vent, Trois pincées de brumes, Et bien sûr, j’allais l’oublier : Un chant d’oiseau… Fou l’oiseau, De préférence évidemment… Remuez délicatement… Ne brusquez pas les mots, Soyez prudent, je vous en prie… Fermez les yeux, Sentez, Ouvrez les yeux, Ressentez. Rien ne monte ? Tout est plat ? Allez, on y va ! C’est vendredi, Il faut oser. Arrosez le tout, De ce doux vin mauve Que vous gardez en réserve Depuis lundi. Et, Laissez mijoter… Jusqu’au samedi…
Je me suis endormi Dans le doux roulis De vague belle et fidèle Fermant les yeux J’ai poussé une grille rouillée La mer est là doucement échevelée De ses longs bras bleus Elle me serre heureux Lente peur noire S’éloigne au large de la mémoire
Voici une micro-nouvelle écrite, il y a trois ans, je m’étais bien amusé à l’écrire et je m’amuse bien à la relire…
Tout avait débuté en février. Au
début, évidemment chacun a pensé qu’il ne s’agissait que d’une manifestation
classique: la grogne habituelle dirions-nous. Le mot d’ordre est vague,
ou plutôt suffisamment imprécis pour que chacun puisse se sentir concerné.
C’est vrai qu’en ce moment tout le monde aime grogner, tout le monde aime se
plaindre, tout le monde rêve d’autre chose: «il faudrait, il n’y
aurait qu’à, il suffirait…». Bref le conditionnel est d’usage. Mais, mais
personne n’accepte qu’on change, personne ne supporte même l’idée qu’on puisse
dire ou même penser qu’il serait nécessaire ou même possible de faire autrement.
Bref la routine. Presque tous les cortèges ont débuté à la
même heure: 10 h 00, c’est une bonne heure pour la balade des
insatisfaits du moment.
Non, non, pitié, Pas aujourd’hui, Je vous en supplie, Mon rire s’est enfui. Pas de jeu de mots, Pas de rimes en i. N’insistez pas, je vous le dis. Comment ? Dommage, me dites-vous ? Vous aviez de bons mots ? Eh bien tant pis, Je cède, allons-y ! Je n’en prendrai qu’un : Je le veux bref et poli. En avant mon ami, Je suis tout ouïe. Par quoi commencerez-vous ? Comment par i ? Paris ? Malheur, C’est bien ce que je dis, Comment, que me dites-vous ? Ce que je dis ? Ce que je dis, C’est jeudi… Vivement vendredi…
Chut Mes mots sont endormis J’entends le chant creux De leurs rires bleus Silence Froisse feuille blanche Oublié au coin d’un rêve fané J’attends Au verso d’une longue histoire Qui s’écrit Tant de lettres oubliées J’écoute Elles claquent des dents Dans le souffle étonné D’un vieux papier glacé
Ce fut une belle journée… Une belle journée, dites-vous ? Vous m’en voyez étonné, Point de soleil, Un ciel si mou… Je regrette, vous vous trompez ! C’est mon mercredi : Il sautille, Il frétille, Il grésille, Regardez, souriez, Prenez le temps, Enroulez vos droites lignes ! Les mots d’hier ne mordent plus. C’est mercredi, Vos rimes s’épuisent, Elles pleurent une pause. C’est un jour adouci, Pour les mots endormis. Ecoutez le vent des rires : Il souffle en roulant. Plumes s’envolent, Au coin d’un ciel d’enfant. Ce fut une belle journée Le grand père s’est amusé…
Un court extrait de cet extraordinaire texte » Eh Basta », quand je le lis, quand je l’écoute, je frissonne…
La mémoire et la mer…
Ton corps est comme un vase clos J’y pressens parfois une jarre Comme engloutie au fond des eaux Et qui attend des nageurs rares Tes bijoux, ton blé, ton vouloir Le plan de tes folles prairies Mes chevaux qui viennent te voir Au fond des mers quand tu les pries Mon organe qui fait ta voix Mon pardessus sur ta bronchite Mon alphabet pour que tu croies Que je suis là quand tu me quittes
La mémoire et la mer…
Cette mer cavaleuse, propre, cynique… Ce toit tranquille, comme disait l’autre… Ce drame mouvant comme un outrage de la nature, quand j’y plonge, de mémoire, je m’y perds, et moi, et mon courage, et ma passion, et ma musique
Le vent, y aidant, n’a qu’à bien se tenir. Il se prosterne, ce vent filou des bises, des frilures…
Je vous assure, il m’a lancé un regard, franchement je m’en remets difficilement. Lancer un regard, ce ne doit quand même pas être des plus simples, il faut évidemment savoir viser, car lancer un regard sans savoir vers qui l’envoyer c’est un peu comme un coup d’épée dans l’eau. Encore qu’un coup d’épée dans l’eau a au moins deux vertus celle de faire de provoquer des remous (même si on ne veut pas dans ce cas précis faire de vague) et celle de trancher dans le vif, surtout s’il s’agit d’eau courante. Mais revenons à nos moutons, revenons à ce regard lancé, et qui semble t’il a atteint sa cible (puisque la personne victime du jet prétend qu’on lui a lancé un regard), est ce que ce regard est vif, acéré, aiguisé, perçant même. Imaginons les dégâts provoqués par un regard qui en plus d’avoir été lancé est aussi perçant. La personne, appelons-là la victime, risque de se retrouver comme le disait Corneille « percée jusqu’au fond du cœur d’une atteinte imprévue » …. En conclusion, ce que je crois c’est qu’un regard n’est jamais lancé au hasard, à l’aveugle dirions-nous car il faut être clair une fois lancé le regard ne peut revenir en arrière, ce n’est pas un boomerang et le lanceur doit autant que possible avoir les yeux en face des trous s’il ne veut pas rater sa cible.
Tu m’attendais, Oh oui, je le sais ! Non, ne nie pas ! Je suis sorti, Je l’ai senti… Partout, je te le dis, Oui, partout, Tout fleurait si bon le mardi. Tu étais là, Droit comme un i, Fier de tes demi-gris. Ton œil clignait : Je l’entendais me dire : Regarde homme d’hier, Regarde, sans un bruit, J’ai le bord qui luit. Prends-le, écoute-le, Il brille pour toi. Oh oui, mon rond mardi, Je te le dis, Un instant, je me suis arrêté… Contre mon oreille J’ai glissé une boule de ta douce pluie, Et, fermant les yeux, Je les ai entendues, Ces larmes de nuit… Une à une, elles ont coulé Gouttes sans plis, Sur ton visage ont souri…
Au fond de la nuit la plus nue Pas trace de village sur la houle Je n’ai qu’à prendre ta main Pour changer le cours de tes rêves Embellie ton haleine malmenée par la rixe
Tous les sentiers qui te dévêtent Ont dans le lierre de mon corps Perdu leurs chiens leurs carillons La tige émoussée de l’étoile Fait palpiter ton sexe ému A mille lieues vierges de nous Nous restons sourds à l’agneau noir A toute goutte d’eau d e pieuvre Nous avons ouvert le lit A la pierre creuse du jour en quête de sang De résistance
L’écriture est là, Je la sens, Je la vois, Elle coule, Lente et fragile. Goutte à goutte, Elle entre à pleine ligne, Dans le blanc de la page.
Les mots sont là, Un par un, Ils se posent Sur le fil qui tremble. Etonnés d’un si long silence Ils s’écoutent, Ils s’assemblent. Mes mots sont là, Ils nous ressemblent.