Un orage en février : suite…

Pour son anniversaire Lisa est seule. Elle se souvient : sa mère pose le gâteau sur la table. Ce n’est presque plus un gâteau, c’est une œuvre architecturale, un monument, une cathédrale. Rose a passé la matinée à le confectionner avec amour. Rose en a à revendre de l’amour. De l’amour pour sa Lisa, de l’amour qui déborde tant qu’elle lui en tartine des tonnes tous les jours. Elle n’attend rien d’autre en retour : un sourire, un seul, le sourire de celle qui se délecte d’avoir plongé les doigts dans la crème chantilly. Lisa n’en peut plus de ces étalages, de ces gentillesses à répétition comme si sa mère avait besoin de l’éternité pour se faire pardonner une faute de jeunesse. Lisa aurait voulu autre chose. Même aujourd’hui, son anniversaire elle l’aurait aimé sans ce stupide gâteau juste bon à faire s’extasier une première communiante. Et Rose qui voudrait tant qu’elles soient heureux ensembles. Elle le voudrait tant qu’elle s’est défoulée sur le chocolat. Le gâteau en est crépi de plusieurs couches et Lisa n’aime pas le chocolat. Elle ne l’aime plus. Lisa n’aime rien de ce que les autres s’entêtent à considérer comme des signes évidents de bonheur. Elle n’aime pas les fêtes non plus, surtout les fêtes qui sont pour elle. Elle est triste, désespérée quand les autres chantent leur bonheur construit. Elle est triste, d’une tristesse si profonde qu’elle s’exprime sans la moindre larme, c’est une tristesse sèche. Alors Rose pleure pour elle. Rose pleure pour deux.

Lisa est partie. Elle est partie sans terminer le gâteau. Le sac était prêt, Rose ne l’a pas retenue. Personne ne retient Lisa. Elle dit qu’elle écrira, elle sera plus heureuse ainsi.

Aujourd’hui Lisa a peur. L’orage lui fait comme un vide à l’intérieur. Un vide avec un cri qui l’habite, cri qui vient de loin, qui vient du passé. Lisa depuis qu’elle a quitté sa ville, elle se ride de l’en dedans, elle ne se contrôle plus. Son corps ne réagit qu’aux seules secousses d’une nature qui s’affole. Aussi loin qu’elle se souvienne, elle a peur de ces déchaînements de vent, de pluie, de tonnerre.

Sa mère lui a expliqué. Sa mère ! Une ressemblance qu’on recherche derrière un sourire et puis le vide, le rien, le « j’en veux plus de cette mère chagrin, de cette mère désespoir ». Lisa a douté très jeune, elle a douté de la noirceur de ses cheveux et de sa peau si mate. Quelque chose ne va pas avec la pâleur de sa mère et la blondeur de celui qu’on lui a raconté comme son père. C’est un accident, un effet du hasard.  C’est si compliqué la génétique. Mais Lisa s’en moque des chromosomes, elle doute. Elle doute de tout depuis toujours. Et puis il y a ces rêves qui lui fabriquent d’autres histoires, les rêves d’une nuit si longue, d’une autre nuit et maman qui ne vient pas. Maman, un corps qui dort à quelques mètres de l’orage qui lui emplit la tête. Un souvenir, une incrustation quand les nuits se font plus chaudes, plus lourdes, quand l’angoisse est en suspension, dans l’air, quand on l’inspire à pleins poumons, qu’on s’en intoxique. Lisa a peur de ces nuits là. Petite, elle a peur, et elle appelle ; elle appelle maman et celle qui vient ne ressemble pas à une maman, c’est une femme qui aime et elle en pleure. C’est Rose, une maman enfant, si jeune pour souffrir, pour s’inquiéter. Elle le sait Lisa, elle le sent quand elle serre dans ses bras, elle sent le contact qui réchauffe, elle sent les larmes qu’on retient. Elle sent cet étau de l’intérieur qui presse fort, à en tirer des larmes de sel qui coulent sur les mâchoires serrées.

Alors Lisa a douté, elle n’a jamais posé de questions. Lisa n’est pas curieuse, Lisa ne veut pas savoir. Lisa sent. Quand elle sera sûre elle lui dira.

Ce soir il y a l’orage et Lisa est seule. Sa mère est loin, si loin, là-bas de l’autre côté, derrière l’horizon, cette ligne de lumière flottante qui apparaît quand on a mal aux yeux de trop les fermer. Il y a l’orage et cette femme enfant qui essaie de l’aimer.

Elle est en sueur. Son corps est lourd. Elle a du mal à l’accepter. Elle ne sait pas où poser les mains de peur qu’elles ne se collent. Ce qu’il lui faudrait, c’est un homme. Un homme, un rude, un dur, un homme qui l’ouvre, qui l’écarte, qui lui mette son sexe, là où elle est si chaude. Lisa est moite de désir et de peur. Il faut un homme qui souffle, qui gémisse, qui couvre le bruit des flammes du ciel en l’éperonnant. Elle ne peut pas sortir, elle a peur, sinon elle irait dans un de ces bars qu’elle connaît bien, un de ces bars où un regard suffit pour que les corps s’emboîtent. Elle est une habituée. Mais aujourd’hui il y a l’orage qui la rend si fragile. Aujourd’hui elle est une petite fille. Elle va appeler le voisin du deuxième. C’est une brute, un vigile aux sourcils épais comme des balais brosses. Elle a souvent recours à ses services pendant les chaleurs estivales. Elle décroche le combiné : « c’est l’orage, il faut venir, c’est l’orage, j’ai peur ». En moins de trois minutes, il est là, la porte est ouverte, il est en sueur, il vient de faire des exercices. Il aime soigner son corps, faire jouer les muscles. Lisa a peur, elle lui fait signe.  Il faut qu’il s’approche, vite. Il est assis au bord du lit. Elle ne dit rien, elle a le souffle court et déjà sa main a saisi le membre. Il est dur, rassurant, elle le tire. Il est sur elle et la pénètre avec force. On croirait qu’il poursuit ses exercices. Elle a mal dans ses entrailles. Il est trop grand, elle sent le bout de son sexe qui la frappe. Elle agrippe les fesses à pleine mains, bien musclées les fesses, tout est musclé, cet homme est un muscle, un amas de viande luisante, qui s’agite au dessus d’elle. Il grogne comme elle le veut, il couvre l’orage.

Parlez moi de la mer…

Je suis particulièrement satisfait pour ne pas dire fier de mon texte du jour. Je n’ai pas l’habitude, mais là j’avais envie de le dire…

Je n’en peux plus du bruit de la peur,  

Je n’en veux pas  de la suie grasse de vos haines,

Je n’en veux plus des complaintes aux rimes dures.  

Parlez moi de la mer, je vous en prie.

Où sont les vagues,

Où sont-elles ?

Entendez le vent,

Il pleure, vous dis-je,

On l’oublie,

Il est seul, il appelle.

J’entends son chant qui ondule,

Mes yeux se ferment,

Petites larmes coulent.

Vagues amères,

Douces et belles,

Sur les rives de mes lèvres muettes

Ont répondu, ô vent, à ton appel.

Parlez moi de la mer je vous en prie…

Un orage en février : suite…

Je poursuis la publication de mon roman, avec aujourd’hui un très long chapitre…

Jules est fatigué. Il y a la vie qui lui fait mal, elle est pesante. Les autres le voient, il passe. Il est une ombre qui glisse. Les regards se taisent, n’osent pas. Jules est dans la souffrance, il en est un élément. Il y a cette boule qui navigue de l’abdomen à la gorge et cette envie de pleurer quand rien n’y prépare. Jules est une erreur, une erreur sur toute la ligne.

Jules n’aurait pas besoin de vivre, ça ne sert plus à rien. C’est trop compliqué. Le temps passe et il s’enfonce. Et parfois Jules crie, Jules hurle, il est mal dans son corps qui lui pèse. Jules a rêvé Lisa, un matin. C’était un matin pluie, et il l’a rêvée. Elle, une main qui le frôle. Elle, une odeur, une odeur de peau. Jules rêve Lisa, il sait qu’elle existe. Il l’entend, c’est comme un souffle, Jules rêve, Lisa est là, elle est en vie, il faut la trouver. Il cherche et les autres ne l’aident pas. Les autres, ils ne l’existent plus. Il est effacé, aspiré, il est dans le ventre d’un trou noir. Et ce matin, il rêve, alors il veut sortir. Il veut s’en sortir, c’est Lisa qui le dit. Elle appelle. Elle est là, quelque part derrière ses yeux. Elle est là, elle attend, elle l’attend depuis toujours, depuis l’orage.

Enfant, Jules s’était inventé un don. Il voulait offrir une montre à sa mère, une montre pour sa fête, il en rêvait. Il n’avait pas d’idées sur le modèle à choisir. Il préférait les montres avec des aiguilles plutôt que ces nouvelles machines à quartz. Les aiguilles, elles bougent, elles vivent, il passe souvent de longues minutes à observer la grande aiguille de la pendule de la cuisine. Il se sent puissant quand son regard est capable de capter l’infime mouvement, l’imperceptible frémissement. Il aime ces moments un peu creux, un peu sirupeux compris entre un presque et un déjà. Il aime ces moments où il est capable de percevoir des mouvements que d’autres ignorent.

Toutes les choses bougent, tous les objets vivent, il en est persuadé. Alors il observe et attend les yeux dans un vide qu’il est le seul à remplir, et quand les autres, ceux qui sont là pour dire ce qui est bien, le surprennent dans ces attitudes prostrées, ils le semoncent, lui conseillent de se réveiller, de devenir un autre, un comme tout le monde. Un qu’on ne remarque pas. Sa mère, si belle qu’il en a peur, le secoue et lui ne dit rien, il est ailleurs. Elle ne comprend pas le plaisir qu’il peut avoir à fixer un cadran. Il voudrait pouvoir lui expliquer qu’il cherche à voir les aiguilles des heures bouger. Il la fixe à s’en faire mal au regard.

Ce qu’il voudrait par dessus tout, ce dont il rêve Jules, c’est voir la terre tourner. Il aimerait aller jusqu’à un bord, un endroit rempli d’horizon où il pourrait s’asseoir et attendre. Pour voir, pour sentir. Parfois il calcule la vitesse, il se bourre la tête de ces nombres à vertiges qui le transportent dans des zones où comprendre rime avec souffrance. Et il ne comprend pas pourquoi il ne la voit pas tourner : quarante mille kilomètres de circonférence en vingt quatre heures, ça devrait se sentir. Alors il cherche, il attend que cela vienne. Et toujours rien. Il interroge les adultes, ceux qui doivent savoir, pour rassurer, et les réponses sont pleines de vides autant qu’il est empli d’angoisses. On lui sert toujours les mêmes rengaines, la lune, le soleil, les étoiles qu’il suffit d’observer et qui ne sont jamais à la même place. Mais lui ça ne lui suffit pas, il ne veut pas comprendre, il veut voir, il veut voir le déplacement, il veut être comme au bord du manège. Il veut voir sa mère en face de lui, à droite, à gauche et puis derrière. Quand il fait du manège, il y pense tout le temps.

Un jour il y est presque parvenu. Un jour d’amour comme il en a peu connu. Un jour où sa pompe à tendresse tournait à plein régime. C’était après les cours, il était étudiant en géographie, il avait choisi cette discipline parce qu’elle étudie du vrai. Ce jour là, quand il était sorti, il avait bien senti l’inhabituelle limpidité de l’air. Et le silence, inconvenant pour une ville de milieu d’après midi, un silence d’attente, un souffle qu’on retient avant la joie, qui bientôt explosera.

C’était un soir de novembre, il était seul comme souvent. Devant lui, quand il est sorti du tram, une femme d’âge mûr. Elle pourrait être une sœur aînée, presque une mère, mais il ne veut pas y penser, il est déjà dans une autre histoire, avec elle, il est bien à la suivre, à rester dans son sillage. Elle a fait tout le voyage sur un siège en face du sien. Par deux fois leurs pieds se sont touchés, facile avec les secousses, à chaque fois il a frémi comme s’il était tombé dans ses bras. Elle est devant, à quelques centimètres, il sent son corps qui laisse comme une trace, comme une histoire. Son corps est simple, il n’est pas enluminé de toutes ces formes académiques après lesquelles toutes courent. C’est un corps qui vit, on sent le sang qui circule. Jules ne la quitte pas des yeux, il devine qu’elle a plein d’histoires, qu’elle est une histoire à elle seule, il veut en être. Elle a des cernes sous les yeux. Elle n’a pas besoin de sourire, ni de parler. Il sait qu’elle est douce, qu’elle est sereine. Il l’a suivie sans discrétion, puis s’est approché d’elle au moment où elle entrait dans son immeuble rue de la Montat.

Elle n’est pas étonnée, ni effrayée. Il le savait, elle l’attendait, elle doit être si belle à regarder dormir. Elle pourra l’aider plus que toutes les autres, toutes celles qui jouent à ne pas le vivre. Elle s’est retournée avec un sourire.

  • Vous voulez quelque chose, jeune homme ?
  • Madame, vous savez depuis toujours je voudrais ressentir comment ça fait quand on sent la terre qui tourne, je voudrais voir savoir comment ça fait et je sais que pour y parvenir il faut être deux, enfin je crois, …   Et je ne sais pas mais je sens que c’est avec vous que je vais y arriver.
  • Je ne comprends rien à ce que vous me dites !
  • Quand je vous ai vue, ça m’a fait comme un courant d’air frais et je… je sais…je sens… je suis certain que c’est avec vous que je vais y arriver.
  • Je ne comprends pas ce que vous racontez ! Suivez-moi vous m’expliquerez plus tranquillement chez moi. 

Et Jules est monté dans l’ascenseur avec cette femme. Il lui a parlé le temps d’un trajet de cinq étages, de tout, de ses mémoires de l’orage, de la vie qui lui échappe, des autres qui ne comprennent pas qu’il s’ennuie au milieu d’eux. Elle est proche de lui, la cabine de l’ascenseur est pleine d’autres odeurs. Les odeurs d’une journée entière qui a défilé de bas en haut. Leurs corps se touchent. Quand la machine a stoppé son ascension, elle a tendu la main pour pousser la porte. Lui aussi. Et leurs doigts se sont effleurés, doucement. Le temps d’un éclair, des images. Sa main s’attarde. Leurs yeux se croisent. Il est ému. Elle est seule. Sa fille est à Paris, elle a eu le temps de lui expliquer dans la traversée du couloir qui mène à son entrée. Elle est seule, son souffle s’est accéléré. Il lui a pris la tête entre les mains, tout doucement, comme pour transporter un globe de cristal, délicatement. Et ses lèvres l’ont effleurée, presque pas de contact, une promesse et le reste qui suit, leurs corps sont impatients. Elle est petite, elle a la tête contre sa poitrine. Il l’a entendue pleurer, tout doucement.

Elle parle de sa fille. Elle est si seule sa fille, si seule elle le lui dit, elle le répète. Elle lui dit aussi que sa fille est jolie, elle le répète : « ma fille elle est jolie, elle est si jolie, si jolie ». Mais elle est partie sa fille, elle est partie, là bas, elle la désigne du regard, si loin, si loin. On sent que c’est loin ce loin, là-bas, si loin là-bas dans cette ville pour les autres.

Lisa. Lisa est à Paris. A Paris, elle le dit une nouvelle fois comme pour la rapprocher. Lisa, elle aurait voulu l’aimer. Elle dit ce prénom avec de l’amour. Jules ne l’écoute plus, il boit ses paroles. Lisa qu’il entend vivre dans les larmes de cette femme.  Et ses yeux qui en disent plus. Lisa. Jules est contre elle. Timides, ils se regardent, elle veut le voir, elle a peur d’elle, du corps qu’elle ne veut plus accepter. Et lui qui l’aime, qui la caresse et ses yeux qui se ferment, les lèvres qui bougent, signe de respiration. Et la terre qui avance, qui tourne, c’est la vitesse. Il se serre contre elle. Elle est douce comme une sensation de paysage après l’orage. Et Lisa qu’on devine entre eux comme un voile.

Elle s’appelait Rose. Elle avait voulu le revoir. Jules ne comprenait pas ce qui l’attirait dans cette femme sans couleurs. Ses amis couraient après d’impossibles amours vrais.

Leur histoire aurait duré quelques mois…Ou un peu moins, ou pas du tout, peut-être le simple temps d’un trajet en bus, quelques secondes d’effleurements : il ne sait pas, elle non plus, c’était comme un temps circulaire ou les « demain je t’attends » sont des « je me souviens d’hier, la première fois ».

Jules se souvient. Il marche et il se souvient.  Elle l’attendait chaque jour, ils allaient chez elle. Elle l’écoute. Il lui parle du noir, du trou qu’il a dans la tête et elle ne lui répond que si peu, juste ce qu’il faut pour qu’il y ait de la vie entre eux. Il la touche à peine. Ce qu’il aime par dessus tout c’est que leurs doigts se frôlent. On aurait pu croire, qu’ils se cherchaient, qu’ils auraient voulu plus, qu’il ait fallu plus. Ils hésitaient. Elle lui préparait à manger et le regardait se nourrir. Elle prétextait un régime pour ses rondeurs que Jules n’observait même pas. Jules il lui disait qu’elle était bien ainsi, qu’elle était vivante partout. Il lui expliquait qu’il ne comprenait rien aux galbes, aux jambes fuselées, aux seins rebondis. C’était comme en poésie, ce qui l’attirait, c’était le relâché, ce qui sortait de l’ordinaire des décomptes de vers et il lui répétait cette phrase de Ferré : « les poètes qui ont recours à leurs doigts pour savoir s’ils ont leurs comptes de pieds ne sont pas des poètes, ce sont des dactylographes ». « Même chose pour les femmes, celles qui ont recours à leur balance pour savoir si elles ont leur compte de tendresse ne sont pas des femmes à aimer, ce sont des bouchères… » Elle souriait de ces gentillesses d’adolescent qui s’essaie à Rimbaud et il convenait que sa comparaison était osée sinon exagérée. Mais sil avait du plaisir à lui montrer qu’il peut exister d’autres règles que celles des magazines glacés des salles d’attente. C’était rare qu’on lui parle ainsi. Il y avait bien sa fille dont elle parlait souvent comme d’une déchirure. Sa fille, à Paris, c’est si loin. Elle l’évoque avec une larme au fond des yeux, comme une absence qui fait mal.

Sa fille elle s’appelait Lisa. Elle était partie le jour de son anniversaire, à seize ans. Elle s’en souvient comme d’un hier qui n’en finit pas de s’infiltrer dans son réservoir à chagrins. C’était un anniversaire pas comme les autres. Elle explique à Jules qui n’en revient pas d’un tel hasard. Cette fille que sa mère pleure est comme lui une fille bissextile, un anniversaire tous les quatre ans. Rose lui parle de Lisa et Lisa vit dans les yeux de Rose et Jules aime Lisa parce que Rose lui explique qu’elle l’a mise au monde une nuit d’orage. Un orage en février. Et Jules qui ne lui dit plus rien quand elle lui parle de Lisa qui a peur dès que le tonnerre gronde. Rose baisse les yeux quand il dit qu’il aime l’orage et elle disparaît dans un songe quand il évoque sa mère qui ne l’écoute jamais quand il parle de son amour des éclairs.

Sa mère, la Paulette comme disent les autres. Jules parle de Paulette à Rose, elles ne se connaissent pas. Jules se souvient des paroles de Paulette. De Paulette qui lui parle de Lisa, cette petite du même âge que lui, née le même jour, tout le monde en parlait à la maternité, on dit même qu’ils avaient dormi ensemble, si petit vous vous rendez compte. Alors quand il est triste, quand il a plein de gris dans sa tête, elle se moque, elle le taquine « va donc retrouver ta Lisa ». Mais Jules ne sait pas, ne comprend pas.

Jules baisse les yeux, c’est le dernier soir avec Rose Ce soir, il a compris, il a trouvé le chemin vers Lisa. Jules aime Lisa.

Un orage en février : suite…

Lisa quand elle s’endort, il y a comme un trou dans sa tête, un trou dans son histoire. Elle cherche. Elle a mal. C’est sa mère. Elle nourrit sa souffrance. Sa mère, comme une question, comme un doute. Elle n’y croit pas, plus, ce n’est pas elle, impossible, il n’y a rien qui l’attache, elle a perdu le fil.

L’orage l’effraie, l’orage comme une secousse dans le cerveau. Sa mère parlait de l’orage, avec des flammes dans les yeux. Et la peur lui entre dans la tête, la folie si proche, là juste derrière le regard qui se souvient. Sa mère lui a parlé de la naissance, peut-être la sienne, une nuit terrible, une nuit de février. Il y a la neige qui s’accumule, elle tombe par vagues, couches après couches. Et le silence prend toute la place. La neige comme une douceur, comme une mère qui se prépare. Et le tonnerre gronde, frappe comme une punition.

Lisa ne croit plus à cette histoire. Une histoire de cette femme qui ne joue même plus à être sa mère. Elle n’y croit plus. Elle n’a plus la force. Elle pleure.

Elle pleure et pourtant elle vient de faire l’amour. Elle aimerait trouver un autre verbe d’action pour accompagner l’amour plutôt que cet ignoble verbe faire qui se marie avec tant de compléments sans émotions, faire la vaisselle, faire le marché, faire son devoir, faire sa toilette. Faire l’amour ça abîme la tendresse, ça détruit le geste. Elle a cherché dans les dictionnaires, mais rien pour lui donner l’émotion, rien que des mots viandes qui suintent l’obscène. Copuler, s’accoupler, baiser, elle n’en veut pas, ça lui fait mal quand elle les dit, ça laisse comme un mauvais goût dans la bouche, un peu fauve, si loin du parfum de l’amour.

Elle a choisi de ne plus compromettre ce mot.  Elle le dit seul, sans artifices, sans emballages. Les autres sourient quand elle dit : « j’amoure ». Ils sourient mais ils l’aiment. Comme celui de ce soir, il est bien, il l’a aimée, et maintenant il la regarde qui pleure. C’est un beau gosse comme on en voit dans les magazines, soigneusement mal rasé et les dents blanches. Il y a cinq minutes, il était encore en elle. Pour la quatrième fois, appliqué, méthodique. On aurait cru qu’il passait un examen ou le permis de conduire. Elle avait joui, bien sûr, bruyamment et sans difficultés. Difficile de s’en priver avec un tel outil dans le bas ventre et des yeux aussi verts. Mais maintenant elle pleure Lisa.

Elle pleure, comme à chaque fois, comme à chaque orgasme. Ça lui fait comme une décharge électrique. Elle voit la même image, subliminale comme disent les publicitaires. Un bébé : il pleure, il crie, il a peur. Il est proche, elle le sent, contre sa joue, elle sent son souffle, un souffle neuf. Et puis il y a l’orage, elle l’entend, elle tremble, se recroqueville. Elle ne veut pas se retrouver seule.

La première fois elle n’y a pas attaché d’importance. Faut dire que c’était tellement bon avec l’autre, au dessus d’elle. La première fois, elle s’en souvient pour le vide que ça laisse quand on pense que c’est fini. C’était un vieux pour les yeux de son âge. Il l’avait draguée sans vergogne, sans pudeur, armé d’un cartable et de longues mains fines. Il avait proposé de monter boire un verre, sourire humide au coin des lèvres. Elle était derrière lui dans l’escalier, petite fille qui suit son bourreau d’un soir. A peine le cartable jeté au milieu du couloir, elle s’était retrouvée sur un vieux canapé de velours, les cuisses poissées de sang, les yeux pleins de larmes. Et l’autre le pantalon roulé aux chevilles, en boule, ridicule, fier de sa nouvelle victime. Il faisait lourd, si lourd, dans l’air et dans les corps. Lisa se souvient avec un frisson, un premier éclair est entré dans la pénombre de la pièce. Elle l’a d’abord vu, l’autre, elle a vu son sexe flasque et piteux, morceau de chair satisfaite, puis un visage d’enfant, comme un flash, un sursaut.

Lisa pleure. Doucement, comme souvent. Elle pleure sur sa solitude, pleure sur cette vie qu’elle ne parvient pas à apprivoiser. Sauvage, depuis toujours. On dit d’elle quand on la voit, quand elle n’est pas entre deux retards, qu’elle est une rebelle, qu’elle n’accepte rien, aucune contrainte. Plus petite, on la disait effrontée, insolente. On disait d’elle qu’elle ne tenait pas en place, qu’elle était montée sur ressorts, branchée sur cent mille volts. Aujourd’hui les quelques rides qu’elle a prises lui donnent droit à d’autres qualificatifs.

Lisa aime l’amour. Beaucoup. Le physique surtout, celui qui tord les corps, qui invente des cris d’ailleurs. Elle s’y jette comme une affamée, comme une boulimique du sexe. Elle s’y oublie et le temps d’un cocktail de jambes elle n’est plus la Lisa qui pleure le soir, si seule, si souffrante. Elle aime quand on la prend brusquement sans un mot, alors elle gémit. Elle aime qu’on lui saisisse la crinière, elle aime sentir ses amants qui s’essoufflent à la satisfaire.

Ses amants, elle ne leur parle pas, ils n’en valent pas la peine. Ce qu’elle veut, c’est leur sexe, elle le veut tout, tout de suite. Elle veut en sentir la douceur, la douceur de cette peau si fine qu’on la croirait fabriquée.

Mais ce soir, Lisa pleure, elle est seule et n’en peut plus de ces nuits avec le même rêve. Elle n’en peut plus de ces réveils, toujours les mêmes, en sueur, en peur. Elle voudrait savoir ce qui est imprimé dans sa boîte noire, ce que sa mère n’a pas eu le temps de lui dire. Elle ne se souvient que de la dernière fois, elle lui a demandé quel était son secret, le secret.

L’éclair, l’orage, la peur, elle n’en peut plus. Ce soir elle sait qu’elle doit partir, pour trouver, pour comprendre, elle partira à Saint Etienne, cette ville où les autres, où tant d’autres disent qu’ils ne veulent pas revenir. Elle va partir, elle y est née, c’était en février. Il faisait beau pour la saison, si chaud lui a dit sa mère la dernière fois. Il faut qu’elle y retourne, c’est simple, maintenant elle le sait. Elle en a besoin, il faut qu’elle explique les terreurs quand la lumière s’éteint.

Demain elle partira. Paris c’est terminé, elle ne veut plus courir, ne veut plus attendre. Elle partira demain.  C’est un futur tout simple. Le travail, elle en a plus besoin, elle a mis de l’argent de côté. Elle n’aime pas le luxe sauf pour les draps. Il faut qu’ils soient en soie, surtout quand on lui « fait l’amour », quand on l’aime.

Elle partira pour ne plus être seule. Elle sait qu’elle trouvera, qu’elle le trouvera. Il y sera, il existera quelque part à attendre qu’elle revienne. Elle le sait, il y a quelque part, ailleurs, quelqu’un qui l’aimera, qui ne pourra que l’aimer. Sa mère est là-bas. Elle ne l’a pas revue depuis si longtemps.  Elle s’est habituée à son absence, mais ne s’est jamais résigné à son manque d’existence. Il y a un déficit de vie qu’elle doit combler pour comprendre. Elle se souvient de rares moments de tendresse, une main dans les cheveux, comme un peigne si doux. Elle est contre une fenêtre. Tout est humide, le carreau est froid, dehors une pluie fine qui ne cesse plus. Sa mère est derrière, elle sent son souffle contre sa nuque. Elles attendent, toutes les deux. C’est un mois de novembre parmi les pires dont elle se souvienne, elles attendent et ne savent plus ce qu’elles espèrent derrière la vitre. Le temps s’enfuit. Elles l’entendent, derrière elles, accroché au mur du salon sur une vieille pendule d’héritage. Elle a la tête contre le ventre de sa mère. Un ventre un peu bombé, comme une invitation aux caresses. Ce soir elle pleure, mais elle sent le chaud, derrière elle, vers le cou là où la peau est si fine. C’est comme un baiser. Elle voudrait tant comprendre.

Un orage en février, suite…

Et à chaque fois il faut recommencer, Jules le sait.  Il faut repartir de zéro en serrant les dents, accepter que rien ne fonctionne comme il le voudrait.

Jules est seul et il ne comprend pas.

Jules interroge le monde. Et le monde ne répond pas. Le monde a oublié Jules. Les autres continuent de vivre. Jules observe autour de lui les autres, le monde.  Il s’interroge, il interroge. Le monde a changé. Ce n’est déjà plus une question. Jules est englouti : que s’est-il passé ?  Tout ne va pas à la même vitesse : les questions que l’on pose, les réponses que l’on attend. Jules comprend : les autres passent et pensent et lui reste, là, tout petit, grain de sable. L’orage est passé, il s’éloigne. Jules est immobile, les bras qui pendent au bord du corps, la tête emplie de toutes ces histoires qui ont traversé.

Jules se souvient de son maître d’école qui expliquait l’immensité de l’univers. C’était fascinant : il comparait la terre à un grain de sable. Il précisait même : « un petit grain de sable » … Le soleil était une orange. Une orange qu’il sortait du fond de son cartable. Elle était lumineuse. C’est peut-être cela qui l’éblouissait le plus, l’orange brillait. Lui ne mangeait que des oranges fripées, la peau ternie par des séjours prolongés dans la cuisine surchauffée.

Jules n’est plus le même, il est autre. Jules est dans le monde qui l’absorbe, qui le digère et lui ne peut rien. Il se tait et continue. Jules est dans le monde qui l’entoure. Il est dedans et il attend. Il attend les prochains orages. Jules aime l’orage. Personne ne comprend et à chaque colère du ciel il est puni d’être bien, d’être heureux. Alors le monde des autres le gomme, l’efface. C’est fini, il n’existe pas, pas de traces, pas d’histoires. Les autres le voient comme un détail. Un infime détail.

Jules se souvient. Il sentait les secondes pénétrer en lui, elles se répandaient, fourmis qui ont découvert le passage. Il les sentait, les voyait, les entendait. Elles débutaient leur vie dans un monde mécanique puis disparaissaient, sautaient du cadran, s’échappaient et le pénétraient comme de petites vrilles. Il leur en voulait de le faire tant souffrir. Il leur en voulait de s’additionner, de s’agglutiner par grappes charnues. Il aurait voulu qu’elles soient légères mais elles étaient pesantes, oppressantes, elles occupaient tout son temps.

Parfois il passait de longues minutes à les observer, à les interroger. Il tentait de saisir l’instant où elles se matérialisent, cet instant si bref, cet instant sublime qui se situe entre le passé et le futur. Il essayait de les vivre entièrement, l’une après l’autre. Il aurait voulu éprouver la sensation du temps qui passe, qui coule mais n’y parvenait pas. Il aurait voulu apprivoiser cet espace qui doit bien exister quelque part entre deux unités. Il n’admettait pas d’être impuissant et de ne pas maîtriser la course folle, la course en avant.

C’était un demi-soir où il attendait. C’était un de ces moments qu’on ne peut définir, qui hésite, entre bleu et noir, instant fragile où tout peut basculer avec un simple sourire. Il attendait. Attendre, il savait. Il ne savait faire que cela, attendre. Il n’attendait rien ou si peu, qu’il ne se souvenait plus quand il avait commencé. Il attendait mécaniquement, dans l’espoir qu’il se passe quelque chose, dans l’espoir qu’il participe au voyage.

Pour tuer le temps il le regardait passer. Il aimait ces moments de rien où il parvenait à percevoir son existence. Il comparait le trajet de sa trotteuse avec celui qu’effectuait celle de la pendule en formica. Une pendule de cuisine, un peu bleue, en plein centre du mur le plus vide. Une pendule à la géométrie arrondie pour faire moderne ou sport. Quand il avait commencé, elles en étaient au même point, sur le six. Il les suivait du regard, comme deux coureurs à la cadence réglée. Tout avait bien commencé. Les premiers tours se déroulaient sans problèmes. C’est à partir du dixième tour que la trotteuse de sa montre pourtant plus fine, plus légère, plus suisse en fait, montra les premiers signes de fatigue. Jusqu’au six tout allait bien, elle déroulait parfaitement sa foulée. C’est dans la remontée vers le douze qu’elle a commencé à perdre un peu de terrain. Oh, pas grand chose ! La pendule en formica était en tête d’une toute petite seconde. Le plus inquiétant c’est que malgré la descente elle n’a jamais pu combler son retard et au bout d’une heure la pendule annonçait fièrement 19 h 02 tandis que sa montre n’en était qu’à 19 h 00. Elle s’était laissé distancer de deux minutes : énorme sur un tel parcours qu’elle connaissait parfaitement. Un parcours qu’elle avait déjà accompli des milliers de fois. Il y avait certainement un problème.

La pendule en formica ne pouvait être digne de confiance, elle avait toujours fait preuve de fantaisie. C’était une pendule de cuisine après tout ! Elle était faite pour annoncer les repas, elle était destinée à rythmer les déglutitions de soupes chaudes. Elle ne pouvait s’habituer à attendre. Le silence ne lui convenait pas, et elle accélérait sûrement à l’approche des premiers sons de fourchettes.

C’était une pendule qui avait appartenu à sa famille. Elle était l’objet qui lui rappelait le plus sa mère. Aujourd’hui il l’observait d’un air menaçant. Il avait commencé par la secouer. Un geste machinal, un besoin kinesthésique, c’est ce que lui aurait expliqué un psychologue. Il avait ce besoin constant de toucher, de palper, de tâter. Quand il devait acheter une voiture, qu’elle soit neuve ou d’occasion, il ne pouvait s’empêcher d’en frapper violemment les pneus à grands coups de pieds. Ridicule. Ridicule mais indispensable. Il fallait bien que les objets comprennent qu’il était le maître, le seul, l’unique.

Il remplacerait cette antiquité et achèterait une pendule au mécanisme plus fiable. Il en avait repéré une sur un catalogue, elle était d’une telle précision que l’annonce prétendait qu’elle était réglée pour plus d’un million d’années. Plus d’un million d’années, il se sentirait enfin en sécurité absolue grâce à un tel objet. Il la commanderait et renouvellerait l’expérience : si sa montre persistait à prendre du retard dans les côtes, alors les Suisses l’entendront !

Nouvelle hôtelière, ça continue…

Photo de Tim Savage sur Pexels.com
  • C’est au deuxième : il y a l’escalier sur votre droite, mais vous pouvez prendre l’ascenseur, au fond du couloir à gauche ».

Il a eu une légère hésitation, mais après une longue journée de travail, avec en plus cette maudite valise à roulettes à traîner s’éviter un petit effort supplémentaire est bienvenue. Au diable les discours moralisateurs de tous les nouveaux prêcheurs du bien-être.

  • Il fait chaud, je suis fatigué, ma valise est à roulettes, mais elle n’est pas équipée pour grimper les escaliers, allez hop en route pour l’ascenseur… »

Il appuie sur le bouton d’appel : la cabine est déjà là. Ce sont d’insignifiants petits événements mais qui donnent facilement le sourire.

Curieusement, quelqu’un est déjà dans la cabine. Cabine au demeurant minuscule. Deux personnes, une valise et c’est déjà presque plein. Pourtant il est écrit :  4 personnes ou 250 kg…. Le voyage sera court, pas le temps de se livrer à des calculs sur le poids moyen autorisé…

  • Je monte au second, et vous ?
  • Je vous suis.

Les quelques secondes, peut-être 15 ou 20, sont longues, très longues, trop longues. Il n’aime pas cette proximité, le contact est inévitable.

La cabine grince, ou plutôt couine pour s’arrêter. Il y a ensuite le moment toujours un peu gênant, ou s’enchaînent bêtement les formules de politesse : « bonne journée, je vous en prie, après vous… »

Ils se retrouvent tous les deux dans un couloir étroit, ou plutôt qui devient de plus en plus étroit. Au sol une moquette grise, râpée, usée.

  • Je vous accompagne, il arrive parfois que les clés ne fonctionnent pas

Il ne répond pas. Son compagnon de voyage, si tant est que monter deux étages dans un vieil immeuble du boulevard Magenta puisse être considéré comme un voyage, marche deux pas devant lui.

Il est petit, l’arrière de son crâne est plat. Comme s’il avait passé la moitié de sa vie couché sur le dos sur une plaque de béton, ou de marbre. Cette difformité, car c’en est une, est surlignée par le gras des cheveux, plaqués comme s’il ne s’agissait que d’un bloc. Le couloir est sombre. Très sombre, trop sombre…

  • La minuterie se déclenche avec le mouvement, mais vous constaterez qu’elle est un peu capricieuse…

Certes sa valise est à roulettes, mais elle accroche, il faut dire que le sol est recouvert d’une moquette, qui a dû être grise, et sur laquelle n’importe quelle roulette, aussi bien huilée soit-elle, ne peut que se bloquer.

  • Quelle numéro déjà votre chambre ?
  • Attendez- je regarde sur ma clé : c’est la 27…

Curieux quand même qu’un hôtel aussi modeste, pour ne pas dire crasseux, ait les moyens d’avoir un garçon d’étage…

Après tout, pourquoi pas ?  C’est peut-être simplement de la gentillesse. L’homme au crâne plat, s’est retourné, a tendu la main, pour attendre la clé. Il n’avait pas encore eu l’occasion de le voir de face.

Tout en lui posant la clé dans la paume de la main, il le regarde… Oh cela ne dure que peu de temps, car une fois de plus la minuterie s’est interrompue.

La chambre 27 est au bout du couloir. Il y a une seule porte au bout du couloir : celle de la chambre 27. Chambre 27, ce visage, ce visage au regard vitreux, le cheveux gras… Non il doit se tromper : ce n’est pas possible… Il a réservé cet hôtel sur une plateforme, un peu au hasard, comme d’habitude. La lumière n’est toujours pas revenue, crâne plat a ouvert la porte.

  • Je te passe devant, espèce d’ordure ça changera, pour une fois…

Un orage en février, suite…

Lisa est en retard. Trente ans que cela dure. Prévue pour la fin janvier elle est arrivée à la mi-février. Tous s’en souviennent, à cause de l’orage exceptionnel à cette période de l’année. Sa mère le lui a tellement raconté. Quand elle ferme les yeux elle croit voir les éclairs à travers les vitres de la maternité. Rose se lève, elle a peur, elle appelle parce que son bébé n’est pas là. On le lui a pris tout à l’heure il est dans la nurserie avec tous les autres.

Aujourd’hui comme tous les jours Lisa court pour attraper le bus. Le PC comme on dit dans le quartier et dans le tout Paris du transport, la petite ceinture. Elle le prend porte de Brancion. Il est bondé.  Elle ne regarde même plus sa montre, elle attend. Elle attend que le retard augmente. Elle sait que porte de Saint-Cloud son compte sera à découvert de quelques minutes supplémentaires. Ces minutes qui s’empilent chaque jour, elle ne les compte plus. Elles s’accumulent par petits paquets. Au début elle n’y prêtait pas garde. Ce n’était rien, rien que du temps qui passe un peu vite.

Désormais quand elle rentre le soir, qu’elle éclaire le petit couloir sombre, son premier geste est de s’approcher du miroir. Elle observe, elle se scrute. Il y a quelques années, quand les paquets de minutes accumulés dans les bus de banlieues étaient encore de taille raisonnable elle n’hésitait pas à s’avancer vers son reflet, jusqu’à l’effleurer. Aujourd’hui elle s’éloigne, elle ne veut pas voir les marques de ce temps qui bousculent le visage.

Elle est si fatiguée de cette course qu’elle n’en finit plus de perdre. Chaque matin elle se dit qu’aujourd’hui sera meilleur et puis tout recommence, comme avant, comme au début.

Elle a tout essayé, elle s’est soignée, est même allée voir un psychanalyste. Il n’a pas compris ce qu’elle racontait. Elle lui disait sa peur du noir de la nuit, de l’orage et lui parlait d’une mère, d’une autre mère qu’elle aurait voulu avoir. Elle lui avait parlé de sa naissance qu’on lui avait tant racontée. Il ne l’écoutait plus, il comptait. Elle avait perdu quinze jours. Il fallait qu’elle les rattrape, pour que sa mère lui pardonne cette souffrance supplémentaire. Elle se souvient, sa mère qui la presse, qui lui demande de se dépêcher, tous les jours, comme une obsession : « tu vas encore être en retard ! » Comme toujours.

Mais elle, elle veut prendre le temps, elle veut prendre le temps de déguster, de saliver. Le temps, elle aime quand il bat en elle comme un autre cœur, elle aime quand il est bien au chaud au fond de son corps. Elle veut rester là les yeux fermés à se dire que c’est ça la vie, que chaque jour est un merci. On explose d’un bonheur tout simple, on est vivant on est là au milieu des autres. Les autres qui ont un cœur qui bat. Lisa aime la bataille qu’elle livre contre le temps. Elle sait qu’elle va perdre. Il l’aura par surprise, lui laissera croire jusqu’au dernier moment que la victoire est proche pour mieux l’achever au dernier moment. Et quand elle sera prête, presque en avance, il deviendra ce cruel ennemi qui vous fabrique de l’imprévu parfois, du stress le plus souvent.

Elle est prête à sept heures quinze, mais au dernier moment elle est saisie d’une angoisse, un réflexe qui l’invite à retourner en arrière, vérifier si elle n’a rien oublié.

Elle fait le tour des pièces, se coiffe, se casse un ongle, file un bas. Il est sept heures trente. Tout est allé si vite, ce petit quart d’heure vient de lui échapper il s’est consommé tout seul, à son insu, en traître. Elle ne remportera jamais la victoire. Il restera toujours un objet, un de ces fichus objets qui la narguera au dernier moment et lui dira : « regarde-moi bien Lisa, regarde où je suis, tu ne t’y attendais pas, je sais que tu m’imaginais ailleurs, certainement dans un autre alignement, tu vois j’ai bougé et je sais que tu ne pourras pas supporter ».

Tout pourrait être simple s’il n’y avait ces objets. Elle les soupçonne d’être vivants, en cachette quand elle n’est plus là…

Et tous les matins la même histoire se répète, les quinze minutes d’avance fondent comme neige au soleil. Elle va devoir courir, comme une désespérée. Et Chronos se déchaîne, sort le grand jeu : les clés qu’elle va chercher, l’ascenseur coincé par les garnements du septième, la petite vieille au cabas qui obstrue la porte d’entrée, le passant qui lui réclame l’heure. L’heure bien sûr, l’heure qui passe et elle qui reste là le bras en l’air à chercher cette montre qu’elle n’a pas mise.

Alors, elle court, en dedans comme au dehors, elle court, elle a peur et elle pleure. Elle sait qu’elle n’aura pas le temps, plus le temps, que tout est fini depuis le jour où sa mère lui a dit pour la première fois de se dépêcher. Elle sait qu’un jour viendra où elle sera complètement avalée, digéré, tout ira si vite qu’elle ne pourra que se laisser saisir et emporter de l’autre côté sur cette autre rive où les objets vous laissent en paix et se contentent de vivre dans la plus sereine des inactivités.

Aujourd’hui elle a franchi le pas, elle sait que demain elle ne portera plus de montre. C’est inutile, elle a compris. Elle a compris que les aiguilles ne connaissent aucune limitation dès lors qu’elles ont décidé de l’essouffler. Soixante secondes par minutes disent les mathématiques, mais elle sait bien qu’il leur arrive parfois de dépasser le cent vingt, voire de frôler le cent cinquante. Elle le sait bien mais ne s’en confie à personne : qui la croirait ? Alors elle a décidé d’abandonner ces engins qui ne lui apportent que des angoisses. Elle ne se fiera qu’à son instinct, ses habitudes, elle cherchera ses repères, et si elle ne les trouve pas elle accélèrera. Comme ça elle vaincra, elle surprendra tout le monde et le soir quand elle retrouvera ses objets ils auront la surprise de constater qu’elle est à l’heure et peut-être ils ne se déplaceront plus.

Mais Lisa n’a pas prévu l’infernale conspiration des cadrans. A quartz, à balancier, mécaniques, solaires, électronique, à chaque regard qu’elle porte autour d’elle elle comprend que sa montre n’est pas seule coupable. Tout ce qui peut mesurer le défilement du temps suit la même symphonie.

Un orage en février, suite…

Et Jules doute. Il doute de tout, du réel qui l’entoure, des autres qui passent. Et cette question qui lui revient, comme un refrain, cette question que posait son professeur de philosophie au commencement de chaque cours : « et si nous n’étions que le rêve d’un papillon ». Un papillon, comme un songe, furtif, qui passe devant les yeux. Et si c’était vrai, si tout tenait dans le rêve d’un cerveau de la dimension d’une tête d’épingle. Tout lui paraît incongru, posé là sans raisons évidentes, il cherche le vrai, ce dont il ne pourra jamais douter. Il y a le soleil qui se lève, ça fait comme un début à cette histoire, à l’histoire, au rêve…Et toujours le papillon derrière chaque certitude. Jules doute : il n’y rien, rien dont il ne puisse avoir la preuve, rien à qui il puisse dire : « regarde-moi chose, objet, regarde-moi vivant et existe moi… »

La preuve, quelle preuve ont dit les autres ? Les autres : des vivants qu’il rencontre chaque jour, qu’il voit, qu’il retient pour le lendemain, pour toutes les prochaines fois où ils lui diront : « ça va Jules, ça va depuis hier, depuis tout à l’heure, depuis toujours ». Et Jules qui ne les croit pas parce qu’il doute, parce qu’il cherche comment c’est fait le vrai, parce qu’il est persuadé que chaque nuit il y a des mondes qui se fabriquent, d’autres mondes avec d’autres Jules qui cherchent, qui attendent, qui doutent.

Il en est sûr parce qu’il le fait lui-même, chaque nuit. Il sait que ces mondes existent quelque part, ailleurs, entre ses rêves et ceux d’un papillon. Alors il se dit qu’il n’y a pas de raisons de croire l’un plus que l’autre. Quand Jules rêve à cette femme qu’il aime, il dit qu’il rêve mais il sait que cette femme existe, qu’elle est dans un vivant ailleurs, il sait qu’elle n’est pas plus fabriquée que lui. C’est peut-être elle qui rêve, elle qui l’existe, elle est peut-être le papillon qui passe devant les yeux, et qui pose un songe comme une goutte de miel au creux de son histoire.

Tout est si compliqué quand on ferme les yeux, il y a les lumières, en boule, qui roulent de droite à gauche, et qui changent de direction quand on s’appuie sur les tempes. Tout est si compliqué et on parle si peu. Le « j’ai bien dormi » n’existe pas dans le langage de Jules, il ne sait quand il a dormi, il ne sait qui a dormi.

Il a mal à la tête de se poser des questions qui se cognent au mur de ce qu’il croit être son ignorance. Il doute Jules, il doute de tout et même de ses doutes, il veut bien croire au possible, se dire que le vrai est tout près, là, et qu’il n’y a rien à dire, pas de questions, des certitudes, c’est tout. Ce serait bien, si c’était ainsi, tout droit avec personne en travers, le temps qui coule comme un fil qui se déroule.

Le temps :  chaque fois qu’il dit ce mot Jules hésite, c’est si complexe un mot comme celui-ci, un mot qui va avec les nuages, le soleil, les pendules, un mot qui accompagne la pluie et les rides, un mot qui ne va jamais seul, toujours à s’adjoindre des adjectifs météorologiques, toujours à accompagner des verbes pour vieillir, des verbes pour mourir. Jules est persuadé que ce n’est pas un hasard que le mot soit le même pour désigner la vie qui fait mal quand elle passe et le ciel qui s’agite chaque matin. Lui, il sait que le temps, quand il est à l’orage, quand il est mauvais ça lui trouble son temps à vieillir, son temps machine à fabriquer des secondes pour ajouter à sa série. Il sait, mais il ne peut pas expliquer et encore moins comprendre.

Alors il ne dit rien Jules. Et il fait des choses que personne ne pourrait comprendre parce qu’elles semblent inutiles, les autres ils aiment quand c’est rentable, quand on peut raconter aux autres ce qu’on a vu, entendu et compris.

Parfois Jules il regarde les autres qui dorment. Et il aime ça Jules les autres qui dorment, surtout quand il s’agit d’une fille. Quand il trouve une fille, quand elle accepte parfois d’aller dans un lit avec lui, il attend le moment où il la verra dormir. Il est persuadé qu’alors il se passera quelque chose, qu’il n’en sera pas exclu. Il en a passé des mi- nuits à observer, à attendre le sommeil de quelques belles, jusqu’à espérer qu’il se passe quelque chose, un malaise, un questionnement. Parfois ça marche, mais souvent rien, comme une bête à contempler, étendue de chair, inerte, à peine soulevée d’une inspiration.

Une nuit, c’était en Juillet, il a vu. Elle n’était pas belle comme les autres, elle n’était pas celle dont les chasseurs de femme aiment à se vanter, elle n’était pas celle qu’on couche sur papier glacé pour montrer aux légionnaires de passage. Elle n’était pas belle, elle était autre, il n’y avait rien à dire de son corps, de cette enveloppe à laquelle on passe tant d’énergie, c’était un corps en attente d’amour. Elle était de celle qu’on ne drague pas parce que ce mot est mécanique, qu’il ressemble trop à racler, elle était de celle avec qui on vit dès qu’on la rencontre. Une histoire, une force, une beauté qui ne perd pas de temps à utiliser de mots.

Il l’avait rencontrée sortant d’une pharmacie, les larmes aux yeux. Leurs regards s’étaient arrêtés, avaient abandonné les nuisances environnantes. Elle pleurait, il le voyait, il savait déjà et elle l’écoutait lui dire qu’elle était triste et qu’elle ne s’en cacherait pas. Il faisait lourd, elle était triste.

Elle était triste, il ne saurait jamais pourquoi, c’était une histoire de l’ailleurs, en dehors d’eux et il l’aimait déjà avec sa douleur. Il lui avait effleuré la joue du revers de la main, comme pour sécher ses larmes, elle avait penché la tête dans un geste de merci. Il lui avait proposé un verre, une menthe fraîche, bleue pour que ça frissonne dans le corps. Il lui avait parlé de cette journée qui s’étouffait dans une fin d’après-midi ridicule, lui avait dit qu’aujourd’hui était effaçable jusqu’à cet instant où il l’avait vue, comme une tâche de vrai sur le convenu de l’été.

Il en avait marre de cette journée, du soleil de la ville où tous sourient béatement parce qu’il paraît que ça sent les vacances. Il en avait marre de ces hommes de l’été qui étirent les jambes sur les terrasses, lunettes sur le front pour croire que tout va bien, que demain ils auront du sable au fond des espadrilles et de la crème solaire agglutinée entre les orteils. Lui il s’en fout, il veut qu’il se passe autre chose qu’une accumulation stupide de vivants volés au rêve.

Quand il l’a vue, il a su qu’il lui faudrait douter, elle sortait, tâche de gris avec des larmes au milieu du multicolore des estivants sédentaires. Elle boit sa menthe en reniflant et n’a encore rien dit. Elle est heureuse. Il lui dit, et voudrait qu’elle ne réponde jamais, qu’elle laisse faire ses yeux. Plusieurs fois leurs doigts se sont touchés, puis leurs jambes sous la table. Les autres sont étirés, pâtures solaires, eux sont à l’ombre, à l’intérieur dans un bar à l’automne éternel, ils se sont regroupés, rassemblés autour du rien, autour d’un bonheur si simple. Doucement il lui dit qu’il a envie de la tenir dans ses bras, de la serrer, de l’embrasser, de l’aimer, ce soir, cette nuit, demain, toujours, jamais, nul ne sait. Elle ne s’étonne pas, leurs effleurements sont plus insistants.

Seuls au monde, autour d’eux comme une bulle, comme une gangue de froid. Ils sont bien, un bonheur facile, il la prend par la taille, elle est petite. Elle pose sa tête contre son épaule, la chaleur les oublie et les autres aussi.

Ils vont chez lui. Elle le regarde ouvrir une bouteille de vin blanc, désespéré dans chacun de ses gestes, comme s’il cherchait à retenir des larmes. Elle le lui dit : « on dirait que tu vas pleurer, qu’est ce qui te rend si triste ? »

La bouteille est ouverte, le vin est bon, il est fruité, c’est un vin qui réjouit. Elle sourit. Il lui explique, sa vie, le doute, il lui dit qu’il hésite, les larmes, la joie, c’est si proche. Il ne sait pas ce qu’il vaut mieux. Il est bien dans les deux, il a la gorge qui se serre. La joie ou la douleur ça améliore l’ordinaire du visage.

Il lui dit qu’il l’a trouvée belle, tout à l’heure, belle à pleurer, sortant de ce lieu où l’on répare les souffrances. Il ne lui demande rien, il ne veut rien savoir.

Elle ne veut pas mentir à toutes ses presque questions, et elle se lève, boit une demi-goulée. Elle est debout, là, tout contre lui, il sent toute cette vie dans son corps comme un bouquet de palpitations. Il l’écoute vivre, il l’aime déjà et le lui dit, elle lui caresse la nuque, il pleure, c’est bien, c’est bon. Il a envie d’elle, le lui dit presque discrètement, déçu d’être obligé de passer par des mots, déçu que ça se fasse comme ça, qu’il n’ait pas réussi à émettre quelque chose de nouveau, de neuf pour qu’elle le suive, qu’elle l’aime si fort.

Elle est immobile.  Il lui caresse les paupières, les joues, le creux des épaules. Il cherche tous ces lieux que les autres oublient, négligent. Elle frémit, elle veut qu’il entre en elle, elle a envie de lui, le lui dit très fort. Il l’entend, et s’entend lui répondre qu’elle est belle. Elle sourit à pleines dents pour lui montrer qu’elle a compris qu’il est un autre, qu’il ne fera jamais rien normalement. Ils font l’amour plusieurs fois. Elle s’endort. Elle s’endort et Jules est là pour la regarder pour saisir le magnifique moment où elle entre dans ce mystère qu’il ne comprend pas.

Jules est triste, comme souvent, après de l’amour, comme souvent après de la vie à deux, à plusieurs, avec des sourires, avec des corps et des caresses sur les peaux qui se touchent et se parlent. Il dit qu’il est triste parce que c’est le mot qui lui vient, parce que c’est le mot qu’on propose pour définir l’état dans lequel il se trouve, là, maintenant.

Alors Jules, se dit que c’est le mot qui va le mieux, triste ça va bien avec « gorge nouée », avec « regard vide et gris », il le prend en enduit toutes ses paroles et ses regards aussi. Les deux doivent aller ensemble…

Bouée…

L’homme est courbé,

Son dur regard racle le sol.

Lever les yeux ?

Il ne le veut pas,

Il ne le peut plus.

L’homme est triste,

Il marche

Sur le fil gris de la peur.

Il tire sur les manches de la douleur,

Soudain,

Merle siffle ;

L’homme déplie un bout de sourire,

Essuie la buée de ses larmes bleues,  

Bouée est là, ronde et fleurie.

Elle est pour lui

Il la serre,

Tout est fini.  

24 avril

Un orage en février, suite…

Jules se souvient de tous ces lendemains qu’il attendait, avec l’espoir qu’ils signifient autre chose qu’un jour qui commence. Il se souvient de toutes ces femmes qui l’ont quitté sans l’avoir accepté, sans avoir compris ce qui pourrait les retenir. Toutes ces femmes qui ne comprennent pas l’orage, qui se ferment aux premiers grondements et lui qui s’ouvre, qui attend que le premier éclair frappe.

Aujourd’hui il n’a pas de mémoire, il a bien plus, il a Lisa. Elle est là quelque part, il ne se souvient pas mais sait qu’elle existe. Elle est derrière un de ces murs auxquels il se heurte toutes les nuits quand il cherche le passage.

Lisa, elle n’existe pas, elle est une ombre qui attend que son soleil la rappelle. Lisa comme une ombre de midi, quand il fait si chaud qu’on économise le moindre geste, pour faire des réserves quand le soleil nous laisse enfin en paix.

C’est avec elle que tout a commencé. C’est avec elle qu’il a connu son premier orage. Il a un fragment d’elle au fond de lui. Il le lui a pris il y a longtemps. Il se souvient, quand il s’endort, quand le temps est lourd, quand les corps sont moites, elle est là, il l’entend, elle s’approche. Ça fait comme une pluie légère, une pluie timide qui hésite à fabriquer de la flaque. Il ferme les yeux et le noir de derrière est adouci par les couleurs qui entrent, des couleurs qui le caressent, qui lui disent de s’endormir. Quand il s’assoupit, quand il a enfin trouvé le passage, qu’il sait être arrivé au pied du dernier mur, il entend le bruit de cette mécanique, une machine qui rugit, une voix d’homme qui s’éloigne.

Et puis quand il s’enfonce encore plus profond, dans le sommeil, c’est une voix frêle, douce comme une litanie qui lui caresse les tempes. C’est une voix qui tremble, qui pleure, qui appelle.

Jules en a marre de ces épuisants voyages nocturnes. Ils se terminent toujours au même endroit, c’est un lieu gris, il le sait, il le sent, mais le matin c’est fini, il n’y a plus rien, il est seul. Il faudrait qu’il en parle, il faudrait qu’il raconte, qu’on lui tienne la main un soir d’orage. Il faudrait que tout cela cesse, il faudrait qu’il puisse vivre comme les autres.

Jules est comme dans un rêve. Il y a tout à l’heure, ce qui s’est passé, il se souvient. Et Jules doute. Et là, il est seul à se poser les mêmes questions, celles de l’existence, celles du vrai auquel on croit si fort parce que les autres en font partie. Mais Jules il doute de plus en plus. Depuis qu’il est né il y a ces moments où rien ne fonctionne. Il doute, il ne sait pas si c’est lui qui est déréglé ou si c’est les autres. Il a cette sensation très pénible de vivre une autre histoire de la regarder de l’extérieur avec les yeux d’un témoin.

Il est un zappé, il est un écran sur lequel les autres, font défiler une suite d’histoires qui ne le concernent pas. Il passe de l’un à l’autre et quand on le rejette lorsqu’il comprend qu’il est un inconnu il ne se met plus en colère et n’est même plus surpris. Il a fini par s’habituer, par se dire que la vie c’est ça, ce zapping, ce passage d’un monde à l’autre. Il est comme un acteur qui passe d’un personnage à l’autre. A chaque fois il se sent bien, c’est nouveau, le regard des autres lui permet d’exister au moins pour un court instant. Et puis il faut passer à autre chose, un autre rôle.

Il se dit aussi que l’existence c’est peut-être mieux ainsi, une addition, une accumulation hétéroclite de petits bouts, de tranches de vie. Sa seule erreur est de s’attacher de trop vouloir en profiter, jusqu’au bout même quand le rideau est baissé.

Un orage en février, suite…

Jules aimait l’orage. Quand les premiers éclairs embrasaient le ciel, il sortait et attendait. Les premières gouttes étaient les meilleures. Chaudes, garnies d’odeurs, quand elles le touchaient, il frémissait.

Aux premiers grondements de tonnerre, il frissonnait. Il ne savait plus où donner des sens. Il aurait voulu s’inventer une partie du corps qui puisse voir, sentir, entendre et toucher. Tout en même temps. Il aurait voulu être le prolongement de cette terre qui le soutenait. Et rester nu, sous la pluie battante, sentir l’eau du ciel contre sa peau, en voyage vers le sol.

Mais il ne fallait pas, il y avait les autres. Il y avait la peur. Il y avait ceux de derrière les carreaux. Ils ne supportaient l’eau que lorsqu’elle circule dans des tuyaux, qu’elle se mélange aux savons aux odeurs inventées. Ils l’auraient cru fou, définitivement.

Ce soir Jules se souvient de tous ces soirs d’été. Sa mère, Paulette, la Paulette comme l’appelait les voisins, qui hurlait quand il s’échappait. Elle ne l’entendait pas expliquer qu’il aimait quand les nuages roulent, qu’ils se rencontrent, se heurtent à pleine vitesse.

Il se souvient de l’herbe. Il s’y roulait, juste avant la pluie, quand elle attend, quand elle s’apprête à recevoir des armées de gouttes. C’était une herbe coupante, recroquevillée, comme un tapis avant le combat. Il se couchait et fermait les yeux. Alors « son père » le ramenait à la maison. Sans gifles, ni remontrances, pire que cela, avec le regard désabusé de celui qui n’y peut rien, qui ne peut pas se battre et qui ne dit rien. « Son père », Jules essaie une fois de plus de prononcer ce mot : père, et rien qui ne se passe. Il essaie autre chose, son père, mon père, toujours rien, un mot sans chair, un mot sans rien, un mot mort pour les autres, pour ceux qui parleront de lui, un jour, comme de celui qui était sans père. Il y avait bien cet homme qui soupirait quand leurs regards se croisaient, cet homme qui ne le détestait pas, cet homme qui ne l’ignorait pas, mais qui ne le comprenait pas. Il n’avait pas de père, il n’en avait un que le temps d’un éclair, le temps d’un orage, un père pour le lancer dans cette vie qui ne voulait pas de lui.

Jules est seul. Quand il est seul, il ne fait rien d’autre que se souvenir et attendre. Il se souvient des autres, toujours en avance, il se souvient des reproches de ses maîtres. La lenteur est un désastre dans un monde où il faut toujours avoir fini pour espérer autre chose. Aussi loin qu’il se souvienne, Jules aime s’attarder sur le début. Il aime quand tout commence, il aime les préparatifs, les avant projets. Dès qu’il entre en action il est saisi de nostalgie. La peur de finir, la peur d’être au bout, de ne plus rien commencer.

Les autres, Jules pense qu’ils ont peur, peur de rater, ils se pressent d’aller voir ailleurs. Jules ne veut pas s’éloigner. Il veut prendre le temps. Il veut savourer le merveilleux instant où tout est comme ces premières gouttes de pluie qui vont à la rencontre du sol d’été. Après, quand tout est trempé, quand tout est devenu une bouillie indéfinissable il n’éprouve que lassitude ou angoisse.

Quand il était enfant, le médecin blâmait sa mère : « il ne se développe pas assez rapidement, il est en retard pour son âge ! ». Ces reproches loin de l’effrayer ou de le vexer le laissaient indifférent. Il éprouvait une certaine fierté se jugeant inspiré à prendre le temps de ne pas se métamorphoser en grand dadais boutonneux en partance vers le bout, vers la fin.

Mais aujourd’hui, on ne dit pas qu’il fait plus jeune que son âge, on prétend qu’il est pâlot, distant, bizarre même.

Ce soir il marche depuis deux heures déjà. Tout à l’heure, sa vie a basculé, une fois de plus. Tout à l’heure est survenue une nouvelle erreur de son existence. Il s’est trompé, on l’a trompé, il ne sait pas. C’est sans importance, le résultat est identique.

C’est une erreur, alors il marche vers quelque part, en silence, parce qu’il est seul et qu’il regarde le ciel. Le ciel ne ment pas.

Il se souvient de cette fois où sa mère ne l’a pas reconnu. C’était sa mère, il le pensait, le voulait, il l’avait choisi à cet instant.  Elle l’a chassé, parce qu’elle avait peur, qu’elle ne comprenait pas qui il était, « une erreur, une erreur » disait-elle, « vous êtes une erreur ». Alors il était parti, sans insister, parce que c’est ça l’existence. On vit, on passe, on revient, on se trompe parfois. Il se dit souvent que ce qui lui arrive n’est pas extraordinaire. Il est inutile qu’il s’étonne. Ça lui arrive. C’est ainsi, il est inutile de se battre. Et il part, il recommence, chaque fois.

Sa mère ? Quelle importance, un souvenir d’elle, si faible, une plaque de brouillard collé au reste de la mémoire. Sa mère, une mère, il cherche comment accompagner ce mot devenu absurde quand il oublie que le sourire est aussi une terminaison pour la grammaire de la tendresse. Sa mère, une mère, maman, une femme qu’il voit et elle est elle. Elle est celle qu’il choisit aujourd’hui et ces yeux le lui disent, je veux être ton fils pour t’entendre ne me dire rien, pas grand-chose, ou alors du si simple, comme une caresse qui effleure la joue.

Sa mère une fois, ou d’autres, il ne sait pas ne se rappelle pas. Les images deviennent visage. Une fille, comme on dit quand on est avec les autres. Une fille, elle est jolie. Jolie, c’est bon de dire ce mot. C’est comme un sourire qu’on fabrique avec la voix et il s’envole jusqu’aux regards et la fille le regarde, elle est ronde, son regard est rond, on lui dit qu’elle est étonnée, ou qu’elle a peur, parce que Jules il sourit, et il dit : « tu es jolie, je te serre contre moi et je respire tes cheveux, comme du foin, je me roule dans ton odeur de fille jolie »  et la fille est partie, elle aime pas le mot joli, pas quand il est dit par Jules, elle le digère mal et Jules le comprend.

Plein de filles à qui il a dit son amour, son amour de l’instant, il les connaît, il les a dans la tête, c’est comme ça, ils s’approchent d’elles et il a les yeux qui leur ouvrent tout son en dedans. Mais les filles, les jeunes, les jolies, celles qu’ils voient comme des mères parce qu’elles ont moins peur, elles le repoussent, gentiment, du regard qu’elles ne lui offrent pas, elles ne le voient même pas, elles continuent, et gardent tout cette beauté pour d’autres histoires, pour d’autres aventures.

Les autres ne l’existent plus.

Un orage en février, suite…

Jules ne s’y retrouve plus dans ses souvenirs. C’est comme un puzzle. Plusieurs milliers de pièces : on agite, on manipule, on remue et chaque essai pour retrouver le sens se termine par un échec. Jules déteste les puzzles. Il déteste tout ce qu’il faut classer, trier, regrouper par catégories. 

Jules aime ce qui dérange l’ordre des autres. Jules aime ce qui n’a ni début, ni fin. 

Jules aime ce qu’il appelle la beauté du désordre poétique. Les objets sont heureux des espaces qu’on leur laisse. Jules aime les objets quand ils vivent, quand ils sont libérés des contraintes du rangement où la seule règle admise est la perpendicularité.

Jules a mal à la mémoire. Depuis le plus jeune âge, il essaie de trouver le fil, remonter au début, là où tout a commencé. Il cherche l’endroit mystérieux, magique où la première histoire s’est enregistrée : son histoire, le commencement de son histoire. Il essaie de se frayer un passage. Parfois il trouve des voies, rencontre des obstacles, parfois des chemins dégagés et c’est comme un courant d’air frais qui lui entre dans la tête. C’est comme quand on vit, on sent qu’on y est, là dans le vrai, dans le souffle d’un cœur qui bat, si fort, si beau.

Le plus fréquemment c’est aux murs qu’il se heurte, les hauts murs dont il ne distingue pas la cime. Alors dans son demi-sommeil, il recule, il revient, perd le fil et s’endort avec l’espoir d’une issue, d’une réponse, dans un rêve. Et chaque matin c’est la même chose, c’est une pagaille effrayante, pas de logique, pas de bout, pas de commencement : il n’y comprend rien : comme s’ils étaient plusieurs à rêver aux carrefours de plusieurs vies.

Jules n’a pas de mémoire, il en a plusieurs. Elles s’ajoutent et se mélangent. Elles ne lui appartiennent pas, il les a empruntées à d’autres. Toujours au même moment, toujours à cause de l’orage. Il essaie de le croire, il y a tant de choses dans sa boîte à images, tant de traces laissées par d’autres vies. Certains appellent cela les rêves, ces histoires qui s’invitent la nuit. Jules ne croit plus à cet imaginaire-là, il est sûr que ce qui arrive dans sa tête c’est de l’existence, c’est de la vie qui s’est imprimée. Elle est entrée là chez lui au contact des autres.  Jules est tellement seul. Quand les autres le touchent quand il y a de l’orage ça fait comme une décharge. Les autres se vident, ils se vident en lui. Jules a de la place. Il a tellement d’espace à offrir. Jules ne veut pas croire aux rêves qui se fabriquent dans l’inconscient. Ce qu’il voit Jules quand il dort, quand il ferme les yeux, quand il attend, ce qu’il voit, c’est du vrai, avec des gens qui se parlent, avec des cris, des pleurs, des sourires. Il ne parle pas de ses certitudes, il n’en parle pas parce qu’il sait déjà qu’on le prendra pour un malade, pour un fou, pour un de ces originaux qui veut qu’on le remarque. Il n’en parle pas et n’en a pas besoin, c’est plus simple comme cela, il se dit que ce qu’il croit, n’est pas plus absurde, n’est pas plus improbable sur le plan scientifique que cette histoire de rêves.  Et puis l’orage, les orages c’est toujours du vrai, c’est rarement dans un rêve parce que ça réveille, parce qu’on le regarde les yeux grands ouverts avec les poings qui se serrent et les lèvres qui se pincent.

L’orage comme un rythme. L’orage avec la lumière venue de nulle part avec le bruit, le grondement, qu’on compte. Le premier orage, il ne s’en souvient pas mais quand il cherche, dans toutes ses mauvaises nuits, il le sent, il le sait, il l’entend, il est derrière ; derrière ce bout où il bute tant et qui lui remonte d’un quelque part, et Jules commence ses phrases, presque toutes par je me souviens. C’est un rite.

Les orages, Jules en a connu tant. L’orage et les autres qui lui entrent dans la tête au premier coup de tonnerre

Les autres, comme des parasites. Comme des insectes qui pénètrent le bois, c’est la nuit qu’ils s’éveillent, alors ça grince, ça craque et on sent l’angoisse qui serre les gorges sèches.

Et ça lui fait mal ces bouillies d’histoire qu’il n’a pas voulues et qui lui colonisent l’esprit. Il lui arrive de ne plus savoir si ce qu’il voit existe. Ailleurs, dans les espaces qu’il ne connaît pas, ici dans le fouillis de cette vie qui est la sienne. Peut-être, tout est confus. Confus comme les images qui défilent quand ils ferment les yeux les soirs d’orage. Il ne voit pas les visages, il les ressent, chaque regard que les autres ont porté sur lui est là, il s’additionne et ça lui brûle les entrailles, les os lui font mal.  Soudain il est si lourd, lourd de tous ceux qui l’habitent et qui l’agitent.

La vie, quand Jules essaie d’en parler, il a une boule qui se forme dans la gorge. Sa vie, celle des autres, la vie, il ne sait pas par où commencer. Depuis toujours il pose des questions que d’autres n’imaginent même pas. La vie, le bonheur, les autres, et la souffrance : parfois comme un ciment, comme un trait d’union entre les moments qui, quand ils s’ajoutent, fabriquent du temps. Jules, il est comme beaucoup, il ne sait pas ce qui le rendra heureux demain, il est comme les autres mais lui il le dit, il le vit. Alors il a le regard qui se plisse, les dents qui se serrent, les mains qui se crispent et il attend. Il attend les signes de ce qui lui donnera des sourires.

Jules il dit que la vie, il faudrait qu’elle lui appartienne pour qu’il soit bien, il faudrait qu’elle soit à lui, rien qu’à lui. Il dit qu’il voudrait décider seul de comment il la partagera, comment il la construira. Et quand il dit qu’il veut partager la vie, sa vie, il ne voit pas ça comme un gâteau qu’on diminue, il ne voit pas ça comme une séparation, mais comme une union.

Et puis dans sa vie, Jules il aime les émotions et les mots qui vont avec, des mots qu’il choisit. Les autres, beaucoup d’autres, les femmes surtout, lui disent que « ce ne sont que des mots » alors lui il serre les dents, encore, et ne dit rien. Il a mal. Il a mal et en a marre des autres qui sont dans le réel parce qu’ils ont un pouvoir sur les objets ou sur les corps. Il n’en peut plus de ces réalités de convenance, lui il aime s’émouvoir et le dire, il aime tout ce que ses sens lui apportent et il veut en parler.

Jules aime lorsque les définitions n’existent pas, lorsqu’elles se refusent au mariage de raison entre le vivant et l’écrit immobile, il veut que le poids des dictionnaires ne soit plus qu’un mauvais souvenir et découvrir en feuilletant les pages que soudain le mot qu’on cherchait hier n’y est plus, qu’il s’est échappé ailleurs dans un autre ordre, dans une autre règle. Jules aime se persuader qu’il y a peut-être un doute quelque part et que dans quelques jours ou dans mille ans le petit Larousse ne s’utilisera plus comme un objet, comme  un de ces ustensiles qui nécessitent un mode d’emploi, il sera tout autre, il respirera, il entendra, il ressentira et alors quand les Jules de demain, les comme lui qui souffrent de ce qui est défini et définitif pourront caresser le livre et lui demander avec tendresse ce que veulent dire les mots peur, ou amour ou orage ou flaque  alors il posera l’oreille tout contre la couverture et entendra peut-être un chant d’oiseau ou alors d’espoir ou les deux parce que cela va ensemble et les lettres ne seront plus alphabétiques, elles seront virevoltantes, elles seront tremblantes ou troublantes. Et Jules fermera les yeux. Il sera bien…

Jules se souvient de toutes ces souffrances d’adolescent, toutes ces souffrances qui s’inscrivent dans le marbre des souvenirs. Les filles, les premières filles qui sont radieuses devant toutes les mécaniques, celles des épaules et celles des engins à moteurs. Et celles qui sont en admiration devant les déhanchements de jeunes séducteurs qui partent en chasse sur les pistes de danse avec un appétit de fauve. Lui Jules, il a les épaules frêles, frêles et boutonneuses, alors ils les rentrent en dedans, lui n’a pas de moto, ni de mobylette, il marche, le regard en l’air à attendre un signe d’orage. Et les mots se bousculent, ils lui inondent le cerveau avant la pluie. Cette pluie qu’il a en lui, depuis toujours.

Jules était si mal en ces moments-là, en ces moments de rien où il ne comprenait pas. Lui il aurait voulu raconter aux autres, aux filles surtout la beauté du gris de l’orage quand il se prépare à frapper.

Il aurait voulu raconter ce qui se produisait dans son en dedans, il cherchait les mots qui peuvent aller avec.

Inspiré, respirez…

Après quelques jours d’une longue panne sèche, tout doucement par la fenêtre ouverte l’inspiration est revenue…

Besoin d’écrire,

Inspire, respire…

J’ai le souffle moins court,

Les mots sont là :

Ils reviennent de ce si loin,

Rimes des presque rien.

Je les entends,

Ils approchent,

Efflanqués, allégés

De leurs graisses académiques.

Inspirés, étonnés,

Sur le long fil de nos mémoires abîmées,

Ils étaient là,

Prostrés dans l’attente,

D’une plume de rosée.

Le presque soir aux reflets bleus

Est arrivé,   

Une fenêtre de papier

S’est ouverte à la page ridée

Marquée,

De tous ces hivers

Emplis de nuits.  

Aujourd’hui,

C’est le début du fini,  

L’oubli est enfoui.

J’inspire, je respire.  

21 avril

Un orage en février, suite…

C’était il y a trente ans ou un peu plus. C’est un bout de leurs débuts. Un petit bout, l’autre commencement du même début.

Elle est arrivée en avance, vêtue de peu. La chaleur et l’habitude. Il faut gagner du temps, elle ne supporte pas les mains qui hésitent, humides et maladroites. Il lui faut du rapide, de l’envoyé. Celui qu’elle a rencontré hier est un dur, un viril. Elle l’a repéré au premier coup d’œil, dès qu’elle est entrée dans l’atelier. C’est un chef d’équipe. C’est lui qui l’a accueillie. Il avait un regard pour vous déshabiller. Avec elle c’est inutile, sous sa blouse, il n’y a presque rien. C’est l’été, elle aime se sentir presque nue. Il ne lui a pas fallu longtemps pour comprendre qu’elle n’était pas du genre à se contenter de regards platoniques. Alors quand la journée s’est terminée, il l’a invitée à boire un verre, pas loin, juste à la sortie, un vieux bistrot, avec des gars en bleu, de la fumée, une odeur de vieille friture et un air de variété qui s’échappe de la pièce du fond. Elle a pris comme lui : un Ricard. Ils sont debout, au bar. Il la regarde. Il vérifie, tâte du regard, de haut en bas. Il n’a pas grand-chose à raconter, demander d’où elle vient, son âge, ses goûts il s’en fout. Il n’est pas là pour les mots, il voit bien qu’elle est prête elle aussi. Elle répond en hochant la tête, son allure est nonchalante, on sent bien, rien qu’à la voir, qu’elle aime l’amour, pas celui qui rime avec tendresse, non celui avec les mains qui fait crier et laisses-en sueur.

Elle n’est pas bavarde. Elle observe ses mains, elles sont immenses et épaisses. Il pourrait faire le tour de sa taille. Des mains d’ouvriers, des mains d’homme, jamais malades. Des mains qui entrent dans la vie avec un appétit féroce.  Il lui propose de venir chez lui le lendemain soir. Il a la télévision, ce n’est pas courant. Ils la regarderont tous les deux en buvant une bière glacée. Elle ne dit pas non.  Pour la télévision, pour ses mains. Elle s’en va, clin d’œil déhanché, gourmand, il fait chaud. Il commande un deuxième Ricard. Il a envie d’elle. Demain soir.

Il a ouvert la porte et elle est entrée sans hésiter. Il est en maillot, il sent le bon, le frais de la douche. Elle est toute molle, moite aussi, c’est la chaleur, l’orage bien sûr, mais il y a le désir aussi. Elle y pense depuis hier soir. Elle veut que ça commence, vite, être contre lui. Il faut qu’elle le sente avec le bout des doigts, qu’elle l’effleure pour qu’il frémisse et quand il sera à point, elle appuiera un peu plus, elle le caressera plus fort, plus proche du frottement et pour finir, pour l’achever, pour lui porter le coup fatal, elle se collera contre lui, elle mélangera sa peau à la sienne pour qu’il ne soit plus qu’un et alors il entrera en elle pour terminer le travail. Lui, il n’est pas si pressé, il est fier de montrer sa machine à images, sa télé, elle trône au centre de la pièce. L’un des murs est constellé de pâles étoiles du cinéma français qu’il a soigneusement découpé dans des magazines pour salles d’attente. Elle n’en connaît aucune, le cinéma elle ne s’y intéresse pas, du moins pas aux images qui défilent et aux histoires qui se racontent, au cinéma ce qui l’attire, ce sont les mains d’hommes qui naviguent dans le noir et qui accostent parfois sur des bords de peau qu’elle offre volontiers. Il s’est affalé sur un divan en skaï, rouge comme un mauvais vin de table et lui fait signe de s’approcher. La télé est trouble, ce doit être l’orage, il lui explique que cela perturbe la circulation des ondes, on distingue des chanteurs, mais on les entend mal, on dirait qu’ils bourdonnent tous sur le même air. Il est essoufflé, peut-être la fatigue de la journée, ou le désir qui monte, qui grossit lui aussi, comme l’orage dehors. Il y a deux bières sur la petite table recouverte d’une vitre sous laquelle sont incrustées quelques horribles cartes postales. Elle est fraîche la bière, elle se boit sans verre, pour qu’on la tienne à pleines mains, qu’on sente le contact du froid sur le verre. En quelques goulées elle est bue, la chaleur fait comme une coque dans laquelle flotte une bulle de frais. Elle s’étale sur le rouge du canapé, sa robe est légère, à la limite de l’inexistence, ce n’est pas du tissu, on dirait un voile, un souffle sur la joue. Quand elle s’est assise, l’étoffe s’est soulevée, envolée, elle a les cuisses découvertes, des cuisses simples, sans artifices. Le galbe, elle s’en fout, elle bouge tout le temps, elle sent la chaleur qui monte et l’humidité qui entre en elle. Ça lui fait comme une pression sur la poitrine, comme si le souffle allait se couper. Dehors l’orage a commencé. La pièce est sombre, seule la télé résiste, comme un îlot de lumière. Il se tourne vers elle, plusieurs fois, elle a son genou qui touche sa jambe, plusieurs fois. Elle bouge tout le temps. Son maillot est bleu, si bleu qu’il l’illumine. Le tonnerre gronde, elle s’en moque de cette télévision alors elle déboutonne le haut de sa robe : « il fait chaud chez toi… ». Son sein ne se devine plus, il jaillit, libéré, il le saisit, sa main est grande mais il la lui faut toute. Il aime cette sensation, ça colle un peu : la sueur, le bout est frais, si dur, il se tourne sans rien lâcher, elle est déjà sur le dos, ouverte, en attente. Il entre en elle, vite, c’est facile, elle est entièrement offerte, elle a sorti un mouchoir de son sac : « tu te retires avant la fin, je ne veux pas de petit… » C’est tout, elle est entraînée par le rythme des éclairs, elle a le bassin souple, la pièce est toute noire, à chaque jaillissement de lumière il accélère un peu. Ses grandes mains sont sous ses fesses, il la pétrit, elle est pliée au niveau du bassin. Il est fort, comme elle aime, elle le sent, ça lui fait mal, elle râle, c’est si bon. Et puis un éclair plus vif, plus long comme un éblouissement et le roulement qui suit est terrible, la télé s’est tue, elle crie, c’est si bon la peur mélangée au désir, elle lui griffe le dos, il se secoue, il est en elle si profond que ça lui fait du mal, il ne s’est pas retiré, c’est si bon, elle a la main qui pend au bord du canapé, le mouchoir est à terre. Elle jouit. Quatorze juillet, Paulette est enceinte.

Paulette est enceinte et Jules attend Lisa.

Mes Everest : la vie c’est quoi, Aldebert

Je ne connaissais, mais j’ai eu un vrai coup de cœur pour ce texte…

C’est quoi la poésie ? C’est une épuisette à étoiles…

C’est quoi la musique? C’est du son qui se parfume
C’est quoi l’émotion? C’est l’âme qui s’allume
C’est quoi un compliment? Un baiser invisible
Et la nostalgie? Du passé comestible
C’est quoi l’insouciance? C’est du temps que l’on sème
C’est quoi le bon temps? C’est ta main dans la mienne

C’est quoi l’enthousiasme? C’est des rêves qui militent
Et la bienveillance? les anges qui s’invitent
Et c’est quoi l’espoir? Du bonheur qui attend
Et un arc-en-ciel? Un monument aux vivants
C’est quoi grandir? C’est fabriquer des premières fois
Et c’est quoi l’enfance? De la tendresse en pyjama

Mais dis, papa
La vie c’est quoi?
Petite, tu vois
La vie, c’est un peu de tout ça, mais surtout c’est toi
C’est toi

C’est quoi le remord? C’est un fantôme qui flâne
Et la routine? Les envies qui se fanent
C’est quoi l’essentiel? C’est de toujours y croire
Et un souvenir? Un dessin sur la mémoire
C’est quoi un sourire? C’est du vent dans les voiles
Et la poésie? Une épuisette à étoiles

C’est quoi l’indifférence? C’est la vie sans les couleurs
Et c’est quoi le racisme? Une infirmité du cœur
C’est quoi l’amitié? C’est une île au trésor
Et l’école buissonnière? Un croche-patte à Pythagore
C’est quoi la sagesse? C’est Tintin au Tibet
Et c’est quoi le bonheur? C’est maintenant ou jamais

Mais dis, papa
La vie c’est quoi?
Petite, tu vois
La vie, c’est un peu de tout ça, mais surtout c’est toi
C’est toi

Dans tes histoires, dans tes délires, dans la fanfare de tes fous rires
La vie est là, la vie est là
Dans notre armoire à souvenirs, dans l’espoir de te voir vieillir
La vie est là, la vie est là

Un orage en février, suite…

C’était il y a trente ans ou un peu plus. C’est un bout de leurs débuts. Un petit bout, un commencement de début.

Au premier éclair il l’a dévêtue. Elle est brune. Un noir qui s’incruste. Elle a les yeux qui interrogent, des yeux qui dérangent tant ils cherchent le regard de l’autre. Lui ne la voit pas, il cherche à la rendre nue. Il veut la prendre. Son corps est en sueur, un corps qui sent la journée de travail. Une odeur pour femme seule, qui rêve d’un homme qui la serre. Il ne l’aime pas, il veut simplement la posséder. Posséder, c’est le mot qu’il aurait choisi. Il en assez d’attendre, de l’attendre, il la veut. Il la veut, nue.  Aujourd’hui il lui a donné rendez-vous à l’embranchement de la route et du chemin qui conduit à une petite pépinière. Il y connaît une cabane au fond d’un verger où il vient parfois au printemps. Une cabane à outils. Elle était à l’heure Rose, elle l’attendait. Impatiente de lui dire je t’aime, aujourd’hui elle pourra. Elle l’a répété toute la nuit. Il est temps de lui dire. Elle lui dira je t’aime, pour qu’il soit son homme. Celui dont elle parlera aux autres, aux copines. « Mon homme, le grand, le fort, avec des yeux clairs ». Elle est anxieuse, l’orage menace. Il est encore loin, les nuages ne sont que du coton. Ils auront le temps de parler le temps de dire, de se dire ce qu’elle répète en boucle depuis plus d’une heure. Ils parleront, doucement, tendrement et ils iront se mettre à l’abri. Alors il entendra peut-être comment ça fait quand elle a peur, et que cela se mélange avec le désir.

Il sait qu’elle l’attend, il a bien vu ces derniers jours qu’elle était prête, il pourrait cueillir le fruit. Un fruit gorgé de soleil, juteux comme il aime. Il est à mobylette. Il fait si lourd. Sa chemise colle à la peau, surtout dans le dos. Il aime cette chaleur, elle annonce l’orage, il sait qu’il viendra, qu’il est proche. Il lui proposera de s’abriter. Elle aura peur au fond de la cabane. Il attendra qu’elle le supplie de la protéger. Il connaît l’effet de l’orage chez les jeunes filles. Elles ne résistent plus, cherchent simplement à se blottir. Il le sait, c’est l’été que les femmes résistent le moins.

Il ne s’est pas trompé, elle est sensible à la lumière qui baisse et quand les premiers grondements ont retenti, au loin, derrière l’horizon, elle s’est approchée de lui. Imperceptiblement. Il n’a pas besoin de proposer la cabane, elle le conduit, se dit qu’ils pourront parler. Et lui sait qu’il pourra la posséder. Ils ont fermé la porte. Le premier coup de tonnerre a claqué. Elle s’est approchée. La lumière a encore baissé, les éclairs s’incrustent. Ils traversent les murs, s’immiscent entre les planches mal jointes. Son visage a blanchi. Elle a peur, tout se mélange, elle le regarde comme pour l’implorer. Il s’approche, elle est peu vêtue, une robe, légère, quelques boutons, inutiles, quand le cœur bat si fort. Ils sautent un à un. Elle frémit, elle a la gorge sèche. La robe est à terre, chiffon qui a accompli sa tâche. Il est beau, il est fort, elle voudrait lui dire mais il est occupé à dégrafer le soutien-gorge. Elle n’ose pas le retenir, lui dire d’attendre. Encore un peu. Les premières gouttes tombent, elles sont lourdes, irrégulières, comme un signal. Et puis l’explosion, le déchaînement. Les éclairs s’amoncellent, l’eau ruisselle et les mains de l’homme s’étalent, débordent. Ce ne sont plus des mains, mais des fouines. Elles s’insinuent, s’immiscent, la culotte n’est plus un barrage, elle est un souvenir, elle a disparu. Il la tord.  Elle n’ouvre plus les yeux. La peur, l’amour, le désir, elle ne sait plus, elle voudrait dire les mots qu’elle a répétés toute la nuit Au lieu de cela, elle le laisse faire. Elle gémit, petit animal. Il n’est plus délicat, il se déchaîne, comme l’orage qui grossit. Il la porte jusqu’à une table à outils. Elle est recouverte d’une poussière grasse qui colle avec la pluie qui s’infiltre partout. Il la dépose. Comme une poupée de chiffon. Elle voudrait lui dire d’attendre, elle voudrait qu’il prenne le temps d’entendre la musique que fait sa peau, si fine, si fraîche, quand on l’effleure, là, aux endroits secrets que même ses mains hésitent à toucher. Elle voudrait qu’il la rassure, qu’il lui dise que l’orage s’éloigne, qu’il la protégera. Elle a dix-sept ans, c’est jeune, c’est fragile, une presque femme de dix-sept ans. Elle est triste, déçue, elle ne sait pas. C’est la première fois, elle a peur. Elle essaie d’ouvrir la bouche, pour lui dire qu’elle le rêve, souvent, si souvent qu’elle pense passer toutes ses nuits avec lui. Elle entrouvre les lèvres, il les referme avec les siennes, ce n’est pas un baiser, c’est une morsure. Elle rêvait tant d’amour. Elle ne résiste plus, elle a jeté la tête en arrière lui livrant le haut de sa gorge, si blanche, si fine. On y voit le sang qui passe.  Elle ne le reconnaît pas. Ses pommettes sont remontées, il serre les mâchoires, comme un chasseur appliqué qui dépèce un chevreuil. Il lui écarte les cuisses, sans délicatesse, sans joie. C’est calculé, il connaît le terrain. C’est une position qu’il affectionne. Elle est au bord de la table, un peu graisseuse. Il est en elle, accélère le rythme, l’orage est partout. Elle sanglote. Elle ne sait pas, la peur, la douleur, l’amour, l’orage. Elle aime ce qu’il lui fait et s’ouvre un peu plus. Son bassin accompagne la cadence qu’il impose. Et soudain, un éclair, l’éclair, si puissant qu’elle le voit comme dans un flash. Le coup de tonnerre est immédiat, elle a crié quand elle a compris l’orgasme. Il a fini, elle est en larmes, il est en sueur. C’est chaud dans son ventre, en bas, chaud et un peu poisseux. Il s’est retourné, il ne l’entend pas l’appeler, doucement, d’une voix qui doit dire « je t’aime ». L’orage s’éloigne et lui s’en ira aussi. Il ne s’est même pas retourné pour la voir. Il l’a eue. Il va rejoindre sa mobylette. C’est le quatorze juillet, Rose est enceinte.

C’était il y a trente ans, Lisa a commencé son attente.

Un orage en février, suite…

C’était hier : ils s’aimaient à nouveau comme à chaque matin qui débute. C’était hier, le 14 juillet, ils avaient repris le chemin.

Les orages de juillet, du quatorze juillet, comme une évidence. Quand approche la fête nationale et ses pétards kaki, les yeux se tournent vers le ciel. Le bal s’achèvera sous l’orage, c’est écrit. La danse des fêtards deviendra un dégoulinement.

Chaque année c’est pareil. Ça tient la journée. Péniblement, il faut le dire. Et le soir venu, quand la chaleur a tellement pesé que même les regards sont écrasés et deviennent vides de tout, l’orage se souvient du « qu’en diront-ils » et tout craque pour le feu d’artifice ou pour le bal.

C’est ainsi, c’est inscrit dans le patrimoine génétique de la France météorologique. L’orage est le thème favori des conversations de fin de marché. Tout le monde le sait : les ingénieurs de la météo sont des fonctionnaires bien payés juste bons à gâcher les cérémonies.

Tout le monde le sait : le quatorze juillet, ce sont les orages. Un point c’est tout. C’est comme la neige à Noël : « on le sait bien » qu’il n’y en a plus depuis…Depuis qu’on croit se souvenir. On le sait bien aussi que la semaine de Pâques est toujours mauvaise. C’est écrit, on sait tout cela, on l’explique, on le proclame, on l’assure avec une conviction absolue. C’est une loi imprimée dans le scénario de toutes les fêtes familiales. Elle ne se discute pas, on ne la discute pas, c’est un objet de consensus, un des rares, c’est une union nationale, sacrée, autour de considérations pluviométriques. On ne se dispute pas sur ce thème-là, on ne débat pas, on fait pire : on se souvient ensemble, on disserte sur les dépressions du temps, on oublie celles des hommes. Le temps comme une certitude qu’on partage avec délice. 

Les orages de Juillet c’est d’abord du moite. Les corps ont souffert. Il a fait lourd, il a fallu supporter la pesanteur d’une journée de plus. L’air est rare. Il prospecte l’ombre et s’y rassemble par paquets. On le cherche, on tend le cou, les veines saillantes du sang qui bout, on tire sur les cols. L’atmosphère s’est épaissie, s’approche du sol comme une housse de coton.

La lumière est plus basse, les premiers nuages naissent, ils se forment. On sent des trous de fraîcheurs qui s’installent au-dessus des têtes. Des oiseaux effrayés s’éparpillent sans réfléchir. Puis les nuages n’enflent plus, ne s’élèvent plus. Ils ont éliminé l’horizon. Ils s’étirent, s’étalent. Plus rien ne les empêche de se rassembler aux quatre coins, là où le regard peut se poser.

Au sol, il y a ce noir qui tombe par plaques lourdes de ce sombre qui repousse les derniers éclats d’un soleil qui en a trop fait aujourd’hui.

En quelques heures, la chaleur est oubliée. L’angoisse monte. Une angoisse emplie des respirations qui se retiennent. C’est la crainte de ceux qui ont peur, de ceux qui ont appris l’orage comme une colère, comme une punition. Ils attendent. Ils regrettent les brûlures du soleil qu’ils maudissaient après déjeuner. Ils auraient pu patienter, supporter.

Vu d’en haut, c’est comme une étendue de silence, on dirait une mer d’huile qui se prépare aux déchaînements. Il y a des yeux qui cherchent le premier éclair, le signe du départ, du début. Les portes se ferment, les rideaux se tirent, les lèvres se pincent, les mâchoires se crispent. C’est la peur qui déroule, qui enfle.

La peur est partout, irraisonnée. Les mères surtout. Pour les petits, qui ne veulent pas rentrer, pour les hommes qui sont loin, aux champs, à l’usine, à la guerre Ils sont là à côté, à attendre le feu du ciel qui les fortifiera. Ces hommes qui jouent les héros d’un jour poitrine en avant, bravant les éléments. Inondés de pluie chaude, les cheveux collés aux tempes, ils veulent dire à leurs belles qu’elles n’ont rien à craindre.

Il y a ceux qui attendent l’amour qui suivra quand les mains se retrouveront, quand les doigts encore humides de chaleurs se diront qu’il est temps de se serrer l’un contre l’autre. L’amour aime l’orage.

Et il y a ceux qui attendent l’eau, un espoir pour la terre, un répit pour le jaune paille de l’été. Ils attendent.

L’orage est partout, il a envahi le pays. Il n’a pas choisi le quatorze juillet ! Foutaises ! Il s’en moque du quatorze juillet, du calendrier, de la vie d’en bas, de ce qu’on dira de lui quand il sera passé, demain. Il s’en moque qu’on le mesure, qu’on le rêve, qu’on l’espère qu’on l’emmagasine dans les machines à banalités. Il est venu pour frapper. L’orage n’a pas besoin qu’on l’aime, ni qu’on l’attende. Il ne vient pas seul, il envoie quelques éclairs, quelques coups de vents qui inquièteront, qui rafraîchiront. Ce sont les préliminaires pour que les corps se tendent, que les gorges se nouent.

Quand le silence est absolu, quand chaque vivant retient son souffle il envoie la première semonce. Terrible, sec, comme le signe que tous redoutent.

Les orages du quatorze juillet comme une litanie que chacune récite toutes les années. Quelques-uns qui les attendent quelques autres qui les redoutent et au milieu de tous, deux trous de fraîcheur dans la chaleur il y a Jules et Lisa. Leurs mains se cherchent. Il la cherche, elle l’espère.

Il, elle : deux histoires écrites en parallèle et qui se retrouvent.

Ils ont passé si peu de temps ensemble, si peu pour deux qui s’aiment depuis toujours.

Ils n’en peuvent plus de se séparer de se déchirer, de s’attendre, de s’espérer. Ils n’en peuvent plus de ce temps qui n’est pas pour eux, de ce temps qui partage la vie entre ce que l’on voudrait, ce que l’on a, et qu’on oublie. Le temps n’est pas fait pour ceux qui comme Jules et Lisa fonctionnent de travers.

Jules, Lisa, deux naufragés du linéaire. Jules et Lisa deux chercheurs d’émotions dont ils sont les seuls à comprendre la mélodie.

Jules et Lisa. Ils sont au milieu de tous. La ville les entoure. Ils se sont retrouvés hier ou il y a plus. C’est peu de dire qu’ils s’aimaient déjà. L’orage les a cherchés, enfants de sa passion. Demain ils seront loin, ils partiront ailleurs, là où le temps ne signifie plus rien, là-bas à un bout de la terre. Jules en rêvait et demain il le fera. Ils partiront, pour Rose, pour leurs mères qui dormaient, qui ne voulaient pas les entendre crier, il y a trente ans. Ils partiront pour commencer l’histoire, l’autre histoire, celle qui s’écrira plus tard avec de mots encore en gestation, dans des livres qu’il reste toujours à écrire.

Ils se tiennent du bout des doigts, la nuque raidie à trop scruter le ciel, ils se sentent emplis de larmes. Lui, il est au sommet du bonheur. Elle n’en croit pas ses yeux. Les autres ont disparu, aspirés. Sur leur visage, il y a des écoulements, pluies, larmes, sueurs. Ils sont liquides.

Derrière leurs yeux, l’histoire d’une vie, petite histoire qu’on écoute les soirs d’automne quand la mélancolie déverse son trop plein sur les couples en attente d’émotions.

Derrière les yeux il reste la mémoire qu’ils se sont fabriqués à deux, une mémoire qu’ils emmènent pour unique bagage. Les souviens-toi qui tiennent si chaud quand le noir de la nuit vous fait frissonner.

Un orage en février, suite

Comme je suis un peu en panne d’inspiration, je continue de publier, sans coupures, de publier mon troisième roman…

Ils s’aimaient. Ils s’aimaient et on ne peut pas le raconter. C’est si délicat de trouver les mots, de retrouver leurs mots pour qu’ils s’entendent avec amour. Des mots, il y en a tant et trop ne font que du bruit. Ils se sentent gênés, perdus, quand on les libère de leurs prisons alphabétiques. Ils cherchent un nouvel emplacement, un nouvel ordre ou la grammaire rime avec les paroles de tendresse. Il y en a qui se perdent quand on les libère. Ils s’étonnent d’être là parmi gestes, sons, odeurs. Ils existent ailleurs que dans une liste. Ces mots ils en avaient apprivoisé quelques-uns, ils les tenaient aux creux de leurs mains jointes.

Eux, lui, elle. Ils s’aimaient sans le dire, ils s’aimaient sans questions, sans doute. Ils s’aimaient, c’est tout.  Depuis le premier jour, depuis cette secousse qu’ils avaient reçue tous les deux, ils s’aimaient. Et c’était étrange, pour les autres pour ces autres ceux qui fabriquaient des histoires d’amour convenables, normales, des histoires d’amour qui respectent le code, les règles. C’était étrange, ils étaient étranges, merveilleusement étranges. Merveilleusement, c’est le mot juste, celui qui adoucit, qui nettoie le mot qu’il accompagne pour en faire une douceur. Cette douceur dont ils étaient parfois si loin.

Malgré tous les adverbes du monde, ils n’en pouvaient plus de chercher, ils n’en pouvaient plus d’essayer de trouver toutes les réponses qu’il faut pour comprendre les regards durs et droits que les autres portent sur les étranges, ceux qui ne marchent pas comme les autres, qui sont déréglés comme des machines qui s’emballent. Ils n’en pouvaient plus, c’est tout. C’est épuisant de ne jamais parvenir à monter sur scène. Tous les autres y sont déjà, tête haute. En plus, les autres ils vous observent, comme dans ces mauvais rêves où les jambes sont lourdes, si lourdes que même éveillé l’idée d’avancer devient pesante.

Et puis, il y avait eu l’orage. Encore une fois. Les cœurs s’emballent. Pas de douleurs, ils sont heureux de se trouver, de se toucher. Eux, lui, elle. Les mots sont inutiles. La pluie les entoure, les aide à s’unir, les aide à s’enfuir.

Ils attendaient ce jour depuis si longtemps.

Aujourd’hui ils débutent une nouvelle existence, coincés entre le papier et les mots des autres. Ce matin ils ne sont plus qu’une question à la une d’un journal de province, une question pour que les autres parlent : ceux du 14 juillet et plus encore, ceux qui ont la parole lourde. Demain tous se souviendront, tous les abîmeront.

Léon mon petit-fils est né aujourd’hui…

Depuis ce matin je suis grand-père pour la quatrième fois. J »ai écrit ce texte pour lui, pour nous…

Léon

Le matin s’annonçait lourd,

Poisseux, gluant,

Un mardi pesant,

Déterminé à rouler sa longue litanie

D’ombres confinées…

Et soudain,

Mon cœur se met à chanter,

Mélancolie doucement s’est retirée,

Oui là,

Au bord de la mémoire tiraillée,

Un bouquet de couleurs,

Sur mon bonheur s’est imprimé.

On oublie le gris,

On rit, on pleure, c’est lui.

Le voici, il est là…

Petit d’homme

Aux aurores s’est annoncé.  

J’arrive nous dit-il…

J’entre dans votre monde,

Oh je sais,

Il est un peu abimé,

Mais ne vous inquiétez pas,

Je vous ai entendu,

Oh oui,

Vous m’avez déjà tant aimé

Vous m’avez attendu

Vous m’avez espéré

C’est fait, je suis là

Je vais vous rassurer

Je suis Léon,

Et ce monde que vous m’avez rêvé

Avec vous tous,

Nous allons le réparer…

14 avril…

Un orage en février, suite…

J’alterne, des débuts de nouvelles que je vais poursuivre, et toujours mon roman, le troisième, j’ai publié le début l’autre jour, je continue, ce ne sont plus des extraits, mais la suite, sans coupures pourquoi pas tout le publier par petits bouts….

On est encore dans le hier de leur histoire. Il est nu. Il veut sentir les premières gouttes. Il est en elle, depuis les premiers éclairs. Elle n’ouvre plus les paupières, toute entière consacrée à l’amour. La lumière change à chaque mouvement. Il ne se lasse pas. Il la contemple à pleins yeux, à s’en dilater les pupilles. Il s’emplit les narines des mille parfums de son corps. Il l’effleure, simple picotement. Il attend : la peau frissonne, vibre. Il accélère, appuie un peu. Le souffle est court, saccadé.

Il entend. Il l’entend avec le bout de ses doigts, de sa langue ; toutes les surfaces se touchent. Il ressent le souffle d’air venu de l’intérieur, les cascades, le débordement. Il sait qu’elle ne tremble pas. Elle ondule, légère, apaisée, voile du navire au repos, vapeur qui s’envole en silence.

A eux deux ils fabriqueront le sixième sens. Elle est bien. Bien dans la peur de l’orage, bien quand il s’approche d’elle, bien quand il lui prend la main, doucement, sans un mot.

Et la pluie, brûlante au début, piquante ensuite, comme des aiguilles qui poussent à l’intérieur. La peau ruisselle, le tonnerre gronde. Il la protège, veut la voir jouir quand le plus bel éclair brillera.

Et soudain un éblouissement, un orgasme, les deux fusionnent. Ils crient leur plaisir.

Ils hurlent leurs douleurs. C’est un appel. Un rappel qui contient leur histoire. Ils hurlent : on ne sait pas, on ne sait plus. Le cri est une déchirure dans l’air brûlant. Comme une plaie qui saigne abondamment et où on ne peut éviter de poser le regard.

Le cri ne s’écoute plus, il est un fond sonore, il s’est fondu dans le décor, on le vit, il est… Il n’est pas puissant, il est vivant. Un cri qu’ils sont seuls capables d’achever. Ils le connaissent, il est né avec eux.

C’était hier, ou il y a plus longtemps. C’était une nuit si singulière.

C’est fini. Ils ne chercheront plus, ils n’attendront plus que l’autre revienne. C’est fini, ils ne sont plus. Le quatorze juillet, épilogue d’une histoire où les autres n’ont jamais existé. C’est fini, serrés l’un contre l’autre dans un pré, ils ont trouvé le chemin.

En haut, sur le bas-côté de la route qui domine la prairie fauchée de frais, quelques voitures, une ambulance. Plus loin, plus bas, la ville. Elle les attendait ce matin, comme tous les matins Elle les attend depuis le jour où elle les a vus naître, depuis cette première nuit où ils se sont aimés pour toujours, ce toujours qu’ils ont mis tant de temps à apprivoiser.

Plus tard, dans quelques lendemains sans sourires, dans le monde des autres on se souviendra peut-être de ces deux qui s’aimaient, de ces deux qui cherchaient, de ces deux qui avaient perdu tant de temps pour découvrir leur amour.

C’est fini, la lumière les a écrasés, un drap les a recouverts, une housse les a séparés, ils sont partis là-bas vers les nuits mauves qui emplissaient les rêves qu’ils avaient ensemble.

Un défi que je me lance… Une nouvelle hôtelière à terminer…

Un peu en mal d’inspiration poétique en ce moment, et oui les gares me manquent, je me lance un défi, j’ai beaucoup de débuts de textes, nouvelles ou autres, que j’ai laissées en chantier, je vais donc me mettre la pression en publiant ces débuts et en m’obligeant à poursuivre…. Et n’hésitez pas à me rappeler à l’ordre…

Photo de Tim Savage sur Pexels.com
  • C’est au deuxième : il y a l’escalier sur votre droite, mais vous pouvez prendre l’ascenseur, au fond du couloir à gauche ».

Il a eu une légère hésitation, mais après une longue journée de travail, avec en plus cette maudite valise à roulettes à traîner s’éviter un petit effort supplémentaire est bienvenue. Au diable les discours moralisateurs de tous les nouveaux prêcheurs du bien-être.

  • Il fait chaud, je suis fatigué, ma valise est à roulettes, mais elle n’est pas équipée pour grimper les escaliers, allez hop en route pour l’ascenseur… »

Il appuie sur le bouton d’appel : la cabine est déjà là. Ce sont d’insignifiants petits événements mais qui donnent facilement le sourire.

Curieusement, quelqu’un est déjà dans la cabine. Cabine au demeurant minuscule. Deux personnes, une valise et c’est déjà presque plein. Pourtant il est écrit :  4 personnes ou 250 kg…. Le voyage sera court, pas le temps de se livrer à des calculs sur le poids moyen autorisé…

  • Je monte au second, et vous ?
  • Je vous suis.

Les quelques secondes, peut-être 15 ou 20, sont longues, très longues, trop longues. Il n’aime pas cette proximité, le contact est inévitable.

La cabine grince, ou plutôt couine pour s’arrêter. Il y a ensuite le moment toujours un peu gênant, ou s’enchaînent bêtement les formules de politesse : « bonne journée, je vous en prie, après vous… »

Ils se retrouvent tous les deux dans un couloir étroit, ou plutôt qui devient de plus en plus étroit. Au sol une moquette grise, râpée, usée.

  • Je vous accompagne, il arrive parfois que les clés ne fonctionnent pas

Sur le front…

C’est une guerre me dites-vous ?

Oui vous avez raison !

De ma fenêtre ouverte,

Je distingue le champ de bataille…

Le combat a débuté,

Le printemps est bien là,

Il est sur le front.

En première ligne, il envoie des troupes d’élite…

Fleurs blanches légères,

Doux pétales envolés…

La victoire est proche…

11 avril

Un orage en février…

Les toutes premières lignes de mon troisième roman…

La nuit s’est effacée, doucement, discrètement, sans gêner la lumière naissante, sans brusquer la fraîcheur qui a pris ses quartiers. De nouvelles ombres prennent leurs places. Elles se dessinent, lentement. Les paupières s’ouvrent, les regards s’éveillent.

Au milieu d’un pré, deux taches. Elles n’y étaient pas hier soir. On distingue les corps étalés, écartelés, sur le foin coupé de la veille. Elle est sur le dos, robe tablier ouverte. On croirait une nappe pour le pique-nique. Sa peau est blanche. Elle attendait l’été pour que les couleurs se posent. Elle attendait ce nouvel été pour ne plus avoir peur.

Elle semble se reposer, apaisée après l’amour. Son visage est calme. On distingue au coin de la lèvre un peu de salive. Elle est sèche, comme une croûte que le sel forme après un bain de mer. Il fait chaud, même la nuit. Ses cheveux sont noirs. Ils brillent déjà, emplis du soleil qui les éclaire. Les yeux sont ouverts, légèrement.  On devine une lumière. Elle vient de l’intérieur. Ses yeux sont beaux, ils sont bleus. Les mains sont posées à plat sur le sol, doigts écartés, pour faire contact. Tout autour la terre fume.

L’orage s’est éloigné. Il a laissé un écho, une traînée lourde et moite. Il est allongé contre elle et ajoute une courbe à leurs corps enlacés pour inventer une géométrie de la tendresse. Tête enfouie au creux de l’épaule, main posée, délicate et légère, sur ce corps endormi, il est immobile.

Autour d’eux la terre fume et respire. Elle s’étire. Ils ne bougeront plus. L’orage est passé.

Mes Everest : Bernard Lavilliers, le stéphanois…

On n’est pas d’un pays, mais on est d’une ville
Où la rue artérielle limite le décor
Les cheminées d’usine hululent à la mort
La lampe du gardien rigole de mon style
La misère écrasant son mégot sur mon coeur
A laissé dans mon sang sa trace indélébile
Qui a le même son et la même couleur
Que la suie des crassiers, du charbon inutile

Les forges de mes tempes ont pilonné les mots
J’ai limé de mes mains le creux des évidences
Les mots calaminés crachent des hauts fourneaux
Mes yeux d’acier trempés inventent le silence
Je me saoule à New York et me bats à Paris
Je balance à Rio et ris à Montréal
Mais c’est quand même ici que poussa tout petit
Cette fleur de grisou à tige de métal

On n’est pas d’un pays mais on est d’une ville
Où la rue artérielle limite le décor
Les cheminées d’usine hululent à la mort
La lampe du gardien rigole de mon style

Printemps…

A la table des quatre saisons,

Comme chaque année,

Je me suis installé…

Et pour monsieur, ce sera ?

Oh pour monsieur ce sera simple !

Un peu de printemps, s’il vous plait.

Et je le veux nature,

Sans fioritures,

Ni fanfares, ni trompettes !

Je vous en prie,

Je suis pressé.

Oh oui,

Il y a tant d’hivers

Que je l’attends.

C’est un printemps

Que je veux déguster

Et emporter…

Oui je le prends,  

Tel qu’il est…

Oui ainsi :

Fleuri,

Et pour le service,

Un sourire ou deux,

Et je serai comblé,

Pour tout l’été.

5 avril

Mes Everest : au printemps, Jacques Brel…

Au printemps au printemps
Et mon cœur et ton cœur
Sont repeints au vin blanc
Au printemps au printemps
Les amants vont prier
Notre-Dame du bon temps
Au printemps
Pour une fleur un sourire un serment
Pour l’ombre d’un regard en riant

Toutes les filles
Vous donneront leurs baisers
Puis tous leurs espoirs
Vois tous ces cœurs
Comme des artichauts
Qui s’effeuillent en battant
Pour s’offrir aux badauds
Vois tous ces cœurs
Comme de gentils mégots
Qui s’enflamment en riant
Pour les filles du métro

Au printemps au printemps
Et mon cœur et ton cœur
Sont repeints au vin blanc
Au printemps au printemps
Les amants vont prier
Notre-Dame du bon temps
Au printemps
Pour une fleur un sourire un serment
Pour l’ombre d’un regard en riant

Tout Paris
Se changera en baisers
Parfois même en grand soir
Vois tout Paris
Se change en pâturage
Pour troupeaux d’amoureux
Aux bergères peu sages
Vois tout Paris
Joue la fête au village
Pour bénir au soleil
Ces nouveaux mariages

Au printemps au printemps
Et mon cœur et ton cœur
Sont repeints au vin blanc
Au printemps au printemps
Les amants vont prier
Notre-Dame du bon temps
Au printemps
Pour une fleur un sourire un serment
Pour l’ombre d’un regard en riant

Toute la Terre
Se changera en baisers
Qui parleront d’espoir
Vois ce miracle
Car c’est bien le dernier
Qui s’offre encore à nous
Sans avoir à l’appeler
Vois ce miracle
Qui devait arriver
C’est la première chance
La seule de l’année

Au printemps au printemps
Et mon cœur et ton cœur
Sont repeints au vin blanc
Au printemps au printemps
Les amants vont prier
Notre-Dame du bon temps
Au printemps

Au printemps
Au printemps

Retrouvons le tribunal académique…

Le temps qui passe à travers la vitre

Le tribunal académique s’est réuni aujourd’hui dans son format le plus restreint. Car oui, il a bien fallu se résoudre à le convoquer. Une fois de plus, le cas qui lui est soumis aujourd’hui est un peu particulier.

Le plaignant est un personnage à part, chacun le connaît et pense l’avoir déjà rencontré. Mais rares sont celles et ceux qui peuvent le décrire, si ce n’est pour dire : « oui je l’ai vu, mais il est passé, si vite que je n’ai même pas eu le temps de lui parler. »

Vous l’aurez peut-être compris, le plaignant est le présent. Et évidemment, quand le président du tribunal procède à l’appel, il commence toujours par dire : « à l’énoncé de votre nom, je vous demanderai de bien vouloir répondre présent ».

Et il débute son appel.

  • Présent ?
  • Je répète : présent ?

C’est l’avocat de la partie civile, c’est-à-dire, de présent qui répond.

  • Présent est absent, monsieur le président, mais comme la loi m’y autorise je le représente…

Le président du tribunal soupire :  il sait déjà que la séance va être compliquée. Il demande à la cour en formation restreinte d’être attentive car il va procéder à la lecture de la plainte déposée par le présent.

« Le présent, absent aujourd’hui, mais représenté par son mandataire, ici présent, a déposé une plainte pour je cite : oubli du présent, falsification du passé, escroquerie sur le futur et surtout, utilisation abusive d’un temps vaporeux, à savoir le conditionnel. »

« Le jury après avoir délibéré, informe le présent que s’il n’a pas été en mesure de prendre une décision concernant tous les temps, il a toutefois considéré que dans cette période, un peu particulière, les conditionnels suivants : il faudrait, il aurait fallu, nous aurions dû, ne pourront plus être employés qu’après avoir pris le temps de les prononcer dix fois de suite en se regardant fixement face à une glace. »

A présent la séance est levée.

4 avril

J’ai la mer au bord des yeux…

Envie de republier ce texte écrit, l’année dernière, cela semble si loin, si loin…

Les mots d'Eric

J’ai changé la photo d’accueil de mon blog. C’est Ouessant et ses cent vagues… Inspiration

Silence pluvieux,

J’ai la mer au bord des yeux.

Dans le loin bleu

De mes mémoires salées,

Deux ailes se sont envolées.

Vent d’hier,

Sur les vagues les a posées.

Explose l’écume,

S’envolent perles de brume.

Regarde la mer belle.

Sur la plume de tes mots

A la feuille amarrée,

Mer a chanté,

Mer a soufflé.

8 décembre

Voir l’article original

Mes Everest : « Je voudrais une fête étrange et très calme », Jacques Bertin…

Je voudrais une fête étrange et très calme
avec des musiciens silencieux et doux
ce serait par un soir d’automne un dimanche
un manège très lent, une fine musique
 
Des femmes nues assises sur la pierre blanche
Se baissent pour nouer les lacets des enfants
Des enfants en rubans et qui tirent des cerfs-volants blancs
Les femmes fredonnent un peu, leur tête penche
 
Je voudrais d’éternelles chutes de feuilles
L’amour en un sanglot un sourire léger
Comme on fait entre ses doigts glisser des herbes
Des femmes calmement éperdues allongées
 
Des serpentins qui voguent comme des prières
Une danse dans l’herbe et le ciel gris très bas
lentement. Et le blanc et le roux et le gris et le vert
Et des fils de la vierge pendent sur nos bras
 
Et mourir aux genoux d’une femme très douce
Des balançoires vont et viennent des appels
Doucement. Sur son ventre lourd poser ma tête
Et parler gravement des corps. Le jour s’en va
 
Des dentelles des tulles dans l’herbe une brise
Dans les haies des corsages pendent des nylons
Des cheveux balancent mollement on voit des nuques grises
Et les bras renvoient vaguement de lourds ballons