Je mets en ligne sur ma page facebook, les enregistrements de mes lectures du tibunal académique, rubrique que vous connaissez bien et que vous appréciez, je crois.
Norme : Je viens d’apprendre à l’instant, chère Beauté, qu’une fois de plus vous vous êtes égarée.
Beauté : Egarée ? Nullement, sachez chère Norme, que si je me suis posée ici, sur cette belle fleur de pissenlit, c’est parce que je le voulais, et surtout parce qu’il le fallait.
Norme : Une fleur de pissenlit ! Pourquoi pas du chiendent, ou non du trèfle, oui tiens du trèfle ! Encore une fois je me dois d’intervenir. Je vous le dis, je vous le répète : jamais, je dis bien jamais, vous ne devez prendre la liberté de vous poser où bon vous semble, sans au préalable ne m’en avoir parlé…
Beauté : Je vous entends, je vous entends chère Norme, mais sachez que je ne me pose jamais au hasard…Voyez-vous ce que j’aime par-dessus tout, c’est la légèreté, la douceur, la délicatesse et surtout la discrétion. Vous conviendrez que ce ne sont pas les premières qualités de toutes ces fleurs qu’habituellement vous m’imposez dans vos plans de vols.
Norme : Mais enfin Beauté, reprenez-vous, je ne vous demande pas de faire de la poésie, mais simplement d’ouvrir les yeux. Regardez autour de vous, ces jonquilles, ces roses qui éclosent. Vous ne me direz pas que ce vulgaire pissenlit mérite plus qu’elles qu’on leur rende les honneurs qu’elles méritent.
Beauté : Je vous écoute chère Norme et je ne vous dis pas que les fleurs que vous me citez doivent être oubliées, mais voyez-vous, il est des jours, où la beauté ne vous appartient plus. Elle s’envole, elle respire, elle est libre… Alors oui, je persiste dans ma désobéissance, et , je le sais, chère Norme vous n’aurez pas à le regretter…
Ils s’étaient donnés rendez-vous au « temps qui passe », bistrot gris d’un quartier oublié. La façade est d’un gris fatigué. On ne pouvait avoir envie d’entrer ou alors pour un besoin pressant, une soif implacable, une attente à tuer, une rencontre à protéger.
Jules ne le connaissait pas, il fréquentait peu les bars par peur de ne jamais y être reconnu. Il préférait les longues promenades solitaires, sans but, tout droit, jusqu’à ce que les jambes soient dures, qu’on les ressente très fort, comme une gêne, comme une excroissance, comme un morceau de soi qu’on finit par oublier. Lisa lui avait proposé ce rendez-vous très vite, comme on demande l’heure, une phrase qui claque au vent : « on pourrait se revoir au temps qui passe, demain à dix sept heures ». Une phrase qui fait du bien, qu’on voit sortir de la bouche, et se poser sur le regard de l’autre.
Ce sera une rencontre souvenir, un prétexte pour s’attendre. Jules rêvait d’un amour qui commence dans un lieu débordant de gris, d’automne. Il n’avait jamais cru aux rencontres sous ciels étoilés, celles qu’on imagine lorsqu’on s’inocule dans les veines le poison qui circule dans les tubes cathodiques.
Il est arrivé le premier. En avance, légèrement en avance, comme toujours. Pour ne pas risquer d’être surpris. Sa montre lui annonce seize heures cinquante. A peu prés, il sait bien qu’elle est inutile, qu’elle ne lui promet que du temps en trop, à gaspiller. Il sait bien qu’il est en dehors de tout, ou à côté. Et c’est pour cette raison qu’elle lui a plu et qu’elle l’a remarqué. Ils se sont rencontrés dans une marge, à l’écart de tous les autres, en dehors de tous les principes.
Elle arrive, essoufflée. Elle a couru. Comme toujours, elle s’excuse en regardant sa montre.
Jules observe Lisa qui entre. D’abord il y a son sourire. Quand elle sourit, elle a les yeux qui lui disent : « serre moi contre toi, là tout de suite, n’attend pas, serre-moi à m’en étouffer, à m’en faire perdre la tête ». Elle a les yeux qui disent merci. Quand elle est entrée, qu’elle a poussé la porte, ça a fait comme quand il ferme les yeux. Jules quand il ferme les yeux pour fabriquer de la mer et du vent. Quand elle est entrée, Jules a senti des mains lui pousser au bout des bras. Il est embarrassé, elles sont là, au bout, elles attendent Lisa, elles aussi. Elles se contenteront d’un simple effleurement, léger comme un voile qui tombe…
Et les doigts qui se touchent, qui se parlent. Quand on lève les yeux, il y a le regard de l’autre, qui n’en peut plus d’attendre, encore. C’est si long pour choisir le mot qui suffira, le mot cadeau, le mot qu’on fera venir de l’intérieur, chargé d’une histoire.
Lisa est entrée. Tout à l’heure, les couleurs étaient fades avec des odeurs de serpillière. Lisa est entrée, elle est assise en face de Jules, a posé ses mains sur la table. Ils ont commandé un café, c’est simple, ils n’ont pas envie de réfléchir.
Le texte que j’ai proposé il y a trois jours au site « Short-Edition » est en compétition pour le prix des lecteurs. Si le cœur vous en dit, vous pouvez le soutenir ici :
La lune prodiguait une lumière crue et puissante… Au milieu du chantier se dressaient trois tas de charbon, de taille égale, séparés les uns des autres, malgré les éboulements qui brisaient la pointe de leurs sommets et tentaient de rapprocher leurs bases en les élargissant. Tous trois renvoyaient avec force la lumière qui les inondait ; une muraille de plâtre n ‘eût pas paru plus blanche que le versant qu’ils exposaient à la lune, mais alors que le plâtre est terne, les facettes diamantées du minerai brillaient comme une eau qui s’agite et chatoie. Cette espèce de ruissellement immobile donnait aux masses de houille et d’anthracite un caractère étrange ; elles semblaient palpiter ainsi que des êtres à qui l’astre magique accordait pour quelques heures une vie mystérieuse et terrifiante. L’une d’elles portait au flanc une longue déchirure horizontale qui formait un sillon où la lumière ne parvenait pas, et cette ligne noire faisait songer à un rire silencieux dans une face de métal. Derrière elles, leurs ombres se rejoignaient presque, creusant des abîmes triangulaires d’où elles paraissaient être montées jusqu’à la surface du sol comme d’un enfer. La manière fortuite dont elles étaient posées, telles trois personnes qui s’assemblent pour délibérer, les revêtait d’une grandeur sinistre. A les regarder longtemps, dans le silence de minuit, sous un ciel noir au fond duquel la lune semblait fixée pour toujours, elles devenaient aussi effroyables que des dieux spectateurs d’une tragédie où le sort même de la création se jouerait.
Il y a bien longtemps que nous n’avons pas retrouvé Maurice, cet incroyable Maurice, qui rêve de la mer…
La mer Maurice, il l’a d’abord inventé, il l’a d’abord importé là en plein Limoges, c’est la sienne, elle est en lui et tous les soirs elle l’appelle.
Un matin Maurice a décidé de prendre le train pour aller voir la mer. Comme tous les jours il s’est levé le dernier, ses deux jeunes sœurs sont encore autour de la table, cheveux tristes derrière les bols ébréchés. Sa mère est là aussi, debout devant l’évier. Sa mère, maman comme il dit encore parfois, toujours de dos, elle parle peu, mais on sait toujours ce qu’elle va dire, alors elle ne le dit plus, elle se contente de hochements de têtes, de soupirs et haussements d’épaules. Ailleurs, quand elle abandonne son évier elle devient Jeannine et elle bavarde dans la rue avec les autres, les copines du marché, ou celles du coiffeur.
Maman s’est retournée et lui a apporté son bol, elle lui apporte toujours son bol parce qu’il est son fils, son grand fils. Ce matin elle voit bien qu’il va parler, la cuillère ne tourne pas pareille dans le bol contre la porcelaine, cela va trop vite. Maurice souffle sur le bol, il souffle toujours sur son café au lait, c’est son merci à lui, il souffle et il dit à Jeannine qu’il va prendre le train dans une heure, le train pour la Rochelle. Sa mère n’a pas bougé de l’évier, elle n’a pas haussé les épaules, Maurice sait ce que ça veut dire, elle sait. Elle ne dit rien mais il répond qu’il sera rentré Dimanche, il dormira dans une auberge de jeunesse. Il avale plusieurs goulées du café déjà tiède, ses sœurs ont levé les yeux sur lui. Il sourit. Jeannine s’est approché de lui : « je le savais que tu voudrais y aller ». Il a encore souri puis il s’est levé et s’est étiré. La Rochelle, son père lui en avait parlé, mais il voulait voir, il voulait sentir, il voulait comprendre : la mer dans la ville.
Le site « Short Edition » organise un concours, il s’agit d »écrire un texte sur le thème » un peu d’air », voici ce que je leur ai proposé
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ». Ce matin Jules s’est levé en sueur.
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Ces paroles ne le quittent pas. Elles sont là, elles résonnent, ou plutôt elles chantent au fond de son crâne douloureux.
Jules ne se souvient que très rarement de ses rêves. Mais ce matin, il sait, il sent. Il est certain que ce sont des paroles qu’il a entendues cette nuit, dans son sommeil. Il lui semble même reconnaître cette voix. Une voix douce et gaie. Il faut dire que Jules vit seul, et débute sa journée, comme il l’a finie : dans le silence. C’est pour cette raison qu’il aime tant la compagnie de cette voix, comme une caresse qui le réconforte.
Tous les matins depuis dix jours il prend le temps de faire le tour de son appartement avec ce nécessaire regard d’explorateur, comme s’il découvrait à chaque fois, un territoire inconnu. Oh ce n’est pas très grand, mais il a suffisamment d’imagination pour s’inventer à chacune de ses tournées des aventures nouvelles. Il s’attend toujours à être surpris, à découvrir, qui sait, un coin encore vierge, dans une des quatre pièces de son logement. Intérieurement il sourit de sa naïveté : comme si les lois de la géométrie pouvaient à la faveur de ce confinement être bouleversées. Ce serait incroyable que je sois le premier à découvrir que dans certains rectangles, on peut trouver un cinquième coin. Pauvre Jules, il est seul et ne sait plus quoi inventer pour s’aérer, pour s’obliger à ne pas rester enfermé entre ces quatre murs. Quatre murs ? Il faudra peut-être que je recompte se dit-il ?
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Toujours ce refrain qu’il entend, petite voix désormais familière. Il a même l’impression qu’elle se rapproche désormais
Après avoir traversé le long couloir – sans faire de pause s’il vous plait- Jules se trouve désormais devant sa bibliothèque.
Jules commence par un long moment d’admiration, presque de la contemplation. Il est vrai qu’il a un côté maniaque qu’il assume totalement ; il ne se passe pas journée, en période normale, sans qu’il ne caresse les dos alignés de ses très nombreux livres, il les bouge parfois légèrement, souffle sur le dessus, persuadé que la poussière s’est encore invitée et va coloniser les pages.
Jules aime les livres, nous l’aurons compris. Et depuis le début de cet enferment imposé, Jules accomplit son rite plusieurs fois dans la journée. Nous ne sommes pas loin reconnaissons le de l’obsession.
Bref, Jules après la longue traversée du couloir sombre et aride est là, raide et rigide, plantée devant les rayons de sa bibliothèque. Une belle bibliothèque, bien fournie car Jules nous l’aurons compris aime les livres.
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ». La voix semble se rapprocher.
Jules aime les livres bien sûr, mais Jules aime les oiseaux aussi, il est même passionné, il aime les observer, les écouter, et surtout, Jules aime quand ils s’envolent… Nous aurons donc compris que comme Jules aime les livres et qu’il aime aussi les oiseaux, Jules a beaucoup, mais alors beaucoup de livres sur les oiseaux.
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Et d’un coup, d’un seul Jules comprend. Les livres, les oiseaux, la fenêtre toujours fermée. Jules saisit un de ces magnifiques livres, qu’il aime tant feuilleter. Celui qu’il tient est un livre sur les oiseaux de mer, il le sort délicatement, caresse amoureusement la couverture et l’ouvre, lentement, très lentement…
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Quand y’a la mer et puis les chevaux Qui font des tours comme au ciné Mais que dans tes bras c’est bien plus beau Quand y’a la mer et puis les chevaux
Quand la raison n’a plus raison Et que nos yeux jouent à se renverser Et qu’on ne sait plus qui est le patron Quand la raison n’a plus raison
Quand on raterait la fin du monde Et qu’on vendrait l’éternité Pour cette éternelle seconde Quand on raterait la fin du monde
Quand le diable nous voit pâlir Quand y’a plus moyen de dessiner La fleur d’amour qui va s’ouvrir Quand le diable nous voit pâlir
Quand la machine a démarré Quand on ne sait plus bien où l’on est Et qu’on attend ce qui va se passer Je t’aime
Je t’aime pour ta voix pour tes yeux sur la nuit Pour ces cris que tu cries du fond des oreillers Et pour ce mouvement de la mer pour ta vie Qui ressemble à la mer qui monte me noyer
Je t’aime pour ton ventre où je vais te chercher Quand tu cherches des yeux la nuit qui se balance A mon creux qui te creuse et d’où ma vie blessée Coule comme un torrent dans le lit du silence
Je t’aime pour ta vigne où vendangent des fées Et pour cette clairière où j’éclaire ma route Que balisent tes cris durs comme deux galets Que le flot de la nuit roule sur ma déroute
Je t’aime pour le sel qui tache ta vertu Et qui fait un champ d’ombre où ma bouche repose Pour ce que je ne sais quoi dont ma lèvre têtue S’entête à recouvrer le sens et puis la cause
Je t’aime pour ta gueule ouverte sur la nuit Quand ta sève montant comme du fond des ères Bouillonne dans son ventre et que je te maudis D’être à la fois ma soeur mon ange et ma Lumière
Quand y’a la mer et puis les chevaux Qui font des tours comme au ciné Mais que dans tes bras c’est bien plus beau Quand y’a la mer et puis les chevaux
Quand la raison n’a plus raison Et que nos yeux jouent à se renverser Et qu’on ne sait plus qui est le patron Quand la raison n’a plus raison
Quand on raterait la fin du monde Et qu’on vendrait l’éternité Pour cette éternelle seconde Quand on raterait la fin du monde
Quand le diable nous voit pâlir Quand y’a plus moyen de dessiner La fleur d’amour qui va s’ouvrir Quand le diable nous voit pâlir
Quand la machine a démarré Quand on ne sait plus bien où l’on est Et qu’on attend ce qui va se passer Je t’aime
Certaines nuits, Jules ne dort pas. Le radio réveil fait comme un trou de laideur dans la beauté noire de la nuit. Il déteste ce cœur électronique. Les diodes palpitent et battent la mesure en silence. Pas de rythme, une simple pulsation artificielle, électrique.
Il est seul. Aussi loin qu’il se souvienne, il y a cette chaleur féminine qu’il devine quand il se tourne jusqu’à l’épuisement. Il a peur du noir qui l’entoure, du vide qui l’absorbe.
Jules se touche le corps. Il vérifie son existence. Sa main s’arrête sur le cœur. Il ne bat presque plus, ou si peu. Comme la pendule à quartz. Il n’y connaît rien dans les battements de cœur. Sa spécialité c’est les pendules. C’est la seule chose de son passé dont il se souvient encore. C’est par hasard que Jules avait découvert ce don. Il voulait offrir une montre à sa mère. Une montre pour son anniversaire, une montre à aiguilles. Avec des aiguilles, elles sont vivantes les montres, elles bougent, elles avancent, elles retardent et elles s’arrêtent.
Il se souvient : il regarde la montre qu’il veut offrir, il la regarde si fort que soudain les aiguilles s’affolent, elles hésitent sur le sens à prendre et le bijoutier lui jette un œil mauvais. Lorsqu’il regarde une montre de trop près il se produit les mêmes phénomènes que ceux que l’on décrit dans les histoires polaires dont il raffole.
Ce soir Jules ne dort pas, ce soir Jules regarde Lisa. Elle est étalée dans le sommeil, son corps est si beau. Dès qu’on pose les yeux, il y a comme un frisson, une vague de tendresse qui envahit l’espace. Lisa dort, mais Jules entend qu’elle l’appelle. Lisa dort et son corps l’appelle et dans les yeux de Jules il y a des courbes qui caressent la rétine.
Il oublie la pendule, il oublie toutes les aiguilles et sa main se promène sur la peau, effleure le grain de cette surface qui vit. Elle vibre, il frémit.
Jules ne dort pas. Jules essaie de se souvenir. Il essaie de reconstruire son histoire avec Lisa. Le début, toujours le début, il leur faudrait le début, avec des phrases romanesques, avec des mots sucrés. La vie comme un roman, tout le monde rêve de ces mots assemblés, pour qu’ils disent aux autres, qu’ils racontent. Il murmure dans son insomnie : « quand on s’est rencontré », « la première fois », « le commencement » …Jules ne dort pas, il dessine des lignes sur le tableau noir de ses nuits d’insomnie, sur le noir juste derrière les yeux. Les lignes qu’ils dessinent ont un début, elles ont une fin aussi : le commencement de l’histoire avec Lisa. Ce commencement il ne le voit pas, ne veut pas le voir, ni le poser sur une ligne, aussi belle soit-elle. Il ne veut pas parce qu’il faudrait que chaque nuit il recommence à chercher le chemin, vers l’avant. Avant ce début, il n’y avait rien ni personne. Jules n’en veut pas de ces mots, il n’en veut pas de ces mots qui effacent, comme si les autres n’existaient pas, ailleurs, avant. Lisa il ne l’a pas rencontrée, ils ont trouvé leur place et la ligne devient un cercle. Plus rien ne les arrête.
Jours de lenteur, jours de pluie, Jours de miroirs brisés et d’aiguilles perdues, Jours de paupières closes à l’horizon des mers, D’heures toutes semblables, jours de captivité,
Mon esprit qui brillait encore sur les feuilles Et les fleurs, mon esprit est nu comme l’amour, L’aurore qu’il oublie lui fait baisser la tête Et contempler son corps obéissant et vain.
Pourtant j’ai vu les plus beaux yeux du monde, Dieux d’argent qui tenaient des saphirs dans leurs mains, De véritables dieux, des oiseaux dans la terre Et dans l’eau, je les ai vus.
Leurs ailes sont les miennes, rien n’existe Que leur vol qui secoue ma misère, Leur vol d’étoile et de lumière (1) Leur vol de terre, leur vol de pierre Sur les flots de leurs ailes,
Comment tu ne trouves pas ? Explique-moi, je t’en prie… Tu prétends que tu ne trouves pas ? Admettons, je veux bien, mais cela signifie, enfin je l’espère, que tu as cherché, et probablement cherches-tu encore !
Oui c’est cela, je cherche, je cherche… Et ne trouve rien…
Étonnant tout de même : je te connais…Il t’en faut si peu : un train qui passe, une flaque d’eau sur un quai, un rayon de lumière derrière une vitre grise, une vague qui grossit et d’un coup, d’un seul, tu as la main qui tremble et le regard qui luit…
Oui je le sais, tu as raison. Je crois comprendre ce qui m’arrive. Je ne dois plus chercher. Il faut que je sois saisi, surpris. Les trains sont loin, toutes les marées sont basses. La lumière elle-même est étonnée de toute cette lenteur, et le ciel, ce ciel tellement étonné qu’on se mette à le regarder…
Et bien tu vois, tu as trouvé, tu es inspiré…
Oui c’est vrai, mais où sont les rimes, où sont les vers, les images, les…
Mais comment tu ne les vois pas, tu ne les entends pas ?
Non je t’en prie dis-moi ?
Chut, ne dis rien, le silence est la rime d’aujourd’hui…
Bon, je sais que c’est dérisoire, peut-être même un peu futile, mais je reconnais quand même que je suis très heureux, très fier, d’avoir été choisi par le public pour ce grand prix hiver 2020 de Short Edition, en plus dans la catégorie des micro-nouvelles. J’avais envie de partager ce plaisir avec vous fidèles de mon blog….
J’ai commencé depuis lundi le journal poétique de cette terrible période, parce que je sais par expérience que les mémoires sont molles et qu’il est nécessaire de garder une trace…
Il me faut prendre le chemin d’un supermarché. Oh non, je ne suis pas en manque de mots, mes réserves sont pleines, et tous les jours, mes rayons je vérifie. Aucuns mots ne manquent, ils sont tous là, sagement alignés. Ils me connaissent et savent que je ne gaspille pas. Oh bien sur j’ai mes rayons préférés, vous les connaissez, tous les jours je les choisis, je les prépare, je les assemble et je vous prépare un bon plat de mots. Non aujourd’hui il me manque un souffle de vent, une vague qui s’étire, le cri d’une mouette sur l’océan. J’ai cherché la case à cocher sur mon laisser-passer…Il n’y a rien, je suis déçu. Je vais rentrer sagement, je le sais, je le sens, la mer est là, elle m’attend…
Comme j’étais mal disposé, un matin de pluie, pour toutes les excentricités humaines un ami me montra une photographie : celle d’une femme nue et morte étendue sur un lit d’hôtel à côté d’un homme vêtu et mort qui, vu en raccourci, ressemblait à un phoque rigide. Simone n’avait pas changé sa coiffure ; sa cloche reposait sur la cheminée à côté d’une pendule dorée sans aiguilles. Simone était incontestablement morte à côté de son ami.
Ils s’étaient suicidés aux sons du phonographe de la maison voisine : — Some suny day… Swanie… Eleanor!… — Et sur le ventre nu de la femme, avant de mourir, dans une suprême évocation du Mois de Marie, l’homme avait écrit, un doigt trempé dans l’encre, ces mots : Priez pour nous !
*
Cette photographie venait d’un obscur bureau de police. De mains en mains, elle échouait dans les miennes. Et l’image ridicule et démoralisante je l’ai gardée dans ma mémoire jusqu’au jour où j’ai résolu d’écrire cette histoire, de la faire imprimer et de la relire plus tard avec des yeux qui ne seront plus les miens mais des yeux de promeneur imperméable assis au crépuscule du soir sur le banc du corps de garde à la porte du Paradis.
Une très mauvaise chute dans le métro ce matin et me voilà le bras droit totalement immobilisé pendant trois semaines…Cela risque d’avoir des conséquences sur ma production créatrice….A moins que je ne dompte ma main gauche….
Le tribunal académique s’est réuni ce matin en sa forme plénière et consultative. Il vient, en effet, d’être saisi par un grand nombre de citoyens, et a rendu un avis important, difficile, mais ô combien urgent. Pour cette occasion, exceptionnelle, un collège de jurés a été constitué. Sa composition est, convenons- en un peu particulière. Y siègent : un poète, une militaire, un adolescent, une militante, un amoureux éconduit, un clown au chômage, une dresseuse d’ours, un cruciverbiste, et une religieuse défroquée… Revenons aux faits : depuis quelques temps deux mots, et non des moindres, posent un problème. Deux mots qui, si on n’y prête garde, pourraient se ressembler. Il suffit d’ailleurs de les entendre. Deux mots, aussi, qui lorsqu’on écrit sur une feuille de papier un peu verglacée peuvent déraper…
Le président du tribunal résume en quelques mots la décision qui vient d’être rendue. « Mesdames et Messieurs les jurés, chères et chers collègues, nous nous sommes réunis ce matin pour examiner, vous le savez : Haine et Aime… Les débats ont été animés mais sans haine et c’est cela que j’aime. » « Aime et Haine vous le savez, vous le constatez, sont proches à l’oreille, ils le sont aussi à l’écrit et nous ne devons plus courir le risque qu’ils soient confondus… »
« A l’oreille, donc, les deux mots sont si proches qu’on les croirait, tout droit, sortis de l’alphabet. M est devant N, c’est un fait. Mais pouvons-nous, acceptons-nous d’en dire autant de Aime et de Haine. Cette promiscuité est nauséabonde, préjudiciable et disons le « inacceptable ». En conséquence nous exigeons, que N soit isolé et relégué à la place qu’il mérite et qui lui revient, en dernière position après le Z. Décision exécutable immédiatement. »
« L’autre problème est le risque de dérapage à l’écrit. Certes nous conviendrons que ce n’est pas courant, mais le collège des jurés souhaite ne prendre aucun risque. Qu’un distrait oublie le H de haine et que la main tremble et ajoute une jambe au n et le mal est fait. Les deux mots doivent, c’est impératif être séparés, distingués. En conséquence, le tribunal décide que quiconque décide d’utiliser ou d’écrire le mot haine doit, au préalable, adresser une demande écrite au collège des jurés qui à compter de ce jour devient un jury permanent. Cette demande devra indiquer les raisons pour lesquels le demandant envisage d’utiliser ce mot. Les jurés ont précisé que cette demande devrait être adressé sur une feuille de papier fleuri, et que la police utilisée serait le colibri… Le demandant sera ensuite convoqué et devra sous contrôle et avec le sourire écrire 100 fois le mot AIME..
5
Je n’ai pas eu d’autre solution pour le dimanche que de convoquer le tribunal académique ! Alors oui bien sûr la première réaction du président et de ses assesseurs a été claire : « non monsieur désolé mais nous ne jugeons pas le Dimanche ». J’insiste, en expliquant que refuser de juger le dimanche, c’est en quelque sorte déjà le condamner, comme s’il s’agissait d’un jour intouchable, sacré, bref, un jour auquel on ne pourrait rien reprocher.
Avec quelques effets de manche, j’ai réussi à les convaincre.
Le tribunal académique est réuni aujourd’hui 23 février en session extraordinaire dans le cadre d’une procédure d’urgence, que la loi autorise, à la seule condition que l’instruction ait déjà été réalisée. Le dossier qui nous a été transmis ce matin, à l’aube, est complet, suffisamment étayée et nous a permis, en conséquence, de délibérer et de prononcer un jugement.
Faites entrer le prévenu ! Dans la salle à moitié vide, tout le monde est impatient de voir arriver ce dimanche aujourd’hui accusé. Mais que diable lui reproche-t-on ?
« Dimanche, levez-vous, je vous prie ! ». Dans le box des accusés, pas un mouvement, rien ne bouge. Les deux gardiens de permanence (deux stagiaires d’ailleurs récemment condamnés par ce même tribunal), qui répondent l’un au nom de « brume » et l’autre de « automne », font grises mines. « Nous sommes désolé monsieur le président mais dimanche dort encore, il prétend que c’est le jour de la grasse matinée et ni rien ni personne ne pourra le faire lever… »
Le président du tribunal ne veut pas passer son dimanche ici et a décidé de vite en terminer.
« Dimanche vous comparaissez aujourd’hui, libre et endormi devant ce tribunal car vous êtes accusé de : mollesse, paresse, ivresse, monotonie, boulimie, ennui et pour terminer j’ajouterai fumisterie ».
« Il est manifeste aussi que vous abusez de votre position dominante, celle de septième jour de la semaine, pour vous reposer sur vos six compagnons lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, et samedi que nous avons tous entendus comme témoin. C’est ainsi en parfaite illégalité que vous avez organisé une sous-traitance des travaux qui vous reviendraient en vertu de ce principe intangible du droit : « à chaque jour suffit sa peine ». Les faits qui vous sont reprochés entrent, selon le jury, dans la catégorie de l’escroquerie, et de l’exploitation de plus faible qu’autrui car vous prétendez, être, à vous seul le jour du seigneur et en conséquence, vous usez, abusez et profitez de cet attribut, par on ne sait qui attribué pour organiser toute une série de travaux illégaux par les autres réalisés »
En conséquence, le tribunal académique considérant que le seigneur dont vous prétendez être le jour, n’ayant pu être entendu, que le droit à la paresse est un droit universel a décidé à l’unanimité de vous acquitter afin de retourner se coucher…
6
Le tribunal académique est, une nouvelle fois, confronté à un cas épineux. Il doit, en effet, répondre à la plainte qui a été déposé par un mot, que les lois académiques, poétiques et bucoliques protègent envers et contre tous. Contre tous, oui mais, nous allons le voir pas contre tout, et surtout pas contre ces nouvelles lois numériques, aux contenus faméliques dont le code ne se résume qu’à un clic.
Et c’est bien là qu’est le hic…
C’est pour cette seule et unique raison que le tribunal académique est aujourd’hui réuni dans sa formation plénière. Ce qui signifie qu’autour du président, outre les assesseurs habituels ont été convoqués un troubadour, une poétesse, un clown au chômage, un tourneur fraiseur sur tour à commande poétique, une chanteuse boulangère et quelques autres trublions dont j’ai oublié le nom.
Le président du tribunal, se tourne vers la salle, emplie d’un côté d’amoureux heureux et de l’autre, de solitaires éconduits.
« Mesdames et messieurs, nous allons aujourd’hui étudier la plainte qu’a déposée, ce mot que sur toutes vos lèvres je lis, oui vous m’avez compris c’est de j’aime que je veux parler. »
« Aime, vous êtes venus accompagné de votre compagnon j’et c’est donc à vous deux que je m’adresse. Je ne vous demanderai pas, vu les circonstances, de vous lever, et je vous invite donc à écouter ce que le tribunal a décidé. »
« Considérant que j’aime est devenu aujourd’hui un signe que chacun utilise sans aucune réflexion, sans aucune émotion, aussi bien pour signifier son intérêt pour une pizza aux anchois, pour un article sur la crise boursière à Hong Kong, pour tout, pour n’importe quoi, le meilleur et surtout le pire, le tribunal a pris la décision suivante, exécutable immédiatement. »
« A l’unanimité, moins une voix, celle du banquier jongleur, nous instaurons à compter de ce jour une taxe exceptionnelle, dite « taxe qu’on aime ». Chaque clic sur un pouce levé, donnera lieu à une taxe à l’aimant imposé. Son montant sera de un euro par clic. Les sommes collectées grâce à cet impôt qu’on aime seront affectées à la construction d’un nouveau service public que nous avons décidé d’appeler : la MSP : « la Maison du Sourire Public »
Quand je réunis le tribunal académique, je suis un peu « possédé »
1
Ce matin il y a procès au tribunal académique. Quelques mots sont là, coupables de coalition. Le président du tribunal, vient d’appeler automne à la barre.
Il lit l’acte d’accusation :
« Automne, nom commun, vous comparaissez devant cette cour pour le délit de haute trahison. A plusieurs reprises, vous avez été vu, entendu en compagnie des mots suivants : joyeux, bleu, heureux, doux, roux, bucolique et « cerise » sur le gâteau, mou.
Eu égard à la loi du 13 novembre 1912, stipulant qu’automne ne peut être vu qu’en compagnie de gris, morne, triste, venteux, mélancolique, et violon, vous êtes donc en infraction grammaticale, syntaxique et surtout lexicale.
En conséquence et en vertu des pouvoirs alphabétiques qui me sont donnés, je vous condamne à trois ans de travaux forcés. Messieurs les gardiens de la rime, je vous en prie, veuillez accompagner le prévenu… »
« Affaire suivante ! »
2
Ce matin le tribunal académique est bondé. On y juge le gris. Enfin, quand je dis on juge le gris, il conviendrait peut-être plus de dire on juge gris…
Le juge de permanence est d’une humeur massacrante. La veille il a dû participer à une reconstitution un peu pénible, il s’agissait de la scène du crime commis par l’automne au printemps dernier.
Il doit lire l’acte d’accusation mais comme à l’accoutumée il lui faut d’abord rappeler à la cour l’identité du prévenu.
« Gris levez-vous ! »
« On dit de vous dans le compte rendu de l’instruction que vous affirmez être un adjectif mais qu’il vous arrive régulièrement de prétendre être un nom commun. C’est évidemment votre droit et je ne reviendrai pas là-dessus, mais qu’il me soit permis, eu égard à ce qui vous est reproché, de regretter cette autorisation que la loi grammaticale vous octroie… »
Gris, dans le box des accusés accuse le coup, mais ne dit rien, il semblerait même qu’il ait pâli.
Le juge poursuit.
« Gris, vous comparaissez devant ce tribunal car vous êtes accusé d’escroquerie et de tromperie. En effet, à plusieurs reprises vous avez été vu, plusieurs témoignages le confirment, en compagnie de rouge, de jaune, de vert et même de bleu et vous vous êtes étalé au point d’occuper toute la place. Je lis dans l’acte d’accusation qu’à plusieurs reprises ceux qui regardaient se seraient exclamés je cite : « oh que c’est beau ! ».
Gris baisse les yeux. Le juge continue sa lecture.
« Deuxième délit, et non des moindres, vous vous êtes introduit par effraction, et ce à plusieurs reprises, dans de nombreuses poésies et avez pris une place qui ne vous revenait pas, au point même d’obliger l’auteur à chercher des rimes en ris, et la cour doit le savoir mais lorsqu’on cherche à rimer avec le gris, on finit toujours par dire que c’est un mot qui sourit. »
« En conséquence et après en avoir délibéré, la cour vous condamne à rester définitivement entre le blanc et le noir et vous interdit à compter de ce jour de vous produire dans quelque tenue que ce soit lors des couchers de soleil »
« Garde veuillez accompagner le prévenu ! »
3
En cette fin de semaine très chargée, le tribunal académique doit juger un cas très particulier. Il s’agit d’une affaire dont on peut dire qu’elle est un peu trouble. C’est, en effet, sur la base de délations, par le biais de lettres anonymes, que la cour, après une rapide instruction, rend son jugement.
Nous sommes en fin de journée, la lumière a baissé. On distingue à peine le ou la prévenue dans le box des accusés.
Le président du tribunal est gêné : il sait que la salle peut réagir et faire de lui, pour quelques instants, le bouffon qu’il n’est pas. Tant pis, il n’a pas le choix. Il s’éclaircit la gorge et lance le tant attendu : « brume levez-vous ! »
Dans l’assistance, monte un léger murmure et quelques toussotements…
« Brume redressez-vous je vous prie, que les jurés puissent vous distinguer… »
Brume souffre. La lumière blafarde des néons est lourde. Brume a du mal à rester droite et debout et- convenons-en- se tient à la barre, un peu affalée.
« Brume cessez de vous répandre et restez concentrée sur ce que j’ai à vous dire ! »
« Brume, vous comparaissez aujourd’hui devant ce tribunal académique car vous êtes accusée du crime de haute trahison, et pire, d’intelligence avec l’ennemi. En effet, si je m’en tiens aux déclarations faites sous serment, vous avez été vue, ou plutôt aperçue, ces derniers mois, en présence de l’ennemi, et pire, en compagnie des forces de l’étrange.
Le président tient l’acte d’accusation entre ses mains tremblantes. La brume est toujours levée, le regard un peu dans le vide. Elle attend, les yeux dans le vague, d’apprendre ce qui lui est reproché.
« Le 8 mars, vous avez été surprise, au lever du jour, en compagnie de l’armée des mauves. Les témoins parlent, je les cite, d’une belle lumière apaisante… »
« Le 13 juin, vous avez déserté le fleuve auquel l’académie vous a attachée et ce pour vous rendre sans autorisation au sommet d’une verte colline. Les témoins parlent d’une, je cite : magnifique couronne cotonneuse… »
« Le 15 juillet, vous avez été aperçue, en fin de journée, à l’heure où tous les chats sont gris, à proximité d’une fête champêtre. Je cite les témoins : « avec la musique et les lumières, cette douce brume d’été nous a remplis de joie, et même d’allégresse »
« A plusieurs reprises, à l’automne finissant, vous avez choisi de vous adjoindre comme compagnons de phrases, sans leurs consentements il va sans dire, les mots légère, douce, bleutée et avez délibérément abandonné épaisse, grise et obscure. C’est grâce au courage civique d’un gardien de la langue que vous avez été confondue et stoppée dans votre entreprise de déstabilisation d’une longue série de mots qui sont en dehors de vos frontières.
En conséquence et après délibération avec le jury et en application de l’article R 233-12 du code de procédure matinale, vous êtes condamnée à une éternité de travaux foncés.
Pour la première fois j’intégrer dans l’article de mon blog du son, pour entendre Serge Regianni dire magnifiquement bien ce texte exceptionnel de Jacques Prévert ;
Cet amour Si violent Si fragile Si tendre Si désespéré Cet amour Beau comme le jour Et mauvais comme le temps Quand le temps est mauvais Cet amour si vrai Cet amour si beau Si heureux Si joyeux Et si dérisoire Tremblant de peur comme un enfant dans le noir Et si sûr de lui Comme un homme tranquille au milieu de la nuit Cet amour qui faisait peur aux autres Qui les faisait parler Qui les faisait blêmir Cet amour guetté Parce que nous le guettions Traqué blessé piétiné achevé nié oublié Parce que nous l’avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié Cet amour tout entier Si vivant encore Et tout ensoleillé C’est le tien C’est le mien Celui qui a été Cette chose toujours nouvelle Et qui n’a pas changé Aussi vrai qu’une plante Aussi tremblante qu’un oiseau Aussi chaude aussi vivant que l’été Nous pouvons tous les deux Aller et revenir Nous pouvons oublier Et puis nous rendormir Nous réveiller souffrir vieillir Nous endormir encore Rêver à la mort, Nous éveiller sourire et rire Et rajeunir Notre amour reste là Têtu comme une bourrique Vivant comme le désir Cruel comme la mémoire Bête comme les regrets Tendre comme le souvenir Froid comme le marbre Beau comme le jour Fragile comme un enfant Il nous regarde en souriant Et il nous parle sans rien dire Et moi je l’écoute en tremblant Et je crie Je crie pour toi Je crie pour moi Je te supplie Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s’aiment Et qui se sont aimés Oui je lui crie Pour toi pour moi et pour tous les autres Que je ne connais pas Reste là Lá où tu es Lá où tu étais autrefois Reste là Ne bouge pas Ne t’en va pas Nous qui nous sommes aimés Nous t’avons oublié Toi ne nous oublie pas Nous n’avions que toi sur la terre Ne nous laisse pas devenir froids Beaucoup plus loin toujours Et n’importe où Donne-nous signe de vie Beaucoup plus tard au coin d’un bois Dans la forêt de la mémoire Surgis soudain Tends-nous la main Et sauve-nous.
Extrait de Jacques Prévert, Paroles, Paris, Gallimard, 1946.
Ma micro-nouvelle « il manquait un voyageur » est qualifiée pour la finale du grand prix des lecteurs sur le site Short édition, mais les compteurs sont remis à zéro, si vous avez aimé ce texte, je vous invite donc pourquoi pas à le relire et à lui apporter une voix en cliquant sur le lien : https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/il-manquait-un-voyageur-1
Le tribunal académique est, une nouvelle fois, confronté à un cas épineux. Il doit, en effet, répondre à la plainte qui a été déposé par un mot, que les lois académiques, poétiques et bucoliques protègent envers et contre tous. Contre tous, oui mais, nous allons le voir pas contre tout, et surtout pas contre ces nouvelles lois numériques, aux contenus faméliques dont le code ne se résume qu’à un clic.
Et c’est bien là qu’est le hic…
C’est pour cette seule et unique raison que le tribunal académique est aujourd’hui réuni dans sa formation plénière. Ce qui signifie qu’autour du président, outre les assesseurs habituels ont été convoqués un troubadour, une poétesse, un clown au chômage, un tourneur fraiseur sur tour à commande poétique, une chanteuse boulangère et quelques autres trublions dont j’ai oublié le nom.
Le président du tribunal, se tourne vers la salle, emplie d’un côté d’amoureux heureux et de l’autre, de solitaires éconduits.
« Mesdames et messieurs, nous allons aujourd’hui étudier la plainte qu’a déposée, ce mot que sur toutes vos lèvres je lis, oui vous m’avez compris c’est de j’aime que je veux parler. »
« Aime, vous êtes venus accompagné de votre compagnon j’et c’est donc à vous deux que je m’adresse. Je ne vous demanderai pas, vu les circonstances, de vous lever, et je vous invite donc à écouter ce que le tribunal a décidé. »
« Considérant que j’aime est devenu aujourd’hui un signe que chacun utilise sans aucune réflexion, sans aucune émotion, aussi bien pour signifier son intérêt pour une pizza aux anchois, pour un article sur la crise boursière à Hong Kong, pour tout, pour n’importe quoi, le meilleur et surtout le pire, le tribunal a pris la décision suivante, exécutable immédiatement. »
« A l’unanimité, moins une voix, celle du banquier jongleur, nous instaurons à compter de ce jour une taxe exceptionnelle, dite « taxe qu’on aime ». Chaque clic sur un pouce levé, donnera lieu à une taxe à l’aimant imposé. Son montant sera de un euro par clic. Les sommes collectées grâce à cet impôt qu’on aime seront affectées à la construction d’un nouveau service public que nous avons décidé d’appeler : la MSP : « la Maison du Sourire Public »
Lisa est montée dans sa voiture. Elle a demandé à Jules de l’accompagner. Il a dit : on va où Lisa ? Elle n’a pas répondu et a souri, en lui touchant la main. Ses jambes ont bougé pour trouver les pédales. Ses jambes sont belles, Jules n’empêche pas ses yeux de se poser. Doucement, sans la gêner, sans lui donner le sentiment de n’être regardée que pour la beauté de ses jambes.
Jules est intimidé, il ne sait pas ce qu’il faut dire quand on est dans une petite voiture avec une femme si belle, avec une femme qu’on attend depuis tant de temps. Il sourit. Il est bien. Les vitres sont baissées. Ils traversent la fraîcheur.
Lisa lui dit qu’elle veut voir la ville d’en haut, elle veut la dominer, la sentir lui revenir en pleine mémoire. Voir la ville et la cicatrice qui la partage. Lisa conduit et Jules lui raconte l’absence, la sienne, la leur. Il lui raconte ce qu’il sait d’elle depuis ce toujours qu’ils ne parviennent pas à dater, tant il est loin, tant il est dans le début qu’on recherche. Et il entend que ses paroles n’ont pas le sens commun et il sait qu’elle écoute, qu’elle comprend. « Je le savais, je te savais, notre existence comme une certitude qui entre dans la tête quand on ferme les yeux, le soir, au début de nuit, quand le doute fabrique des questions » Lisa conduit, elle écoute Jules qui essaie de décrire et elle comprend ses mots. « Je te cherchais, dans les couloirs de ma mémoire, la peur comme un révélateur »
Jules a demandé à Lisa d’arrêter la voiture : il aime tous les mouvements qu’elle fait, elle tourne la tête pour reculer, il voit son cou qui se tend, ça fait comme une grosse veine sur le côté. La voiture est stoppée et Lisa s’étire, son bras droit passe derrière le siège de Jules, il sent qu’elle l’effleure, sa nuque frissonne. Sa vitre est ouverte et la fraîcheur du soir les caresse. Jules a tellement de pensées qui lui entrent dans la tête qu’il en a des bourdonnements d’oreille, comme un trop plein, il déborde. Lisa veut marcher pour aller voir la ville d’en haut. Ils sont seuls : c’est un soir de match, la ville est au stade et les autres, ceux qui n’y sont pas, attendent ou s’endorment devant les écrans vides. Ils sont au bout du chemin et la ville est en bas, Jules et Lisa sont heureux, ils sont ensemble.
« J’attends longtemps. Parfois, je trébuche, je perds la main, la réussite me fuit. Qu’importe, je suis seul alors. Je me réveille ainsi, dans la nuit, et, à demi endormi, je crois entendre un bruit de vagues, la respiration des eaux. Réveillé tout à fait, je reconnais le vent dans les feuillages et la rumeur malheureuse de la ville déserte. Ensuite, je n’ai pas trop de tout mon art pour cacher ma détresse ou l’habiller à la mode.
« D’autres fois, au contraire, je suis aidé. À New York, certains jours, perdu au fond de ces puits de pierre et d’acier où errent des millions d’hommes, je courais de l’un à l’autre, sans en voir la fin, épuisé, jusqu’à ce que je ne fusse plus soutenu que par la masse humaine qui cherchait son issue. J’étouffais alors, ma panique allait crier. Mais, chaque fois, un appel lointain de remorqueur venait me rappeler que cette ville, citerne sèche, était une île, et qu’à la pointe de la Battery l’eau de mon baptême m’attendait, noire et pourrie, couverte de lièges creux.
« Ainsi, moi qui ne possède rien, qui ai donné ma fortune, qui campe auprès de toutes mes maisons, je suis pourtant comblé quand je le veux, j’appareille à toute heure, le désespoir m’ignore. Point de patrie pour le désespéré et moi, je sais que la mer me précède et me suit, j’ai une folie toute prête. Ceux qui s’aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n’est pas le désespoir : ils savent que l’amour existe. Voilà pourquoi je souffre, les yeux secs, de l’exil. J’attends encore. Un jour vient, enfin… »
Oui, j’ai besoin, d’un ou plusieurs conseils… En effet, j’aimerai proposer quelques uns de mes textes poétiques à un éditeur, une revue, autres . Autant dans le passé j’ai pas mal exploré le monde de l’édition de fiction pour proposer plusieurs manuscrits ( dont je publie d’ailleurs de larges extraits) mais alors que j’écris de la poésie depuis toujours et que je continue, je n’ai jamais exploré ce monde là… Je suis donc preneur, en commentaires ou à mon adresse courriel ( eric.nedelec42@gmail.com) de vos conseils, adresses, etc….
Une merveille, je le publie en deux courtes parties, il faut prendre de le lire, le relire, s’en imprégner comme d’un baume apaisant.
« J’ai grandi dans la mer et la pauvreté m’a été fastueuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m’ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j’attends. J’attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide. Je patiente, je suis poli de toutes mes forces. On me voit passer dans de belles rues savantes, j’admire les paysages, j’applaudis comme tout le monde, je donne la main, ce n’est pas moi qui parle. On me loue, je rêve un peu, on m’offense, je m’étonne à peine. Puis j’oublie et souris à qui m’outrage, ou je salue trop courtoisement celui que j’aime. Que faire si je n’ai de mémoire que pour une seule image ? On me somme enfin de dire qui je suis. “Rien encore, rien encore… ”
« C’est aux enterrements que je me surpasse. J’excelle vraiment. Je marche d’un pas lent dans des banlieues fleuries de ferrailles, j’emprunte de larges allées, plantées d’arbres de ciment, et qui conduisent à des trous de terre froide. Là, sous le pansement à peine rougi du ciel, je regarde de hardis compagnons inhumer mes amis par trois mètres de fond. La fleur qu’une main glaiseuse me tend alors, si je la jette, elle ne manque jamais la fosse. J’ai la piété précise, l’émotion exacte, la nuque convenablement inclinée. On admire que mes paroles soient justes. Mais je n’ai pas de mérite : j’attends.
Jules aimait Lisa. Ce soir Jules l’aimait enfin. Il aimait à n’en plus pouvoir. Ils étaient soulagés. Elle, lui, ensemble, si près l’un de l’autre. Il y a tant de temps qu’ils attendaient, il y a si longtemps qu’ils s’attendaient. Lisa raconte ses malaises, sa peur du vide, du noir, de l’orage. Elle lui raconte : ce visage qu’elle découvre en fermant les yeux les soirs d’angoisse, elle ne peut pas le décrire. Ce visage c’était le sien elle le sait, elle se souvient. Elle raconte encore et Jules écoute, il sait qu’elle lui dira, il sait qu’elle est là, tout contre lui, il la sent, elle est douce et tendre, c’est si simple d’exister ensemble. Lisa lui dit que sa mère lui a parlé de l’orage en février, qu’elle lui a parlé de Jules. Elle lui a parlé de cette nuit où ils étaient tous les deux dans leur nid de verre, à imprimer leurs existences à venir, et elle qui dormait, elle qui pleurait, qui attendait. Lisa, quand elle lui parle de sa mère, elle a le bout des doigts glacés. Jules ne l’écoute plus, il observe les doigts de Lisa, elle les promène sur son avant-bras. Il fait chaud et il tremble, il tremble dans ce crépuscule moite. Crépuscule moite, ils sont beaux ces mots qui s’assemblent, il les répète, ça sonne si bien. Les doigts de Lisa comme une plume et les paroles qui s’envolent. Jules est dans le souvenir, il n’y a plus de porte étanche dans son usine à mémoire, tout est ouvert. Les plumes au bout des doigts, la musique de la voix et l’air frais, soudain, qui entre par flots, par paquets. Il ne voit rien, pas encore, mais il ressent. C’est fort, c’est le début. C’est un frisson comme deux peaux qui se touchent, les doigts poursuivent leur aventure et Jules sent la pluie qui entre dans ses veines. Une pluie chaude, riante comme il les aime.
Lisa a posé sa main, elle le serre, il a ouvert les yeux et son regard n’est plus le même, il est plus lisse, sans douleurs. Le sourire lui vient comme une délivrance, un soulagement. C’est si beau sourire avec des mots tout autour, et une histoire derrière.