La ronde des bonnes nouvelles : 3

Une disparition attendue…

Ce matin le réveil est un peu difficile. Il faut dire que rares sont les nuits calmes et sereines sans tous ces mauvais rêves que pour se protéger on répugne à appeler cauchemars. Le réveil est un véritable supplice. Je me traîne jusqu’à la cuisine tout en marmonnant : « s’il faisait beau, au moins je pourrais prendre mon café dehors ». Mais bien sûr il pleut, nous sommes le trois novembre, comment peut-il en être autrement ? Et en plus pour couronner le tout, c’est mardi. Un mardi de novembre. Je marmonne : il faudrait que je me bouge…

J’allume la radio avec le petit espoir d’entendre quelque chose d’engageant, d’encourageant : une bonne nouvelle quoi ?

J’appuie sur le bouton. Grésillement. Et puis une info : un flash info comme on le dit. Et c’est vrai qu’en guise de flash on ne peut faire mieux. Je dois le dire : j’ai sursauté et me suis cru sur la station qui passe en boucle toute la journée les mêmes sketches. Je vérifie. Non pas d’erreur je suis bien sur France Imper.

« … Sur recommandation du tribunal académique et après consultation du conseil insurrectionnel, le gouvernement a décidé de présenter demain mercredi un projet de loi à l’assemblée, portant modification du calendrier, avec pour principale réforme, l’élimination pure et simple du mardi… »

Eliminé le mardi : disparu, envolé… Je n’écoute pas les commentaires qui suivent cette annonce avec notamment un premier débat opposant les défenseurs du mardis aux avocats de tous les autres jours et particulièrement celui du dimanche dont on dit qu’il a usé de toutes ses relations pour préserver ce jour sacré qui semblait lui aussi être condamné…

Et voici que je me redresse, que je bombe presque le torse de satisfaction : quel bonheur de savoir qu’on est en train de peut-être vivre son dernier mardi de novembre…

Flash…

C’est le jour de la feuille blanche

Affamé je me suis invité

A la table des bien nourris

Au régime des lettres arrondies

Autour tous les ventrus

Les repus de verbes académiques

Le menu du jour est sinistre

Fade comme un jour sans pain

En entrée un vague sonnet

Le plat de résistance ne dit rien

On me dit sans rire que c’est du réchauffé

Où sont les rires

Ou sont les mots que j’aime

Les flacons flocons blasons

Les nénuphars et tintamarres

Les balbuzards

Où sont les boucles et plumes

Les ailes et doubles l

Je n’en peux plus

Je quitte ce banquet de rimes en rôt

27 février

La ronde des bonnes nouvelles : « on a appelé un chat, un chat »…

Ce matin à la une de mon journal rêvé des bonnes nouvelles :

Contre toute attente et alors que sur tous les plateaux de télévision, ont été invités les plus grand spécialistes, locaux, régionaux et nationaux en matière de zoologie, de sociologie animale, de psychologie féline, tout le monde, sans exception, après avoir observé attentivement, la photographie présentée à la une de cet article a affirmé – certes après quelques réflexions profondes (mais silencieuses) – : « oui il s’agit bien d’un chat, nous vous le confirmons sans ambiguïté ! »  Il faut bien l’appeler chat, car c’est un chat !  

Bien sur quelques journalistes friands de polémiques ont bien tenté d’introduire le doute.

« Oui, admettons qu’il s’agisse d’un chat, mais ne pensez-vous pas que votre rapidité inhabituelle à désigner comme chat, cet animal ne soit de nature à stigmatiser cet animal en l’enfermant dans une catégorie animalière qui disons-le, est aussi constitué d’éléments perturbants et perturbateurs.

Ce à quoi les spécialistes, sans se concerter, répondirent tous en chœur qu’il n’était quand même pas compliqué d’appeler chat, un chat…

La ronde des bonnes nouvelles…

Les mauvaises nouvelles, il y en a trop, ou ce ne sont qu’elles qu’on entend, qu’on retient, qu’on partage. Je vais donc essayer , tous les jours, autant que possible de trouver une bonne nouvelle, de la raconter, et si je n’en trouve pas, je l’inventerai, je la rêverai et je la partagerai. Pour commencer voici la ronde des bonnes nouvelles …

Lorsqu’une bonne nouvelle tu entendras,

Toujours tu la dégusteras.

En bouche tu la garderas.  

Les yeux tu fermeras.

Et alors seulement tu en parleras,

Aux autres tu diras :

Oh qu’elle était bonne cette nouvelle !

Elle pépillait,

Elle papillait,

Elle pétillait.

C’était une sacré bonne nouvelle !

Je vous la conseille.

Et surtout ne me demandez pas de commenter,  

Je l’ai déjà avalée,  

Et n’ai aucune envie de la recracher.

Par contre, oui,

Je peux vous le dire ;

Il existe bien un lieu

Où vous pourrez trouver

Des douces, des belles,

Des sucrées, des salées, des sacrées

Bonnes nouvelles…  

Seule la rouille est restée…

Tout doucement, cargo a glissé.

Houle qui roule l’a poussé.

Sur le sable fin, abattu, s’est posé

Grand corps affalé,

Seul et désarmé,

J’ai mal pour l’animal que tous ont oublié.

Seule la rouille est restée.

Patiemment, il attend la marée

Les premières vagues assoiffées lèchent

Une coque vide et fatiguée.

Seule la rouille est restée.

Le vent cruel s’est apaisé,

Il abandonne sur la plage le navire humilié.

Tas de ferraille désemparé,

Que la mer a licencié.

L’équipage est effacé,

Seule la rouille est restée.

Blessure du métal que l’océan a rongé,

Comme une coupure que les vagues ont creusée.

Seule la rouille est restée.

Cadavre de métal sur le sable échoué,

Pour le bateau blessé,

Larmes salées j’ai versées.

Mes Everest , Tomas Tranströmer

Face à face

En février, la vie était à l’arrêt.

Les oiseaux volaient à contrecœur et l’âme

raclait le paysage comme un bateau

se frotte au ponton où on l’a amarré.

Les arbres avaient tourné le dos de ce côté.

L’épaisseur de la neige se mesurait aux herbes mortes.

Les traces de pas vieillissaient sur les congères.

Et sous une bâche, le verbe s’étiolait.

Un jour, quelque chose s’approcha de la fenêtre;

Le travail s’arrêta, je levai le regard.

Les couleurs irradiaient. Tout se retournait.

Nous bondîmes l’un vers l’autre, le sol et moi.

Flash…

On dirait que tu m’oublies lui dit l’océan

T’oublier ?

Mais comment le pourrais je ?

Tu es là je le sais

Au bout de ce vide bétonné

J’entends tes vagues qui frottent

Le fragile quai de mes attentes de brume

Au coin de mon œil plissé

L’ombre tressée de tes embruns salées

J’entends dans le loin de tes silences embués

Les restes de nos étreintes enflammées

24 février

Mes Everest, Primo Levi : si c’est un homme…

Italian chemist and writer Primo Levi (1919-1987).

Nous découvrons tous tôt ou tard dans la vie que le bonheur parfait n’existe pas, mais bien peu sont ceux qui s’arrêtent à cette considération inverse qu’il n’y a pas non plus de malheur absolu. Les raisons qui empêchent la réalisation de ces deux états limites sont du même ordre : elles tiennent à la nature même de l’homme, qui répugne à tout infini. Ce qui s’y oppose, c’est d’abord notre connaissance toujours imparfaite de l’avenir ; et cela s’appelle, selon le cas, espoir ou incertitude du lendemain. C’est aussi l’assurance de la mort, qui fixe un terme à la joie comme à la souffrance. Ce sont enfin les inévitables soucis matériels, qui, s’ils viennent troubler tout bonheur durable, sont aussi de continuels dérivatifs au malheur qui nous accable et, parce qu’ils le rendent intermittent, le rendent du même coup supportable.

Flash…

Incroyable, ils se parlent !
Que tu dis-tu ? J’ai bien entendu ? Ils se parlent ! Tu me dis qu’ils se parlent ? Tu divagues…Ils ne peuvent pas se parler, c’est impossible ! Se parler, se parler, mais je rêve. Pour se dire quoi ? Oui, c’est ça, que se disent t’ils ? Est-ce que tu les as entendus ? C’est grave, il faut qu’on prévienne. Il va se passer quelque chose, tu te rends compte. Parce que s’ils se parlent, cela veut dire qu’ils ont levé la tête, qu’ils se regardent, qu’ils se voient…

Ecoute je te le dis, je crois que j’ai peur…

23 février…

Poèmes de jeunesse: regards..

Un souffle

De vie.

Pour longtemps.

Deux sourires,

Soudain.

En format souvenir.

Une joie,

Qui cogne

Aux fenêtres d’un civilisé du retard.

Rapide,

Un regard qui dure.

Deux regards qui tremblent

Et ils comptent

Sur leurs échiquiers intérieurs

Les fous qui leur jouent

Un hymne de mots

Pour un soir

Qui dure

Et ils trouvent ensemble

La route des autres

Et ils s’aiment

Vite

Mes Everest, Victor Hugo : « l’aurore s’allume », extrait.

L’aurore s’allume ;
L’ombre épaisse fuit ;
Le rêve et la brume
Vont où va la nuit ;
Paupières et roses
S’ouvrent demi closes ;
Du réveil des choses
On entend le bruit.

Tout chante et murmure,
Tout parle à la fois,
Fumée et verdure,
Les nids et les toits ;
Le vent parle aux chênes,
L’eau parle aux fontaines ;
Toutes les haleines
Deviennent des voix !

Tout reprend son âme,
L’enfant son hochet,
Le foyer sa flamme,
Le luth son archet ;
Folie ou démence,
Dans le monde immense,
Chacun recommence
Ce qu’il ébauchait.

Qu’on pense ou qu’on aime,
Sans cesse agité,
Vers un but suprême,
Tout vole emporté ;
L’esquif cherche un môle,
L’abeille un vieux saule,
La boussole un pôle,
Moi la vérité !

Mes Everest : Albert Camus , l’exil et le royaume…

…Des guirlandes d’étoiles descendaient du ciel noir au-dessus des palmiers et des maisons. Elle courait le long de la courte avenue, maintenant déserte, qui menait au fort. Le froid, qui n’avait plus à lutter contre le soleil, avait envahi la nuit ; l’air glacé lui brûlait les poumons. Mais elle courait, à demi aveugle dans l’obscurité. Au sommet de l’avenue, pourtant, des lumières apparurent, puis descendirent vers elle en zigzaguant. Elle s’arrêta, perçut un bruit d’élytres et, derrière les lumières qui grossissaient, vit enfin d’énormes burnous sous lesquels étincelaient des roues fragiles de bicyclettes. Les burnous la frôlèrent ; trois feux rouges surgirent dans le noir derrière elle, pour disparaître aussitôt. Elle reprit sa course vers le fort. Au milieu de l’escalier, la brûlure de l’air dans ses poumons devint si coupante qu’elle voulut s’arrêter. Un dernier élan la jeta malgré elle sur la terrasse, contre le parapet qui lui pressait maintenant le ventre. Elle haletait et tout se brouillait devant ses yeux. La course ne l’avait pas réchauffée, elle tremblait encore de tous ses membres. Mais l’air froid qu’elle avalait par saccades coula bientôt régulièrement en elle, une chaleur timide commença de naître au milieu des frissons. Ses yeux s’ouvrirent enfin sur les espaces de la nuit.

Mes Everest, Christian Bobin,

« L’histoire que tu vis, celle de chaque jour, est simple, donc incompréhensible. Aucun livre n’en fait mention, aucune lanterne de papier ne l’éclaire. Regarde. L’essentiel est dans ce que tu oublies et qui se tient devant toi. C’est par l’infime que tu trouveras l’infini, par ce calme regard sur l’ombre bleue, peinte sur une tasse de porcelaine blanche.
L’âme, sans doute, est imprégnée de cette couleur, ainsi que de lambeaux de vieux français et de chants anonymes, éternels…

Matinales…

Que vas-tu écrire ce matin ?

Oh si peu, tu verras…

Dans ma réserve de doux frissons,

Sans un bruit,

Sur la pointe de mes vers affaissés j’irai chercher

Quelques mots pressés au presque rien

De mes sourires en rime d’aurore.

Sur la longue page blanche

De mes lourds crève-matin

Je les étends sur le fil de mes rêves à finir

Inspiration…

Ecrire sur des pages de ciel bleu,

Voir les mots blanchis d’angoisse.

Ne pas finir, en petite note

Dans un coin triste

D’une marge grise.

Les entendre se poser,

Un par un.

Feuilles d’ange,

Regarde-les,

Doux, légers,

Ils roulent, entre tes lèvres.

Ecoute les.

Douce mélodie,

Aux syllabes arrondies

Ils planent et flottent

Sous la grand-voile

De ton rêve

Aux rimes oubliées.

Il est l’heure,

Invite-les,

Là, tout bas

Entre main et feuille

Dans l’entre-deux pâle et mauve 

D’une douce poésie

Qui caresse l’horizon.  

26 septembre 2019

La mer est basse…

Homme en plaine,

Ta mer est si loin,

Il te faut la rêver.

Elle est là, c’est elle.

Je l’entends.

Dans l’arrière-pays de ta tête,

Elle chante et danse,

De vagues couplets aux reflets bleus.

C’est si long,

Toute une nuit passée,

A pousser des cris de vent gris.

Au matin du levant,

Impatient,

Homme en peine,

Coeur à marée basse,

Ouvre les lames de ses yeux.

Il pleut des larmes salées,

Sur le sable fleuri.

Doucement, sans un bruit,

L’homme sans haine,

Lève son regard bleu,

Le pose au fond du ciel endormi.

Regarde-le,

Il pleure une vague échouée…

Mes rêves, éveillé : rêve 4. Un étrange voyage

C’est inhabituel mais j’ai supprimé la première version de cette micro-nouvelle, que j’ai publiée ce matin, car sur des conseils éclairés, je l’ai très légèrement modifiée, et je le crois beaucoup améliorée.

Plage de Cotonou, Bénin

Comme tous les matins, Il prend le train. Comme tous les matins, il sort son livre, prend son casque et invite Léo Ferré, à l’accompagner dans sa lecture ferroviaire. Camus sous les yeux, Ferré dans les oreilles : le trajet devient voyage. Quelques minutes passent, et les compagnons de « route », tout doucement s’effacent.

Ce matin-là, il lui semble pourtant, dès le début que quelques détails ont changé. Il ne pourrait dire lesquels mais quand il a posé le pied dans le compartiment, cherchant sa place habituelle (il aime les rites, il en a besoin pour s’envoler), il lui a semblé qu’aucun des visages ne lui étaient familiers. Curieux, cela fait quinze ans qu’il fait ce trajet, sensiblement aux mêmes heures, et tout le monde se connaît, ou plutôt tout le monde se reconnait, prenant évidemment grand soin à ne rien se dire pour ne pas prendre le risque de percer toutes ces petites bulles dans lesquelles chacun s’est enfermé.

Il s’assied, sort son casque, s’énervant au passage sur les nœuds qui comme toujours ont profité de la nuit pour se former. Il sort un livre de poche. De poche parce qu’il ne faut pas trop se charger. Il commence sa lecture.

Évidemment il s’agit de Camus. C’est l’étranger qu’il a choisi ce matin dans le rayon dédié à son maître absolu. Il l’ouvre, au hasard, et de toute façon sait qu’en quelques secondes il sera transporté. Il commence sa lecture : c’est le passage où Meursault est sur la plage et le drame va se produire ….

« C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent… » Il lève les yeux, pour reprendre son souffle : chaque mot est une vibration intérieure qui le secoue. Autour de lui les visages sont pâles, on devine l’angoisse… Il n’y prête pas attention. Il continue.

« Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver… » Il s’arrête, le souffle court. Il comprend que ce sont des gouttes de sueur qui tombent sur la page. « La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. »

Le train s’est arrêté, brusquement, il ne comprend pas tout de suite ce qui se passe. C’est la police ferroviaire, elle a surgi dans le compartiment. Ils se sont approchés de lui, et ont fait signe d’enlever le casque.

  • Que se passe-t-‘il ici monsieur ?
  • Il ne se passe rien, je lis c’est tout…
  • Mais vous ne pouvez pas, ce n’est pas possible, cela trouble le voyage des autres passagers !

Cela trouble le voyage des autres passagers. Il ne comprend pas, enfin pas tout de suite. Le policier est toujours devant lui, le regard un peu menaçant :

  • Vous savez lire non ?

Il pointe une petite affichette sur laquelle est écrit :

« Compartiment non-lecteur, no reading »

Il est discipliné et demande seulement une petite faveur : celle de terminer les quelques lignes qui lui restent sur cette page.

« J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur… »

Mes rêves éveillés : 3…

Tout d’abord personne ne s’est aperçu de rien, et quand on ne dit personne, on doit vite reconnaître que de toute façon on ne parle pas de beaucoup. Certes, il ne s’agit pas, une fois de plus, d’affirmer que le nombre de lecteurs diminue, mais de reconnaître que la lecture est de plus en plus instrumentale, et de moins en moins viscérale. Et quand j’utilise le terme de viscéral, il est celui qui est le plus approprié. Il s’agit de cette lecture qui part de l’œil, puis prend le frais dans l’arrière-pays de la tête avant de descendre dans les tripes, et tout remuer. Cette lecture a besoin de ces mots qui vibrent, de ces mots qui caressent, qui chantent, qui surprennent, de ces mots qui essoufflent, qui apaisent…
Pourtant ce matin, comme tous les jours Jules a commencé à feuilleter ces livres qu’il aime tant. Il a tourné quelques pages, rapidement, puis a pris son temps, et s’est arrêté gorge serrée. Partout sur la page, des trous, au début d’un vers, au milieu d’une strophe, dans un titre. Des mots se sont envolées, ils ont disparu. Il pense à une plaisanterie, un canular peut-être : qui aurait pu dans la nuit prendre le temps de lui voler des mots, des mots si beaux.
Il s’attarde sur un texte d’Eluard : dans ce magnifique texte, les étoiles se sont évanouies, les fleurs se sont fanées, les paupières se sont fermées. Il poursuit ses lectures et partout des trous ont pris la place des caresses, de la douceur, de la pluie. La mer et ses vagues ont disparu, plus de vent, pas un soupir, pas un frisson. Tous les mots qu’il aiment ont été enlevés. Jules est persuadé qu’il rêve encore, il se pince pour s’éveiller. Mais rien n’y fait, les mots, ses si beaux mots se sont échappés. Où se sont-ils cachés ?
Un peu déprimé, il ouvre la radio, peut-être une explication. Jules n’aime pas la radio, parce que ce sont des sons électriques, mais ce matin il se sent seul, si seul. Il écoute, il n’est pas un habitué, il écoute avec attention, avec curiosité et doucement, tout doucement il commence à sourire. Voici ce qu’il entend : « vous êtes bien sur votre radio habituelle, mais nous prions nos auditeurs de nous pardonner, ce matin pour une raison que nous ignorons encore, beaucoup de nos mots habituels ne passe plus à l’antenne, ils ne parviennent plus à sortir de la bouche de nos chroniqueurs et journalistes ».
Jules écoute, il sourit, il est bien, tous ses mots sont là, ils ont pris la place des mots en ique, des mots en tion, des mots en eur, il est si bien, c’est comme une douce mélodie… »

Mes rêves, éveillé…Rêve 2 : trois unes surprenantes…

Comme tous les matins, Jules se lève tôt, s’habille rapidement, et visage encore barbouillé des restes de la nuit, s’en va acheter la presse. Il ne se contente pas du seul journal régional, il aime aussi les quotidiens nationaux. Jamais les mêmes, il butine, il n’aime s’enfermer dans aucune camisole, encore moins de papier. Il aime ce moment ou devant le présentoir, il hésite, il compare les unes, les titres du jour et suivant son humeur, il en choisit un ou deux, jamais les mêmes. Il paie, les plie soigneusement et accélère le pas, impatient de les étaler sur la table, tout en buvant un grand bol de café.

Trois unes l’ont attiré ce matin : la première « Ecoute l’automne », la seconde : « Le monde : une île ! » et la troisième « Elle aime la lune ». Surprenants ces titres, on ne dirait pas de l’actualité se dit-il sur le chemin du retour. Mais il n’ouvre pas les journaux, il aime ce rite matinal, qu’il ne veut pas transgresser sous prétexte de curiosité.

Jules est dans sa cuisine, le café est prêt. Il s’installe. Comme d’habitude, son bol est légèrement sur la gauche pour qu’il puisse étaler les journaux et il commence sa revue de presse. Il débute par « Elle aime la lune ». Il lit rapidement les quelques lignes qui accompagnent la photo de la une. C’est vrai que cela lui semble léger, plus doux que d’habitude. Il ouvre le journal, poursuit sa lecture : « mais qui est-elle celle qui aime la lune ? »

Bref il lit et l’impression se confirme. Sa lecture est agréable ! Il ne parvient pas à en expliquer les raisons, mais il se sent bien. Il ouvre son deuxième quotidien, « Ecoute l’automne » : mêmes impressions, douceur, bonheur, sourires. D’ailleurs il le sent parfaitement qu’il sourit. Il est bien, tellement bien qu’il s’empresse d’ouvrir le troisième : « Le monde : une île ! ». Et là, comment dire c’est l’apothéose : c’est comme le premier stade de l’ivresse, il se sent gai, insouciant avec l’envie de s’étirer en souriant. C’est ce qu’il fait d’ailleurs !

C’est dans ce mouvement qu’il aperçoit le gros titre du quotidien régional : « Catastrophe dans le monde de la presse nationale : les lettres R et les lettres S ont totalement disparu des rédactions ! ».  

16 novembre 2019

Cinq rêves, éveillé, : rêve 1

Une nouvelle rubrique : « mes rêves éveillé, et je précise que bien sûr celui qui est éveillé, c’est moi, je rêve et j’écris : voici le premier de cette petite série

C’est un mardi matin du mois de novembre 2020, je crois, que tout a commencé. Ou plutôt que tout a recommencé. C’est simple. Ce matin-là, au réveil, aucun écran n’est éclairé. Et quand je dis aucun, c’est vraiment aucun !


Ecrans petits et grands,
Écrans numériques,
Écrans électroniques,
Ecrans cathodiques,
C’est le noir,
Noir sidéral,
Pas une diode,
Pas un clic,
C’est la panique


C’est impossible, il doit y avoir un hic. Chacun accuse : c’est la prise, c’est le câble, c’est le réseau électrique…. Au saut du lit, le premier geste est pour l’écran. Vite : réveiller la machine, vite regarder, on ne sait jamais…Une information importante est peut-être arrivée dans la nuit. Mais là rien, l’écran est figé, glacé, il ne réagit pas. Le doigt s’agite, le cœur palpite…
Et c’est ainsi qu’au même moment, dans tout le pays, des millions de personnes allument, rallument leur téléphone et rien ne ,se passe. Ils triturent le câble, vérifient la prise, cherchent un coupable : l’époux, l’épouse, les enfants, le chat, l’état. En quelques minutes, la panique enfle, elle s’installe, partout.
En quelques minutes… Façon de parler. Le temps est difficile à estimer. L’heure aussi, n’existe que sur des écrans : l’heure est numérique, l’heure est électronique. Ce matin l’heure n’existe plus, elle s’est échappée, elle s’est enfuie.
Le jour est levé. Les pas sont lourds, les épaules sont basses. Il faut se résoudre à prendre le petit déjeuner. Tout le monde se retrouve autour de la table, les écrans vides et gris sont posés à côté du bol, petits objets inertes. Il se produit alors quelque chose d’incroyable, les visages se redressent, les lèvres remuent, et des sons sortent, au début ce ne sont que des grognements. Puis des mots se forment : tiens on avait oublié comme c’est joli un mot, même petit. Partout, on parle, on se parle. Pour commencer la météo, et incroyable on regarde par la fenêtre. Formidable cette application, on voit le temps qu’il fait. Et tout s’accélère, des mots, puis des phrases, des conversations, des sourires.


Il est huit heures,
Partout cela bourdonne,
Parfois cela ronchonne,
Il est huit heures,
Plus un clic
Numérique, électronique,
L’heure est si belle,
Vêtue de ses plus belles aiguilles….

14 novembre 2019

Le coucher de sommeil : suite et fin…

Elle les écoute avec respect et attention et sans même s’étonner de ce qu’ils font là au creux de sa main elle leur répond qu’elle est bien d’accord, que ça fait longtemps que tout cela elle le dit, elle, elle le pense.

« Moi je vous crois, moi je suis comme vous ». Vous savez ce qu’il faut faire c’est continuer à ne pas douter, à ne pas douter de vous, il faut continuer à poser toutes les questions que vous avez dans la tête parce que si vous ne posez plus de questions les autres ils croiront qu’ils ont gagné, ils croiront que vous êtes devenus comme eux, fades, tristes, avec que des réponses toutes faites, des réponses toutes simples, des réponses pour être comme les autres comme tous les autres, mais vous comme moi on n’est pas comme les autres, nous on veut encore et toujours s’émerveiller, on veut encore et toujours dire que rien n’est sûr,  que ce qui est vrai ça n’existe pas ou pas longtemps, parce qu’on se trompe toujours »

Vous le savez bien avant il fallait pour être bien, pour être comme les autres, dire que la terre était plate, et quand on disait autrement on mourrait et ben maintenant moi je vous le dis il faut continuer à douter, à douter de tout même de ce qui semble être sur et il faut rêver, il faut voir le possible partout.

Tenez moi par exemple j’ai envie de croire qu’un jour pour aller à l’autre bout du monde il n’y aura plus besoin d’avions il suffira de prendre un ascenseur pour l’espace et d’attendre là dans une espèce de cabine, d’attendre que la terre tourne et alors quand juste en dessous il y aura la ville, on descendra c’est simple non, et bien vous savez j’ai envie d’y croire.

« J’ai envie aussi de dire qu’un jour on ira dans une école où on a apprendra à poser des questions, à tout remettre en question plutôt qu’à ingurgiter les réponses des autres, de tous les autres. Vous savez il faut que vous reteniez une chose, il n’y a qu’une chose qui vous appartient ce sont les questions que vous posez, que vous vous posez, les réponses elles ne vous appartiennent pas, les réponses elles sont toujours la propriété de quelqu’un d’autre de quelqu’un que vous ne connaitrez jamais ».

Elle avait toujours la main tendue devant elle et plus elle parlait plus elle entendait sa voix comme si elle venait d’ailleurs, le groupe d’enfants qu’elle avait dans la main grandissait,  elle le sentait, elle le sentait, pas parce qu’ils devenaient plus lourds, mais parce qu’elle les voyait sourire, parce qu’elle les voyait exister.

Ils existaient et ils étaient en train de le comprendre.

Le rêve c’est beau, le rêve on devrait pouvoir l’enregistrer, on devrait pouvoir se brancher le matin pour revoir le merveilleux de la nuit. C’est ce qu’elle se dit ce matin en ouvrant la fenêtre elle a encore plein d’images de la nuit dans la tête derrière les yeux. Quand elle a posé le pied sur la terrasse elle s’attendait presque à trouver le sable, de ce sable si fin, de ce sable qui ressemble tant à de l’eau. Le sable, l’eau, les grains, les gouttes, elle sourit en s’étirant, elle va appeler ses frères pour leur donner la réponse. Ce matin elle est heureuse elle sait qu’elle est dans le vrai, elle sait que c’est comme cela qu’on l’aime, que c’est comme cela qu’on l’admire.

Elle ferme les yeux juste une seconde et là dans son écran intérieur, il y a un coucher de sommeil, un coucher de sommeil, tiens donc,  pourquoi pas après tout, quand la nuit est terminée quand elle a été belle, que les couleurs que le rêve a fabriqué n’existent pas encore, quand les enfants sont si petits qu’ils tiennent au creux d’une main, quand les autres, les bien-pensants ne sont que des figurants alors on a bien le droit de parler d’un coucher de sommeil.

C’est tout !

Nouvelle écrite en décembre 2011

Le coucher de sommeil : 3

De l’eau, il y en a au robinet mais ce n’est pas celle-ci qui l’intéresse. Elle va descendre pour s’approcher de la mer,  de cette mer.

Elle entre dans l’appartement son compagnon dort encore, elle s’habille pour aller au bord de l’eau. En même temps elle se dit qu’il ne faut pas qu’elle oublie de téléphoner à ses frères pour leur dire que dans une petite poignée de sable il y a presque 12000 grains de sable. Ils vont lui demander comment elle peut le savoir et elle va leur expliquer. Mais  elle se dit qu’ils ne la croiront pas, qu’ils lui diront qu’elle a fumé.

Qu’elle a fumé ! N’importe quoi, jamais elle ne s’amusera à cela mais alors :  qui pour la croire ? Là tout de suite maintenant, elle va voir si ce truc-là ne marche que pour le sable, elle s’est approchée de ce qui ressemble à la mer, même si derrière elle distingue encore les montagnes.

Elle recueille entre ces deux mains un peu de cette eau, c’est presque la même sensation que le sable, elle ferme les yeux 18 546. Ca y est, cette fois elle a la réponse, elle s’en doutait de toute façon, il y a plus de gouttes d’eau c’est sûr.

  • Penser à téléphoner à ses frères, à son père et leur dire qu’il y a plus de gouttes d’eau que de grains de sable. 

Elle allait remonter chez elle quand soudain elle a entendu que quelqu’un l’appelait par son prénom, d’abord elle n’a vu personne et puis en baissant les yeux presque devant ses pieds nus, elle a vu tout un groupe de gens, minuscules, à peine plus grand qu’un ongle. Elle s’est baissée et avec la main droite elle les a ramenés dans le creux de sa main gauche, avec un peu de sable humide ; elle a porté la main à hauteur des yeux et elle a vu tout un groupe. Qui ils étaient, elle ne savait pas, ce qu’ils faisaient là elle ne savait pas non plus mais en prêtant bien l’oreille et parce que la mer était calme elle distinguait bien quelques paroles, cela semblait être des paroles de colère. Ils étaient bien une dizaine, des enfants là au creux de sa main.

« On en a marre, personne ne nous croit, personne ne nous croit jamais, on est toujours à nous dire qu’on est trop petit, qu’on verra, qu’on comprendra plus tard quand on sera plus grand, on n’en peut plus de ne plus exister, nous ce qu’on sait c’est qu’un jour on rencontrera quelqu’un qui nous écoutera qui nous croira qui nous verra et alors on existera ».

Alors elle s’est assise là par terre, enfin plutôt par sable parce que quand on est au bord de la mer on oublie la terre, même si la terre elle porte le sable sur elle et la mer aussi mais ça aussi c’est une autre question.

« Pourquoi on nous dit qu’il ne faut pas jouer avec la terre, que c’est sale,  et quand on est à la mer on nous oblige à jouer avec le sable : c’est compliqué les mots, nous on voudrait qu’on nous laisse comprendre ce qu’on veut ».

« Pourquoi on nous dit qu’il faut être sage à l’école et en même temps si on parle trop à table on nous dit : sois sage, parle pas à table ! Et après à l’école on nous dit que si on ne dit rien, si on ne parle pas c’est qu’on ne s’intéresse pas ! »

« Et pourquoi on dit des vieux qui ne disent pas grand-chose mais que tout le monde écoute quand il récitent une phrase qui ne veut rien dire qu’ils sont des sages. On y comprend rien on ne veut pas être des sages on veut pouvoir parler quand on a envie de dire quelque chose ».

« Pourquoi quand les grands, les adultes parlent de nous, ils cherchent à savoir ce qu’on pense ce qu’on ressent, alors qu’ils ne nous le demandent jamais pourquoi ils disent à notre place ce qu’on pas envie de dire. »  

Elle les écoute, en silence parce que le moindre bruit risque de couvrir leur voix elle les écoute et elle sait qu’ils ont raison ? Ils continuent leur liste de pourquoi.

« Pourquoi quand on est tout petit on nous oblige à embrasser des vieilles tantes fripées à l’odeur de naphtaline en nous disant que ça lui fera plaisir que c’est une vieille tante, qu’elle a jamais eu d’enfants et que quand on est grand,  un peu plus grand on nous dit que c’est pas bien d’embrasser le premier  venu même si il est jeune, même s’il est beau, même si on l’aime. » 

« Pourquoi on nous dit, à longueur de journée : tu ne peux pas comprendre quand on pose des questions sur ce qui nous intéresse, nous rend curieux et par contre on nous dit d’essayer de comprendre de faire des efforts quand on est à l’école ? »

Le coucher de sommeil, 2

12 763 !

Et puis soudain alors que la liste ne cessait de s’allonger, elle a poussé un petit cri, à peine de l’étonnement car rien ne l’étonne et un rien l’étonne c’est d’ailleurs ce qui fait qu’elle est si étonnante et que tout le monde aime quand elle est là.

Là, dehors à la place de l’immense terrasse, il y avait la plage,  et plus loin à la place du grand pré qui bordait le bâtiment, de l’eau, de l’eau bien bleue. En fait ce qu’elle voyait devant elle ce n’était rien d’autre que la mer, de la mer et de la plage. On ne dit pas comme cela d’habitude ? De la mer et de la plage ? Incorrect, cette formulation et bien tant pis se dit-elle moi ça me plait, ça a plus de sens !

Tant d’autres auraient hurlé de terreur, ou seraient partis se recoucher certains d’être encore en plein sommeil ou sous l’emprise de quelques substances hallucinogènes. Mais elle,  il lui en fallait plus pour la déstabiliser, elle n’a pas mis longtemps à réagir et à chercher puis trouver une réponse, une réponse que pourtant elle garde bien au chaud dans une de ses  boîtes à explications.

Son souci pour le moment c’est le sable, juste au bord de la porte fenêtre, il ne faudrait pas qu’il entre, elle n’aime pas le sable quand il s’insinue là où il n’est pas fait pour aller. Elle n’a pas fait de bruit pour ne pas réveiller son compagnon et s’est dit qu’il faudrait chercher le parasol et des serviettes de plage, c’est quand même mieux pour le sable, surtout qu’ils annoncent le beau pour les prochains jours. Elle sort sur la terrasse, enfin sur la plage, tout en se disant qu’il faudrait qu’elle ajoute deux ou trois choses dans sa liste

  • Téléphoner à sa mère pour lui demander où sont les  rabanes
  • Ajouter à la liste de course de la crème solaire
  • Regarder les horaires des marées

Elle est dehors les pieds nus dans le sable. Le sable il est encore plein de fraîcheur, ça lui fait comme un gazouillis sous les pieds. Alors machinalement elle se baisse et prend une poignée de sable dans le creux de la main.

C’est un sable comme elle n’en a jamais touché, d’une douceur incroyable, elle ferme les yeux presque machinalement, et là soudain comme une diapositive qui se projette sur son écran intérieur, elle lit 1239, elle ne comprend pas immédiatement, mais elle  a un pressentiment. Alors elle jette sa poignée de sable et elle en prend une autre,  plus grosse celle-ci, elle ferme les yeux et elle lit 12763.

Incroyable elle vient de comprendre : tout en gardant les yeux fermés elle laisse couler comme un filet de sable et elle voit les chiffres qui défilent, elles referment les mains et c’est le chiffre 9734 qui s’affiche. Super, ce truc ça lui plaît, elle va pouvoir enfin savoir : plus de  gouttes d’eau ou plus de grain de sables ?

Le coucher de sommeil : 1

Une nouvelle écrite il y a quelques années, je la publierai en 4 parties ….

Un matin elle s’était levée plus rapidement que d’habitude avait tiré les rideaux d’un geste précis, ouvert la fenêtre et en quelques secondes avait décidé que cette journée ne serait pas comme les autres. Pas comme les autres parce que tout le lui disait, partout, ce qu’elle voyait, ce qu’elle sentait, ce qu’elle ressentait, ce qu’elle entendait lui confirmait sa certitude de la nuit, aujourd’hui serait la journée des réponses, la journée ou tout s’éclairerait. Cette nuit comme souvent, comme parfois des questions avaient tourné en boucle dans sa tête des questions sur la vie, sur la mort, sur l’amour, sur les autres, des questions sur l’absurde, sur la bêtise, sur l’indifférence, des questions sur l’insuffisance, sur le mépris, sur les fausses idées, sur le temps, pas sur le temps des nuages, pas sur le temps du soleil, non sur le temps qui s’accroche aux pendules, aux aiguilles ce temps qui vous pique.

Cette nuit elle avait eu 25 ans et comme elle est quelqu’un d’organisé contrairement à ce que certains croyaient autrefois parce qu’on s’attache trop aux détails aux apparences elle a décidé cette nuit de chasser toutes ces questions et demain de chercher les réponses, toutes les réponses.

Elle n’a pas tout de suite remarqué le changement dans le paysage, concentrée qu’elle était à cette nouvelle journée qui s’ouvrait, les yeux grands ouverts, il y avait comme une liste qui se déroulait derrière son regard rieur, elle n’aimait pas être prise au dépourvu et aimait organiser ses journées.  

Aujourd’hui, c’était entre autres.

  • Finir ses courses sur internet
  • Choisir un cadeau pour sa sœur
  • Téléphoner à sa mère pour lui dire qu’elle avait choisi un cadeau pour sa sœur
  • Choisir un cadeau pour sa mère avec ses frères
  • Téléphoner à ses frères pour leur dire qu’elle allait choisir un cadeau pour leur mère
  • Faire un gâteau pour ce soir
  • Prévenir par téléphone ses amis qu’elle ferait un gâteau pour ce soir
  • Finir les courses pour faire un gâteau pour ce soir
  • Téléphoner à sa mère pour lui demander ce qu’elle aimerait comme cadeau pour Noël
  • Dire à son compagnon de changer la litière du chat
  • Téléphoner à ses autres amis pour dire qu’elle ferait un gâteau pour ce soir
  • Et plein d’autres choses encore

Et puis soudain alors que la liste ne cessait de s’allonger, elle a poussé un petit cri, à peine de l’étonnement car rien ne l’étonne et un rien l’étonne c’est d’ailleurs ce qui fait qu’elle est si étonnante et que tout le monde aime quand elle est là.

Carnets…

Ce qui est triste et surtout dangereux dans ce monde qui n’est déjà plus celui du demain mais celui du jamais c’est qu’on ne parle plus, on ne se parle plus.
On ne se parle plus parce qu’on ne sait plus on ne veut plus s’écouter. Les mots qui sortent de votre bouche et qui essaient alors avec cette fière humilité de s’assembler pour former une pensée, de formuler un avis, un point de vue voire même d’exprimer une conviction ne sont plus écoutés, ils sont simplement entendus comme un bruit de plus dans cette monstrueuse cacophonie médiatique.
Ils sont alors immédiatement passés au gros tamis des réactions claniques qui s’estiment supérieures parce qu’elles sont persuadées d’être nourries d’idéologies qui ne sont rien d’autres que des dogmes.
On ne cherche pas qui tu es lorsque tu parles mais on s’intéresse à ce que tu es pour t’enfermer dans une cage ou une pensée différente devient la preuve d’une trahison. On cherche à te dire à qui tu appartiens où à qui tu dois désormais appartenir. C’est ainsi qu’aujourd’hui se construit le soit disant débat politique. Lorsque je formule des idées lorsque j’exprime des convictions que j’ai pris le temps de construire avec exigence et respect je suis immédiatement renvoyé dans des périmètres idéologiques que je combat pourtant de la même manière depuis toujours. C’est par exemple ce qui se produit lorsque je parle de ma vision de la laïcité.
En conséquence et ce post est une rare exception je me tais et je m’épanouis dans l’expression poétique qui pour quelques temps est préservée…

Poèmes de jeunesse…

Un souffle
De vie.
Pour longtemps.
Deux sourires,
Soudain.
En format souvenir.
Une joie,
Qui cogne
Aux fenêtres d’un civilisé du retard.
Rapide,
Un regard qui dure.
Deux regards qui tremblent
Et ils comptent
Sur leurs échiquiers intérieurs
Les fous qui leur jouent
Un hymne de mots
Pour un soir
Qui dure
Et ils trouvent ensemble
La route des autres
Et ils s’aiment
Vite

Ecoute petit homme…

Ecoute petit homme,
Ecoute.
Il est si beau ce monde qui ne dit rien.
Il est si beau ce monde,
Il te parle, c’est le tien.

Regarde petit homme heureux,
Regarde ces furieux,
Fanatiques, frénétiques,
Ils ont le cœur électrique.

Ils préparent la prière,
Hymne cathodique
Aux rimes numériques,
C’est le matin du malin.

Nuques raides, regards vides,
Les impatients sont livides,
Epuisés, lessivés,
Un long sommeil les a lavés.

Ô Nuit blanche et câline,
Ne t’épuise plus à blanchir
Ces haines rances à mourir.
Semées sur l’écran creux
De leurs rêves sans bleu.

La nuit les a libérés.
Il est l’heure,
Affamés, ils attendent
La victime par eux condamnée.
Leurs mots sont prêts
Ils vibrent, affutés, aiguisés,
Ils vont frapper !

Pas un regard pour ton monde qui sourit.
Ils attendent leurs matins numériques.

Rien ne brille, rien ne bouge

Hystériques ils cliquent, ils cliquent
Ils cliquent,
Et ce matin, petit homme,
C’est une claque,
Une claque pour les creux.
Les écrans sont lisses et vides.

Les nouvelles du jour ?
Parties, envolées, manipulées, falsifiées ?
Que va-t-on devenir, on est seul, isolés…

Le monde les voit
Il pleure de cette embolie
Il rit de cette folie

Mais cette nuit, petit homme,
Le monde a agi.
Le monde ne regrette rien
Il le fallait, il l’a fait.

C’est si simple,
Petit homme
La poubelle était pleine,
Le monde l’a vidée,
Et dehors l’a laissée.

Ragoût…

Dans la réserve glacée
De mes idées noires
J’ai choisi un vieux reste
D’angoisses ressassées

Dans un bouillon clair
De rires rentrés
Je les ai laissé mijoter

Un lourd couvercle
Patinée de mémoires enfumées
Sur le ragoût
J’ai posé

Et dans le lent soir rosé
Une fleur de printemps
Sur la flamme j’ai saupoudrée

Mes Everest : Baudelaire, la musique

La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile ;

La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile,
J’escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile ;

Je sens vibrer en moi toutes les passions
D’un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions

Sur l’immense gouffre
Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir !

Flash…

A quoi pensent les oiseaux ?

A rien me dites-vous ?

Ils n’en n’ont pas l’utilité,

C’est si simple ils se contentent de voler !

De voler certes,

Mais aussi de crier, de piailler,

De jacasser, de croasser,

De tourbillonner de planer,

De siffler,de souffler,

Et bien sûr ils nous voient,

Pauvres du tout en bas

Écrasés,effacés,

Courbés,oubliés,

C’est bien je vous crois…

Et que disent-ils de nous ?

Ô si peu,

Ils n’ont pas besoin de nous…

8 février

Mes Everest : Jim Harrison, »berceuse pour une petite fille »…

Dors. La nuit est une houillère
noyée d’eau noire –
la nuit est un nuage sombre
gorgé de pluie tiède.

Dors. La nuit est une fleur
lasse des abeilles –
la nuit est une mer verte
grosse de poissons.

Dors. La nuit est une lune blanche
montant sa jument –
la nuit est un soleil éclatant
noir et calciné.

Dors,
la nuit est là,
jour du chat,
jour de la chouette,
festin de l’étoile,
la lune règne sur
son doux sujet, obscure.

Flash…

Pourquoi tant de trains, de rails, de gares sombres, de lumières au jaune blafard. Et bien je vais être sincère : j’aime ça, profondément, intensément. C’est tout et simplement déjà beaucoup. Ô vous pourriez répondre que c’est un peu facile que j’ai besoin de fabriquer de la mélancolie ou de pousser celle que je peux parfois avoir en moi. Et après tout, pourquoi pas ? Je l’assume. Il serait certes plus facile de se contenter de ces images à l’académisme convenu et surtout confortable. Mais non, à cela je ne parviens pas. Mes inspirations doivent prendre le chemin de l’émotion. Pour surgir, pour picoter le bord des yeux, oui, elles attendent le train, elles aiment le métal qui gémit, les odeurs que fabrique la vitesse électrique.

Et quand la gorge commence à serrer, quand on comprend que les larmes sont sur le chemin, on se dit alors qu’il faut y aller, se laisser porter et dériver sur ce long fleuve ferré…

6 février

Poèmes de jeunesse :  » à toi.. » deuxième partie

Mais on y croit encore

Parce que l’unique s’immobilise

Parce que la règle est identique

Parce que les textes gravent leurs mots

Pour s’en souvenir

Et pour que les autres disent

Qu’ils ont bu

Une autre chose

Une autre dose

Qui oublie le hasard

Du verbe sans sommeil

Qui oublie le remords

Du jour sans soleil

A vanter des histoires

On finit par crever

Alors toi tu t’inventes une mort

Pour les lèvres de celle qui t’écoute

Et tu lui parles d’une autre

Partie pour là-bas

Et elle te tient la main

Parce qu’elle sait que t’as peur

Et toi tu as envie de lui dire

Que tu l’aimes

Parce que c’est vrai

Mais tu as peur

Parce qu’elle est trop proche

Parce qu’elle ressemble trop

Au souvenir

Que tu as voulu oublier

Mais qui appartient aussi à d’autres

A celles que tu n’as pas prévues

Mais que tu arrives à rencontrer

Février 1980

Poèmes de jeunesse : « à toi » première partie

Je reviens avec mes poèmes de jeunesse : en voici un nouveau que je viens de redécouvrir et que je publie en deux parties…

Gueule de vagabond

Esprit moribond

Ton oeil se perd dans ta mémoire

Comme ta larme

A l’horizon de ton regard

S’est noyée

Dans un voyage sans retour…

Partie, finie

Totalité sans remords

Pour un fou qui s’en fout

Dans l’histoire de son rêve

Qui s’étouffe en recherchant

Partie, finie

Jouet d’un regard

Qui dit toujours non

Parce qu’il a peur du champ

Où ils ont cultivé son indifférence

Et où il a disparu

Emporté par une affreuse ressemblance

Avec la mort

Des ceux qui le lui ont dit…

Mais pourquoi

Pourquoi ?

Matinales…

Non, décidément je ne parviens pas à rester sans écrire. Ô bien sûr, il m’arrive de traverser un long désert poétique. Ma boussole s’affole à chercher l’oasis des rimes. Les rives mauves tapissées de mots aux ombres courbes se sont éloignées. Alors je ne cherche plus, je marche sur cette longue feuille sèche où mes pas glissent en crissant. Je tourne alors les yeux vers tous les arrières pays de mes rêves inachevés. Je souris en entendant coulis, clapotis et cliquetis qui emplissent en dansant ce bel et blond flacon…

6 février

Inspiration…

Ecrire sur des pages de ciel bleu,

Voir les mots blanchis d’angoisse.

Ne pas finir, en petite note

Dans un coin triste

D’une marge grise.

Les entendre se poser,

Un par un.

Feuilles d’ange,

Regarde-les,

Doux, légers,

Ils roulent, entre tes lèvres.

Ecoute les.

Douce mélodie,

Aux syllabes arrondies

Ils planent et flottent

Sous la grand-voile

De ton rêve

Aux rimes oubliées.

Il est l’heure,

Invite-les,

Là, tout bas

Entre main et feuille

Dans l’entre-deux pâle et mauve 

D’une douce poésie

Qui caresse l’horizon.  

26 septembre 2019

Poèmes de jeunesse :

Il m’en reste encore, que je retrouve de ci, de là…. En voici un, une pépite, écrite en 1981…

La liste de tes dégoûts

Dépassaient l’infini de ta soif

T’ajoutes de la pluie

A tes yeux secs

Ton soleil brillait

Le soir à intervalles réguliers

Entre deux cris de présence

Tu filtrais les paroles

En enfilant les vers

Sur des fils sans bouts

Matinales…

Souviens-toi c’était hier

Le temps était aux rires

Nous levions les yeux

De noirs oiseaux se moquaient

Des hommes d’en bas aux rêves arrachées

Souviens-toi nous nous parlions

Je vivais tu existais

Il attendait elle espérait

Tes mots s’envolaient

Ils étaient beaux ils étaient doux

Entre mes doigts ils se caressaient

Souviens-toi le ciel nous observait

2 février