Regarde Oh oui regarde Lève les yeux Oublie L’ombre épaisse des mauvais rêves De tes nuits agitées Glisse Penche-toi en riant A la fenêtre des absents Regarde Oh oui regarde La lumière est si belle Elle s’étire doucement Entre les tendres bras Du matin des amants Ecoute Oh oui écoute Tu l’entends te dire Je t’attends…
Au fond de la nuit la plus nue Pas trace de village sur la houle Je n’ai qu’à prendre ta main Pour changer le cours de tes rêves Embellie ton haleine malmenée par la rixe
Tous les sentiers qui te dévêtent Ont dans le lierre de mon corps Perdu leurs chiens leurs carillons La tige émoussée de l’étoile Fait palpiter ton sexe ému A mille lieues vierges de nous Nous restons sourds à l’agneau noir A toute goutte d’eau d e pieuvre Nous avons ouvert le lit A la pierre creuse du jour en quête de sang De résistance
C’était l’heure des sans amis Penché vers un presque rien Je voulais prendre ce chemin Et rêvais d’y rencontrer les hommes Aux doux regard paisibles Qui rêvent de lendemains Aux bords ronds et malins J’ai marché jusqu’au dernier bout Lointain Oh si lointain Elle était là Seule et perdue Vêtue d’une longue trainée de brume Elle attendait en souriant Je te savais Tu le sais Entre tes larges marges inventées Je t’avais inventé
Au printemps au printemps Et mon cœur et ton cœur Sont repeints au vin blanc Au printemps au printemps Les amants vont prier Notre-Dame du bon temps Au printemps Pour une fleur un sourire un serment Pour l’ombre d’un regard en riant
Toutes les filles Vous donneront leurs baisers Puis tous leurs espoirs Vois tous ces cœurs Comme des artichauts Qui s’effeuillent en battant Pour s’offrir aux badauds Vois tous ces cœurs Comme de gentils mégots Qui s’enflamment en riant Pour les filles du métro
Au printemps au printemps Et mon cœur et ton cœur Sont repeints au vin blanc Au printemps au printemps Les amants vont prier Notre-Dame du bon temps Au printemps Pour une fleur un sourire un serment Pour l’ombre d’un regard en riant
Tout Paris Se changera en baisers Parfois même en grand soir Vois tout Paris Se change en pâturage Pour troupeaux d’amoureux Aux bergères…
J’ai commencé depuis lundi le journal poétique de cette terrible période, parce que je sais par expérience que les mémoires sont molles et qu’il est nécessaire de garder une trace…
On le disait homme du passé Plus rien n’est comme avant, homme dépassé Plus rien me dites-vous Permettez-moi de rire et d’en douter Je ne veux pas de ce monde sans ce soleil taquin Je ne veux pas de vos vies enfermées Dans un rectangle aux angles numériques Je n’en veux pas de vos matins incolores Sans cette douce lumière qui caresse Les restes mauves de la longue nuit Je n’en veux pas de vos morales hygiéniques Je n’en veux pas de vos peurs organisées Moi je suis un homme du toujours J’aime que mon souffle brise l’ombre du silence J’aime tous les rires de rien J’aime le chant de mes mots doux Qui dansent sur le papier J’aime le parfum de ces histoires d’hier Qui caressent mes lendemains Vous me disiez homme du passé Je vous ai déjà oubliés
Il me faut prendre le chemin d’un supermarché. Oh non, je ne suis pas en manque de mots, mes réserves sont pleines, et tous les jours, mes rayons je vérifie. Aucuns mots ne manquent, ils sont tous là, sagement alignés. Ils me connaissent et savent que je ne gaspille pas. Oh bien sur j’ai mes rayons préférés, vous les connaissez, tous les jours je les choisis, je les prépare, je les assemble et je vous prépare un bon plat de mots. Non aujourd’hui il me manque un souffle de vent, une vague qui s’étire, le cri d’une mouette sur l’océan. J’ai cherché la case à cocher sur mon laisser-passer…Il n’y a rien, je suis déçu. Je vais rentrer sagement, je le sais, je le sens, la mer est là, elle m’attend…
Comment tu ne trouves pas ? Explique-moi, je t’en prie… Tu prétends que tu ne trouves pas ? Admettons, je veux bien, mais cela signifie, enfin je l’espère, que tu as cherché, et probablement cherches-tu encore !
Oui c’est cela, je cherche, je cherche… Et ne trouve rien…
Étonnant tout de même : je te connais…Il t’en faut si peu : un train qui passe, une flaque d’eau sur un quai, un rayon de lumière derrière une vitre grise, une vague qui grossit et d’un coup, d’un seul, tu as la main qui tremble et le regard qui luit…
Oui je le sais, tu as raison. Je crois comprendre ce qui m’arrive. Je ne dois plus chercher. Il faut que je sois saisi, surpris. Les trains sont loin, toutes les marées sont basses. La lumière elle-même est étonnée de toute cette lenteur, et le ciel, ce ciel tellement étonné…
Dans le coin sombre d’une journée ordinaire Une boule de triste silence s’est endormie La foule des bruyants passait Regard levé Pas pressé Pas un pour lui parler Et doucement la rassurer Pas un pour murmurer Ne crains rien petite Ne crains rien Tu verras on va t’aider Tu verras on va t’aimer Et ton chemin vers un long demain Tu trouveras Petite boule a souri Un chant, un cri, un souffle Tous sont réunis Oh petite boule notre amie
Au lever du jour, lorsque je marche, en silence, j’entends les mots qui se bousculent. Ils sont là, quelque part, dans un coin reculé de ce que j’aime appeler l’arrière-pays de ma tête. Ils veulent entrer, ils sont pressés, eux aussi, de prendre l’air et de se dégourdir pour certains les l et pour d’autres les rondes jambes de leur m. Je les laisse se disputer. Ils m’amusent, à vouloir être les premiers. Je sens bien que chacun rêve de donner le tempo, ou même le la.
Alors oui, chaque matin c’est la foire d’empoigne et c’est à celui qui trouvera le plus facilement le passage ; ce passage qui le conduira non pas jusqu’aux portes de mes lèvres parce que je ne dis rien, mais là juste à l’entrée de ce chemin que j’hésite encore à emprunter. J’hésite, oui parce que je sais déjà que lorsque je me serai engagé je ne pourrai plus reculer et qu’il me faudra avancer, poussé par le désir d’arriver non pas au bout, ce bout n’existe pas, mais à l’entrée du premier virage qui je le sais, je le sens, me réservera de belles surprises.
Et ce matin sur la ligne de départ il y avait Anton, Anton ce plus que prénom qui m’accompagne depuis longtemps. Il est arrivé le premier et je l’entendais me dire « Je m’appelle Anton parce que mon père aimait les russes, et plus encore que les russes il aimait les avions et parmi les avions celui qu’il préférait c’était l’Antonov 22 ».
Tiens, on dirait bien que je commence à m’aventurer sur ce chemin…
Je reste un peu discret en ce moment, pourtant la faim est là, la faim d’écrire…Je descends souvent dans ma réserve et cela m’inspire…
La faim d’écrire est forte, très forte, peut-être trop forte. Le garde-manger est plein, il déborde, il dégouline, de mots, de phrases déjà prêtes, qui attendent simplement la chaude caresse de la feuille que je leur ouvrirai. Je n’ai pas besoin de les garder au frais. Ils se conservent très bien, mais sont peut-être trop nombreux. Je ne sais lequel choisir. J’ouvre la porte de la réserve. J’entends d’abord comme un murmure : « il est là, c’est lui, il va me choisir, c’est mon tour ». Ils attendent patiemment tous ces mots que j’aime. Certains sont couchés, bien à plat, à l’abri des regards mauvais, ce sont mes grands crus. Je reconnais libellule, il est seul, couvert de poussière, cela fait bien longtemps qu’il vieillit, peut-être trop ; il faudra que je me décide à en faire quelque chose. Au-dessus, mes préférés tout une rangée de flacons, de balbutiements, de mauves. Les casiers de brumes et de gris sont presque vides ; j’en ai peut-être trop consommé ces derniers temps. Dans le placard du fond j’ai stocké quelques phrases, toutes faites, toutes fraîches, mais je ne l’ouvre pas, je ne veux pas qu’elles s’échappent, il n’est pas encore temps, je dois chercher, encore, le menu, et tous les magnifiques plats qui le composeront. Je referme la porte de ma réserve, doucement pour ne pas éveiller les endormis, celles et ceux vers qui je ne vais jamais, parce que je les ai oubliés. Demain, peut-être je les retrouverai… Peut-être.
Il a suffi que je reprenne le train ce matin, pour que je sente l’inspiration revenir…
Elle est si longue cette nuit Des rêves enfermés Entre les plis des draps trempés De la lente sueur Des silences coupants Les corps sont pâles et blanchis De ne plus se frotter Au murs rêches Des peurs imprévues Tout est lisse Plus rien n’arrête La fuite des regards délavés Le temps ne coule plus Etalé comme la flaque Qui tente un reflet de soleil Derrière la trace D’une eau si grasse D’un pas lourd chacun se traîne Au bord des dernières fenêtres Ouvertes sur les reste de vide
Le tribunal académique ne se réunit que très rarement en semaine. Une vieille tradition qu’on explique difficilement, tant les avis sont divergents.
Certains racontent que la première affaire que ce tribunal ait eu à juger fut « l’affaire du week-end ». Les plaignants de l’époque (ils étaient sept) avaient déposé un recours visant à suspendre l’utilisation de l’expression week-end prétextant d’une part qu’il s’agissait d’un anglicisme, et d’autre part que ce terme était impropre dans la mesure où il n’aurait pas été possible de parler de fin de semaine ( le samedi matin par exemple ) , alors que celle-ci n’est officiellement et réellement achevée que le dimanche à minuit.
Cette affaire qui était, rappelons-le, la première qu’eut à juger ce nouveau tribunal fut mal préparée et si les plaignants furent déboutés sur la première requête, le jury qui avait été constitué à la va vite s’égara totalement sur le deuxième point…