
La rentrée est fixée au cinq septembre. Armand enverra le premier message le lendemain, un mercredi, à vingt heures trente précises. Ils ont accordé leur montre, le dernier jour de la colo, à la seconde près. Comme des agents secrets… L’autre jour au téléphone, ils ont vérifié qu’ils étaient toujours bien réglés. C’est Armand, bien sûr, qui est la référence en la matière. Il est une référence dans beaucoup de domaines. Il est devenu le leader, se prend tellement au sérieux dans ce qui semble n’être encore qu’un jeu qu’il est persuadé être le guide de ce petit groupe. Pour son adresse électronique, il a poussé l’ironie ou le vice jusqu’à se faire appeler le « Che ». Il a entendu son père en parler, et il lui semble qu’un guide, qu’un leader doit ressembler à ce fameux « Che ». Quelqu’un qu’on a envie de suivre rien qu’à le regarder. Il a contemplé la célèbre photo dans le bureau de Marc et la trouve très encourageante. Il est fasciné par ce regard sombre qui, d’après lui, en dit long sur la volonté d’aboutir de cet illustre personnage dont il ne sait malheureusement pas grand chose. De toute façon, les autres se moquent totalement de savoir qui est ce fameux « Che ». Ils l’attendent, lui : Armand…
Pendant l’atelier RIEN Armand a lu une grande partie du manuscrit aux cinq autres. Hormis le dernier chapitre qu’il n’apprécie pas, parce qu’il aboutit à un dénouement trop classique montrant que même cet Eugène Mollard reste un adulte. Tous ont été enthousiasmés par cette histoire, mais c’est Fanny qui a eu la première le déclic.
- Si on essayait de faire comme dans le livre. Si on s’organisait…
Les autres étaient partagés. Boris et Jacques trouvaient l’idée sympathique, mais complètement saugrenue. - C’est bien une idée de fille, ça, tu n’as pas réfléchi ! Qu’est ce que tu veux qu’on fasse tous les six, on habite chacun à un bout de la France.
C’est cette remarque qui avait fait germer l’idée du réseau dans la tête d’Armand. - Justement ! Tu te rends compte, on habite tous assez loin les uns des autres. Et c’est ça qui est super ! Tu as oublié ce qu’ils nous ont expliqué. Plus de distances, plus de frontières. A nous six, on peut commencer à tisser une immense toile d’araignée.
- Et qui c’est qui se prendra dans la toile, avait ajouté Julien, un brin ironique…
- Devine ! Fanny s’était exclamée, d’un ton oscillant entre l’enthousiasme et sadisme.
Mercredi six septembre : vingt heures. Le moment est venu pour Armand de transmettre le premier message. Il a préparé le texte à l’avance. Il a travaillé une partie de l’après midi. Il ne veut pas faire d’erreurs. Il a plusieurs fois répété la procédure de transmission simultanée. Il a relu le mode d’emploi, feuilleté tous les documents distribués à la colo. Il veut encore s’assurer qu’il n’y a pas de risques d’interception de son message par d’autres Internautes. Il est très tendu lorsqu’il met l’ordinateur sous tension. Il n’en aura que pour quelques minutes. Son texte est prêt, il est soigneusement rangé dans le disque dur, il n’aura qu’à aller le chercher et le charger pour l’envoyer aux adresses indiquées. Pourvu qu’il n’y ait pas d’erreurs dans les intitulés d’adresse. Il a demandé à chacun de répéter, d’épeler, mais sait on jamais, surtout avec Julien et ce maudit accent de banlieusard. Il verra bien. Ils devront laisser un message, dans sa propre boîte aux lettres pour vérifier que tout fonctionne, que le réseau est en place, que la grande opération peut commencer.