Quelques mardis en novembre, suite…

Quelques mois sont passés. Depuis cette terrible soirée où j’ai eu la certitude de ne pas être capable de séduire la moindre personne. Depuis cette matinée où ma mère m’a passé à la question. Depuis cette journée où je me suis obligé à prendre de bonnes résolutions.            

         Depuis ces journées d’automne, l’hiver est passé, sans histoires. J’ai fini par m’habituer à l’exaltant quotidien de l’étudiant par laisser le temps construire patiemment le chemin que j’aurai à emprunter. Je ne peux pas dire que j’éprouve du plaisir à pénétrer chaque jour dans cet amphithéâtre mais une certaine satisfaction à surmonter mes réticences passées. Je m’applique, j’écoute, je retiens, je respecte la parole de ceux qui m’ont précédé et qui maintenant sont devenus les alchimistes de la jurisprudence.                        

       La révolte n’a pas disparu, elle s’est transformée, apprivoisée. Elle s’inscrit dans la colonne crédit de ma passion. Je sais que je peux toujours en disposer au moment opportun, il me suffit d’un retrait et je me retrouve détenteur d’une quantité importante de bonne révolte. Une révolte reposée, réfléchie, qui a eu le temps de se fabriquer une belle carapace protectrice. Les retraits sont fréquents mais mon compte est bien approvisionné.       

       Désormais je communique plus avec les autres. Je ne les ignore plus et essaie de m’intégrer par petits bouts aux histoires qu’ils vivent. Tout semble allé pour le mieux dans un monde qui tranquillement s’approche du printemps. Une de ces saisons intermédiaires que je redoute tant, parce qu’elle aussi, comme l’automne, hésite entre ce qu’elle a laissé derrière elle et ce qu’elle cherche à nous promettre. Je ne suis pas de ceux qui s’éparpillent en farandoles bucoliques aux premiers chants d’oiseaux et aux premiers rayons de soleil susceptibles de rendre aux peaux les tons cuivrés qu’elles ont mis en berne durant l’hiver. De plus, en ville j’entends rarement les oiseaux, ou alors ce sont les étourneaux, qui à mon sens ne chantent pas mais se contentent d’émettre d’abominables sons aussi pénibles à supporter que le bruit produit par de grands ongles caressant un tableau noir.           

       Au printemps, ce que je préfère, c’est les gens. Soudain ils se redressent. Soudain ils regardent autour d’eux. Et par-dessus tout, il y a les femmes.  Les jeunes femmes, mais surtout celles d’âge mûr, qui explosent de fraîcheur, de sourires, de longues jambes enfin libérées de leurs carcans. J’adore ce spectacle que constitue la sortie des vendeuses d’un grand magasin. Comme aux Nouvelles galeries, par exemple, devant lesquelles je me balade souvent ces derniers temps, après les cours.

       J’ai l’espoir de rencontrer Héléna. Héléna, je ne l’ai pas revue beaucoup cet hiver. Nous nous sommes croisés, une fois ou deux, et n’avons pas échangé la moindre parole. Je ne l’ai pas rayée de ma mémoire, je lui ai simplement fait subir une transformation, je la vois désormais comme une image devant laquelle on peut rêver ou même soupirer. Je la vois désormais comme un pays inaccessible.

       Il y a quelques jours, Héléna est à nouveau entrée dans mon monde ; au moment où je m’y attendais le moins. Comme souvent à la sortie des cours je rejoins Rémi et, comme si de rien n’était, habilement, je l’entraîne vers les Nouvelles galeries.  C’est l’heure de la sortie, Héléna sort dans les premières.                                    

       Lorsque je la vois s’avancer vers nous je retrouve des sensations que je croyais avoir oubliées depuis l’automne dernier. Arrivée à notre hauteur, elle m’adresse un grand sourire et, gaie comme une lycéenne, se jette au cou de Rémi et lui administre deux tonitruantes bises sur chaque joue. J’en reste ébahi.

       ‑ Vous vous connaissez ?

       ‑ Si on se connaît, répond Rémi, on a passé trois ans dans le même bahut !


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