
Ce matin le tribunal académique est bondé. On y juge le gris. Enfin quand je dis qu’on juge le gris, il conviendrait peut-être plus de dire qu’on juge gris…
Le juge de permanence est d’une humeur massacrante. La veille il a dû participer à une reconstitution un peu pénible, il s’agissait de reconstituer la scène du crime commis par l’automne au printemps dernier.
Il lit doit lit l’acte d’accusation mais comme à l’accoutumée il lui faut d’abord rappeler à la cour l’identité du prévenu.
« Gris levez-vous ! »
« On dit de vous dans le compte rendu de l’instruction que vous prétendez être un adjectif mais qu’il vous arrive régulièrement de prétendre à l’identité de nom commun. C’est évidemment votre droit et je ne reviendrai pas là-dessus, mais qu’il me soit permis, eu égard à ce qui vous est reproché, de regretter cette autorisation que la loi grammaticale vous octroie… »
Gris, dans le box des accusés accuse le coup, mais ne dit rien, il semblerait même qu’il ait pâli.
Le juge poursuit.
« Gris, vous comparaissez devant ce tribunal car vous êtes accusé d’escroquerie et de tromperie. En effet, à plusieurs reprises vous avez été vu, plusieurs témoignages le confirment, en compagnie de rouge, de jaune, de vert et même de bleu et vous vous êtes étalé au point d’occuper toute la place. Je lis dans l’acte d’accusation qu’à plusieurs reprises ceux qui regardaient se seraient exclamés je cite : « oh que c’est beau ».
Gris baisse les yeux. Le juge continue sa lecture.
« Deuxième délit, et non des moindres, vous vous êtes introduit par effraction et ce à plusieurs reprises dans de nombreuses poésies et avez pris une place qui ne vous revenait pas au point même d’obliger l’auteur à chercher des rimes en ris, et la cour doit le savoir mais lorsqu’on chercher à rimer avec le gris, on finit toujours par dire que c’est un mot qui sourit. »
« En conséquence et après en avoir délibéré, la cour vous condamne à rester définitivement entre le blanc et le noir et vous interdit à compter de ce jour de vous produire dans quelque tenue que ce soit lors des couchers de soleil »
« Garde veuillez accompagner le prévenu ! »