Quelques mardis en novembre, suite…

       Rémi était parti depuis bientôt deux heures et j’étais toujours dans le quartier. Je me déplaçais sans aucune logique, j’essayais de réduire le temps qui passe en occupant l’espace. Je ne pouvais me résoudre à me rendre ailleurs, je voulais rester dans le champ de vision de la fenêtre aux volets clos. Je suis alors entré dans un bar, sur la place, juste en face de l’immeuble en deuil.

       C’est le bar du marché, fréquenté aussi bien par les forains satisfaits de la recette de la matinée que par les clients satisfaits de leurs achats légumiers. Il est un peu plus de midi, ce qui doit expliquer l’affluence. Ce bar ne ressemble en aucune manière à ceux que j’ai l’habitude de fréquenter. C’est un café d’hommes aux doigts courts et épais, au cou large, à l’œil fouineur, à peine troublé par la fumée de leurs gitanes maïs. C’est un café où la seule mélodie qui rythme les conversations est celle produite par les fréquentes rencontres de verres qui s’entrechoquent. Lorsque j’entre, je ne peux même pas dire que je suis mal à l’aise, je suis simplement comme l’explorateur un peu naïf et téméraire qui pénètre pour la première fois en pleine assemblée d’une tribu indigène…

       J’ai commandé une « Mort subite ». Peut‑être est‑ce par ironie inconsciente ou par provocation, ou peut‑être est ce simplement parce que c’est la bière que nous avons bue hier soir, avec Rémi. Toujours est-il, que le patron n’a pas eu l’air d’apprécier ce qu’il prenait pour une plaisanterie.                                          

       – On n’a pas ça ici, c’est de la Kro ou de la pression ! J’ai donc opté pour la fameuse Kro qui bien entendu sera tiède. Les conversations autour de moi sont confuses, décousues. Peu à peu, je n’entends plus rien, mon regard s’est posé sur la façade macabre où les volets se sont ouverts. Ils se sont ouverts sans que je n’aie pu distinguer le visage de celle qui a voulu laisser entrer la lumière dans cette pièce où le voyage de Rémi s’est achevé. Je me suis mis à sangloter, brusquement, violemment, sans retenue. Je pleurais et je me sentais mieux. Comme si par ce flot de douleur salée je libérais une vaste place, au profit de la haine qui tout à l’heure était encore mélangée à la souffrance et s’en trouvait amoindrie.

       ‑ Alors petit on a un chagrin d’amour !

J’ai sursauté lorsque le patron Kronenbourg m’a amené la note. Il n’y avait pas la moindre ironie ou méchanceté dans ses paroles, il y avait simplement beaucoup de bêtise. Je ne me suis même pas efforcé d’arrêter mes larmes, je me suis contenté de le regarder avec mépris et de lui dire en lui tendant dix francs.                 

       – Vous savez, je ne pleure pas, je fais simplement un peu de place… Il a paru un peu surpris par cette réponse et m’a montré par une mimique significative qu’il me prenait pour un vulgaire illuminé.

       J’ai enfin pu quitter ce quartier et je suis rentré chez moi avec l’espoir d’y être seul afin d’éviter les sempiternels interrogatoires marquant mes retours imprévus…

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