
Marcel est en avance. Sur le quai l’ombre que laisse le cargo sur le sol poisseux est si épaisse qu’on le croirait recouvert d’une bâche graisseuse. Il est seul et sa gorge se serre, face à ce mur de métal qui dans quelques heures l’abritera. Il aime cette odeur, elle n’existe nulle part ailleurs, c’est un savant mélange de toutes ces matières qu’on hésite pourtant à marier parce que les lois de la physique ne veulent pas les réunir. Le fer, cette chair que la terre offre aux hommes pour qu’ils aillent sur l’eau avec d’immenses bâtiments. Le fer, la mer, tout à l’heure il sera à bord, alors il touchera, il sentira et il sourira. L’homme croisé la veille vient d’arriver, il lui fait signe de le suivre, ils franchissent ensemble la coupée. Ils sont à l’intérieur du monstre d’acier, l’homme marche vite, Marcel peine un peu, il n’a pas l’habitude, tout est nouveau, les coursives sont étroites, il faut baisser la tête pour franchir les portes. Ils arrivent dans le carré des officiers, l’homme est un des leurs, il présente sa dernière trouvaille, un jeune homme de Limoges qui veut naviguer. Ils se regardent et se sourient. On lui apprend qu’ils font toujours cela, prendre un jeune comme lui pour voir, pour l’aider. Il ne sera affecté à aucun poste en particulier, un peu le factotum ou le bouche trou quoi.