Je termine aujourd’hui la publication de ce très long texte, commis il y a plus de quarante ans et auquel j’avais donné le titre ronflant de » Avant que ne meurent les victoires écorchées… »

Avant que ne meurent les victoires écorchées
Avant que ne s’entendent les discours du hasard
Tu regardes
Pour savoir
Pour l’espoir
Dans la foule pas un qui ne bouge
Pas un qui ne songe à remuer son poids de graisse
Alphabétique
Pas un qui n’oublie son anonymat
Pas un qui n’épèle son nom
Pas un pour croire qu’il y autre chose
Au dessus d’eux
Pas un qui n’ait un visage qui se reconnaît
Parce que tous attendent le lendemain
Qui suivra leur journée d’adoption
Qui passe en les tuant
Par paquets de minutes
Qu’ils ont volés à la pendule de ceux qui veulent pas
Mais qui sont morts
Pour l’instant ils ne marchent pas
Ils avancent
Mécaniques amnésiques
D’un mot qui revient
Sur toutes les lèvres pincées
Des ceux qu’on dit gagnants
Alors toi t’as plus que tes amis
Derrière d’autres fenêtres
Alors tu te dis que les leurs vont s’ouvrir
Et t’entends déjà le frémissement d’une autre foule
La foule aux visages ouverts
Alors tu joues une dernière fois à perdre l’espoir
Pour accroître ta haine
Pour que ton amour pousse
Au rythme des humains
Tu t’en fous que les fusils
Soient les croix des cimetières
Parce que toi tu veux te mettre à la fenêtre
Sans avoir la face éclaboussée
Par une flaque de calamité
Parce que toi tu veux revenir de ton voyage
Avec pour tout bagage
Le seul mot que tu auras rencontré
Parce que toi tu veux voir ce que tu as choisi
Voir deux amis se rencontrer
Voir deux années se raconter
Voir ou les hommes pleurent de joie
Voir où les enfants rient
D’avoir trop pleuré
Ailleurs
Voir les chefs mourir
Voir la beauté sans miroir
Voir des sourires sans bénéfices
Voir
Tout voir
Te voir
Novembre 1979