Mes Everest, Marguerite Duras : « Ecrire »

« Écrire. Je ne peux pas.
Personne ne peut.
Il faut le dire, on ne peut pas.
Et on écrit.
C’est l’inconnu qu’on porte en soi écrire, c’est ça qui est atteint. C’est ça ou rien.
On peut parler d’une maladie de l’écrit.
Ce n’est pas simple ce que j’essaie de dire là, mais je crois qu’on peut s’y retrouver, camarades de tous les pays.
Il y a une folie d’écrire qui est en soi-même, une folie d’écrire furieuse mais ce n’est pas pour cela qu’on est dans la folie. Au contraire.
L’écriture c’est l’inconnu. Avant d’écrire, on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité.
C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n’est même pas une réflexion, écrire, c’est une sorte de faculté qu’on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d’une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d’en perdre la vie.
Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine.
Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait — on ne le sait qu’après — avant, c’est la question la plus dangereuse que l’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi.
L’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. »

1993

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