Un orage en février, suite…

Ils s’étaient effleurés. Imperceptiblement. Un contact éclair. Comme il s’en produit de milliers, des millions, chaque jour. Sans qu’on y prenne garde les corps se touchent, comme des objets, et ils ne réagissent pas. Ils étaient dans la même librairie, au même rayon, à la recherche du même ouvrage et leurs mains se sont effleurées. Elles ont voulu saisir le même livre. Proust. Un crépitement s’est produit, comme deux fils électriques opposés qui se touchent. Jules a cru percevoir une étincelle. Jules a levé les yeux : elle souriait.

– Je ne l’ai jamais lu, c’est le titre qui m’intrigue. Vous le connaissez. ?

Jules ne lui répond pas. Il sourit. Il sourit et l’observe. Il distingue deux marques, sur les tempes, comme les siennes. Deux petites marques de la taille d’une pièce de cinq centimes.

Aujourd’hui il se souvient de cette scène, et se la passe en boucle. C’était à l’automne dernier, il était monté à Paris pour quelques jours, pour acheter des livres. Des livres sur l’orage, sur le temps, des livres sur la transmission de pensées et tous ces phénomènes un peu curieux qui font sourire les scientifiques. Il passait plusieurs heures dans de nombreuses librairies, à fouiller, à feuilleter, à sentir les livres, tous les livres. Jules aime l’odeur des livres. Il est particulièrement fier d’être capable d’identifier une maison d’édition à l’odeur de ses livres. Il est capable de reconnaître les yeux fermés Gallimard, Grasset. Il vous explique que les uns ont une odeur un peu humide, il dit une odeur « parchemineuse », les autres une odeur glacée, fraîche plus exactement. Non seulement il hume les livres, mais il lui arrive aussi de les caresser, d’en apprécier le grain.

Ce jour là il était dans cette librairie de Saint-Germain depuis un long moment déjà, et il feuilletait des éditions assez rares de « à la recherche du temps perdu », un titre qui le fascine et le trouble, et ces passages sur la mémoire et les sens. Il a commencé par toucher la couverture, par la caresser du plat de la main et c’est au moment où il a à nouveau tendu la main pour le saisir et le porter à hauteur du visage que ses doigts sont entrés en contact avec ceux de cette femme.

Il ne l’avait pas remarqué en entrant dans la librairie occupée à chercher le livre rare, celui qui lui donnera une clé.

Quand il a levé les yeux, après le contact des doigts il a eu comme un malaise, cette impression qui navigue ente le bizarre et le merveilleux, celle d’avoir déjà vécu cette scène.

Cette femme qui le regarde de ses yeux clairs, et ces quelques secondes qui durent depuis toujours.

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