J’ai terminé le déchiffrage de ce qui était certainement destiné à être l’esquisse de la suite de mon premier roman » quelques mardis en novembre » et que j’ai abandonné ensuite…

Je n’avais pas prévu ce départ, ou tout au moins je ne l’avais pas intégré avec intelligence dans mon parcours de reconstruction. J’aurais pu choisir le refus de porter cet uniforme mais je n’avais pas bougé, peut-être par paresse, peut-être plus parce que je pensais qu’il y avait beaucoup à prendre dans cet univers dont on parle tant sans ne l’avoir jamais rencontré. Un peu comme ces paradis ou enfers lointains qu’on s’envoie volontiers à la face, lors de nos si nombreuses empoignades politiques. « Allez-y voir là-bas et vous verrez bien que votre paradis, c’est bien l’enfer pour les autres ! »
La plupart du temps ce pourfendeur de l’au-delà honteux a encore les seules limites de sa propre commune, de son quartier, de sa propriété inscrites sous la semelle de ses chaussures…
Pour l’armée, ou tout au moins le service militaire, c’est souvent la même chose. Enfant, je n’avais qu’une vision brumeuse de ce que pouvait être cet univers, peut-être parce que mes proches qui ne l’avaient que trop vécu en parlaient comme on devrait parler de toutes les réalités : avec pudeur et prudence.
Ce sont ceux qui n’avaient rien vu qui en savaient le plus long…
Je n’ai jamais été un militariste forcené, loin de là, mais à travers cette angoisse terrible, celle du départ vers une autre vie, j’éprouvais des sensations si neuves, si fortes, que je les savourais avec une juste douleur…
Il faut aller voir ce qui se passe, partout où des gens vivent. C’est peut-être ainsi que bout à bout, morceau par morceau, on finira par faire d’une série d’épisodes une fresque homogène. Et pourtant j’avais peur de ce soir chaud et humide d’août en montant dans ce train sentant l’acier trempé et l’urine sèche. Je pénétrais dans un premier compartiment et dès cet instant je sus que tout avait commencé. Les fesses collées contre le skaï SNCF, j’observais ces cinq visages disposés autour de moi avec dans le regard une rigueur de cortège.
Il faisait chaud et j’avais le souvenir de ce premier plongeon que je fis quelques années auparavant. La grande rue, les rails et Héléna. Héléna si présente dans cette douleur qui commence à me vriller l’estomac, Héléna qui m’observe dans l’en dedans de mon demi-sommeil.
J’ai les jambes qui s’alourdissent. Tandis que le train s’engouffre dans cette nuit étouffante je sens mon corps qui prend une pose qui ne surprend personne parce qu’elle est le dénominateur commun de ceux qui voyagent pour aller vivre un peu plus loin cette aventure qui si souvent noie leurs yeux de larmes…
Le bruit, comme une musique, comme une obsession. Ce bruit qui rassure parce qu’il est puissant, vrai, ce bruit qui bat à l’intérieur. Je n’arrive plus à réfléchir. J’ai cessé de fournir l’effort nécessaire pour convaincre l’ensemble de mes quatre membres à prendre une attitude convenable.
Je me répands, flaque de mélancolie dans ce compartiment gluant. Je suis dans le train, dans le ventre de cette bête qui transperce la campagne plus qu’elle ne la traverse. Les autres dorment ou tout au moins leurs yeux se ferment. Mais j’entends le bruit, le bruit des rails qui dansent dans leurs têtes. Ce qui les distingue, c’est qu’eux ils connaissent, ils ont déjà vu, là-bas.
Tout au moins je le suppose.
A reblogué ceci sur Les mots d'Ericet a ajouté:
Quelques inédits…
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