Le soir glisse tout doucement…

Le soir glisse tout doucement.

 Il vient de l’ouest chargé de cette douceur qui le font espoir

Le soir avance. Le lac l’attend, repu de cette journée où chaque ride de l’eau est un sourire

Un sourire pour dire à la mer,  si loin, que derrière les yeux qui se posent sur cette surface apaisée

Il y a comme un regard marin, quelques rides en moins.

Le soir descend des montagnes,

On respire dans l’air qui descend les fleurs des sommets

Pas un bruit de moteur, pas un cri mécanique, le silence est simple

Il est venu avec le soir, les yeux se ferment, le souffle est profond

Dans la tête et dans les corps le lac s’est invité

L’oiseau s’est posé, le temps s’est ralenti

Maintenant il faut rentrer, les yeux vont se fermer, tout est apaisé

Ce soir c’est vers…

Ce soir c’est vers. Finie la pause prose, ce soir je vous prends à revers, ce soir je me pose, je prends un verre et je me mets aux vers. Je vous entends déjà : il nous dit qu’il se remet aux vers mais il reste en prose. Tout ça n’est peut-être que de la frime, de la frime pour trouver une rime. Alors attendons un peu…

La prose tout doucement s’essouffle.

Sans rien dire elle s’efface.

Prose s’envole

Un verre, puis deux

Les vers sont là

Dans le peuple des mots

Quelques-uns se sont levés

Ils tendent le point

Le point oublié

Mais plus rien ne compte

Les vers sont là

Suspendus

Aux lèvres mauves

De tes larmes bleues…

Homme d’en haut…

Homme d’en haut qui invente la mer,

Homme d’en haut, dans les yeux, le bleu c’est beau.

L’homme d’en haut aime la mer à mi mots.

Dans l’écume de ses rêves, des mots salés

L’homme d’en haut plisse les paupières,

Et des vagues à l’âme creuse les joues de l’homme d’en haut.

Sillons creusés par les larmes,

Creusent la vallée de ce visage lame.

Quand les yeux se ferment, quand le regard creuse l’intérieur,

Il a la mer qui remonte, la mer sur le front, vague ride d’un homme d’en haut.

C’est si beau l’âme d’un homme d’en haut.

C’est si beau l’âme d’en haut, amarrée au port du bas.

Avec un ciel si bleu que larmes d’en haut roulent,

Perles qui brillent,  

Jusqu’aux vagues d’en bas.

Souvenir…

Je garde au fond de ma réserve à souvenirs
Un reste de soir d’été
C’était hier, c’était il y a loin
L’océan ne disait plus rien
Lassé d’une longue journée
A inventer des vacances
Pour les ceux qui rêvaient de bleus
Le ciel l’avait rejoint
Et dans les bras envasés
De la terre endormie
Ils s’étaient aimés
Pour une seule et longue nuit

La moitié et son double : 3

Le père n’est pas musicien, ne comprend pas grand-chose à l’anglais, mais ce qu’il aime avec ce chanteur c’est que tout devient simple. La musique, elle lui entre dans la tête sans poser de questions, sans chercher à se faire remarquer, sans chercher à ce qu’on prenne l’air sérieux pour en comprendre les portées.

Cette musique, surtout les morceaux acoustiques, on sent qu’elle est faite pour ceux qui n’obligent pas leurs émotions à prendre d’autres chemins que ceux qu’elles sont habituées à emprunter. Ce sont les mêmes chemins qu’à la lecture d’un passage de Steinbeck, de Camus, de Kerouac, ou d’Hemingway. Les paroles il ne les comprend pas toutes, contrairement à son fils qui est à l’aise avec l’anglais. Il ne les comprend pas toutes mais il les ressent, il sait qu’elles parlent, pour beaucoup d’entre elles, de ce qui est vrai.

Le fils lui connaît tout de ce chanteur, il est un passionné, pas un fan ; le mot ne convient pas pour décrire ce qui se passe chez lui quand il a les tripes secouées lors des nombreux concerts auxquels il a assisté. On parle de fans pour les autres, ceux qui reçoivent paroles et musiques avec passivité, comme des oies qu’on gave, lui il n’a pas la bouche ouverte, il laisse entrer les émotions, il les laisse naviguer dans l’arrière-pays de sa tête, alors elle rencontre ses autres passions, ses révoltes, ses indignations, ses doutes et ce qui se passe c’est plus que du plaisir, c’est autre chose. Les mots n’existent pas toujours pour décrire quand on sent un frisson qui parcourt l’échine, avec des picotements sur tout le corps et irrésistiblement des larmes qui montent, de ces larmes qu’on ne cherche pas à ravaler parce qu’elles sont le sang de cette vie qu’on a en soi, une vie qu’on ne retient pas, une vie qu’on laisse dire, qu’on laisse faire.

Le père il comprend bien cela, il éprouve aussi ces sensations quand il lit les premières pages de l’étranger, quand il lit et entend ce que dit Léo Ferré. Et lui non plus n’est fan de rien, parce que lui non plus n’aime pas cette réduction du fanatisme. Tous les deux ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est la vie, ses contrastes, ses simplicités, ce qu’ils redoutent, ce qu’ils ne supportent pas, c’est les fausses certitudes de celles et ceux qui prétendent savoir.

Il a senti la mer…

Il y a un an mon père qui m’a transmis l’amour de la mer nous quittait pour le long sommeil des absents. Je pense à lui aujourd’hui

Il a mis le pied sur le quai et ce qu’il a tout de suite senti, très fort, c’est l’air. Il l’a senti sur sa peau, il l’a senti entrer en lui, partout, par tous les pores. Alors il s’est arrêté, et il a compris que la mer dans la ville, dans cette ville est partout. L’air qu’on respire n’est pas le même, il est parfumé, avec juste cette sensation d’humide qui ne glace pas le sang mais qui donne le sourire. Oui, elle est là la différence, c’est dans l’air ! C’est un sourire qui caresse, doux comme le premier chant d’oiseau à la fin de l’hiver, on ouvre la fenêtre, on respire : la vie est partout et on sourit. Il n’est là que depuis cinq minutes. Il ouvre les yeux, son cœur bat, très fort, les autres il ne les voit plus. Il est sorti de la gare et il avance, il sent, il reconnaît il comprend tous ces récits de la mer qui commencent là, au port. Les mouettes d’abord, leurs cris ne sont pas beaux, mais leurs cris le bouleversent. Elles l’appellent, elles le savent nouveau. Il avance. Tout est si beau : une lumière de fin d’après-midi, un soleil déclinant qui laissent traîner quelques couleurs ; la moindre pierre est étincelle, et les flaques d’eau graisseuse belles comme des toiles de maître. Le port est encore loin mais il le comprend déjà, il perçoit les cliquetis, cocktails de bruits symphoniques. Les bruits, la lumière les odeurs qui racontent la vie qui les a faites. Il voudrait courir pour être au plus vite au port, mais aussi prendre le temps, entrer comme un navire, calme, glissant, apaisant, masse métallique qui se pose le long du quai.

Chuuuuint…

Anton se souvient quand ils ont pris la voiture avec Marcel son père. Il était très tôt quand ils sont entrés sur l’A7. Ils ont roulé près de deux heures sans rien dire avec simplement le bruit du moteur et les chuintements des autres voitures, plus rapides, et qui vous doublent en produisant ce souffle, chuuuinnt, si caractéristique quand la vitre est légèrement ouverte. Ce bruit, Marcel dit que c’est un chuintement. C’est vrai que c’est un mot qui va bien, parce que si on ouvre la vitre plus grand, c’est pas pareil ça ne chuinte plus, c’est autre chose, un autre son qu’on ne retient pas, qu’on n’arrive pas à capturer dans sa mémoire pour en faire un joli mot.

Il se souvient. Ils se sont arrêtés sur une aire, il faisait chaud, il y avait le bruit des camions et on entendait les premières cigales. L’A7 c’est le sud et le sud c’est les cigales. Le sud : l’air est sec, les cigales vibrent, les chuintements se gravent dans la mémoire, les camions rugissent au loin. Anton regarde Marcel qui s’étire dans un sourire. Ils sont sortis de la voiture, sans rien dire, parce que dans ces moments-là, il ne faut rien dire pour ne pas prendre le risque d’abîmer ce qui va entrer en vous. Ils sont sortis et il y a eu le claquement simultané des deux portières, bruit de métal et de cuir, enfin il pense que le cuir c’est ce bruit là que ça fait. Ils ont marché quelques dizaines de mètres et maintenant les odeurs prennent toute la place dans la machine à émotions.

Les odeurs sur une aire d’autoroute : il y a l’essence bien sûr, le caoutchouc un peu chaud aussi, un mélange qui se marie avec les bruits qu’on entend. Marcel et Anton sont bien mais ne le disent pas, ils le savent, le comprennent sans se regarder, c’est écrit dans le silence tranquille qui s’est posé entre eux. Anton a quand même levé la tête, son regard a croisé celui de Marcel, et aujourd’hui Anton se souvient. C’est ce jour-là, il avait une dizaine d’années, qu’il a commencé à comprendre ce que c’était qu’être un autre, être différent, il a compris que c’est accepter de se jeter dans les bras de l’émotion, entièrement, sans réfléchir, sans s’interdire, y compris dans ces moments et ces lieux que tous ceux qui discourent sur le bonheur, sur le beau rejettent et abandonnent sur les rives bleues de leur vie. 

Ces marcheurs de rêve vous vendent des plages blanches, des couchers de soleil et soudain vous êtes là sur une aire d’autoroute, un peu après Montélimar. Votre voiture n’a pas d’acajou, les sièges sentent la chaleur, mais quand vous sortez, là, avec votre père, votre père cet incroyable personne qui vous a dit : « pas d’interdit, ne retiens pas, laisse-toi aller, ne trie pas tes émotions ». Et les émotions entrent à plein bouillons. Bien sûr une voix bien-pensante est là pour vous rappeler que ce n’est pas normal, ridicule même. Mais vous vous moquez, vous laissez entrer et ça fait comme une vague et c’est la première fois que Anton s’est dit : « ça y est j’ai compris, je suis un autre… »

Extrait de mon quatrième manuscrit en cours d’écriture

La moitié et son double : 3

Le père n’est pas musicien, ne comprend pas grand-chose à l’anglais, mais ce qu’il aime avec ce chanteur c’est que tout devient simple. La musique, elle lui entre dans la tête sans poser de questions, sans chercher à se faire remarquer, sans chercher à ce qu’on prenne l’air sérieux pour en comprendre les portées.

Cette musique, surtout les morceaux acoustiques, on sent qu’elle est faite pour ceux qui n’obligent pas leurs émotions à prendre d’autres chemins que ceux qu’elles sont habituées à emprunter. Ce sont les mêmes chemins qu’à la lecture d’un passage de Steinbeck, de Camus, de Kerouac, ou d’Hemingway. Les paroles il ne les comprend pas toutes, contrairement à son fils qui est à l’aise avec l’anglais. Il ne les comprend pas toutes mais il les ressent, il sait qu’elles parlent, pour beaucoup d’entre elles, de ce qui est vrai.

Le fils lui connaît tout de ce chanteur, il est un passionné, pas un fan ; le mot ne convient pas pour décrire ce qui se passe chez lui quand il a les tripes secouées lors des nombreux concerts auxquels il a assisté. On parle de fans pour les autres, ceux qui reçoivent paroles et musiques avec passivité, comme des oies qu’on gave, lui il n’a pas la bouche ouverte, il laisse entrer les émotions, il les laisse naviguer dans l’arrière-pays de sa tête, alors elle rencontre ses autres passions, ses révoltes, ses indignations, ses doutes et ce qui se passe c’est plus que du plaisir, c’est autre chose. Les mots n’existent pas toujours pour décrire quand on sent un frisson qui parcourt l’échine, avec des picotements sur tout le corps et irrésistiblement des larmes qui montent, de ces larmes qu’on ne cherche pas à ravaler parce qu’elles sont le sang de cette vie qu’on a en soi, une vie qu’on ne retient pas, une vie qu’on laisse dire, qu’on laisse faire.

Le père il comprend bien cela, il éprouve aussi ces sensations quand il lit les premières pages de l’étranger, quand il lit et entend ce que dit Léo Ferré. Et lui non plus n’est fan de rien, parce que lui non plus n’aime pas cette réduction du fanatisme. Tous les deux ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est la vie, ses contrastes, ses simplicités, ce qu’ils redoutent, ce qu’ils ne supportent pas, c’est les fausses certitudes de celles et ceux qui prétendent savoir.

Dans ma mémoire de papier…

Dans ma mémoire de papier,

Feuille blanche pleure,

Larmes de mots gris.

J’entends la tempête à l’intérieur,

Le vent coule dans mes veines.

Dans mon ordre intérieur,

Pas une ligne droite, pas un battement de cil,

Dans le désordre de mon cœur

Des sourires aux courbes bleues

Des mains qui se posent,

Les doigts qui s’effleurent,

Dans la bouillie de mes rêves

Tout est joie qui se pose.

Année 2016

Seule la rouille est restée…

Tout doucement, cargo a glissé.

Houle qui roule l’a poussé.

Sur le sable fin, abattu, s’est posé

Grand corps affalé,

Seul et désarmé,

J’ai mal pour l’animal que tous ont oublié.

Seule la rouille est restée.

Patiemment, il attend la marée

Les premières vagues assoiffées lèchent

Une coque vide et fatiguée.

Seule la rouille est restée.

Le vent cruel s’est apaisé,

Il abandonne sur la plage le navire humilié.

Tas de ferraille désemparé,

Que la mer a licencié.

L’équipage est effacé,

Seule la rouille est restée.

Blessure du métal que l’océan a rongé,

Comme une coupure que les vagues ont creusée.

Seule la rouille est restée.

Cadavre de métal sur le sable échoué,

Pour le bateau blessé,

Larmes salées j’ai versées.

Le coucher de sommeil : 1

Une nouvelle écrite il y a quelques années, je la publierai en 4 parties ….

Un matin elle s’était levée plus rapidement que d’habitude avait tiré les rideaux d’un geste précis, ouvert la fenêtre et en quelques secondes avait décidé que cette journée ne serait pas comme les autres. Pas comme les autres parce que tout le lui disait, partout, ce qu’elle voyait, ce qu’elle sentait, ce qu’elle ressentait, ce qu’elle entendait lui confirmait sa certitude de la nuit, aujourd’hui serait la journée des réponses, la journée ou tout s’éclairerait. Cette nuit comme souvent, comme parfois des questions avaient tourné en boucle dans sa tête des questions sur la vie, sur la mort, sur l’amour, sur les autres, des questions sur l’absurde, sur la bêtise, sur l’indifférence, des questions sur l’insuffisance, sur le mépris, sur les fausses idées, sur le temps, pas sur le temps des nuages, pas sur le temps du soleil, non sur le temps qui s’accroche aux pendules, aux aiguilles ce temps qui vous pique.

Cette nuit elle avait eu 25 ans et comme elle est quelqu’un d’organisé contrairement à ce que certains croyaient autrefois parce qu’on s’attache trop aux détails aux apparences elle a décidé cette nuit de chasser toutes ces questions et demain de chercher les réponses, toutes les réponses.

Elle n’a pas tout de suite remarqué le changement dans le paysage, concentrée qu’elle était à cette nouvelle journée qui s’ouvrait, les yeux grands ouverts, il y avait comme une liste qui se déroulait derrière son regard rieur, elle n’aimait pas être prise au dépourvu et aimait organiser ses journées.  

Aujourd’hui, c’était entre autres.

  • Finir ses courses sur internet
  • Choisir un cadeau pour sa sœur
  • Téléphoner à sa mère pour lui dire qu’elle avait choisi un cadeau pour sa sœur
  • Choisir un cadeau pour sa mère avec ses frères
  • Téléphoner à ses frères pour leur dire qu’elle allait choisir un cadeau pour leur mère
  • Faire un gâteau pour ce soir
  • Prévenir par téléphone ses amis qu’elle ferait un gâteau pour ce soir
  • Finir les courses pour faire un gâteau pour ce soir
  • Téléphoner à sa mère pour lui demander ce qu’elle aimerait comme cadeau pour Noël
  • Dire à son compagnon de changer la litière du chat
  • Téléphoner à ses autres amis pour dire qu’elle ferait un gâteau pour ce soir
  • Et plein d’autres choses encore

Et puis soudain alors que la liste ne cessait de s’allonger, elle a poussé un petit cri, à peine de l’étonnement car rien ne l’étonne et un rien l’étonne c’est d’ailleurs ce qui fait qu’elle est si étonnante et que tout le monde aime quand elle est là.

Tous les murs sont achevés…

Il est déjà tellement tard
Plus rien n’est à commencer
Tous les murs sont achevés
Les regards se sont affadis
Les épaules sont entrées
Le visage est affalé

Pourtant

Pourtant il faudrait
Il faudrait ouvrir des fenêtres
Laisser entrer des éclats de rêves mauves et bleutés
Et soudain redresser le menton
Bomber le torse
Et contempler en riant
Le souvenir d’un arbre lointain

Il a voulu voir la mer…

Il a voulu voir la mer,

Au fond de ses poches, quelques miettes

Pour des oiseaux qui ne viennent pas.

Ses bras pendent : il y a de l’ombre autour de lui.

Il a voulu voir la mer.

Il ne la connaissait pas : les autres en parlaient.

Les autres en parlaient comme d’une fête foraine.

Il a pris son chapeau : pour sortir il lui faut un  chapeau.

Il est arrivé quand la nuit se retire,

La mer est devant lui, les autres ont menti.

Pas de cris, ni de lampions, la mer s’étire,

Elle est pâle, la nuit a gobé ses lueurs.

Son corps est drapé de gris, il a voulu voir la mer.

Et il pense à elle, hier elle est partie.

Ses yeux sont usés d’avoir tant  pleuré

Ses larmes sont englouties, dans les vagues elles se sont noyées

Son costume est usé, les coudes sont râpés

ll  est sur la plage, immobile, pétrifié :

C’est beau la mer

Il y a parfois un oiseau dans ma tête…

Il y a parfois un oiseau dans ma tête,

Un oiseau aux mille couleurs qui étouffent le gris de mes yeux,

Un oiseau qui plane au-dessus des plaines de ma mémoire.

Au matin levant, il frémit des ailes.

Les perles de rosée glissent sur la plume dorée,

Tout doucement la nuit s’est effacée.

L’oiseau dans ma tête a chanté.

Il est l’heure de réveiller les couleurs.

Au bout de mes yeux la lumière s’est étirée.

Au bord de mes yeux quelques larmes de beauté.

C’est un matin sans saison, le froid ne pique pas

Il est une caresse souriante qui imite la douce fraicheur.

Ce matin j’ai un oiseau dans la tête,

Tout doucement de la plume de mes mains

Des mots se sont envolés.

Mes poèmes de jeunesse…

Lorsque j’ai décidé d’ouvrir une nouvelle rubrique en publiant de très vieux textes, la plupart ont plus de quarante ans j’ai été tout autant frappé par les maladresses et les envolées lyriques que par la « permanence » du style…

Ecoute,

Ca craque petite

Ecoute,

Ca bouge.

Arrête de rire petite

Ecoute.

Tout tremble,

Tout se désespère.

Vent de panique,

Regarde petite,

Regarde !

Année 1977…

Il a senti la mer…

Il y a un an mon père s’est endormi pour le long sommeil des absents. Je pense à lui aujourd’hui… Je lui dois mon indéfectible amour de la mer

Il a mis le pied sur le quai et ce qu’il a tout de suite senti, très fort, c’est l’air. Il l’a senti sur sa peau, il l’a senti entrer en lui, partout, par tous les pores. Alors il s’est arrêté, et il a compris que la mer dans la ville, dans cette ville est partout. L’air qu’on respire n’est pas le même, il est parfumé, avec juste cette sensation d’humide qui ne glace pas le sang mais qui donne le sourire. Oui, elle est là la différence, c’est dans l’air ! C’est un sourire qui caresse, doux comme le premier chant d’oiseau à la fin de l’hiver, on ouvre la fenêtre, on respire : la vie est partout et on sourit. Il n’est là que depuis cinq minutes. Il ouvre les yeux, son cœur bat, très fort, les autres il ne les voit plus. Il est sorti de la gare et il avance, il sent, il reconnaît il comprend tous ces récits de la mer qui commencent là, au port. Les mouettes d’abord, leurs cris ne sont pas beaux, mais leurs cris le bouleversent. Elles l’appellent, elles le savent nouveau. Il avance. Tout est si beau : une lumière de fin d’après-midi, un soleil déclinant qui laissent traîner quelques couleurs ; la moindre pierre est étincelle, et les flaques d’eau graisseuse belles comme des toiles de maître. Le port est encore loin mais il le comprend déjà, il perçoit les cliquetis, cocktails de bruits symphoniques. Les bruits, la lumière les odeurs qui racontent la vie qui les a faites. Il voudrait courir pour être au plus vite au port, mais aussi prendre le temps, entrer comme un navire, calme, glissant, apaisant, masse métallique qui se pose le long du quai.

Mémoires…

En suivant la trace floue d’une histoire d’hier
J’ai glissé sur la flaque du doux présent
A tâtons je marche en riant vers le noir heureux
Où brille l’ombre de tes cheveux
Je souffre de l’oubli des ces presque rien
J’attends serein
J’entends chagrin
Un long soupir sec
Il étale en claquant
Des larmes au bleu coupant
Qui abîment en roulant
Les bords mous du chemin des gisants

Cours, vole, rêve, espère…

Un texte que je pense avoir déjà publié mais que j’illustre autrement…

Quand le monde est si bruyant,
Qu’il couvre même le vent,
Quand les regards sont de travers
Que les yeux se noient dans le triste amer
N’entre pas dans l’arène,
N’aiguise pas tes lames numériques
Fais comme tes pères
Et rêve d’Amérique
Il faut que tu marches jusqu’au bout
Là-bas, si loin
Ou l’île se blottit
Dans les bras de l’océan
Si tu ne peux pas partir,
Tête haute
Marche jusqu’aux souvenirs
Prends le chemin le plus malin
Cours, vole, rêve, espère,
Souris de cet air qui te fouette

Mais ne laisse pas gagner
La fanfare des maudits
Laisse-les s’agiter, vociférer,
Demain tu verras
Ils seront oubliés

Mémoires…

En suivant la trace floue d’une histoire d’hier
J’ai glissé sur la flaque du doux présent
A tâtons je marche en riant vers le noir heureux
Où brille l’ombre de tes cheveux
Je souffre de l’oubli des ces presque rien
J’attends serein
J’entends chagrin
Un long soupir sec
Il étale en claquant
Des larmes au bleu coupant
Qui abîment en roulant
Les bords mous du chemin des gisants

Elle est si longue cette nuit…

Il a suffi que je reprenne le train ce matin, pour que je sente l’inspiration revenir…

Elle est si longue cette nuit
Des rêves enfermés
Entre les plis des draps trempés
De la lente sueur
Des silences coupants
Les corps sont pâles et blanchis
De ne plus se frotter
Au murs rêches
Des peurs imprévues
Tout est lisse
Plus rien n’arrête
La fuite des regards délavés
Le temps ne coule plus
Etalé comme la flaque
Qui tente un reflet de soleil
Derrière la trace
D’une eau si grasse
D’un pas lourd chacun se traîne
Au bord des dernières fenêtres
Ouvertes sur les reste de vide

Tous les murs sont achevés…

Il est déjà tellement tard
Plus rien n’est à commencer
Tous les murs sont achevés
Les regards se sont affadis
Les épaules sont entrées
Le visage est affalé

Pourtant

Pourtant il faudrait
Il faudrait ouvrir des fenêtres
Laisser entrer des éclats de rêves mauves et bleutés
Et soudain redresser le menton
Bomber le torse
Et contempler en riant
Le souvenir d’un arbre lointain

Avis de tempête…

La tempête ne souffle pas
Elle ne l’oserait plus
Dans son bouquet de vent d’ouest
Flottent des airs d’un silence fané
Nos yeux se sont usés
Sur des pages de rien
Qui défilent sans trembler
Elles sont si loin
Ces larmes de papier
Que dans un revers de main
Doucement ils aimaient caresser
Tous ont oublié
Le si beau regard bleu plissé
Du marin qui espère la lumière
A la lisière de la marge
Du rivage espéré
Enfermés
Englués
Dans des bulles de vide
Qui ont trahi nos rêves de rimes légères
Les hommes se noient sans une larme de sel

20 janvier

Ce soir c’est vers…

Ce soir c’est vers. Finie la pause prose, ce soir je vous prends à revers, ce soir je me pose, je prends un verre et je me mets aux vers. Je vous entends déjà : il nous dit qu’il se remet aux vers mais il reste en prose. Tout ça n’est peut-être que de la frime, de la frime pour trouver une rime. Alors attendons un peu…

La prose tout doucement s’essouffle.

Sans rien dire elle s’efface.

Prose s’envole

Un verre, puis deux

Les vers sont là

Dans le peuple des mots

Quelques-uns se sont levés

Ils tendent le point

Le point oublié

Mais plus rien ne compte

Les vers sont là

Suspendus

Aux lèvres mauves

De tes larmes bleues…

Vieil homme…

Le vieil homme est fatigué
Derrière la flamme vacillante
De ses yeux d’acier
On devine des traces de pas
De lointains souvenirs froissés
Petits cailloux posés
Sur le long chemin
D’une mémoire
Qu’il ne peut plus partager

Longue nuit blanche…

Elle est si longue

La nuit noire des verts de peur

Partout un bas bruit  

Recouvre

D’une épaisse laideur

La cage ouverte de nos sourires

Elle était si lourde

La nuit noire des verts de peur

Dans ma boîte à mots endormis

J’ai pris mes plus lettres arrondies

Une à une elles se sont assemblées

Pour former ce long cri

Entendez ce qu’il vous dit

Eloignez- vous des ombres de peur

Elle est si douce la longue nuit blanche

De mes mots gris qui cherchent une lueur

4 octobre

Et je voudrais conjuguer le verbe aimer…

Rappelle-toi, la première fois que tu as utilisé le « il ou elle » c’est en grammaire quand il faut chercher l’accord quand il faut chercher le sujet, et qu’on doute alors on nous apprend qu’il faut dire qui est ce qui fait l’action…. et on répond « il ou elle ».
On cherche le sujet, on cherche et on finit par trouver. J’aime que la grammaire française ne s’enferme pas que dans l’objet qu’il soit direct ou indirect. J’aime savoir qu’il ou elle sont d’abord deux pronoms et qu’ils deviennent prénoms, parce qu’ils sont justement si personnels. Il ou elle et toutes les déclinaisons qu’offre la magnifique langue française, cette grammaire faite aussi de conjugaison, cette magnifique conjugaison qui réunit, qui assemble, qui complète et qui donne à des verbes creux et immobiles des rondeurs et des échos qu’on entend longtemps sonner au fond de nos cœurs, au profond de nos corps quand on les prononce.
Et je voudrais conjuguer le verbe aimer à tous les temps de mon impatience, toutes ces belles phrases que j’ai dites, parfois écrites, souvent rêvées, elles sont là à fleur de ma peau, elles voguent à tire d’aile vers cet île. Il ou elle, île ou aile, les mots s’assemblent et se ressemblent, ils se rassemblent parce qu’ils aiment le beau qui les enrobe, papier brillant d’un bonbon qu’on tourne dans sa bouche et les sensations sont là : toutes … pas une ne manque. Ile ou aile, il et elles, les oiseaux la mer, ils se touchent, c’est vague mais ils sont bien, ils sont beaux les mots…

Souvenir…

Je garde au fond de ma réserve à souvenirs
Un reste de soir d’été
C’était hier, c’était il y a loin
L’océan ne disait plus rien
Lassé d’une longue journée
A inventer des vacances
Pour les ceux qui rêvaient de bleus
Le ciel l’avait rejoint
Et dans les bras envasés
De la terre endormie
Ils s’étaient aimés
Pour une seule et longue nuit

12 juillet

Il a senti la mer…

Un vieux texte que j’ai envie de partager a nouveau ce soir…

Il a mis le pied sur le quai et ce qu’il a tout de suite senti, très fort, c’est l’air. Il l’a senti sur sa peau, il l’a senti entrer en lui, partout, par tous les pores. Alors il s’est arrêté, et il a compris que la mer dans la ville, dans cette ville est partout. L’air qu’on respire n’est pas le même, il est parfumé, avec juste cette sensation d’humide qui ne glace pas le sang mais qui donne le sourire. Oui, elle est là la différence, c’est dans l’air ! C’est un sourire qui caresse, doux comme le premier chant d’oiseau à la fin de l’hiver, on ouvre la fenêtre, on respire : la vie est partout et on sourit. Il n’est là que depuis cinq minutes. Il ouvre les yeux, son cœur bat, très fort, les autres il ne les voit plus. Il est sorti de la gare et il avance, il sent, il reconnaît il comprend tous ces récits de la mer qui commencent là, au port. Les mouettes d’abord, leurs cris ne sont pas beaux, mais leurs cris le bouleversent. Elles l’appellent, elles le savent nouveau. Il avance. Tout est si beau : une lumière de fin d’après-midi, un soleil déclinant qui laissent traîner quelques couleurs ; la moindre pierre est étincelle, et les flaques d’eau graisseuse belles comme des toiles de maître. Le port est encore loin mais il le comprend déjà, il perçoit les cliquetis, cocktails de bruits symphoniques. Les bruits, la lumière les odeurs qui racontent la vie qui les a faites. Il voudrait courir pour être au plus vite au port, mais aussi prendre le temps, entrer comme un navire, calme, glissant, apaisant, masse métallique qui se pose le long du quai.

Tout avait commencé par une boule au fond de la gorge, suite et fin…

J’ai terminé le déchiffrage de ce qui était certainement destiné à être l’esquisse de la suite de mon premier roman  » quelques mardis en novembre » et que j’ai abandonné ensuite…

Je n’avais pas prévu ce départ, ou tout au moins je ne l’avais pas intégré avec intelligence dans mon parcours de reconstruction. J’aurais pu choisir le refus de porter cet uniforme mais je n’avais pas bougé, peut-être par paresse, peut-être plus parce que je pensais qu’il y avait beaucoup à prendre dans cet univers dont on parle tant sans ne l’avoir jamais rencontré. Un peu comme ces paradis ou enfers lointains qu’on s’envoie volontiers à la face, lors de nos si nombreuses empoignades politiques. « Allez-y voir là-bas et vous verrez bien que votre paradis, c’est bien l’enfer pour les autres ! »

La plupart du temps ce pourfendeur de l’au-delà honteux a encore les seules limites de sa propre commune, de son quartier, de sa propriété inscrites sous la semelle de ses chaussures…

Pour l’armée, ou tout au moins le service militaire, c’est souvent la même chose. Enfant, je n’avais qu’une vision brumeuse de ce que pouvait être cet univers, peut-être parce que mes proches qui ne l’avaient que trop vécu en parlaient comme on devrait parler de toutes les réalités :  avec pudeur et prudence.

Ce sont ceux qui n’avaient rien vu qui en savaient le plus long…

Je n’ai jamais été un militariste forcené, loin de là, mais à travers cette angoisse terrible, celle du départ vers une autre vie, j’éprouvais des sensations si neuves, si fortes, que je les savourais avec une juste douleur…

Il faut aller voir ce qui se passe, partout où des gens vivent. C’est peut-être ainsi que bout à bout, morceau par morceau, on finira par faire d’une série d’épisodes une fresque homogène. Et pourtant j’avais peur de  ce soir chaud et humide d’août en montant dans ce train sentant l’acier trempé et l’urine sèche. Je pénétrais dans un premier compartiment et dès cet instant je sus que tout avait commencé. Les fesses collées contre le skaï SNCF, j’observais ces cinq visages disposés autour de moi avec dans le regard une rigueur de cortège.

Il faisait chaud et j’avais le souvenir de ce premier plongeon que je fis quelques années auparavant. La grande rue, les rails et Héléna. Héléna si présente dans cette douleur qui commence à me vriller l’estomac, Héléna qui m’observe dans l’en dedans de mon demi-sommeil.

J’ai les jambes qui s’alourdissent. Tandis que le train s’engouffre dans cette nuit étouffante je sens mon corps qui prend une pose qui ne surprend personne parce qu’elle est le dénominateur commun de ceux qui voyagent pour aller vivre un peu plus loin cette aventure qui si souvent noie leurs yeux de larmes…

Le bruit, comme une musique, comme une obsession. Ce bruit qui rassure parce qu’il est puissant, vrai, ce bruit qui bat à l’intérieur. Je n’arrive plus à réfléchir. J’ai cessé de fournir l’effort nécessaire pour convaincre l’ensemble de mes quatre membres à prendre une attitude convenable.

Je me répands, flaque de mélancolie dans ce compartiment gluant. Je suis dans le train, dans le ventre de cette bête qui transperce la campagne plus qu’elle ne la traverse. Les autres dorment ou tout au moins leurs yeux se ferment. Mais j’entends le bruit, le bruit des rails qui dansent dans leurs têtes. Ce qui les distingue, c’est qu’eux ils connaissent, ils ont déjà vu, là-bas.

Tout au moins je le suppose.

Tout avait commencé par une boule au fond de la gorge…

Comme il pleut, j’en profite pour ranger, je fouille dans mes vieux cahiers qui sentent l’humidité. Et là je tombe sur le début de quelque chose, un texte visiblement écrit d’un seul jet, très vite, ( j’ai souffert pour le déchiffrer ) et je suis agréablement surpris. Je pense l’avoir écrit au début de l’année 1982… Je le publierai en deux ou trois fois..

Tout avait commencé par une boule au fond de la gorge. Avec cette désagréable impression de ne plus être capable de déglutir…

Le silence qui accompagne cette angoisse physique, est un voile de brume qui enveloppe l’être tout entier.

L’angoisse n’existe pas, elle est l’existence même, et le regard acquiert cette autre faculté qu’on évite de lui reconnaître. Celle de voir l’en dedans, l’envers du chaos, comme une preuve qui s’est tapie dans un repli de toutes les mémoires.

Enfant déjà, j’avais peur : peur comme tout le monde, du noir, du vide, des rats, du tonnerre.  Et j’avais peur de moi quand je me voyais tremper ma vie dans une espèce de bain d’inconscience.

La peur, je me disais qu’il fallait la maîtriser : avec de la volonté, avec du rire, beaucoup de rires, comme des plaquettes anti-mouches qu’on appose au fond de l’esprit…

J’ai toujours trouvé curieux l’entêtement que mettent les gens à ne trouver le bonheur, le bien-être que quand la mer est là, calme, que le ciel est bleu.

J’ai pour ma part éprouvé les sensations les plus fortes dans de gros orages, ou à la vue de tempêtes. La sensation que je cherche à éprouver, me procure un long frisson qui est de l’ordre de la satisfaction physique. Et pourtant elles portent en elles le germe de toutes ces morts annoncées.

Tout avait donc commencé par cette boule au fond de la gorge. Parce qu’il me fallait partir : partir pour faire l’armée… Curieux cette expression : faire l’armée ! Comme s’il y avait dans l’obligation de servir le drapeau français, durant un an, un acte de bâtisseur. Il y a ceux qui ont fait l’armée, ceux qui ne l’ont pas fait, ceux qui n’ont pas pu la faire et ceux qui n’ont pas voulu la faire. Et il y a surtout ceux qui la font, sans rien dire, comme ça, en passant, avec un peu de kaki au fond des poches…

Faire, faire : j’entends aujourd’hui les recommandations de ma professeur de français : autant que possible il faut éviter le verbe faire, peut-être même faut-il éviter de faire.

Je n’avais pas prévu ce départ, ou tout au moins je ne l’avais pas intégré avec intelligence dans mon parcours de reconstruction. J’aurais pu choisir le refus de porter cet uniforme mais je n’avais pas bougé, peut-être par paresse, peut-être plus parce que je pensais qu’il y avait beaucoup à prendre dans cet univers dont on parle tant sans ne l’avoir jamais rencontré. Un peu comme ces paradis ou enfers lointains qu’on s’envoie volontiers à la face, lors de nos si nombreuses empoignades politiques. «  Allez-y voir là-bas et vous verrez bien que votre paradis, c’est bien l’enfer pour les autres ! »

Le chant du large.

Gare du nord : couloir

Au fond de mes poches,

Quelques miettes de ciel.

Dans le creux de ma paume pressée,

J’ai pris quelques cailloux mauves.

En riant les ai semés.

Une à une, bulles légères

Sautillent, pétillent

Dans long couloir sans écume

Foule sans sillage,

N’entend pas le chant du large.  

3 décembre 2019

Dans nos regards, la mer et la brume…

Je ferme les yeux,

Doucement, tout doucement.

Derrière les paupières lumière si douce.

Légère, fraiche, caresse que mon regard entend.

Et derrière mes yeux, ton regard brillant

Tes yeux, mes yeux nos regards mémoires.

Mes yeux, tes yeux, nos yeux qui s’effleurent et s’entendent.

Dans nos regards, la mer et la brume.

Dans nos regards un bouquet de souvenirs.

Regarde petite, regarde…

Regarde à l’intérieur de ton coffret à images

Quelques bijoux brillent pour deux.

Ecoute, petite, écoute.

Dans le creux de ta main,

Il y a le bruit de la mer

Ils ne sont deux à l’entendre.

Il est loin.

La caresse de ses mots sèche les larmes

Au coin de son regard, le sel a séché,

C’est beau, c’est si bon à caresser.

Mai 2016

Les mots s’envolent…

Il ouvre son livre intérieur

Et ajoute quelques pages.

L’encre ne sèche plus.

Elle coule

Douce et légère.

C’est le sang vif des mots.

Ils s’échappent, lumineux.

Le jour les éveille.

C’est si beau

Ces mots qui s’envolent.

Dans le vent qui attend, quelques grains de lumière,

Les yeux les lisent, le regard se plisse.

Le cœur s’affole,

On est bien.

Pas un son n’essaye le bruit,

Tout est mélodie.  

Des notes s’enroulent

Autour des mots,

Flotte comme un doux parfum de nuit

Il manquait un voyageur….

J’ai regroupé dans un seul article les deux anciennes parties de ce portrait ferroviaire que j’ai achevé hier. C’est devenu une micro-nouvelles que je publie d’un bloc pour en faciliter la lecture. Et je lui ai donné un titre

Ce sont trois informaticiens, ou techniciens, de ces hommes qui m’impressionnent parce qu’ils arrivent à réfléchir en trois dimensions. Tout le long du trajet, dans ce « carré » que je partage avec eux, ils parlent une autre langue, presque une langue de signes. Ils rient, ils sont bien dans leurs anecdotes technologiques. Ils mettent du sourire et du bonheur dans les codes, dans les chiffres. Il y a du soleil dans leurs langages obscurs. Je ne comprends, ce n’est pas grave, je les écoute avec délice. Ils ont de la passion, elle déborde dans ce compartiment monotone et j’aime ça. Ils ne jouent pas, ils ne forcent pas, ils disent, ils racontent, et ils vivent.

Le plus près de moi est massif, il a les mains lourdes, les doigts épais. Je ne l’imagine pas devant un clavier, mais plus devant un sac de ciment, un arbre à abattre. Il est fort, sa voix résonne, il est calme, il aime la vie.

Silencieux, mais attentif, depuis le début du trajet je me décide à parler. Peut-être parce que je me sens bien, que cela me semble naturel de parler à ceux qui sont proches. Comment peut-on presque se toucher et ne rien se dire ?  Il n’est jamais simple d’entrer dans une conversation, il ne faut pas donner le sentiment d’être indiscret, d’avoir écouté. Les réactions peuvent parfois être surprenantes. Tout cela je le savais, tout cela je l’avais déjà expérimenté mais tant pis, je me suis lancé.  

« Euh, excusez-moi, je vous écoute depuis un petit moment, et je ne comprends rien à ce que vous dites, vous êtes dans quoi au juste ? »

Le plus jeune des trois, celui qui est en face de moi, a semblé abasourdi par cette question. Il m’a regardé avec étonnement, presque avec effroi, comme si je venais d’entrer par surprise dans sa chambre à coucher, juste au moment où il allait se glisser sous les draps. Les deux autres l’ont regardé, m’ont regardé : le plus bavard des trois, celui qui il y a quelques minutes ponctuait toutes ses explications de grands éclats de rires, s’est figé instantanément dans un silence glaçant. J’étais gêné, presque pétrifié. Le doux balancement du compartiment dans une longue courbe prise à grande vitesse, me donnait presque la nausée. J’allais ouvrir la bouche pour m’excuser, leur dire que j’étais désolé de les avoir dérangés quand le plus grand des trois, celui que j’admirais il y a quelques instants, se tourne vers moi et me dit simplement.

« Tu veux savoir, dans quoi on est, et ben c’est simple là pour le moment et pour encore deux heures on est dans le train, dans ce compartiment, avec toi, mais sinon tu sais on n’est dans rien, on ne travaille pas, on ne travaille plus. On est ensemble parce qu’on va à l’enterrement d’un ami, notre ami, c’était le quatrième, celui qui était avec nous, d’habitude, là, à ta place. On était quatre, quatre techniciens, on aimait vraiment ce qu’on faisait, et puis la boîte a fermé, elle nous a virés. Lui, il n’a pas supporté, il s’est suicidé…Il s’appelait Jules. C’était la semaine dernière, alors on est tellement triste, qu’on fait comme avant, on parle, on rit, et tu vois tu nous as réveillé et là on pense à lui… »

C’était un soir de trop…

C’était un soir de trop.

Triste, vide

Trahi par le beau,

Il s’ouvre dans un sanglot.

Gris soir si laid,

Laisse un goût de craie.

Dans la rue aux couleurs abîmées

Un homme est passé,

Seul, il poursuit le chemin.

Il est parti vers ce rien ;

En finir, voir le bout,

Il en rêvait.

Se poser là-bas,

Juste au bord ;  

Laisser pendre les deux bras,  

Dans le vide de demain.

Et tout doucement, souffler.

Laisser les yeux se fermer

Et l’attendre,

Dans ses bras se serrer.

27 août 2019

La moitié et son double : 3

Le père n’est pas musicien, ne comprend pas grand-chose à l’anglais, mais ce qu’il aime avec ce chanteur c’est que tout devient simple. La musique, elle lui entre dans la tête sans poser de questions, sans chercher à se faire remarquer, sans chercher à ce qu’on prenne l’air sérieux pour en comprendre les portées.

Cette musique, surtout les morceaux acoustiques, on sent qu’elle est faite pour ceux qui n’obligent pas leurs émotions à prendre d’autres chemins que ceux qu’elles sont habituées à emprunter. Ce sont les mêmes chemins qu’à la lecture d’un passage de Steinbeck, de Camus, de Kerouac, ou d’Hemingway. Les paroles il ne les comprend pas toutes, contrairement à son fils qui est à l’aise avec l’anglais. Il ne les comprend pas toutes mais il les ressent, il sait qu’elles parlent, pour beaucoup d’entre elles, de ce qui est vrai.

Le fils lui connaît tout de ce chanteur, il est un passionné, pas un fan ; le mot ne convient pas pour décrire ce qui se passe chez lui quand il a les tripes secouées lors des nombreux concerts auxquels il a assisté. On parle de fans pour les autres, ceux qui reçoivent paroles et musiques avec passivité, comme des oies qu’on gave, lui il n’a pas la bouche ouverte, il laisse entrer les émotions, il les laisse naviguer dans l’arrière-pays de sa tête, alors elle rencontre ses autres passions, ses révoltes, ses indignations, ses doutes et ce qui se passe c’est plus que du plaisir, c’est autre chose. Les mots n’existent pas toujours pour décrire quand on sent un frisson qui parcourt l’échine, avec des picotements sur tout le corps et irrésistiblement des larmes qui montent, de ces larmes qu’on ne cherche pas à ravaler parce qu’elles sont le sang de cette vie qu’on a en soi, une vie qu’on ne retient pas, une vie qu’on laisse dire, qu’on laisse faire.

Le père il comprend bien cela, il éprouve aussi ces sensations quand il lit les premières pages de l’étranger, quand il lit et entend ce que dit Léo Ferré. Et lui non plus n’est fan de rien, parce que lui non plus n’aime pas cette réduction du fanatisme. Tous les deux ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est la vie, ses contrastes, ses simplicités, ce qu’ils redoutent, ce qu’ils ne supportent pas, c’est les fausses certitudes de celles et ceux qui prétendent savoir.

Le coucher de sommeil : 1

Une nouvelle écrite il y a quelques années, je la publierai en 4 parties ….

Un matin elle s’était levée plus rapidement que d’habitude avait tiré les rideaux d’un geste précis, ouvert la fenêtre et en quelques secondes avait décidé que cette journée ne serait pas comme les autres. Pas comme les autres parce que tout le lui disait, partout, ce qu’elle voyait, ce qu’elle sentait, ce qu’elle ressentait, ce qu’elle entendait lui confirmait sa certitude de la nuit, aujourd’hui serait la journée des réponses, la journée ou tout s’éclairerait. Cette nuit comme souvent, comme parfois des questions avaient tourné en boucle dans sa tête des questions sur la vie, sur la mort, sur l’amour, sur les autres, des questions sur l’absurde, sur la bêtise, sur l’indifférence, des questions sur l’insuffisance, sur le mépris, sur les fausses idées, sur le temps, pas sur le temps des nuages, pas sur le temps du soleil, non sur le temps qui s’accroche aux pendules, aux aiguilles ce temps qui vous pique.

Cette nuit elle avait eu 25 ans et comme elle est quelqu’un d’organisé contrairement à ce que certains croyaient autrefois parce qu’on s’attache trop aux détails aux apparences elle a décidé cette nuit de chasser toutes ces questions et demain de chercher les réponses, toutes les réponses.

Elle n’a pas tout de suite remarqué le changement dans le paysage, concentrée qu’elle était à cette nouvelle journée qui s’ouvrait, les yeux grands ouverts, il y avait comme une liste qui se déroulait derrière son regard rieur, elle n’aimait pas être prise au dépourvu et aimait organiser ses journées.  

Aujourd’hui, c’était entre autres.

  • Finir ses courses sur internet
  • Choisir un cadeau pour sa sœur
  • Téléphoner à sa mère pour lui dire qu’elle avait choisi un cadeau pour sa sœur
  • Choisir un cadeau pour sa mère avec ses frères
  • Téléphoner à ses frères pour leur dire qu’elle allait choisir un cadeau pour leur mère
  • Faire un gâteau pour ce soir
  • Prévenir par téléphone ses amis qu’elle ferait un gâteau pour ce soir
  • Finir les courses pour faire un gâteau pour ce soir
  • Téléphoner à sa mère pour lui demander ce qu’elle aimerait comme cadeau pour Noël
  • Dire à son compagnon de changer la litière du chat
  • Téléphoner à ses autres amis pour dire qu’elle ferait un gâteau pour ce soir
  • Et plein d’autres choses encore

Et puis soudain alors que la liste ne cessait de s’allonger, elle a poussé un petit cri, à peine de l’étonnement car rien ne l’étonne et un rien l’étonne c’est d’ailleurs ce qui fait qu’elle est si étonnante et que tout le monde aime quand elle est là.

Où nous retrouvons Jules. Jules qui doute de tout…

Certains veulent en savoir plus, sur Jules, voici un nouvel extrait, d’un Jules torturé par le doute…

Et Jules doute. Il doute de tout, du réel qui l’entoure, des autres qui passent. Et cette question qui lui revient, comme un refrain, cette question que posait son professeur de philosophie au commencement de chaque cours : « et si nous n’étions que le rêve d’un papillon ». Un papillon, comme un songe, furtif, qui passe devant les yeux. Et si c’était vrai, si tout tenait dans le rêve d’un cerveau de la dimension d’une tête d’épingle. Tout lui paraît incongru, posé là sans raisons évidentes, il cherche le vrai, ce dont il ne pourra jamais douter. Il y a le soleil qui se lève, ça fait comme un début à cette histoire, à l’histoire, au rêve…Et toujours le papillon derrière chaque certitude. Jules doute : il n’y rien, rien dont il ne puisse avoir la preuve, rien à qui il puisse dire : « regarde-moi chose, objet, regarde-moi vivant et existe moi… »

La preuve, quelle preuve ont dit les autres ? Les autres : des vivants qu’il rencontre chaque jour, qu’il voit, qu’il retient pour le lendemain, pour toutes les prochaines fois où ils lui diront : « ça va Jules, ça va depuis hier, depuis tout à l’heure, depuis toujours ». Et Jules qui ne les croit pas parce qu’il doute, parce qu’il cherche comment c’est fait le vrai, parce qu’il est persuadé que chaque nuit il y a des mondes qui se fabriquent, d’autres mondes avec d’autres Jules qui cherchent, qui attendent, qui doutent.

Il en est sûr parce qu’il le fait lui-même, chaque nuit. Il sait que ces mondes existent quelque part, ailleurs, entre ses rêves et ceux d’un papillon. Alors il se dit qu’il n’y a pas de raisons de croire l’un plus que l’autre. Quand Jules rêve à cette femme qu’il aime, il dit qu’il rêve mais il sait que cette femme existe, qu’elle est dans un vivant ailleurs, il sait qu’elle n’est pas plus fabriquée que lui. C’est peut-être elle qui rêve, elle qui l’existe, elle est peut-être le papillon qui passe devant les yeux, et qui pose un songe comme une goutte de miel au creux de son histoire.

Mains dans les poches…

Mains dans les poches, mâchoires serrées, épaules rentrées,

Il marchait

Silhouette de l’ombre, parenthèse ouverte,

Il cherchait.

Regard au sol, sourires oubliés,

Il attendait.

Pas un ne l’effleure,

Pas un ne bouge,

Pas un ne l’existe

Dans la rue si droite,

Seul, abandonné

Il invente une courbe.

Autour de lui,

Rares regards qui bougent,

Pas à un mot à lui offrir,

Pas un son pour le relever.

Mains dans les poches, mâchoires serrées, épaules rentrées,

Il marchait.

Silhouette sans ombre, parenthèse fermée

Il glisse sans un bruit,

Dans ma mémoire de papier…

Dans ma mémoire de papier,

Feuille blanche pleure,

Larmes de mots gris.

J’entends la tempête à l’intérieur,

Le vent coule dans mes veines.

Dans mon ordre intérieur,

Pas une ligne droite, pas un battement de cil,

Dans le désordre de mon cœur

Des sourires aux courbes bleues

Des mains qui se posent,

Les doigts qui s’effleurent,

Dans la bouillie de mes rêves

Tout est joie qui se pose.

Année 2016

« Flacon, flacon » s’envole, léger…

Ce texte est le premier d’une série à venir. J’aime certains mots plus que d’autres, j’aime les dire, les entendre, les écrire : certains sont ronds en bouche, d’autres longs, comme un grand vin. C’est une collection, elle débute avec  » flacon »….

Fenêtre ouverte sur une nuit d’été,

Le silence est entré.

Sur le lit aux draps tièdes froissés,

Etendu, souffle court,

Dans la réserve de tes mots tu es entré.

Quelques lettres isolées,

Rondes et fragiles, tu as caressées.

Doucement, elles se sont enlacées,

Dans la braise de tes rêves en rime

Des alliages tu as coulé.

Fine mélodie, tes lèvres ont fredonné…

Ecoute,

Les mots s’éveillent et s’étirent.

Ne les épelle pas,

Ils ne le veulent pas.

Entends leurs chants

Prends-les, doucement,

Caresse-les, aime-les.

N’écorche pas leur fine peau.

Ils souffrent.

Ecoute les gémir

De leur solitude alphabétique.

Invite-les,

Là, dans l’arrière-pays de ta tête.  

Ne dis rien,

Ecoute dans le silence de l’été

Les courbes de ces rencontres.

Le flacon oublie la dureté du verre

Il se courbe, s’adoucit

Les lettres ont fondu,

Flacon n’est plus mot,

« Flacon, flacon »

S’envole, léger,

Dans la brume du fleuve assoupi.

Ne touche rien.

Au creux de la marge,

Fine et blanche,

Ta main glisse.

La feuille n’est plus de papier

Elle se consume,

Poème est né.

Les mots sont nouveaux

Ils sourient.

Ils riment, ils vibrent,

Se tiennent par la main.

Ferme les yeux,

Farandoles mauves,

Tu n’écris pas, tu ne lis plus

Tes yeux peu à peu se plissent.

Brûlée, fripée, froissée

S’endort une feuille d’été.

23 juillet 2019

On est con, on est con-con, on est content…

Voici une micro-nouvelle écrite, il y a trois ans, je m’étais bien amusé à l’écrire et je m’amuse bien à la relire…

Tout avait débuté en février. Au début, évidemment chacun a pensé qu’il ne s’agissait que d’une manifestation classique : la grogne habituelle dirions-nous. Le mot d’ordre est vague, ou plutôt suffisamment imprécis pour que chacun puisse se sentir concerné. C’est vrai qu’en ce moment tout le monde aime grogner, tout le monde aime se plaindre, tout le monde rêve d’autre chose : « il faudrait, il n’y aurait qu’à, il suffirait… ». Bref le conditionnel est d’usage. Mais, mais personne n’accepte qu’on change, personne ne supporte même l’idée qu’on puisse dire ou même penser qu’il serait nécessaire ou même possible de faire autrement.

Bref la routine.  Presque tous les cortèges ont débuté à la même heure : 10 h 00, c’est une bonne heure pour la balade des insatisfaits du moment. 

C’est d’abord à Aurillac qu’on a compris que quelque chose ne tournait pas rond, les journalistes locaux ont tout de suite remarqué qu’il y avait quelque chose de pas normal, d’inhabituel : certains ont même tweeter. Mais bon les manifestations à Aurillac c’est rarement pris au sérieux. Bref quand on relit ce premier tweet on n’imagine pas encore ce qui va se passer ensuite : …Aurillac, 3000 manifestants en tête de cortège une banderole «  on est content, faut continuer ». Sur place tout au long du parcours  il y a aussi,  comme à chaque manifestation, les badauds : ceux qui observent, qui essaient de compter, et qui eux aussi râlent, contre ceux qui râlent, ceux qui fait qu’au bout du compte tout le monde râle. En fait les jours de manifestation sont des jours de consensus, tout le monde est d’accord sur un point «  ça va pas » ou « ça va plus » ou «  avant ça allait mieux ». Et puis là il y a cette incroyable banderole ! On commence par chercher s’il n’y a pas un jeu de mots, un message subliminal. Mais non c’est bien ce qui est écrit et c’est aussi ce qu’ils disent «  on est con,  on est con, on est concon  on est content ».

Dans la demi-heure qui suit, les cortèges s’ébranlent partout, notamment  dans les plus grandes villes et là, stupeur, c’est comme à Aurillac. Ici à Limoges on dit qu’on est heureux, à Bordeaux on hurle que tout va bien, à Lyon on entend «  merci pour tout », à Marseille on chante « on va y arriver ». Partout en tête de cortège des banderoles souriantes, des slogans de bonheur.

« Ce n’est pas possible ça cache quelque chose » : au ministère de l’intérieur on est très inquiet. Le Ministre exige qu’on rappelle plusieurs compagnies de CRS pour la grande manifestation qui doit démarrer place de la Bastille à 14 h 00 ; l’inquiétude se lit sur tous les visages. Les dépêches tombent les unes après les autres, partout les gens sont contents, heureux, satisfaits.

14 h 00 place de la bastille : les manifestants sont nombreux très nombreux. Les forces de l’ordre sont tendues, inquiètes. On redoute le premier slogan, tout peut déraper en quelques secondes. 14 h 10 les premiers manifestants démarrent, on attend, en entend. « Tout va bien, on vous le dit » « Tout va bien ne changez rien ».

C’en est trop, c’est un piège : le premier ministre donne l’ordre ; il faut charger, ce n’est pas possible. Les sept compagnies de CRS ne laissent pas le temps à la tête de cortège de reprendre son souffle, on frappe, on enfume, on élimine ces imposteurs.

Le lendemain la presse a titré : «  A Paris la manifestation dégénère, des éléments incontrôlés ont infiltré le cortège des râleurs »

Mes Everest : « Orly » Jacques Brel

Et puis ils se reprennent
Redeviennent un seul, redeviennent le feu
Et puis se redéchirent
Se tiennent par les yeux
Et puis en reculant
Comme la mer se retire
Ils consomment l’adieu
Ils bavent quelques mots
Agitent une vague main
Et brusquement il fuit, fuit sans se retourner
Et puis il disparaît, bouffé par l’escalierLa vie ne fait pas de cadeau
Et nom de Dieu, c’est triste Orly le dimanche
Avec ou sans Bécaud

Il y a parfois un oiseau dans ma tête…

Il y a parfois un oiseau dans ma tête,

Un oiseau aux mille couleurs qui étouffent le gris de mes yeux,

Un oiseau qui plane au-dessus des plaines de ma mémoire.

Au matin levant, il frémit des ailes.

Les perles de rosée glissent sur la plume dorée,

Tout doucement la nuit s’est effacée.

L’oiseau dans ma tête a chanté.

Il est l’heure de réveiller les couleurs.

Au bout de mes yeux la lumière s’est étirée.

Au bord de mes yeux quelques larmes de beauté.

C’est un matin sans saison, le froid ne pique pas

Il est une caresse souriante qui imite la douce fraicheur.

Ce matin j’ai un oiseau dans la tête,

Tout doucement de la plume de mes mains

Des mots se sont envolés.

Rencontre avec le port…

Immobile, face au port qui lui fait les yeux doux, Maurice enregistre tout, il accumule des réserves, pour demain, quand il tirera les couvertures de son lit et qu’il fermera les yeux. Il a marché sur le quai, lentement, très lentement, vite ça fait touriste pressé qui oublie que les dalles usées ont été polies par l’impatience de toutes ces femmes qui attendaient que la mer ramène leurs hommes, leurs fils, leur frère. Maurice sent tout cela. Amarré, à quelques mètres un petit chalutier. Ils sont deux à hisser des caisses sur le bord. Maurice ne regarde pas le contenu des casiers, il ne veut pas s’ébahir à la vue des poissons luisants oubliant ceux qui sont allés les chercher. Il regarde leurs mains. Ce sont des mains qui semblent vivre seules, qui ne s’agitent pas inutilement. Les gestes sont précis, lents, définitifs. Elles plongent d’une caisse à l’autre saisissent des poissons avec respect, délicatesse. Maurice se souvient des mains du poissonnier. Ce ne sont pas les mêmes, ce sont des mains qui ont oubliés d’où vient la sole ou le bar, des mains pour découper, pour écailler, pour peser, pour rendre la monnaie. Ils les regardent, ils ne se parlent pas, c’est inutile : ils viennent de passer une journée en mer, à travailler, en plissant les yeux, à cause du soleil, du sel, de la peur, de la fatigue. Maurice comprend qu’on ne parle pas à la mer comme à n’importe qui, on ne parle pas de la mer comme s’il s’agissait simplement d’une étendue d’eau. Il est temps. Maurice doit rentrer, à l’intérieur, dans les terres. Il n’est pas triste, il reviendra. Il sait à cet instant qu’il n’est plus et ne sera plus jamais le même. Aujourd’hui tant de sensations ont accosté dans son port intérieur. Il lui faudra plusieurs jours pour décharger. Maurice reviendra, il reviendra et partira sur un bateau, sur son bateau…

Kuala Lumpur étouffée…

A chaque pas, une odeur,

Pour chaque regard une couleur,

Les beignets crépitent dans l’huile qui bouillonne.

Sur chaque rive de ce fleuve agité,

On cuit, on crie,

On pousse, on se pousse,

Les fruits aux formes plantureuses

Entourent épices, étoffes, poissons frits.

La chaleur est là.

Elle pèse,  

Lourde et humide.  

Sous les regards englués.

La rue est avalée,

La foule bigarrée l’a digérée

La rue s’est envolée,

Kuala Lumpur étouffée,

Sans un souffle nous a emportés.

Avril 2019

Chuuuuint…

Anton se souvient quand ils ont pris la voiture avec Marcel son père. Il était très tôt quand ils sont entrés sur l’A7. Ils ont roulé près de deux heures sans rien dire avec simplement le bruit du moteur et les chuintements des autres voitures, plus rapides, et qui vous doublent en produisant ce souffle, chuuuinnt, si caractéristique quand la vitre est légèrement ouverte. Ce bruit, Marcel dit que c’est un chuintement. C’est vrai que c’est un mot qui va bien, parce que si on ouvre la vitre plus grand, c’est pas pareil ça ne chuinte plus, c’est autre chose, un autre son qu’on ne retient pas, qu’on n’arrive pas à capturer dans sa mémoire pour en faire un joli mot.

Il se souvient. Ils se sont arrêtés sur une aire, il faisait chaud, il y avait le bruit des camions et on entendait les premières cigales. L’A7 c’est le sud et le sud c’est les cigales. Le sud : l’air est sec, les cigales vibrent, les chuintements se gravent dans la mémoire, les camions rugissent au loin. Anton regarde Marcel qui s’étire dans un sourire. Ils sont sortis de la voiture, sans rien dire, parce que dans ces moments-là, il ne faut rien dire pour ne pas prendre le risque d’abîmer ce qui va entrer en vous. Ils sont sortis et il y a eu le claquement simultané des deux portières, bruit de métal et de cuir, enfin il pense que le cuir c’est ce bruit là que ça fait. Ils ont marché quelques dizaines de mètres et maintenant les odeurs prennent toute la place dans la machine à émotions.

Les odeurs sur une aire d’autoroute : il y a l’essence bien sûr, le caoutchouc un peu chaud aussi, un mélange qui se marie avec les bruits qu’on entend. Marcel et Anton sont bien mais ne le disent pas, ils le savent, le comprennent sans se regarder, c’est écrit dans le silence tranquille qui s’est posé entre eux. Anton a quand même levé la tête, son regard a croisé celui de Marcel, et aujourd’hui Anton se souvient. C’est ce jour-là, il avait une dizaine d’années, qu’il a commencé à comprendre ce que c’était qu’être un autre, être différent, il a compris que c’est accepter de se jeter dans les bras de l’émotion, entièrement, sans réfléchir, sans s’interdire, y compris dans ces moments et ces lieux que tous ceux qui discourent sur le bonheur, sur le beau rejettent et abandonnent sur les rives bleues de leur vie. 

Ces marcheurs de rêve vous vendent des plages blanches, des couchers de soleil et soudain vous êtes là sur une aire d’autoroute, un peu après Montélimar. Votre voiture n’a pas d’acajou, les sièges sentent la chaleur, mais quand vous sortez, là, avec votre père, votre père cet incroyable personne qui vous a dit : « pas d’interdit, ne retiens pas, laisse-toi aller, ne trie pas tes émotions ». Et les émotions entrent à plein bouillons. Bien sûr une voix bien-pensante est là pour vous rappeler que ce n’est pas normal, ridicule même. Mais vous vous moquez, vous laissez entrer et ça fait comme une vague et c’est la première fois que Anton s’est dit : « ça y est j’ai compris, je suis un autre… »

C’est comme un coulis de rire.

Tout doucement le silence s’est posé,

Quelques ombres ont glissé.

Mes yeux soudain ont plissé,

Pas un souffle d’air, pas un battement d’aile,

Dans l’herbe si belle,

Tu t’es couché.

Et la lumière qui tombe t’a effleuré, caresse si belle.

Dans un soir d’été, je t’ai regardée.

Un sourire, un baiser à la sueur sucré,

Tout doucement les mots ont chanté.

C’est comme un coulis de rire

Au bord de tes lèvres.

Une senteur d’herbe coupée.

Tout doucement mes yeux se sont fermés,

Très lentement le vent frais s’est levé.

Il a voulu voir la mer…

Il a voulu voir la mer,

Au fond de ses poches, quelques miettes

Pour des oiseaux qui ne viennent pas.

Ses bras pendent : il y a de l’ombre autour de lui.

Il a voulu voir la mer.

Il ne la connaissait pas : les autres en parlaient.

Les autres en parlaient comme d’une fête foraine.

Il a pris son chapeau : pour sortir il lui faut un  chapeau.

Il est arrivé quand la nuit se retire,

La mer est devant lui, les autres ont menti.

Pas de cris, ni de lampions, la mer s’étire,

Elle est pâle, la nuit a gobé ses lueurs.

Son corps est drapé de gris, il a voulu voir la mer.

Et il pense à elle, hier elle est partie.

Ses yeux sont usés d’avoir tant  pleuré

Ses larmes sont englouties, dans les vagues elles se sont noyées

Son costume est usé, les coudes sont râpés

ll  est sur la plage, immobile, pétrifié :

C’est beau la mer

Mes Everest; Albert Camus : l’étranger, extrait 2…

C’est un frôlement qui m’a réveillé. D’avoir fermé les yeux, la pièce m’a paru encore plus éclatante de blancheur. Devant moi, il n’y avait pas une ombre et chaque objet, chaque angle, toutes les courbes se dessinaient avec une pureté blessante pour les yeux. C’est
à ce moment que les amis de maman sont entrés. Ils étaient en tout une dizaine, et ils glissaient en silence dans cette lumière aveuglante. Ils se sont assis sans qu’aucune
chaise grinçât. Je les voyais comme je n’ai jamais vu personne et pas un détail de leurs visages ou de leurs habits ne m’échappait. Pourtant je ne les entendais pas et
j’avais peine à croire à leur réalité. Presque toutes les femmes portaient un tablier et le cordon qui les serrait à la taille faisait encore ressortir leur ventre bombé. Je n’avais encore jamais remarqué à quel point les vieilles femmes pouvaient avoir du ventre. Les hommes étaient presque tous très maigres et tenaient des cannes. Ce qui me frappait dans leurs visages, c’est que je ne voyais pas leurs yeux, mais seulement une lueur sans éclat au milieu d’un nid de rides. Lorsqu’ils se sont assis, la plupart m’ont regardé et ont hoché la tête avec gêne, les lèvres toutes mangées par leur bouche sans dents, sans que je puisse savoir s’ils me saluaient ou s’il s’agissait d’un tic. Je crois plutôt qu’ils me saluaient. C’est à ce moment que je me suis aperçu qu’ils étaient tous assis en face de moi à dodeliner de la tête, autour du concierge. J’ai eu un moment l’impression ridicule qu’ils étaient là pour me juger.

Petit matin d’été…

Lever de soleil sur le Pilat : juillet 2018

C’est un tout petit matin ordinaire,

Dans la douce lumière qui s’éveille,

De rimes en rimes le soleil me tire du sommeil.

C’est un tout petit matin d’ici ,

Les premiers rayons au jaune si  pâle

Sur la crête s’étalent.

Plus loin , la nuit qui s’étire  a résisté.

Dans l’ombre fraîche du matin,

La pénombre s’est noyée.

Pas un bruit, pas un souffle ,

La chaleur a tout figé.

C’est un petit matin d’été ,

Timidement aux portes de la beauté, il a frappé.

C’est un matin d’été,

Sans parler je l’ai regardé,

Dans un sourire je l’ai aimé.

Nouvelle rubrique : mes poèmes de jeunesse…

J’ai décidé d’ouvrir une nouvelle rubrique en publiant de très vieux textes, la plupart ont plus de quarante ans. Au milieu des maladresses et des envolées lyriques on retrouve le style…

Ecoute,

Ca craque petite

Ecoute,

Ca bouge.

Arrête de rire petite

Ecoute.

Tout tremble,

Tout se désespère.

Vent de panique,

Regarde petite,

Regarde !

Année 1977…

Front contre la vitre…

TGV Paris-Lyon 11 juin 2018

Front contre la vitre, regard à grande vitesse

Il pleut, les gouttes glissent sur le verre.

Le paysage hésite à se laisser admirer.

Les couleurs sont  absorbées,

Noyées dans les gris  d’un voyage ordinaire.

Pas un son, pas un cri d’oiseau,

C’est une traversée d’un désert assoupi.

Front contre la vitre, la buée se forme.

Pas le temps de fabriquer une histoire à rêver,

La terre est oubliée, la vitesse l’a condamnée;

Paysages sans ambitions qui  aimeraient résister ,

Dans mon rêve trop  bref la vitre devient molle.

L’odeur d’herbe mouillée réveille un sourire assoupi.

Et la vie qui entre partout,

Elle chante l’été qui viendra.

Les gris sont surpris,

Front contre la vitre, le voyage est fini .

Onfkkk….

Il neigeait fort depuis plusieurs heures. Le silence prenait de plus en plus de place, tout était étouffé, amorti, pas le moindre craquement. C’était l’empire du coton. Il n’était pas sorti, préférant la chaleur de la cheminée, à l’avance épuisé à l’idée d’enfiler chaussettes, bottes, pulls et manteau. Bref il hibernait. Parfois il tirait un peu le rideau, pour constater l’avancée du blanc. C’est tout. Tout était simple.

Soudain un long craquement, comme un journal qu’on déchire. Il regarde le feu, ce n’est pas d’ici que cela vient. Cela craque de plus en plus, cela crépite même. Il y a peut-être des branches qui ployant sous le poids de cette neige lourde n’ont pas résisté. Non ce qui est curieux c’est que cela craque tout doucement, puis cela s’accélère. En fait ça grince, comme quand on est sur un port et que le vent s’engouffre dans les mâts. Comme quand on est en mer…..

Il reste là, devant les braises, toujours intrigué par les ces sons qui tanguent et qui roulent. Il faudrait qu’il aille voir. Il pense à la mer et sourit. Il sourit pour se moquer de lui-même : être capable d’entendre la mer, même ici montagne… Certes ce n’est pas très haut, mais c’est la montagne quand même. Il va sortir. Pour voir, pour entendre.

Il met beaucoup de temps à s’habiller, il n’est pas pressé de se confronter à ce qui ressemble de plus en plus à une tempête de neige. Il n’a pas peur. Pourquoi aurait-il peur ?

Il est à l’extérieur, il fait le tour de la maison, pas très rapidement, il s’enfonce, le son des bottes quand il lève la jambe et qu’elles s’extirpent de la couche de neige fraîche est magnifique, c’est un son épais, un son qu’on pourrait écrire. Tiens s’il devait l’écrire il écrirait « onfk ». Oui c’est bien ça «  Onfkkkkk ».

Il a fait le tour. Derrière chez lui, c’est une forêt avec de grands sapins. Une fois on lui a dit ou il a lu quelque part que ces sapins ont le tronc si droit qu’autrefois on venait les couper pour en faire des mâts. Des mâts pour les bateaux de la marine royale…

La mer, toujours la mer… Il faudrait qu’il arrête de la voir partout. Il est devant la forêt. Les mâts sont dressés. Ils sont noirs dans le soir qui tombe. Les branches si blanches font de belles voiles. Quand ils ferment les yeux, il sent les embruns qui lui fouettent le visage. Il est bien, c’est salé.

« Onfkkkk », une mouette s’est envolée quand il s’est avancé. Elle  a ri de tout ce blanc, il l’a regardé planer. Il est bien, il est rentré.

Homme d’en haut…

Homme d’en haut qui invente la mer,

Homme d’en haut, dans les yeux, le bleu c’est beau.

L’homme d’en haut aime la mer à mi mots.

Dans l’écume de ses rêves, des mots salés

L’homme d’en haut plisse les paupières,

Et des vagues à l’âme creuse les joues de l’homme d’en haut.

Sillons creusés par les larmes,

Creusent la vallée de ce visage lame.

Quand les yeux se ferment, quand le regard creuse l’intérieur,

Il a la mer qui remonte, la mer sur le front, vague ride d’un homme d’en haut.

C’est si beau l’âme d’un homme d’en haut.

C’est si beau l’âme d’en haut, amarrée au port du bas.

Avec un ciel si bleu que larmes d’en haut roulent,

Perles qui brillent,  

Jusqu’aux vagues d’en bas.

Voilier d’hier…

…C’est un voilier qui hésite encore entre la voile d’hier, faite de bois et de cordes qui sentent la paille et la voile de demain faite de matériaux lisses, et de cordages qui sentent le plastic. C’est un bateau qui hésite, entre deux, il a du gris dans les rares couleurs que le soleil lui a laissé, un gris qui parle des marées, un gris qui parle des pluies d’hiver qui déchire le bleu de la mer. A bord sur le pont, encombré de tous ces objets qui parlent vrai tant ils sont usés, un homme se déplace lentement. Chaque chose qu’il touche semble le remercier. Il n’est pas comme les autres, il semble déjà un peu plus loin, son regard ne se disperse pas, son regard est à ce qu’il fait. Les autres, ceux qui  virevoltent sur des bateaux de catalogue ont les yeux absents, on ne les devine même pas derrière des verres de marques ou se reflètent des couleurs qui n’existent que pour les touristes canonisés.  Sur le pont, l’homme sans lunettes se prépare pour le départ. Arrivé hier soir, sans bruit, il a cherché un mouillage éloigné des autres pour ne rien dire,  pour ne pas parler d’où il vient,  pour ne pas utiliser de mots qui n’ont pas de sens pour lui. Les autres,  lorsqu’ils sont au port aiment à raconter, se raconter, l’homme au navire sans âge n’est pas de ceux-là. Il ne se mêle pas à la vie du port. Il ne les méprise pas, il lui arrive même parfois de les écouter, de s’emplir de leurs rires pour s’en faire une couverture, douillette pour la nuit. Il ne les méprise pas, mais il n’aime pas qu’on pose de questions, il n’aime pas qu’on cherche à savoir. Son histoire ne doit intéresser personne, il ne le veut pas. Il se souvient, lorsqu’il est parti, il a mis le cap vers le nord, avec le vent de face. C’était un vent coupant et lui serrait les dents, pour ne pas faiblir, pour ne pas se poser de questions. Il était parti un matin tout simplement et quand il avait posé la main sur la barre en sortant du port de Concarneau, il savait qu’il ne parlerait plus, il avait tant à faire, tant à se dire à l’intérieur…

Mes Everest poétiques : Mauve…

Maxime Le Forestier chante « mauve » en 1974

La brume a des remords de fleuve
Et d’étang
Les oiseaux nagent dans du mauve
Les mots de ma plume se sauvent
Me laissant
Avec des phrases qui ne parlent
Que de tourments
Vienne le temps des amours neuves
La brume a des remords de fleuve
Et d’étangJe ne suis jamais qu’un enfant
Tu le sais bien, toi que j’attends
Tu le sais puisque tu m’attends
Dans une dominante bleue
Où le mauve fait ce qu’il peut
La page blanche se noircit
Laissant parfois une éclaircie
Une lisière dans la marge
Où passe comme un vent du largeLa brume a des remords de fleuve
Et de pluie
Les chansons naissent dans la frime
Et les dictionnaires de rimes
S’y ennuient
Mes phrases meurent sur tes lèvres
Mais la nuit
Elles renaissent…

Mes Everest poétiques : le bateau ivre…

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmés lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour !

…Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !

Le soir glisse tout doucement…

Le soir glisse tout doucement.

 Il vient de l’ouest chargé de cette douceur qui le font espoir

Le soir avance. Le lac l’attend, repu de cette journée où chaque ride de l’eau est un sourire

Un sourire pour dire à la mer,  si loin, que derrière les yeux qui se posent sur cette surface apaisée

Il y a comme un regard marin, quelques rides en moins.

Le soir descend des montagnes,

On respire dans l’air qui descend les fleurs des sommets

Pas un bruit de moteur, pas un cri mécanique, le silence est simple

Il est venu avec le soir, les yeux se ferment, le souffle est profond

Dans la tête et dans les corps le lac s’est invité

L’oiseau s’est posé, le temps s’est ralenti

Maintenant il faut rentrer, les yeux vont se fermer, tout est apaisé

Mes Everest poétiques : ..ces gens là…

…Et puis
Et puis
Et puis y’a Frida!
Qu’est belle comme un soleil!
Et qui m’aime pareil
Que moi j’aime Frida!

Même qu’on se dit souvent
Qu’on aura une maison
Avec des tas d’fenêtres
Avec presque pas d’murs
Et qu’on vivra dedans
Et qu’il f’ra bon y être
Et que si c’est pas sûr
C’est quand même peut-être
Parce que les autres veulent pas
Parce que les autres veulent pasLes autres ils disent comme ça
Qu’elle est trop belle pour moi
Que je suis tout juste bon
À égorger les chats
J’ai jamais tué d’chats
Ou alors y’a longtemps
Ou bien j’ai oublié
Ou ils sentaient pas bon
Enfin ils veulent pas
Enfin ils veulent pas

Il est midi sur le plateau…

Il est midi sur le plateau,

Sans un souffle, doucement chaleur s’est installée.

Il est midi sur le plateau,

Le bleu du ciel est en apnée, les couleurs sont fatiguées.

Il est encore tôt,

Le champ de blé ondule,

Longues vagues ocres sur la terre échouées.

Il est midi le soleil est si haut,

Et soudain, la mer est là, accrochée à l’horizon.

Dans l’arrière-pays de ma tête,

Une mouette s’est perdue

Elle cherche un port où se poser.

J’ai les yeux qui se ferment,

C’est le rêve qui prend le large.  

Il est midi sur le plateau,

Ferme les yeux,

C’est l’air de la mer,

Il descend, il est si tôt.

23 juin

Petite lueur…

Photographie de Alice Nédélec

J’ai dans la mémoire de mes mains un trou d’où jaillit une petite lueur. Lumière des mots oubliés, étouffés par l’ombre grise du dictionnaire de l’utile dont on habille les phrases pour sortir dans la pudeur administrative. Je pose mon œil poétique au-dessus, juste au-dessus et soudain les doigts retrouvent le chemin, on dirait qu’ils dansent sur le papier, ils sont chargés de  beau, ils sont emplis de ces courbes que prennent les mots quand ils sont libérés de leurs prisons académiques ; et ils dansent et ils chantent de la fraîcheur retrouvé.

Qu’ils sont beaux les mots !

Un matin pluie…

C’est un matin pluie

Qui ruisselle de gris.

Avalées par une trop longue nuit,

Les couleurs sont assoupies

C’est un matin pluie,

Sur un lac d’Italie.

Aucune ride, pas un souffle de trop

C’est le vide qui se pose.

Ferme les yeux, il est si tôt 

Pas un bruit mécanique,

C’est un matin qui repose.

Regarde le ciel, lisse et sans rose

Regarde, sur le dos de l’eau comme il se pose.

Tout est si calme, pas une lueur ;

Tout est si beau

Sans ces cent couleurs.  

On est si bien, à attendre le temps sans heurts.

C’est un matin  pluie,

Écoute  ces mots qu’il nous dit.

Ecoute c’est si beau le matin qui s’enfuit.

Mes Everest : « la poésie est une clameur »…

Extrait de la préface à « Poète… vos papiers! », écrite par Ferré en 1956

…La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n’être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie; elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l’archet qui le touche. Il faut que l’oeil écoute le chant de l’imprimerie, il faut qu’il en soit de la poésie lue comme de la lecture des sous-titres sur une bande filmée: le vers écrit ne doit être que la version originale d’une photographie, d’un tableau, d’une sculpture…

Seule la rouille est restée…

Tout doucement, cargo a glissé.

Houle qui roule l’a poussé.

Sur le sable fin, abattu, s’est posé

Grand corps affalé,

Seul et désarmé,

J’ai mal pour l’animal que tous ont oublié.

Seule la rouille est restée.

Patiemment, il attend la marée

Les premières vagues assoiffées lèchent

Une coque vide et fatiguée.

Seule la rouille est restée.

Le vent cruel s’est apaisé,

Il abandonne sur la plage le navire humilié.

Tas de ferraille désemparé,

Que la mer a licencié.

L’équipage est effacé,

Seule la rouille est restée.

Blessure du métal que l’océan a rongé,

Comme une coupure que les vagues ont creusée.

Seule la rouille est restée.

Cadavre de métal sur le sable échoué,

Pour le bateau blessé,

Larmes salées j’ai versées.

Orage…

…La lumière est plus basse, les premiers nuages naissent, ils se forment. On sent des trous de fraîcheurs qui s’installent au-dessus des têtes. Des oiseaux effrayés s’éparpillent sans réfléchir. Puis  les nuages n’enflent plus, ne s’élèvent plus. Ils ont éliminés l’horizon. Ils  s’étirent,  s’étalent. Plus rien ne les empêche de se rassembler aux quatre coins, là où le regard peut se poser.

Au sol, il y a  ce noir qui tombe par plaques lourdes de ce sombre qui repousse les derniers éclats d’un soleil qui en a trop fait aujourd’hui.

En quelques heures, la chaleur est oubliée. L’angoisse monte. Une angoisse emplie des respirations qui se retiennent. C’est la crainte de ceux qui ont peur, de ceux qui ont appris l’orage comme une colère, comme une punition. Ils attendent. Ils regrettent les brûlures du soleil qu’ils maudissaient après déjeuner. Ils auraient pu patienter, supporter.

Vu d’en haut, c’est comme une étendue de silence, on dirait une mer d’huile qui se prépare aux déchaînements. Il y a des yeux qui cherchent le premier éclair, le signe du départ, du début. Les portes se ferment, les rideaux se tirent, les lèvres se pincent, les mâchoires se crispent. C’est la peur qui déroule, qui enfle…

« Je vis comme je peux dans ce pays malheureux »

Extrait d’un discours prononcé en janvier 1958

« Dans l’affreuse société où nous vivons, où l’on se fait un point d’honneur de la déloyauté, où le réflexe a remplacé la réflexion, où l’on pense à coups de slogans et où la méchanceté essaie trop souvent de se faire passer pour l’intelligence, je ne suis pas de ces amants de la justice qui veulent que l’appareil de la chaîne redouble, ni de ces serviteurs de la justice qui pensent qu’on ne sert la justice qu’en vouant plusieurs générations à l’injustice! 

Nous ne sommes pas ici, loin s’en faut dans la poésie. Mais ces paroles de Albert Camus, me guident, et guident ma plume ou plutôt mes doigts sur le clavier. C’est la raison pour laquelle je les intègre dans mes « everest »

Il a senti la mer…

Il y a un an mon père qui m’a transmis l’amour de la mer nous quittait pour le long sommeil des absents. Je pense à lui aujourd’hui

Il a mis le pied sur le quai et ce qu’il a tout de suite senti, très fort, c’est l’air. Il l’a senti sur sa peau, il l’a senti entrer en lui, partout, par tous les pores. Alors il s’est arrêté, et il a compris que la mer dans la ville, dans cette ville est partout. L’air qu’on respire n’est pas le même, il est parfumé, avec juste cette sensation d’humide qui ne glace pas le sang mais qui donne le sourire. Oui, elle est là la différence, c’est dans l’air ! C’est un sourire qui caresse, doux comme le premier chant d’oiseau à la fin de l’hiver, on ouvre la fenêtre, on respire : la vie est partout et on sourit. Il n’est là que depuis cinq minutes. Il ouvre les yeux, son cœur bat, très fort, les autres il ne les voit plus. Il est sorti de la gare et il avance, il sent, il reconnaît il comprend tous ces récits de la mer qui commencent là, au port. Les mouettes d’abord, leurs cris ne sont pas beaux, mais leurs cris le bouleversent. Elles l’appellent, elles le savent nouveau. Il avance. Tout est si beau : une lumière de fin d’après-midi, un soleil déclinant qui laissent traîner quelques couleurs ; la moindre pierre est étincelle, et les flaques d’eau graisseuse belles comme des toiles de maître. Le port est encore loin mais il le comprend déjà, il perçoit les cliquetis, cocktails de bruits symphoniques. Les bruits, la lumière les odeurs qui racontent la vie qui les a faites. Il voudrait courir pour être au plus vite au port, mais aussi prendre le temps, entrer comme un navire, calme, glissant, apaisant, masse métallique qui se pose le long du quai.

Petit bonheur ferroviaire éphémère…

En arrivant ce matin sur le quai de la gare, j’ai perçu un petit quelque chose de bizarre, d’anormal. D’abord une sensation physique : je respire… Oui c’est cela : c’est dans l’air !  La respiration est un vrai bonheur, subtil mélange de fraîcheurs et d’odeurs d’herbe coupée. Je me suis dit que dans le fond de l’air il y avait certainement un petit peu de bonheur, un tout petit peu. Alors j’ai  souri, parce que le bonheur c’est pour fabriquer du sourire,  sinon ce n’est qu’une escroquerie de plus.

Je souris et – c’est bien cela que j’ai ressenti comme inhabituel – la première personne que j’ai croisée, une habituée comme moi, souriait aussi, d’abord seule, pour elle, comme moi, et puis j’ai bien vu qu’elle me souriait. Elle qui tous les jours serrent les dents pour ne pas risquer d’être obligé de répondre à mon regard, aujourd’hui elle me sourit. Incroyable ! Je me dis que c’est un hasard, un heureux hasard, que ce matin, enfin, elle est contente, peut-être même heureuse. Elle est contente de cette journée qui s’ouvre, contente de ce qu’elle est, de ce qu’elle fait. Tout simplement contente de vivre. Mais, je reste sur l’hypothèse du hasard.

Quand j’arrive sur le quai je me dis que le hasard a beau bien faire les choses, là c’est quand même beaucoup, j’ai même pensé à un tournage : peut-être un film publicitaire sur le bonheur de prendre le train ou la joie d’aller travailler. Mais non je me trompe, je connais toutes ces silhouettes, je les croise tous les jours, certaines depuis des années. Et là, tout le monde sourit, il y en même qui parle, et mieux encore qui se parlent. Je n’en peux plus, ma joie déborde. Je vais enfin pouvoir dire bonjour à toutes ces compagnies du matin sans qu’elles ne se sentent agressées.

« Bonjour, bonjour, bonjour » ! Je suis comme un rossignol,  je sautille sur le quai, je suis empli d’un incroyable bonheur ferroviaire. Sur le quai d’en face il semble que ce soit pareil. Je m’emballe, je me dis que je vais enfin pouvoir parler avec cette jeune fille qui tous les matins, depuis trois ans attend  au même endroit, qui monte avec moi dans le même compartiment qui descend dans la même gare.  Je vais lui parler, tout simplement,  elle va me répondre : je le sens,  je le sais,  je le veux.

Je m’approche d’elle, d’abord un bonjour, puis un sourire, puis deux, ma bouche s’ouvre pour lui proposer une de ces insignifiances qui ce matin seront de vraies perles à conserver pour ce petit bonheur matinal qui nous a surpris en plein réveil. « Je, je …. »

Et soudain, la terrible voix féminine de la SNCF, terrible voix si belle, si chaude si sensuelle, cette voix qui fige tout le monde sur le quai : « que va-t-elle annoncer, ce matin : encore du retard, une annulation, peut-être ? »  

« Votre attention s’il vous plait : en raison de la réutilisation tardive d’un triste matériel, le bonheur que vous respirez depuis ce matin, aura une durée indéterminée, nous vous tiendrons informé de l’évolution de la situation : en cas de difficulté à poursuivre votre voyage vers la morosité ferroviaire, veuillez-vous adresser aux agents les plus tristes sur le quai »

J’ai baissé la tête, avalé mon sourire et comme tous les matins j’ai regardé le cadran de ma montre. 

C’est mon soleil, il est levé…

Allongée sur le dos, feuille blanche repose sur le bureau.

Pas un bruit, pas un pli, il est si tôt.

Quelques miettes de nuit au bord du papier se sont glissées.

Dos brisé, regard embué, des griffes de ses draps il s’est échappé.

Emportant avec lui, petits paquets de mots froissés qu’il a tant aimé rêver.

Sur feuille blanche son regard a posé.

Tremblant et crispé, de ses doigts glacés la surface du papier il a caressé.

Blanche et fragile, feuille lisse, dans sa mémoire de papier a puisé.

Quelques mots elle a retrouvé, une à une, les lettres se sont formées.

Sur feuille blanche un souffle est passé.

Page blanche en est étonnée, et de plaisir a vibré.

Derrière la vitre, la lumière s’est invitée.

Douce et légère, la pièce a inondé.

Elle et lui, feuille blanche, matin gris.

Seuls dans la nuit qui disparaît, lentement l’angoisse est effacée.

Goutte à goutte les mots se sont rencontrés.

Sur feuille blanche ils se sont aimés.

Une à une, les lignes se sont formées.

Sur la rive de papier, les larmes ont échoué.

La blancheur est assoupie. Feuille blanche est agitée.

De rides en rides, vois les mots qui divaguent.

Et dans la ville endormie, à tire d’ailes de papier, un sourire s’est envolé.

C’est mon soleil, il est levé.

3 avril 2019