
Le Tribunal académique a fort à faire en ce moment. Il faut dire que nous n’avions jamais connu un tel relâchement dans le « bon usage » qui doit être fait des mots. Et il en est beaucoup pour penser qu’il serait peut-être temps de réglementer, le port de mots, ou tout au moins de certains de ces mots qui blessent, qui coupent, qui brisent, qui tuent. Jamais, Ô grand jamais, nous n’avions pu vérifier à quel point, un mot était une arme.
L’accusée est déjà dans la salle d’audience, il est arrivé le premier, ou elle car on ne saurait dire de quelle genre est-ce mot, même si la loi académique a décidé que les articles qui devaient l’accompagner était là ou une quand elle était seule. Vous l’avez peut-être deviné, aujourd’hui c’est La PEUR qui attend d’être jugée. Et si justement la salle est encore vide, c’est que personne n’ose entrer, ni public, ni jury, ni président. Tout le monde, a peur de la PEUR, et vous me direz que c’est bien normal.
Après quelques hésitations, le président du tribunal, qui se doit absolument de montrer l’exemple a pris son courage dans une main, son maillet de juge dans l’autre et il est entré. Derrière lui, têtes baissées, les six membres du jury ont suivi, empressés de gagner leur place en évitant autant que possible de croiser le regard noir de la PEUR.
Il n’a pas été simple de trouver six volontaires, et nous ne pouvons que saluer ces six courageux citoyens. Nous avons aujourd’hui une dresseuse d’ours, un cracheur de feu, une arracheuse de dents, un maître chanteur, une mère courage et un pêcheur répondant au prénom de Martin…
Le président est blanc comme un linge et semble pressé d’en finir.
« Madame la peur, je vous demande de vous lever, et surtout, je vous en prie, baissez les yeux, il est hors de question que je regarde la peur dans les yeux »
La peur est blanche, on voit bien à son teint blafard et à son regard vide qu’elle est épuisée, qu’elle n’en peut plus. Il faut dire que son arrestation a été des plus difficiles. Il n’existe dans aucun manuel d’école de police qu’elle soit judiciaire ou militaire, une méthode efficace pour arrêter la peur. Mais la peur est bien là et elle écoute.
Le président débite l’acte d’accusation avec un tremblement dans la voix. « Peur vous comparaissez aujourd’hui devant ce tribunal, pour répondre de nombreux délits. Pour ne pas perdre de temps je ne me contenterai que d’en lister quelques-uns. Vous êtes ainsi accusée de faux et usage de faux, d’escroquerie en bande organisée (cette bande devrait d’ailleurs elle aussi bientôt comparaître devant ce tribunal), de violences avec menaces, de menaces avec violence, de tentative de coup d’éclat. Et surtout vous avez contrevenu à la réglementation en vigueur depuis l’instauration du coupe-peur entre vingt heures et minuit. Vous avez été à de très nombreuses reprises surprise en flagrant délit d’intelligence avec de nombreux ennemis qui répondent aux noms de psychose, de manipulation, d’exagération et surtout d’information ! »
« En conséquence, et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je vous condamne à la peine suivante : à compter de ce jour vous resterez enfermée et seule une commission d’experts ne pourra autoriser votre sortie. Cette commission aura à juger de votre aptitude à n’intervenir que lorsque de véritables circonstances l’exigeront : chute d’une météorite sur le Trocadéro, tsunami de la Seine, invasion de rats géants, épuisement des stocks de chocolat… ».
« La séance est levée ! »