Je vous propose aujourd’hui de redécouvrir, ou de découvrir cette nouvelle écrite il y a cinq ans.
Compte tenu de sa longueur je la publierai en plusieurs épisodes…

13 juillet 2015 : Sourires au conseil des ministres….
Ce mercredi matin, comme tous les mercredi matin, c’est le conseil des ministres. L’ordre du jour est fixé un peu avant, avec le premier ministre : jamais de grandes surprises, les communications des uns et des autres, des nominations. Bref la routine républicaine. Tous les mercredis matin tout le pouvoir exécutif se retrouve pendant une heure mais personne n’y prête attention, c’est ainsi depuis longtemps.
Ce jour-là, pourtant le premier ministre a bien remarqué que le président n’était pas comme d’habitude. C’est simple on aurait dit qu’il était heureux, détendu. Bref de bonne humeur, avec un sourire permanent non pas au bord des lèvres mais au milieu de tout le visage. Pour quelqu’un d’autre que le président de la république ce sourire serait plutôt un bon signe, mais brandir à quelques minutes du conseil des ministres une telle décontraction avait de quoi interroger le locataire de Matignon.
Rejoignant ses principaux conseillers, Il a fait part de son inquiétude, de son étonnement. Et chacun de se perdre en conjectures, en hypothèses, chacun s’escrimant à chercher dans les jours précédents, des signes, politiques ou pas, qui pourraient expliquer pourquoi en ce mercredi 8 juillet à quelques minutes d’un conseil des ministres le président pouvait sourire.
Les conseillers sont réunis autour d’une table au plateau de verre. Tous ont les ongles rongés, ils tiennent leurs stylos d’une curieuse manière. La main tenant le stylo forme un angle fermé vers le poignet, le bras venant se poser en haut de la feuille afin que même en gribouillant, l’ensemble de la page soit visible, ce qui oblige quand même à une contorsion un peu curieuse. Cela dit cette simple posture en dit long sur ce qui se passe dans ces cabinets et aujourd’hui plus que jamais, les esprits cherchent à comprendre.
La difficulté c’est que personne n’est en mesure de mobiliser pour affiner sa pensée une des matrices d’analyse qu’aurait pu proposer l’usine à fabriquer des conseillers : sciences po, HEC, ENA… Les données du problème sont pourtant simples : le conseil des ministres va se réunir dans quelques minutes pour traiter comme chaque semaine de problèmes importants : importants pour la France, pour le gouvernement, pour le parti, bref importants. Le conseil des ministres sera et devra comme toujours être sérieux mais, et c’est l’autre donnée du problème et non des moindres : le président ce matin a souri, pire le premier ministre prétend qu’il l’a senti heureux et détendu.
Que se passe-t-il ? Que va-t-il se passer si on apprend dans les médias qu’alors que le chômage ne cesse d’augmenter, que la situation internationale est gravissime que le président de la république sourit ? C’est grave ! Il faut réagir ! Il faut, à défaut de comprendre, envisager tous les scénarios possibles et préparer toutes les réponses politiques appropriées.
Le débat n’est pas animé – il ne l’est jamais d’ailleurs- chacun surveillant l’autre, évitant de se dévoiler, de proposer des analyses pertinentes ; le risque étant de se les faire « piquer » par plus ancien que soi, plus en cours que soi… Bref ça cogite, mais avec pédale sur le frein ce qui arrange tout le monde parce que finalement il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent ;
Le conseil des ministres débute à 11 h 00. Tous les ministres sont tendus, les mâchoires serrées, ils sont évidemment au courant que le président a souri ce matin. Leurs conseillers politiques ont pondu de petites notes synthétiques pour tenter d’expliquer ce sourire et surtout envisager toutes les conséquences.
Le président de la République prend la parole. Avant qu’il ne prononce le premier mot, tout le monde voit bien qu’il sourit.
« Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, je suppose, évidemment que toutes et tous l’ont remarqué : je souris ! Oui depuis ce matin je souris. Vous pouvez le constater par vous-même : c’est un beau, un large, un vrai sourire, un sourire à belles dents.
C’est un sourire qui exprime du bonheur, pas un de ces sourires dont nous pouvons être coutumiers en politique : sourire généralement sarcastique, carnassier, sourire dont on use et abuse surtout face à ses adversaires. Parfois, vous le savez aussi bien que moi le sourire annonce le rire, souvent un rire entendu, bref, celui qu’on utilise pour montrer qu’on est encore sensible à l’humour, aux bonnes blagues, qui nous rendent plus sympathiques, enfin le pense t’on…Et bien mes chers amis ce n’est aucun de ces sourires qui m’illuminent. C’est bien autre chose et je vais vous le dire, je vais vous le raconter.
Je souris parce que je suis heureux. Je suis heureux, parce que ce matin, me promenant dans le parc, j’ai été touché par la lumière du soleil encore bas à travers les feuillages, par la fraîcheur persistante de la nuit qui a instantanément éliminé la migraine qui m’a empoisonné la nuit.
Ce sera à certains de sourire, à présent, de la futilité de ce bonheur, d’autres penseront ou diront que je suis fatigué, et que cet épuisement me rend sensible, vulnérable. Et là mes amis, je souris encore. Je souris encore parce que ces petites choses simples auquel il faudrait que j’ajoute le sifflement d’un merle, se sont imposées comme une évidence, une nécessité. Nous devons et c’est urgent cesser de nous comporter comme des êtres inaccessibles, insensibles, intouchables, infaillibles.
Mes chers amis j’ai décidé que nous devions aujourd’hui ne pas traiter cet insupportable ordre du jour. De toute façon tout est déjà décidé et engagé. Nos pâles conseillers de cabinets s’occuperont de donner du corps, de la réalité à ces différents points. Ce que je vais vous proposer c’est de prendre un autocar qui nous attend dans la cour de l’Elysée et de nous échapper assez loin de Paris pour ne point en entendre la rumeur. Nous irons marcher en silence quelques heures, et chacun d’entre vous devra retrouver un sourire, un vrai sourire, simple naturel ».
Sur tous les visages ministériels on lit de l’étonnement, mais toujours un peu d’inquiétude et quelques-uns sourient, eux aussi. Le premier ministre ose timidement un : « mais Monsieur le Président… ». Ce à quoi ce dernier répond l’index tendu devant la bouche : « chut écoutez … »
La grande fenêtre est ouverte, on entend des chants d’oiseaux et le bruissement des feuilles qu’un petit vent agite
14 juillet 2015 : l’autocar est garé devant la grille de l’Elysée