Sourires au conseil des ministres, 2

L’autocar n’a pu se garer devant le perron de l’Elysée, l’entrée est trop étroite. Il est stationné devant l’entrée principale rue du Faubourg Saint Honoré.

Le Président de la République s’est levé le premier, et avec une joie non dissimulée dans la voix, comme un enfant tout heureux du tour qu’il est en train de jouer à ses camarades, il lance à toutes et à tous un tonitruant : « allez suivez-moi, on y va ! »

Ce n’est plus l’étonnement qu’on lit sur les visages des ministres, surtout chez le premier d’entre eux, cette fois ci c’est bien de l’inquiétude, chez certains c’est même de la peur.  D’autres, peut-être les plus intimes se retiennent pour ne pas rire, essayant de se persuader qu’il doit s’agir d’une plaisanterie. Quelques-uns, les plus jeunes, semblent prêts, eux, à lui emboîter le pas, émoustillés de cette situation pour le moins cocasse.

Le président est maintenant debout près de la porte, on n’entend plus qu’un brouhaha et le frottement des chaises un peu lourdes qu’on tire pour s’extirper de cette longue table un peu sinistre. Les huissiers ont le visage fermé.  L’un d’entre eux ne peut dissimuler une réelle envie de rire. Les ministres baissent les yeux et viennent de comprendre : le président n’a pas ses habituelles chaussures noires, mais de magnifiques baskets aux couleurs fluos, véritables provocations pour les teintes sinistres, un peu délavées, qui emplissent cet espace de pouvoir depuis tant d’années. Il ouvre lui-même la porte, se retourne et comme un animateur de colonie de vacances, donne les explications, plutôt les consignes :

  • Mes chers amis, ne vous inquiétez pas, j’ai tout prévu, dans l’autocar qui nous attend devant la grille de l’Elysée, il y a un tout un assortiment de baskets, comme les miennes, avec toutes les pointures, je n’imaginais pas que vous puissiez faire quelques pas en forêt en escarpins et souliers vernis. Vous allez laisser vos dossiers ici, à votre place, sur la table et vos dévoués conseillers s’empresseront de les récupérer dès que l’autocar aura démarré. Justement : j’allais oublier deux choses essentielles, aucun conseiller ne nous accompagne, évidemment.  Deux motards nous ouvriront la route et le chauffeur qui est un habitué des voyages scolaires a promis de nous emmener dans un endroit tranquille, où, et c’est la deuxième chose nous pique niquerons. Un repas tiré du sac…Nous allons maintenant sortir calmement, bien groupé, pour ne pas perdre de temps. Des dispositions ont été prises pour qu’aucun journaliste ne soit ni devant le perron, ni devant la grille. De toute façon aujourd’hui c’était un conseil des ministres ordinaire, sans intérêt pour les chaînes d’infos. Quand je parle de disposition prise je veux dire que pour éloigner tous ces pseudos journalistes je me suis débrouillé pour allumer, comment dire un contre feu, dont je vous parlerai au micro dès que nous aurons quitté la ville. J’espère que personne n’est malade en autocar. Des questions ?

Des questions, des questions, il en a de bonne notre président pense à ne pas en douter la moitié des ministres, on en aurait une bonne dizaine à lui poser, et à commencer évidemment par pourquoi ? On veut bien se détendre, c’est une bonne idée, on veut bien rester dans la dynamique du sourire, cela nous fera du bien à tous, mais de là à monter sans nos conseillers dans un autocar, enfiler des baskets ridicules pour manger chips et sandwichs au jambon il y a quand même un gouffre.

L’un d’entre eux, un des plus jeunes, exceptionnellement invité aujourd’hui, parce qu’il n’est que secrétaire d’état, pour évoquer un projet de loi qui doit être déposé à la rentrée, est le seul à oser prendre la parole 

  • Euh monsieur le président, c’est surprise surprise, elles sont où les caméras ? 

Le président visiblement pressé de sortir de la salle lui répond calmement :

  • Oui mon petit Jacques, pour une surprise, c’est une surprise et vous allez voir ce n’est pas fini ! Allez, on a déjà assez perdu de temps puisqu’il n’y a plus de questions, en avant les enfants ! 

Il est onze heures trente : président en tête, c’est une troupe d’une trentaine de ministres, la parité est parfaite, qui s’engage dans l’allée qui conduit jusqu’à la grille ou les portes de l’autocar sont déjà ouvertes.

Le président marche d’un bon pas, il faut dire qu’il est chaussé pour. Beaucoup, surtout les femmes sont en train de se dire que si au moins on avait été prévenu on aurait évité les tailleurs, et autres tenues plus adéquates pour répondre aux questions au gouvernement que pour aller batifoler en forêt.

Certains espèrent en silence qu’il aura pensé aux tenues qui iront avec les baskets. Il sera bien temps de lui poser la question quand on sera monté dans l’autocar.

Le premier ministre est pâle, transparent : il vient à l’instant de prendre conscience qu’ils vont sécher la séance des questions au gouvernement tout à l’heure. Il faut qu’il en parle au président : ce n’est pas possible, ce sera une catastrophe politique d’une ampleur inégalée. Cela ne s’est jamais vu. Il faut qu’il prévienne son directeur de cabinet, il faut déclencher une espèce de plan Orsec…. Vite envoyer un texto…

Un texto…

La petite troupe, est maintenant agglutinée devant la porte du bus, c’est amusant mais certains semblent impatients, ils jouent mêmes des coudes pour grimper dans le bus mais là ils sont ralentis :  le président est en haut des marches il tient un grand sac à la main et le regard teinté d’une espèce de sévérité bienveillante, il demande à chacun de poser à l’intérieur du sac son ou ses portables.  On comprend au ton qui est le sien et à son regard qu’il ne sera pas possible de tricher ou de dissimuler, alors chacun s’exécute avec peu d’enthousiasme il faut bien en convenir.

Le premier ministre qui est le dernier de la troupe a compris ce qui se passait et s’empresse de sortir son smartphone pour dans les quelques secondes qui lui restent tenter d’envoyer un texto suffisamment clair pour que son directeur de cabinet puisse prendre toutes les dispositions nécessaires. C’est à cet instant et à cet instant seulement que Pierre – Pierre est le premier ministre – ose s’autoriser à envisager que le Président a peut-être perdu la tête ; Il commence à taper frénétiquement sur son clavier quand il entend la voix du président un peu irritée qui lui dit :

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