
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ». Ce matin Jules s’est levé en sueur.
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Ces paroles ne le quittent pas. Elles sont là, elles résonnent, ou plutôt elles chantent au fond de son crâne douloureux.
Jules ne se souvient que très rarement de ses rêves. Mais ce matin, il sait, il sent. Il est certain que ce sont des paroles qu’il a entendues cette nuit, dans son sommeil. Il lui semble même reconnaître cette voix. Une voix douce et gaie. Il faut dire que Jules vit seul, et débute sa journée, comme il l’a finie : dans le silence. C’est pour cette raison qu’il aime tant la compagnie de cette voix, comme une caresse qui le réconforte.
Tous les matins depuis dix jours il prend le temps de faire le tour de son appartement avec ce nécessaire regard d’explorateur, comme s’il découvrait à chaque fois, un territoire inconnu. Oh ce n’est pas très grand, mais il a suffisamment d’imagination pour s’inventer à chacune de ses tournées des aventures nouvelles. Il s’attend toujours à être surpris, à découvrir, qui sait, un coin encore vierge, dans une des quatre pièces de son logement. Intérieurement il sourit de sa naïveté : comme si les lois de la géométrie pouvaient à la faveur de ce confinement être bouleversées. Ce serait incroyable que je sois le premier à découvrir que dans certains rectangles, on peut trouver un cinquième coin. Pauvre Jules, il est seul et ne sait plus quoi inventer pour s’aérer, pour s’obliger à ne pas rester enfermé entre ces quatre murs. Quatre murs ? Il faudra peut-être que je recompte se dit-il ?
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Toujours ce refrain qu’il entend, petite voix désormais familière. Il a même l’impression qu’elle se rapproche désormais
Après avoir traversé le long couloir – sans faire de pause s’il vous plait- Jules se trouve désormais devant sa bibliothèque.
Jules commence par un long moment d’admiration, presque de la contemplation. Il est vrai qu’il a un côté maniaque qu’il assume totalement ; il ne se passe pas journée, en période normale, sans qu’il ne caresse les dos alignés de ses très nombreux livres, il les bouge parfois légèrement, souffle sur le dessus, persuadé que la poussière s’est encore invitée et va coloniser les pages.
Jules aime les livres, nous l’aurons compris. Et depuis le début de cet enferment imposé, Jules accomplit son rite plusieurs fois dans la journée. Nous ne sommes pas loin reconnaissons le de l’obsession.
Bref, Jules après la longue traversée du couloir sombre et aride est là, raide et rigide, plantée devant les rayons de sa bibliothèque. Une belle bibliothèque, bien fournie car Jules nous l’aurons compris aime les livres.
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ». La voix semble se rapprocher.
Jules aime les livres bien sûr, mais Jules aime les oiseaux aussi, il est même passionné, il aime les observer, les écouter, et surtout, Jules aime quand ils s’envolent… Nous aurons donc compris que comme Jules aime les livres et qu’il aime aussi les oiseaux, Jules a beaucoup, mais alors beaucoup de livres sur les oiseaux.
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Et d’un coup, d’un seul Jules comprend. Les livres, les oiseaux, la fenêtre toujours fermée. Jules saisit un de ces magnifiques livres, qu’il aime tant feuilleter. Celui qu’il tient est un livre sur les oiseaux de mer, il le sort délicatement, caresse amoureusement la couverture et l’ouvre, lentement, très lentement…
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
25 mars 2020