Aux adultes en sursis d’enfance Un enfant passe Une histoire l’attaque Le rabote l’assoiffe et l’affame Le pousse Au supplice du sentiment d’habitude Devant les adultes majuscules Qui ont mal conjugué Leur verbe aimer Et il est tombé Dans un trou Où les ombres s’ennuient Par manque d’éternité
Il y a des choses qu’on ne rasera jamais ici. C’est dans la chair. Ca parle. C’est dans la terre. Des tas de cailloux mais qu’on a mis un par un. C’est les mains de nos pères, de nos grands-pères. Toute leur patience accumulée à résister aux pluies, à l’horizon, en faisant des petits tas devant la nuit pour que la lumière de la lune s’y accroche. Pour être debout. S’inventer des montagnes et jouer à la luge. Et croire qu’on a atteint les étoiles. On leur racontera à nos enfants. On leur dira que c’était dur. Mais qu’ils étaient des seigneurs, nos pères. Et qu’on a hérité ça d’eux : des tas de cailloux et le courage pour les soulever qui va avec.
Si belles gouttes de pluie Doucement ont retrouvé le chant du clapotis Les feuilles ont la goutte qui espère Odeurs de terre assoiffée reviennent Elles se souviennent C’était écrit sur cet humide et doux papier Pattes de mouches ivres de ce vert aimé
J’ai un trou de mémoire… Curieuse non cette expression ? Pour ma part, j’ai plutôt l’impression quand je suis confronté à ce problème de trou qu’il s’agit plutôt d’un trou DANS la mémoire. Comme s’il s’agissait d’un panier percé. Et au bout du compte si on réfléchit un peu un trou ce n’est rien ou plutôt ce n’est que du rien, qu’un peu de vide autour de tout, d’un tout ou du plein pour ne pas dire du pain parce qu’un trou dans le pain ce n’est rien ou trois fois rien. Mais revenons à nos moutons : un trou de mémoire ne serait finalement rien ou presque rien. Et le presque est ici important : il rappelle que très souvent au bord du trou il y a un tas : le tas composé de ce qui a été extrait du trou avant qu’il ne devienne trou. Si je poursuis mon raisonnement je me dis que finalement tout est là, au bord, et qu’il suffit de chercher, de trier et alors on retrouvera bien quelque chose, pour combler le trou.
Je me relis et je me dis que tout cela n’est peut-être pas si clair, qu’il manque quelque chose, qu’il y a comme on le dit parfois un trou dans la raquette. Tout cela est bien complexe et plus j’avance plus je me dis que la solution est probablement au fond du trou.
« Écrire. Je ne peux pas. Personne ne peut. Il faut le dire, on ne peut pas. Et on écrit. C’est l’inconnu qu’on porte en soi écrire, c’est ça qui est atteint. C’est ça ou rien. On peut parler d’une maladie de l’écrit. Ce n’est pas simple ce que j’essaie de dire là, mais je crois qu’on peut s’y retrouver, camarades de tous les pays. Il y a une folie d’écrire qui est en soi-même, une folie d’écrire furieuse mais ce n’est pas pour cela qu’on est dans la folie. Au contraire. L’écriture c’est l’inconnu. Avant d’écrire, on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité. C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n’est même pas une réflexion, écrire, c’est une sorte de faculté qu’on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d’une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d’en perdre la vie. Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine. Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait — on ne le sait qu’après — avant, c’est la question la plus dangereuse que l’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi. L’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. »
Sur la route de nos colères enfouies Les mots se fracassent Ils dérapent à l’entrée floue d’un virage ajouté Qui flotte comme une virgule folle Au carrefour de l’inspiration J’oublie les priorités Je feuillette un dictionnaire aux pages molles Des demi-mots s’envolent à tire d’aile Ils fuient la froide prison des laids parleurs Ivres de mauvaise grammaire J’ai gratté le bout de mon rêve Sur le front d’une rime bleue Et mes mots sans bouts se brisent les reins
Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues Et de vagues rochers que les marées dépassent Et qui ont à jamais le cœur à marée basse Avec infiniment de brumes à venir Avec le vent de l’est écoutez-le tenir Le plat pays qui est le mien
Avec des cathédrales pour uniques montagnes Et de noirs clochers comme mâts de cocagne Où des diables en pierre décrochent les nuages Avec le fil des jours pour unique voyage Et des chemins de pluie pour unique bonsoir Avec le vent d’ouest écoutez-le vouloir Le plat pays qui est le mien
Avec un ciel si bas qu’un canal s’est perdu Avec un ciel si bas qu’il fait l’humilité Avec un ciel si gris qu’un canal s’est pendu Avec un ciel si gris qu’il faut lui pardonner Avec le vent du nord qui vient s’écarteler Avec le vent du nord écoutez-le craquer Le plat pays qui est le mien
Avec de l’Italie qui descendrait l’Escaut Avec Frida la Blonde quand elle devient Margot Quand les fils de novembre nous reviennent en mai Quand la plaine est fumante et tremble sous juillet Quand le vent est au rire quand le vent est au blé Quand le vent est au sud écoutez-le chanter Le plat pays qui est le mien.
Il faut, ou faudrait, nous dit-on voir la vie en rose. Enfin je commets peut-être une erreur, il est possible qu’il soit conseillé de voir la vie en roses. Encore une fois tout est une affaire de nature, voire de genre, puisqu’on peut parler d’une rose, on peut aussi évoquer le rose, et enfin on peut enrichir un autre mot en le gratifiant généreusement du qualificatif rose. On pourra ainsi parler d’une rose dont le rose est si rose qu’on pourrait y voir à travers comme s’il était blanc, on dirait alors qu’il est rosé, à ne pas confondre avec le rosé qu’il faut éviter avant de cueillir quelques belles roses, à offrir à sa promise afin de la faire rougir. Certes la couleur rose, tout comme la fleur, incite à l’optimisme voire à la gaieté mais reconnaissons quand même que certaines roses après avoir été piquantes (comme un mauvais rosé) sont désormais fanées. Et il y a des roses au rose si clair qu’elles en sont un peu transparentes. La vie de toute façon n’est ni une fleur, ni une couleur, et toutes ces injonctions ont le don de me faire monter le rouge au front…
Je termine aujourd’hui la publication de ce très long texte, commis il y a plus de quarante ans et auquel j’avais donné le titre ronflant de » Avant que ne meurent les victoires écorchées… »
Avant que ne meurent les victoires écorchées
Avant que ne s’entendent les discours du hasard
Tu regardes
Pour savoir
Pour l’espoir
Dans la foule pas un qui ne bouge
Pas un qui ne songe à remuer son poids de graisse
Alphabétique
Pas un qui n’oublie son anonymat
Pas un qui n’épèle son nom
Pas un pour croire qu’il y autre chose
Au dessus d’eux
Pas un qui n’ait un visage qui se reconnaît
Parce que tous attendent le lendemain
Qui suivra leur journée d’adoption
Qui passe en les tuant
Par paquets de minutes
Qu’ils ont volés à la pendule de ceux qui veulent pas
Mais qui sont morts
Pour l’instant ils ne marchent pas
Ils avancent
Mécaniques amnésiques
D’un mot qui revient
Sur toutes les lèvres pincées
Des ceux qu’on dit gagnants
Alors toi t’as plus que tes amis
Derrière d’autres fenêtres
Alors tu te dis que les leurs vont s’ouvrir
Et t’entends déjà le frémissement d’une autre foule
La foule aux visages ouverts
Alors tu joues une dernière fois à perdre l’espoir
C’est inquiétant voyez vous… Le monde se fait beau et il ne pense même pas à bien faire. Il sait qu’on ne le verra pas, il sait que ses couleurs ne seront pas comprises, il sait que l’humanité a la nuque courbée. Mais il essaie. Il appelle : j’existe dit-il, ouvrez les portes de votre fabrique à sourires !
Rien ! Le silence…Un silence mou sans le moindre espoir de rimes…
Je continue la publication de ce très long ( trop…) poème écrit il y a quarante ans. Pour en permettre une lecture sans coupure j’ai créé une nouvelle catégorie ajoutée au menu, avec le titre suivant : » les victoires écorchées… »
Il ne reste plus de places pour l’ombre inutile La mer est inspirée ce soir Elle offre aux regards épuisés Une belle envolée de sourires solaires On entend grincer les carcasses d’acier Entre tes bras j’embrasserai la pleine nuit…
Un très long texte écrit entre 1979 et 1980 , comme chaque année depuis l’ouverture de ce blog je vais le republier en plusieurs parties, pour, je l’espère, que vous preniez le temps de l’apprécier…
Avant que ne s’entendent les victoires écorchées,
Avant que ne meurent les discours du hasard,
Tu t’inocules dans les veines un poison qui n’existe pas
Sinon pour ceux qui peuvent en souffrir.
Tu vois des chefs piétinant des pelouses d’enfants
Avec un artiste à leur trousse,
Pour que leurs morts s’ajoutent.
Tu insultes la silhouette d’un muscle
D’institutions barbelées
Qui sert d’ombre à des gladiateurs de cirques kakis.
T’ajoutes ta larme à celle du clown au chômage.
Tu espères toujours la parole à ceux qui ont peur,
Ce qui me manque lorsque je n’écris pas ? C’est simple C’est le frisson, Oui je sais Ce ne sont qu’ombres noires ou bleues Dissipées sur la longue plaine blanche De mes inspirations C’est si peu Et pourtant je frissonne Oui je frissonne Là à l’instant Regarde ma main Elle tremble comme une feuille Mon cœur s’affole J’ai le souffle court les lèvres sèches Les yeux emplis des buées de l’intérieur Oui je frissonne De bonheur de douleur Les mots passent se posent Je les entends Je les écris Tu les lis Et je vois Tu frissonnes
J’ai été élevé parmi les feux de bois, au bord de braises qui ne finissaient pas cendres. Dans mon dos l’horizon tournant d’une vitre safranée réconciliait le plumet brun des roseaux avec le marais placide. L’hiver favorisait mon sort. Les bûches tombaient sur cet ordre fragile maintenu en suspens par l’alliance de l’absurde et de l’amour. Tantôt m’était soufflé au visage l’embrasement, tantôt une âcre fumée. Le héros malade me souriait de son lit lorsqu’il ne tenait pas clos ses yeux pour souffrir. Auprès de lui, ai-je appris à rester silencieux ? À ne pas barrer la route à la chaleur grise ? À confier le bois de mon cœur à la flamme qui le conduirait à des étincelles ignorées des enclaves de l’avenir ? Les dates sont effacées et je ne connais pas les convulsions du compromis.
Et les mots se mettent à flotter Plumes légères au-dessus d’une page de brume grise La mélodie rousse du précoce automne Plane sur les vertes plaines lassées du silence Des lourdes chaleurs qui bourdonnent Et étouffent la fraîcheur des belles étreintes…
Je n’ai pas eu d’autre solution pour le dimanche que de convoquer le tribunal académique ! Alors oui bien sûr la première réaction du président et des ses assesseurs a été claire : « non monsieur désolé mais nous ne jugeons pas le Dimanche ». J’insiste, en expliquant que refuser de juger le dimanche, c’est en quelque sorte déjà le condamner, comme s’il s’agissait d’un jour intouchable, sacré, bref, un jour auquel on ne pourrait rien reprocher.
Avec quelques effets de manche, j’ai réussi à les convaincre.
Le tribunal académique est réuni aujourd’hui 23 février en session extraordinaire dans le cadre d’une procédure d’urgence, que la loi autorise , à la seule condition que l’instruction ait déjà été réalisée. Le dossier qui nous a été transmis ce matin, à l’aube, est complet, suffisamment étayée et nous a permis, en conséquence, de délibérer et de prononcer un jugement.
Faites entrer le prévenu ! Dans la salle à moitié vide, tout le monde est impatient de voir arriver ce dimanche aujourd’hui accusé. Mais que diable lui reproche-t-on ?
« Dimanche, levez-vous, je vous prie ! ». Dans le box des accusés, pas un mouvement, rien ne bouge. Les deux gardiens de permanence (deux stagiaires d’ailleurs récemment condamnés par ce même tribunal), qui répondent l’un au nom de « brume » et l’autre de « automne », font grises mines. « Nous sommes désolé monsieur le président mais dimanche dort encore, il prétend que c’est le jour de la grasse matinée et ni rien ni personne ne pourra le faire lever… »
Le président du tribunal ne veut pas passer son dimanche ici et a décidé de vite en terminer.
« Dimanche vous comparaissez aujourd’hui, libre et endormi devant ce tribunal car vous êtes accusé de : mollesse, paresse, ivresse, monotonie, boulimie, ennui et pour terminer j’ajouterai fumisterie ».
« Il est manifeste aussi que vous abusez de votre position dominante, celle de septième jour de la semaine, pour vous reposer sur vos six compagnons lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, et samedi que nous avons tous entendus comme témoin. C’est ainsi en parfaite illégalité que vous avez organisé une sous-traitance des travaux qui vous reviendraient en vertu de ce principe intangible du droit : « à chaque jour suffit sa peine ». Les faits qui vous sont reprochés entrent, selon le jury, dans la catégorie de l’escroquerie, et de l’exploitation de plus faible qu’autrui car vous prétendez, être, à vous seul le jour du seigneur et en conséquence, vous usez, abusez et profitez de cet attribut, par on ne sait qui attribué pour organiser toute une série de travaux illégaux par les autres réalisés »
En conséquence, le tribunal académique considérant que le seigneur dont vous prétendez être le jour, n’ayant pu être entendu, que le droit à la paresse est un droit universel a décidé à l’unanimité de vous acquitter afin de retourner se coucher…
Ce qui me manque lorsque je n’écris pas ? C’est simple C’est le frisson, Oui je sais Ce ne sont qu’ombres noires ou bleues Dissipées sur la longue plaine blanche De mes inspirations C’est si peu Et pourtant je frissonne Oui je frissonne Là à l’instant Regarde ma main Elle tremble comme une feuille Mon cœur s’affole J’ai le souffle court les lèvres sèches Les yeux emplis des buées de l’intérieur Oui je frissonne De bonheur de douleur Les mots passent se posent Je les entends Je les écris Tu les lis Et je vois Tu frissonnes
J’ai toujours beaucoup aimé que les angles puissent être ronds. Histoire qu’une fois au moins dans sa triste et droite vie aux figures imposées la géométrie se permette un rond de jambe, ou mieux encore une pirouette. Une belle et ronde pirouette. Ce serait chouette d’étudier la pirouette, d’en connaître toutes les formules, celle du périmètre, de la surface.
Mais revenons à notre angle qui défie par son rondeur la sévérité pointue de toutes les équerres. Il s’en moque et il est même fier tous les matins de me proposer de suivre le chemin qu’il me propose, tout en douceur.
Et par dessus tout il y a ces fameux angles morts qu’on vous signale, on vous met en garde : « attention aux angles morts ». Je me questionne, mais de quoi sont-ils morts, qui sont les vils auteurs de ce crime géométrique ? Et s’ils sont morts, ils ne sont plus, ils n’existent pas alors pourquoi nous dire de faire attention, que nous réserve t’ils ?
Dans le peuple de l’aube, Pas un qui ne bouge. Sur la table blanche De la nuit achevée, Quelques restes de silence, Miettes grises éparpillées. Une douce odeur de café Chasse les papillons, Par la lumière du jour éblouis. Battements d’ailes, Les paupières s’étirent. Un par un, légers bruits du matin Discrets, Se sont invités Un à un, apaisés, reposés, Tes mots aimés, Fidèles amis réunis Sur ton carnet vont s’envoler.
Je voudrais inventer une couleur nouvelle Eveiller ma palette endormie Oh oui je voudrais qu’elle sursaute Et s’étonne d’une si belle teinte Et ma plume lisse et luisante attendra Elle se souviendra en soupirant De ses nombreuses plongées Dans l’écume grise des automnes fatigués Dans le mauve vibrant de l’étreinte du jours couchants Dans le presque bleu des océans agités O plume impatiente Tu fabriqueras des rimes qui roulent Et se jettent en riant Sur les rives vierges de mes douces feuilles Aux marges pleines d’un vertige coloré
Je cherche. Je cherche le mot. Le mot rare, l’unique. J’entends son lent murmure dans l’arrière-pays de ma tête. Je le respire, il m’inspire. Je l’écris : il m’émeut. La gorge se serre. Mes mains tremblent. Il hésite, se cache discret en bout de ligne. Ce mot tu le lis, les larmes montent et emplissent la marge de ton regard. Existe. Il existe. Ce mot vit, ce mot vie, je le sens, je le sais, je le suis, je le veux. Il est doux, il est sûr, sûr de ses premières lettres coupantes, vibrantes. Elles raclent. Je cherche le mot. Je cherche…
Le repos, la planche de vivre ? Nous tombons. Je vous écris en cours de chute. C’est ainsi que j’éprouve l’état d’être au monde. L’homme se défait aussi sûrement qu’il fut jadis composé. La roue du destin tourne à l’envers et ses dents nous déchiquettent. Nous prendrons feu bientôt du fait de l’accélération de la chute. L’amour, ce frein sublime, est rompu, hors d’usage.
Rien de cela n’est écrit sur le ciel assigné, ni dans le livre convoité qui se hâte au rythme des battements de notre cœur, puis se brise alors que notre cœur continue à battre. »
René Char – « Légèreté de la terre » ; Fenêtres dormantes et porte sur le toit, Gallimard, 1979
Derrière la vitre de nos envies La grise ville nous a menti Pas un bout de mer Pas un souffle de ce bel air Les vagues se sont figées Dans leurs longues quêtes salées
Le responsable de la sécurité ne s’est toujours pas remis de cette découverte. Il essaie de comprendre : la serrure n’a pas été forcée, mais ouverte tout à fait normalement. Il lève les yeux jusqu’au trou de lumière que forme le sommet de la cheminée.
Mais qu’est-ce que vous vouliez faire en vous enfermant ?
Amélie le repousse gentiment mais fermement.
Désolé mais à présent c’est nous qui posons les questions. On vous convoquera aussi certainement.
Samedi 8 juillet 10 h 20
Valentine Dubois est sortie libre du commissariat. Elle est encore un peu sonnée et sera convoquée par le juge pour répondre du délit d’intrusion dans un établissement industriel.
Elle a répondu sans résister à toutes les questions.
Oui, elle est totalement opposée à la destruction de ce qu’elle considère comme une trace patrimoniale. Elle a même pris le temps d’évoquer ses travaux, son attirance immodérée pour ces grandes cheminées témoignages injustement rejetés d’un passé qu’elle considère comme essentiel.
Elle n’est pas antipathique, bien au contraire. Elle a répondu qu’elle avait repéré les lieux, à plusieurs reprises et ce depuis presque un an. Comme elle est une excellente nageuse elle s’est approchée à plusieurs reprises des cheminées par la mer. Elle reconnait avoir découvert un passage pour s’approcher du site.
Elle avoue sans hésiter être celle qui a tagué, avec un pochoir de sa fabrication, le local de ceux qu’elle désigne comme les pourfendeurs de la mémoire industrielle.
Elle reconnaît quand même être allée un peu loin en les menaçant…
C’était de l’humour, mais qu’auriez-vous voulu que je fasse, je sais bien que la décision est irrévocable. Mon intention était de faire un coup d’éclat.
C’est Amélie qui pose les questions. A dire vrai elle est impressionnée par cette femme…
Mais comment êtes-vous entrée ?
J’ai profité de visites organisées. Il y en a eu plusieurs, il y a quelques années. Je me suis inscrite plusieurs fois.
Le commandant se dit qu’il faudra quand même demander quelques explications au service sécurité de la centrale. C’est quand même un site sensible.
Et on ne vous a jamais demandé pourquoi vous étiez revenue plusieurs fois ?
Le commandant commence à la trouver de plus en plus efficace cette lieutenante. Elle pose tout haut les questions auxquelles il pense tout bas. Il va finir par regretter de partir…
Oh si j’ai été questionnée, mais en expliquant, ce qui est vrai d’ailleurs, que je faisais ma thèse de doctorat sur les monuments de la mémoire industrielle, c’est passé comme une lettre à la poste. Je pense même qu’ils étaient fiers…
Oui mais vous ne répondez pas à ma question comment êtes-vous entrée ?
C’est tout simple. La première fois où je suis venue j’ai remarqué que c’était une vieille serrure. Je l’ai prise en photo.
Et après ?
La deuxième fois en passant devant la porte j’ai simplement posé le chewing-gum que je mâchais sur le bord de la serrure et l’ai retiré. J’ai pris une empreinte en quelque sorte. Un ami serrurier m’avait expliqué qu’il était facile de fabriquer une clé à partir d’une empreinte. Pour être franche ça n’a pas été facile d’ouvrir. J’ai dû forcer un peu mais j’ai réussi.
Amélie n’en revient pas de son calme, comme si tout cela était naturel, normal. Mais elle se dit que pour une universitaire elle est un peu en dehors de la réalité.
Je ne comprends pas : pourquoi entrer à l’intérieur de la cheminée ? Une fois à l’intérieur, quelles étaient vos intentions ? Que vouliez-vous faire ?
Je sais, c’est complétement absurde mais je voulais grimper jusqu’en haut, vous savez je suis très sportive et entraînée j’avais tout un équipement. Parvenue au sommet je voulais dérouler une immense banderole verticale.
Une banderole ?
J’avais peint sur cet immense drap « touche pas à mes cheminées » je sais c’est presque enfantin, mais je suis tellement triste de ce qui va leur arriver.
Le commandant commence à fatiguer. Il aime bien les originaux, les farfelus et il en a vu beaucoup pendant sa longue carrière mais là ça dépasse un peu toutes les bornes. Il décide donc de reprendre l’interrogatoire.
Bon écoutez, ce n’est pas que je m’ennuie mais on va accélérer un peu. Alors je vais résumer : jeudi dans l’après-midi vous vous rendez pointe de Bonnieu. Vous garez votre véhicule, vous vous déshabillez à l’intérieur et vous vous équipez pour la traversée jusqu’à la centrale. Vous avec un petit canot que vous gonflez rapidement dans lequel vous mettez votre équipement et ce que vous appelez votre banderole. Vous parvenez jusqu’au pied des demoiselles de Ponteau, vous attendez que la nuit tombe et vous pénétrez à l’intérieur de la cheminée 1 grâce à votre clé artisanale. Vous aviez prévu de déployer votre banderole dans la nuit pour qu’elle soit visible dès le lendemain au lever du soleil.
Oui dans les grandes liges c’est cela : mais c’était sans compter sur ces tordus de défenseurs du littoral. Ils me surveillaient et m’ont certainement suivi à la jumelle quand je suis passée au large des Laurons. Ils ont dû me voir arriver au pied de la cheminée. J’avais bien repéré lors des visites que la porte, pour une raison que j’ignore, ne pouvait pas s’ouvrir de l’intérieur. Je me souvenais que le guide l’avait laissée ouverte et crocheté avec une espèce de câble à l’extérieur.
Et ?
Ça ne faisait que quelques minutes que j’étais entrée, je commençais à m’équiper pour la suite des opérations. J’étais totalement concentrée et je n’ai rien entendu d’autre qu’un lourd claquement et soudain le noir complet, hormis bien sûr le petit rond de lumière au sommet. Je n’ai pas compris tout de suite qu’on avait refermé la porte. Ce n’était pas le vent, il n’y avait pas encore de mistral et j’étais certaine d’avoir bien accroché la porte. Quelqu’un m’a vu entrer, m’a suivie et m’a enfermée. Mon premier réflexe a été de crier. Mais j’ai vite compris que c’était inutile. Personne ne s’approche plus de ces pauvres cheminées et vous avez vu l’épaisseur du mur à sa base. J’ai tout de suite pensé qu’il fallait que j’appelle quelqu’un avec mon portable et c’est là que j’ai réalisé que je l’avais laissé dans la boîte à gants. J’ai passé la nuit à chercher une solution pour sortir. Heureusement que j’avais prévu plusieurs batteries pour ma lampe frontale. J’étais prise au piège. C’est là que j’ai décidé d’allumer un feu : j’avais un briquet dans mon sac étanche. J’ai d’abord regroupé au centre tout ce qui pouvait être en mesure de brûler en me disant qu’il faudrait que j’attende le lendemain pour avoir une chance que quelqu’un aperçoive le peu de fumée que je réussirai à faire. Dans la matinée j’ai réussi à allumer mon feu. Il a été long à prendre, ce n’est pas simple avec une telle hauteur d’avoir du tirage. Il a fallu beaucoup du temps et c’est quand j’ai finalement décidé de sacrifier ma banderole hier en milieu d’après-midi que le feu a vraiment pris, je pense qu’il était environ 17 h 00. Je n’en pouvais plus et commençai à désespérer.
Amélie se tourne vers le commandant.
Vous voyez commandant je n’avais pas rêvé, c’était bien de la fumée.
Voilà, vous savez tout, j’assume complétement et je suis prête à le répéter devant un juge : si c’était à refaire je n’hésiterai pas une seconde. Mais je me préparerai mieux…
Le commandant regarde sa montre, il n’a pas envie de s’éterniser. Au fond de lui, il se dit même que ce n’est pas si grave. Mais Amélie insiste.
Attendez commandant j’ai une dernière question.
Il soupire.
Oui vite, je dois partir pêcher en famille…
Amélie sourit.
Il nous a semblé que dans votre véhicule il y avait beaucoup de vêtements féminins, plusieurs paires de chaussures. Vous étiez seule ?
Valentine n’est pas surprise par la question.
Oui je reconnais que je suis très organisée pour préparer une expédition mais pas très douée pour le rangement de base, chaque fois que je pars pour une sortie en mer, je laisse mes affaires traîner, ma voiture est une vraie poubelle. Vous avez dû le remarquer…
Amélie ne dit plus rien. Elle en a fini aussi. Mais elle reste sur sa faim. C’est le commandant qui conclut.
Bien madame Dubois nous vous demanderons de ne pas quitter la région et de vous tenir à la disposition de la justice. Dans les jours qui viennent, vous serez certainement inculpée. Il est fort probable que EDF va déposer plainte.
Amélie ajoute une dernière chose. Comme si elle ressentait le besoin de rassurer Valentine Dubois.
Quant à nous, dès lundi matin 8 h 00 on ira perquisitionner au local des défenseurs du littoral ; ils ne sont quand même pas tout blanc dans cette affaire…
Dimanche 9 juillet 16 h 15
Amélie s’ennuie les dimanches, elle ne connait encore personne. Vendredi elle a beaucoup aimé la pointe de Bonnieu et décide d’y retourner, peut-être avec des jumelles. Le commandant lui a dit que parfois on peut voir des marsouins au large, « il faut être patient » lui a-t-il dit. Il avait son petit sourire narquois. Peut-être encore une forme de bizutage…
Dimanche 9 juillet 16 h 50,
Emilie est sur la plage de Bonnieu, il n’y a pas grand monde. Le mistral souffle fort. Elle a sorti ses jumelles et les pointe vers les demoiselles de Ponteau.
Elle fait la mise au point, une première fois, se frotte les yeux, nettoie les objectifs et les repointe sur la centrale.
Et les cheminées, vous les observez parfois ? Vous n’avez rien remarqué de spécial ? Pas de fumée ?
Le plus ancien répond que depuis cinq ans qu’il assure la surveillance il ne les a jamais vues fumer.
Elles ne servent plus à rien vous savez, d’ailleurs ils vont les démolir,
Et il se lance dans une longue explication passionnée sur le procédé qui sera utilisée : la destruction par grignotage. Il ne s’aperçoit même pas que Virginie, sa collègue, est entrée dans le poste de secours et en ressort avec le carnet de bord, le registre des incidents. Il lui semble avoir lu quelque chose qui l’a intrigué hier matin en arrivant.
Sur le registre les collègues ont noté avant-hier que le collectif du littoral qui lutte depuis plusieurs années pour la démolition était passé en fin de journée pour faire signer une pétition aux quelques personnes présentes sur la plage. Ils ont noté qu’ils étaient particulièrement agressifs et qu’il a fallu leur demander fermement de quitter les lieux. Ils nous ont laissé un tract.
Vous l’avez gardé, on peut le voir ?
Amélie découvre le tract indiquant que la démolition est bien prévue mais qu’un groupe de personnes, étrangères à Martigues a proféré des menaces si les cheminées étaient démolies. Le tract se termine d’une façon on ne peut plus clair.
« Nous ne nous laisserons pas faire, cela dure depuis trop longtemps ! »
Le troisième pompier, qui pour l’instant n’a rien dit, explique que quelqu’un du quartier a parlé de faire des rondes.
Ils surveillent… On se demande bien quoi quand on connait tous les contrôles autour de cette centrale. Mais ils surveillent…
Amélie s’impatiente. Elle regarde le commandant : il est trop mou, il ne pose pas assez de questions. D’autorité, elle prend le relais et s’adresse directement à Virginie.
Cherchez bien vous avez bien dit pas « grand-chose hier » c’est quoi ce « pas grand-chose » ?
Virginie semble rassurée que ce soit Amélie qui pose désormais les questions.
Oui, il y a une espèce d’hystérique qui s’est brusquement levée de sa serviette et s’est mise à hurler comme une forcenée. Je m’en souviens bien c’était vers 18 h 00 juste quand Camille faisait le tour d’horizon habituel avec les jumelles. Toutes les deux heures on doit faire cette observation, c’est le protocole…
Et il s’est passé quoi avec cette hystérique ?
Elle s’est mise à hurler qu’un frelon l’avait piqué, elle s’est précipitée vers le poste en se tenant le ventre, elle a failli tout renverser en arrivant vers nous. Je me souviens que Camille en a tombé les jumelles.
Et ensuite ?
On l’a examiné attentivement, elle avait bien une petite marque rouge mais qui à mon avis n’était pas du tout une piqûre de frelon…
Bref, on lui a mis un peu de crème apaisante, on l’a rassurée, elle s’est calmée a rangé ses affaires et elle est partie. Elle était à vélo, un tout petit vélo qu’elle avait accroché à un arbre en direction de la pointe de Bonnieu. C’est tout. Je reconnais qu’on ne l’a même pas noté, cela nous a semblé anodin…
Amélie regarde le commissaire. On dirait enfin qu’il est soucieux, il fait peut-être enfin un lien….
C’est dans ce moment un peu vide que Virginie, peut-être elle aussi saisie par une intuition, lève les yeux et s’écrie.
Regarde il y a une petite fumée blanche qui s’échappe de la cheminée. Là, oui regardez juste au-dessus de la première !
Emilie n’en peut plus : il faut bouger ! Il se passe quelque chose dans la cheminée numéro 1.
Le commissaire a réagi. Il est déjà au téléphone avec le service sécurité de la centrale de Ponteau.
On y va Emilie on nous attend.
Vendredi 7 juillet 19 h 12
Il ne faut pas plus de deux minutes pour rejoindre le poste de garde à l’entrée de la centrale
Amélie distingue toujours un peu de fumée blanche. Ces fameuses volutes…
Le responsable de la sécurité est irrité. Le commissaire lui a demandé s’il est possible d’entrer à l’intérieur des cheminées…
Oui c’est possible, il y a une porte en acier à la base, mais franchement pour y faire quoi commissaire ?
On ne sait pas encore, il faut qu’on vérifie !
Bon on va y aller, faut que je trouve les clés, ça fait bien longtemps qu’on n’a pas ouvert. Avec tout le respect que je vous dois je crains que vous ne me fassiez perdre mon temps….
Emilie ne se retient plus, elle est presque en colère.
On y va oui ou non ?
Ils attendent quelques minutes devant le poste et le responsable sort enfin avec un gros trousseau.
Vendredi 7 juillet 19 h 24
Ils sont au pied de la cheminée. C’est impressionnant : 28 m de diamètre ce n’est pas rien !
Le responsable sécurité cherche la clé numéro 1 et ouvre, un peu avec difficulté, une immense porte en acier.
Il fait un bond en arrière.
Mais c’est quoi ça, qu’est-ce que vous foutez là, comment êtes-vous entrée ?
Par réflexe Amélie a posé la main sur la crosse de son arme de service, on ne sait jamais !
Reculez madame !
Une femme est là, en tenue de plongée. Pour être précis le commandant qui connait parfaitement toutes les tenues de combat, reconnait l’équipement que portent généralement les fusiliers marins, les nageurs de combat. Elle semble plus effrayée que menaçante. Devant elle, à quelques mètres les restes d’un foyer, avec encore quelques braises, et un peu de fumée qui s’échappe. Des volutes…
Le responsable sécurité est abasourdi, il pose les premières questions, toutes en même temps. Il se sent un peu responsable.
Amélie se tourne vers le commandant.
Je n’avais pas rêvé, c’est bien de la fumée que j’ai vu tout à l’heure.
Et s’adressant à celle qui ne peut être que Valentine Dubois.
Amélie ne peut plus s’arrêter et tout en parlant elle a l’impression que cela prend forme. Elle fait de grands gestes, montre au commandant la plage, l’anse, les cheminées. Et l’une d’entre elle, la première, qui continue de fumer, elle en est certaine.
Attends Amélie, je t’interromps, ils ont contacté l’université où elle est chercheuse, et ont donné son numéro de portable. On va appeler on ne sait jamais…
Amélie a déjà sorti son mobile. L’excitation monte. Il lui tend le carnet où il a inscrit le numéro. Elle le compose.
Ça sonne commandant !
Le vent est violent mais ils sursautent tous les deux presque en même temps : ça sonne dans la voiture ! Enfin ça ne sonne pas vraiment, c’est une espèce de corne de brume très puissante qu’ils entendent nettement. Mais cela vient bien de l’intérieur de la voiture.
Ils se regardent. Amélie est convaincue que cela devient sérieux. Le commandant est plus pragmatique, il pense que comme souvent on cherche le pire alors que c’est le plus simple, l’évident qui devrait sauter aux yeux. Cette fameuse Valentine et ses totems est allée faire une exploration sous-marine un peu poussée.
On va retourner aux Laurons et on va interroger les sauveteurs, ils ont peut-être vu quelque chose. On ne sait jamais.
Vendredi 7 juillet 18 h 50
Ils arrivent très vite plage des Laurons. Amélie aurait bien aimé que le commandant s’arrête vers une petite crique pour interroger un petit groupe de nageurs, à leur allure elle est persuadée que ce sont des habitués. Ils ont peut-être vu quelque chose. Mais le commandant veut en finir, c’est vendredi soir et les heures supplémentaires ce n’est plus pour lui.
Il est 18 h 50 et les maîtres-nageurs sauveteurs sont en en train de ranger le matériel. La surveillance s’achève à 19 h 00 mais en ce début juillet il n’y a pas encore beaucoup de touristes. Il faut reconnaître que « Les Laurons » n’ont pas un grand succès auprès de celles et ceux qui n’imaginent la plage que comme un lieu paradisiaque entourée de palmiers. En guise de palmiers, les quatre cheminées sont là, encore plus proches, et au large plusieurs cargos bouchent l’horizon.
Amélie aime immédiatement ce lieu.
Les trois pompiers sont assez surpris de l’arrivée du commissaire et de sa collègue. Ils regardent machinalement leurs montres, comme pris en faute. Le commissaire sourit intérieurement : il sait que dans le secteur de Martigues tout le monde le connait et encore plus toutes celles et ceux qui portent un uniforme. C’est assez jouissif d’inspirer une telle crainte, ou un tel respect, lui qui dans trois semaines passera l’essentiel de ses journées à pêcher ici ou ailleurs,
Bonjour messieurs dames (deux pompiers et une femme pompière, comment dit-on déjà une pompière, décidément pompière, lieutenante, il est vraiment temps qu’il parte il est un peu perdu), est ce que vous avez constaté, ici sur la plage, ou ailleurs au large, quelque chose de particulier, d’anormal ?
C’est le plus âgé qui répond
Vous savez commandant, il ne se passe jamais grand-chose ici. Et hier ce n’était pas la même équipe, seule Virginie était déjà là.
Il appelle Virginie qui est en train d’abaisser le drapeau vert signalant que la baignade est autorisée.
Virginie, c’est la police, elle veut savoir si on a vu quelque chose de particulier, aujourd’hui ou hier. Rien de spécial hier ?
Virginie semble impressionnée ou plutôt intimidée.
Pas grand-chose, vous savez…
Oui on sait la plage est plutôt tranquille ; on nous l’a déjà dit, mais si vous dites « pas grand-chose », ça veut dire qu’il y a quand même un petit quelque chose ; essayez de vous souvenir. Vous n’avez vu personne au large qui aurait pu venir à la nage de la pointe de Bonnieu ?
A la nage de la pointe de Bonnieu ! Ça fait quand même loin ! Pour une telle distance il vaut mieux avoir une combinaison, même en été…
Le vent de cette nuit a fait tomber les feuilles. Nous ne vous verrons plus, feuillages enflammés, Feuillages enivrés de soleil et d’automne, Nous ne vous verrons plus, feuilles des peupliers, Passionnées et pâles, harpes parmi les arbres, Le vent de cette nuit a fait tomber les feuilles.
Nous ne vous verrons plus, feuilles des châtaigniers, Flambées et coupées droit comme des fers de lance, Feuilles des marronniers, sanguines et palmées, Et vous, feuilles en pluie des bouleaux aux troncs blancs, Hêtres bariolés comme un tapis persan, Nous ne vous verrons plus, feuilles au vent tombées.
Voici l’hiver, les arbres noirs, les branches nues…
– Tu as mal regardé, tu ne nous as pas vues ; En points de duvet gris, en pointe de chair rose, De nos écorces noires, de nos écorces nues, Avant que nous fussions tombées, feuilles d’automne, Nous bourgeonnions déjà tout le long de nos branches, En pointe de chair rose, en points de duvet gris, Feuilles du printemps neuf et déjà presque écloses, Nous qui ne savons pas ce que c’est que mourir.
J’ai vu récemment qu’il était possible désormais, d’utiliser une nouvelle fonctionnalité, à savoir créer une image à partir d’un texte à l’aide de l’intelligence artificielle. J’ai donc écrit un texte volontairement « noir » et voici le résultat de l’image crée à partir de ce texte… Intéressant…
Un jour nous ne dirons plus rien
Et nous entrerons en tremblant
Dans les vastes plaines où survit le peuple du silence
De lourds oiseaux bleus frappent l’air de leurs ailes gluantes
Sur les collines noires on entend gémir des vieillards apeurés
Un vent mauvais s’engouffre entre les grappes d’enfants
La nuit est là on ne l’attend plus
Lourde et épaisse elle étouffe les derniers rires…
Amélie descend sur la petite plage, il y un peu de mistral aujourd’hui ce qui peut expliquer qu’il n’y ait personne, mais le commandant lui précise que ce sont surtout les week-ends et au mois d’août qu’il y a du monde.
C’est un coin vraiment tranquille ici et en plus à cause du fameux camp naturiste, un peu plus loin, les familles n’aiment pas trop venir. Elles craignent toujours de se trouver nez à nez avec un cul-nul.
Il rit tout seul de sa blague. Amélie ne réagit pas et ne l’écoute plus. Elle est sur la plage. Elle cherche sans direction précise : le sable, la surface de l’eau et les quatre cheminées. Rien, elle ne trouve rien : pas le moindre indice digne de ce nom, quelque chose qui permettrait de réveiller ce qu’à l’école de police on appelle une intuition.
Intuition, intuition, et pourtant si… Il y a bien quelque chose. C’est encore un peu flou ; est ce qu’on peut déjà parler d’intuition ? Ce n’est qu’une impression, diffuse, mais cela commence à prendre forme…
Elle ne peut pas s’empêcher de chercher à faire un lien avec cette plainte déposée le jour de son arrivée. Bizarre comme intuition. Mais ce lieu est bizarre. Il lui rappelle quelque chose. Elle n’est pourtant jamais venue.
Elle remonte sur le parking. Depuis quelques minutes les rafales de vent ont grossi.
C’est le mistral, on sait quand il commence mais jamais quand il finit, ça peut être trois heures ou trois jours… Enfin c’est ce que les anciens disent.
Le commandant n’a pas le temps de poursuivre son histoire de mistral, son téléphone a dû vibrer et il s’est mis à l’abri derrière le Land Rover, tête penchée, l’appareil coincé entre l’oreille et l’épaule. Il faut qu’il puisse griffonner sur son carnet. Son regard semble plus sombre, moins rieur qu’il y a cinq minutes quand il évoquait, l’œil pétillant, les culs nus. Elle voudrait lui parler de son début d’intuition. Mais elle craint qu’il ne se moque, qu’il lui dise qu’elle n’a aucun élément pour faire de telles déductions. Mais une intuition n’obéit à aucune logique. Elle sait et a bien compris depuis trois semaines qu’aux yeux de toute l’équipe elle n’est qu’une débutante. Une débutante qui a commencé sa carrière à Aurillac. Pas sûr d’ailleurs se dit-elle, qu’ils sachent tous situer Aurillac…
Elle veut ouvrir la bouche mais il ne le lui laisse pas le temps.
Bon, Amélie j’en sais un peu plus sur notre Valentine. C’est une enseignante chercheuse, attends je lis : elle est historienne et sa spécialité c’est le patrimoine industriel. Elle a notamment publié un essai, je t’avoue que je comprends à peine le titre : « Grandes cheminées totems d’une société sans mémoires ».
Impression, intuition. Amélie trépigne. Instinctivement son regard se fixe sur les quatre grandes cheminées.
C’est vrai, elle a raison, elles sont belles ces cheminées, commandant ! On dirait des totems, de 140 m de haut, mais des totems quand même…
Le commandant est surpris par cette réaction. Il faudra qu’il pense à rechercher ce qu’est un totem. Il était persuadé que c’était un truc d’indien…
Commandant, commandant il faut que je vous dise, j’ai une intuition…
Attends, attends Amélie, tu m’expliqueras après, ce n’est pas fini. Je ne sais pas s’il y a un rapport, mais visiblement cette Valentine est aussi une experte en plongée sous-marine et en épreuve de natation de longue distance. Elle a remporté plusieurs courses.
Cette fois Amélie est convaincue : il y a un lien, la plainte, les cheminées, la fumée. Il faut qu’elle en parle au commandant.
Le commandant sourit. Ils n’ont pas roulé longtemps. La route est étroite et sinueuse et se termine sur cette espèce de terrain vague où stationnent quelques véhicules dont celui signalé. Ce parking est juste au-dessus de la toute petite plage au bout de la pointe de Bonnieu.
Elle n’est pas surveillée celle-ci, pas besoin, il n’y a jamais ni courant, ni vagues et pas beaucoup d’eau. Et pour être honnête pas grand monde non plus… Seulement des habitués…
Avec un air goguenard, le commandant poursuit la visite commentée.
En revanche, plus loin y a le camp naturiste. Nous on les appelle les culs nus. On n’a jamais eu de problème avec eux, mais je me dis qu’il doit y avoir un paquet de voyeurs qui doivent venir se balader ici dans la garrigue avec une paire de jumelles, jouant les ornithologues. Bref, c’est un coin bien tranquille.
Amélie n’écoute plus, elle observe ce qui l’entoure. C’est vrai, c’est un peu spécial, ce mélange de nature un peu sauvage, la garrigue qui s’étend à l’est et au loin cette accumulation d’usines, ces dizaines de pétroliers, de porte-conteneurs qui passent, pour entrer au port de Fos-sur Mer ou à Port de Bouc. A son grand étonnement, Amélie qui vient d’une région verte, très agricole, est touchée, remuée même par ce paysage, par ce contraste. Elle n’ose pas le dire à son partenaire elle sait que lui c’est un local, qu’il est né ici, elle craint qu’il ne se moque d’elle et qu’il lui parle avec nostalgie d’une époque où il venait tranquillement pêcher dans cette anse à l’abri, peut-être avec ces petits bateaux dont on lui a dit qu’on les appelle des pointus.
Oui, elle trouve ça beau, une beauté particulière mais au fond elle se dit que ce qui est important c’est ce qu’elle ressent. Et c’est vrai que les quatre cheminées sont un peu le clou du spectacle, de véritables cathédrales industrielles.
Le véhicule signalé est un vieux Land Rover, immatriculé dans le Gard, mais aujourd’hui la plaque ça ne veut pas forcément dire grand-chose. Ils font le tour. A l’intérieur, sur le siège arrière ils distinguent des vêtements, un peu en tas, robes, tee-shirts, culottes mêmes. Des vêtements de ville, ou tout au moins des vêtements qu’on ne met pas pour aller à la plage. Des vêtements de fille aussi, ça c’est une certitude. Sur le plancher, entre les sièges, plusieurs paires de chaussures.
C’est évident plusieurs personnes se sont changées dans cette voiture.
Elles se sont changées ou se sont simplement déshabillées…
Le commissaire, avec toujours un petit sourire en coin, appelle le central pour qu’on effectue des recherches sur ce véhicule.
Pendant qu’il est au téléphone la lieutenante Amélie observe encore les quatre cheminées. 140 mètres de haut, c’est impressionnant… Elle regrette de ne pas avoir pris de jumelles.
Elle est toujours certaine que c’est de la fumée qui s’échappe de la première, pas un gros panache non, ce sont plutôt – comment dit-on déjà- des volutes. Elles semblent un peu blanches. Mais c’est de la fumée, elle n’en démord pas. Pendant que le commandant attend qu’on le rappelle pour obtenir les informations demandées elle prend une photo avec son portable et grossit au maximum l’image sur l’écran.
Commandant regardez c’est bien de la fumée !
Il lui fait signe de la main. Son téléphone a vibré : on le rappelle. Les recherches sont de plus en plus rapides. Le commandant se souvient de ses débuts : on était content quand on avait une réponse à une question dans les deux heures. Maintenant, pour les plus jeunes, cinq minutes c’est déjà trop long.
Ils vont en savoir plus sur le propriétaire du véhicule. Il note rapidement les informations sur un carnet. Il ne reste plus que quelques pages ; juste assez pour finir tranquillement le 28 juillet. Dans trois semaines il rangera tous ses carnets dans une boîte. Il ne sait pas, il en fera peut-être quelque chose. Toute une vie d’enquêtes… Après tout il aura le temps de trier.
Ben Lieutenant, euh Lieutenante, décidément je n’y arrive pas je peux t’appeler Amélie ?
Pas de problème commandant…
De son côté, elle ne se voit pas lui demander si elle peut l’appeler Eugène. Eugène, Eugène…Elle se dit que ce n’est pas un prénom qui claque pour un commandant.
Bien, Amélie, j’ai des infos. Le véhicule appartient à une certaine Valentine Dubois, domiciliée à Aix en Provence. Pas de traces d’elle dans nos fichiers, ils vont creuser un peu la recherche. Comment on dit déjà ? Ils vont la googleliser… Dès qu’ils en savent plus ils m’appellent
Le commandant sourit. Ils n’ont pas roulé longtemps. La route est étroite et sinueuse et se termine sur cette espèce de terrain vague où stationnent quelques véhicules dont celui signalé. Ce parking est juste au-dessus de la toute petite plage au bout de la pointe de Bonnieu.
Elle n’est pas surveillée celle-ci, pas besoin, il n’y a jamais ni courant, ni vagues et pas beaucoup d’eau. Et pour être honnête pas grand monde non plus… Seulement des habitués…
Avec un air goguenard, le commandant poursuit la visite commentée.
En revanche, plus loin y a le camp naturiste. Nous on les appelle les culs nus. On n’a jamais eu de problème avec eux, mais je me dis qu’il doit y avoir un paquet de voyeurs qui doivent venir se balader ici dans la garrigue avec une paire de jumelles, jouant les ornithologues. Bref, c’est un coin bien tranquille.
Amélie n’écoute plus, elle observe ce qui l’entoure. C’est vrai, c’est un peu spécial, ce mélange de nature un peu sauvage, la garrigue qui s’étend à l’est et au loin cette accumulation d’usines, ces dizaines de pétroliers, de porte-conteneurs qui passent, pour entrer au port de Fos-sur Mer ou à Port de Bouc. A son grand étonnement, Amélie qui vient d’une région verte, très agricole, est touchée, remuée même par ce paysage, par ce contraste. Elle n’ose pas le dire à son partenaire elle sait que lui c’est un local, qu’il est né ici, elle craint qu’il ne se moque d’elle et qu’il lui parle avec nostalgie d’une époque où il venait tranquillement pêcher dans cette anse à l’abri, peut-être avec ces petits bateaux dont on lui a dit qu’on les appelle des pointus.
Oui, elle trouve ça beau, une beauté particulière mais au fond elle se dit que ce qui est important c’est ce qu’elle ressent. Et c’est vrai que les quatre cheminées sont un peu le clou du spectacle, de véritables cathédrales industrielles.
Le véhicule signalé est un vieux Land Rover, immatriculé dans le Gard, mais aujourd’hui la plaque ça ne veut pas forcément dire grand-chose. Ils font le tour. A l’intérieur, sur le siège arrière ils distinguent des vêtements, un peu en tas, robes, tee-shirts, culottes mêmes. Des vêtements de ville, ou tout au moins des vêtements qu’on ne met pas pour aller à la plage. Des vêtements de fille aussi, ça c’est une certitude. Sur le plancher, entre les sièges, plusieurs paires de chaussures.
C’est évident plusieurs personnes se sont changées dans cette voiture.
Elles se sont changées ou se sont simplement déshabillées…
Le commissaire, avec toujours un petit sourire en coin, appelle le central pour qu’on effectue des recherches sur ce véhicule.
Pendant qu’il est au téléphone la lieutenante Amélie observe encore les quatre cheminées. 140 mètres de haut, c’est impressionnant… Elle regrette de ne pas avoir pris de jumelles.
Elle est toujours certaine que c’est de la fumée qui s’échappe de la première, pas un gros panache non, ce sont plutôt – comment dit-on déjà- des volutes. Elles semblent un peu blanches. Mais c’est de la fumée, elle n’en démord pas. Pendant que le commandant attend qu’on le rappelle pour obtenir les informations demandées elle prend une photo avec son portable et grossit au maximum l’image sur l’écran.
Commandant regardez c’est bien de la fumée !
Il lui fait signe de la main. Son téléphone a vibré : on le rappelle. Les recherches sont de plus en plus rapides. Le commandant se souvient de ses débuts : on était content quand on avait une réponse à une question dans les deux heures. Maintenant, pour les plus jeunes, cinq minutes c’est déjà trop long.
Ils vont en savoir plus sur le propriétaire du véhicule. Il note rapidement les informations sur un carnet. Il ne reste plus que quelques pages ; juste assez pour finir tranquillement le 28 juillet. Dans trois semaines il rangera tous ses carnets dans une boîte. Il ne sait pas, il en fera peut-être quelque chose. Toute une vie d’enquêtes… Après tout il aura le temps de trier.
Ben Lieutenant, euh Lieutenante, décidément je n’y arrive pas je peux t’appeler Amélie ?
Pas de problème commandant…
De son côté, elle ne se voit pas lui demander si elle peut l’appeler Eugène. Eugène, Eugène…Elle se dit que ce n’est pas un prénom qui claque pour un commandant.
Bien, Amélie, j’ai des infos. Le véhicule appartient à une certaine Valentine Dubois, domiciliée à Aix en Provence. Pas de traces d’elle dans nos fichiers, ils vont creuser un peu la recherche. Comment on dit déjà ? Ils vont la googleliser… Dès qu’ils en savent plus ils m’appellent
Je publie à nouveau, en plusieurs parties cette nouvelle qui a remporte un prix au concours d’écriture organisé par la médiathèque Louis Aragon à Martigues à l’automne 2003… Il s’agit du prix » un pan méconnu de l’histoire de Martigues »…
Les quatre demoiselles de Ponteau vues de la pointe de Bonnieu
Vendredi 7 juillet, 17 h 45
Commandant, commandant, vous m’écoutez, je vous dis qu’une des quatre cheminées fume.
Ils viennent de passer devant la plage des Laurons, déserte ce vendredi 7 juillet. Ils se rendent au bout de la pointe de Bonnieu. On leur a signalé ce matin un véhicule stationné depuis jeudi matin. Comme c’est calme aujourd’hui, il a proposé à sa nouvelle collègue, la Lieutenante Amélie Argol de l’accompagner. Ce sera l’occasion de lui faire découvrir le pays.
Depuis quelques semaines il ne court pas spécialement après les grosses affaires. En effet, le commandant Eugène Mollard est à quelques semaines de la retraite, et même s’il trouve la jeune lieutenante Amélie qui vient d’arriver au commissariat une équipière agréable, elle est un peu trop sur le qui-vive. Toujours prête à foncer, répétant régulièrement en fronçant les sourcils : « j’ai comme une intuition ». C’est peut-être parce qu’elle vient d’Aurillac. Elle devait terriblement s’ennuyer là-bas. Nommée ici, elle espère bien tomber sur des affaires un peu plus passionnantes.
Commandant, vous m’entendez je vous dis que la grande cheminée fume.
Le commandant ralentit, baisse machinalement la tête en direction des quatre cheminées. Amélie comprend à sa moue ironique qu’il n’est pas convaincu.
Impossible elles sont en arrêt depuis au moins 10 ans et le chantier de démolition débute à l’automne ; c’est certainement de la brume, elles sont très hautes tu sais…
Ces quatre cheminées elle en entendu parler dès son arrivée à Martigues. Elle irait même jusqu’à dire qu’elle connait déjà un peu le sujet.
Le jour de sa prise de poste, elle a reçu les représentants d’une association de riverains, plus ou moins écolos, luttant depuis plusieurs années pour la démolition des quatre cheminées de la centrale thermique de Ponteau. Elle se souvient encore des paroles du président.
Ça fait tellement longtemps que ça traîne cette histoire !
Ils venaient déposer plainte pour la dégradation de la façade de leur petit local.
Avec un pochoir, on a tagué plein de cheminées dont le sommet est coiffé d’un poing fermé.
Pas très grave en soi, et pour être honnête quand elle a vu les photos du cabanon « souillé », elle a même trouvé que cela lui donnait un certain cachet. Mais quelques jours après, ils ont trouvé dans la boîte aux lettres un tract avec, il faut le reconnaître, une magnifique photo des quatre cheminées accompagnée d’un message qu’ils estiment menaçant, émanant d’un obscur collectif : « les défenseurs des demoiselles de Ponteau ».
Lisez, le message est sans équivoque : « si vous touchez aux cheminées, il vous en cuira… »
Elle se souvient de son sourire pensant plutôt à un canular, à une blague de potaches irrités- et elle peut le comprendre- par les publications et les prises de position de cette association qui à les écouter voudrait anéantir la totalité de cette immense zone industrielle dont elle a bien compris dès son arrivée l’importance pour l’emploi et la richesse de la commune.
Elle se souvient même que comme il s’agissait de son premier jour au commissariat elle avait pensé à un coup monté des collègues, une sorte de bizutage…Cela paraissait tellement gros.
C’était il y a trois semaines et elle avait soigneusement enregistré la plainte précisant qu’elle s’en occuperait personnellement. En revanche, elle n’avait pas eu le sentiment qu’elle tenait là l’affaire qui lui ferait oublier la monotonie d’Aurillac. Aurillac où la détérioration d’une simple boîte aux lettres pouvait faire la une de la presse locale.
On pourrait s’arrêter commandant j’aimerai prendre une photo de la cheminée, je pourrai l’envoyer à la centrale et demander à EDF si c’est normal ?
On verra au retour, on ne va pas très loin. Tu verras, au bout de la pointe de Bonnieu on les voit tes cheminées. De toute façon ici, où qu’on aille on les voit…
Un peu comme des phares en quelques sorte. C’est peut-être utile pour les bateaux non ?
Ce que je voudrais mes amis C’est simple Un bout de ciel qui traîne Dans l’attente impatiente D’une mer qui revient de loin Un rien de silence Une pincée de tendresse Un serrement de gorge Un frisson imprévu Ce que je voudrais mes amis C’est simple C’est une petite miette de cette si belle vie
Homme de moins que rien Visage mou Regard moite Poisseux d’aigres sueur Qui s’incruste entre les rires innocents Homme de moins que rien Expire le mauvais parfum De la suffisance des quelques siens Il était de ces bavards inutiles Qui encombre les salons Homme de moins que rien Creuse en soufflant Un gras sillon de silences aigris Ils étaient tant à le suivre Roses fanées à la boutonnière Oublieux de ses arrogances Dans ce monde aux sourires sucrés Ignobles, infâmes Ont repris en cœur L’hymne gris de leurs violences cachées
En ouvrant mon journal ce matin dont, au passage, la qualité du papier se dégrade de plus en plus, ce qui a pour conséquence de noircir les doigts, j’ai malencontreusement renversé ma tasse de café.
La journée commence vraiment mal, ai-je failli dire…Non, en fait, oui je l’avoue je l’ai dit !
Et ce d’autant plus qu’il n’y avait plus de lait, que le pain était sec, que le chat miaulait sans raisons apparentes, que la chaudière ne voulait pas démarrer, qu’évidemment il pleuvait et que j’avais perdu mon parapluie et égaré les clés de ma voiture. Voiture qui ne démarrera certainement pas lorsque j’aurai retrouvé les clés si j’en crois le texto laissé par le voisin : « vous avez laissé vos phares allumés ». Texto que je ne découvre que maintenant étant donné que je ne savais plus où était mon portable. Bref il me semble que toutes les conditions sont quand même réunies pour que je m’autorise, un tout petit peu, à râler.
Et me voici donc à feuilleter mon journal imbibé de café froid (oui mon micro-onde est en panne et du fait de la panne de la chaudière je n’ai pas d’eau chaude et comme hier en voulant réparer une vieille lampe de chevet j’ai fait un mauvais branchement j’ai provoqué un court-circuit et grillé la cafetière). Bref je feuillette et que lis-je en gros caractères gras ?
« Le 2 novembre devient la journée nationale sans râler ». La décision a été prise à la suite d’une pétition adressée au président de la république par un florilège de professions victimes régulières des râleurs. Il s’agit notamment des professeurs, des garagistes, des plombiers, des facteurs, des météorologues j’en passe et bien d’autres…
Et comment dire, j’ai terminé la lecture de mon journal en me disant : « oh après tout, il n’y a pas de quoi râler… »
J’aurai voulu vous parler de pluie Pour le faire j’ai cherché le bon sens Par où faut-il commencer Ce que je vois Ce que j’entends Ce que je ressens L’humidité qui me traverse La douceur de la flaque qui s’étend Et me voici dans le trouble Le mot roule sous ma langue Mot gros mot gras mot gris Mot trouble
Trouble trouble trouble
Le mot répété ne sert plus à rien Il s’écroule Où es-tu Goutte de pluie Goutte de rien J’attends
Mais que savez-vous vous qui ne cessez de parler ? Je ne sais rien ou presque… Mais alors ne dites rien ? Ne rien dire est impossible ce serait laisser les autres dire n’importe quoi ! Mais qui sont ces autres ? Ce sont ceux qui parlent pour ne rien dire et disent n’importe quoi… Et bien vous pourriez essayer de ne rien dire, tout simplement, sans parler… C’est impossible, il faut répondre ! Mais à quoi répondez vous puisqu’ils n’ont rien dit ? Vous comprenez bien que je ne peux passer sous silence ce qu’ils n’ont pas dit… …. Et je dois expliquer que ce qu’ils ont dit est faux ou n’a aucun sens… Mais que savez vous de ce qu’ils n’ont pas dit ? Je n’en sais rien mais il vaut mieux le dire ! Mais s’ils ne disaient rien, ni eux ni vous, ce serait beaucoup mieux ! Peut-être mais on ne peut pas prendre le risque de ne rien dire… En tout cas en ce qui me concerne quand je ne sais pas je préfère ne rien dire ! Oui mais je suis sûr que vous n’en pensez pas moins…
Enfin, oui enfin, j’ai mis un point final à cette nouvelle que j’avais commencée un peu par jeu, je vous l’avais proposée par épisode, 13 si je ne me trompe pas, et j’hésitais pour la chute, pour la fin. Exercice difficile, il m’a fallu du temps, mais je suis heureux du résultat. Je vous propose donc d’abord cette fin que peut-être certains attendaient… Et dans la foulée je publie en un seul bloc la totalité de la nouvelle… Pour en faciliter la lecture..
« Il faut vivre, c’est tout, c’est simple et surtout c’est suffisant ! »
« Ce que je vais vous raconter, vous décevra, j’en suis convaincu. Je le comprendrais tout à fait. Les événements que vous avez vécus, ces dernières heures, sont hors normes. Et vous vous attendez à de l’incroyable, de l’extraordinaire, du sordide peut-être. Oui je le répète : je vais vous décevoir, tous, surtout toi ma chère Frédérique.
Au passage, je dois vous le dire, je ne suis pas étonné de vous voir ici, vous, mes cinq préférés. Je le savais parce que je vous ai choisis : vous n’êtes pas des imposés, des convenus. Vous êtes des hommes et des femmes à qui il reste encore, de la lumière derrière les yeux. Mais oui je vais vous décevoir. C’est vrai que ce matin, au réveil, je n’avais pas d’autres intentions que celle que je vous ai annoncée quand j’ai interrompu le conseil des ministres. Je voulais tout simplement proposer une promenade destinée à donner à chacun le sourire. Ce sourire que j’avais ce matin, dans le parc, tellement touché par la lumière du soleil encore bas à travers les feuillages, tellement ému par la fraîcheur persistante de la nuit. Ce matin j’ai souri, et j’ai pensé à mon père qui me répétait tous les jours, oui tous les jours, que tout est simple, que tout est facile.
Il faut vivre, c’est tout, c’est simple, et surtout c’est suffisant !
J’ai pensé à mon père parti si tôt, mon père que je n’ai jamais oublié. Et ce matin je me suis souvenu de cette belle forêt ou grand père m’emmenait, pour me sortir de la tristesse dans laquelle le départ de papa m’avait plongé. Comme je vous l’ai expliqué, je suis revenu ici, il y a trois mois, je suis revenu un jour où je n’en pouvais plus, j’ai marché seul, j’avais demandé à Maurice mon garde du corps d’attendre dans la clairière, celle ou l’autocar doit encore être stationné. J’ai marché seul et j’ai pleuré, puis, je me suis souvenu, des paroles de papa.
Il faut vivre, c’est tout, c’est simple, et surtout c’est suffisant !
J’ai marché et je suis arrivé ici, devant cette petite maison. J’ai frappé, et France m’a dit d’entrer, elle m’a reconnu bien sûr. Tout le monde connait le président de la république, même France qui n’a pourtant pas la télévision. France a tiré une chaise, celle où je suis assis aujourd’hui et m’a dit de m’asseoir. Sans rien dire, elle m’a apporté une assiette fumante. J’ai mangé avec appétit. C’était bon, c’était chaud. Elle s’est assise en face de moi et m’a regardé. Elle souriait. J’étais bien. Je me suis levé. Elle aussi. Nous nous sommes approchés l’un de l’autre ; j’allais lui parler. Il fallait que je lui parle. Il le fallait. Lui dire, lui dire que, je ne sais pas, je ne savais, je cherchais, mon cœur battait fort. Doucement elle m’a fait signe de ne rien dire. Et France, France que je suis heureux de vous présenter ce soir m’a alors simplement dit.
Ne dis rien, il faut vivre, c’est tout, c’est simple et surtout c’est suffisant !
« Ça y est président ils ont
disjoncté. Quelques minutes après votre départ, on a commencé à redescendre et
évidemment est arrivé le moment, ou parvenus à cette espèce de patte d’oie que
personne n’avait remarqué à l’aller, il a fallu opérer un choix. Evidemment
personne n’était d’accord. Évidemment toujours les mêmes ont cherché à affirmer
leur supériorité. C’est quand même incroyable président, mais même dans cette
situation, il y en a qui ne trouve rien de plus intelligent à dire que « moi
je suis ministre d’état » donc forcément mon avis a plus de poids. Et puis,
comme je m’y attendais les regards se sont rapidement tournés vers Armand.
Armand ton protégé, Armand ton tireur d’élite, si prompt à décapiter un premier
ministre. Bref, tout le monde, moi y compris, l’a suspecté d’être au courant,
d’en savoir plus. Et là, comment dire, de vrais bêtes sauvages ! Ils sont
une dizaine à s’être jeté sur lui comme des fauves. Des coups de feu sont
partis, il a essayé de se défendre : « écoutez-moi, écoutez-moi je
vais vous expliquer ». On n’est pas entré dans la mêlée et on a couru à
travers le bois, tout droit, sans réfléchir, instinctivement…. Je pense qu’il y
a plusieurs morts là-haut. Armand je pense qu’ils l’ont massacré. Explique-nous
Président… »
Le président est assis sur un des
vieilles chaises de la cuisine, France est derrière lui, le regard noir. Tout doucement
elle se détache de lui, sa main lui caresse le visage. Elle rejoint le bout de
la table, et s’assoit :
« Je vous en prie, prenez une chaise et asseyez-vous : nous vous attendions, nous allons pouvoir commencer…»
Ça y est ? C’est fait ?
Tu les as perdus tes brebis.
Le président s’est assis en face
d’elle, un petit sourire lui adoucit le visage. Il a faim, il a envie de la
prendre contre lui de sentir son odeur, cette odeur végétale avec une pointe
fumée juste ce qu’il faut pour que sa peau si blanche soit épicée.
« Ils ne sont certainement
pas loin d’ici mais on est tranquille pour un bon moment je ne les pense pas
capable de se mettre d’accord sur un même chemin ; A l’heure qu’il est ils
doivent être en train de tous se méfier les uns des autres. Ils ne forment pas
une équipe. Leur vie n’est qu’une succession de coups tordus et de trahisons
contre ceux qu’ils présentent comme leurs amis. Ils sont déjà en train de
douter de chacun, de constituer des petits groupes, des alliances de
circonstances. Mais ils n’y parviendront pas et ça je le sais. C’est la leçon
que je veux leur donner. Comment prétendre diriger un pays quand on est
incapable, en groupe de retrouver son chemin en forêt »
Elle est amusée. On le comprend
aux lumières qui brillent dans ses yeux.
« Tu dois avoir faim. J’ai
préparé un civet, Comme tu les aimes. »
Elle s’est levée, il la regarde.
C’est une belle femme : elle est assez grande, on devine un corps ferme
sous le blanc crémeux des vêtements qui l’enveloppent. Elle est belle. Il
soupire, il est bien.
Elle est déjà près de la
cuisinière pour empoigner la petite marmite. Elle n’en a pas le temps, il
l’enlace avec fougue, l’odeur de son corps lui revient en mémoire. Il croyait
l’avoir oublié. La marmite n’a pas bougé elle l’a repoussée un peu plus loin.
Elle est face à lui, ses longues mains effleurent la nuque.
Le président remonte la jupe, il
découvre la cuisse, elle est musclée, sa peau est fraîche, si douce. Il a envie
d’elle, tout de suite. Il rêvait de revivre ce moment. Il se souvient de leur
première rencontre. Il pleuvait, il s’était égaré. Il a frappé et elle a
ouvert. Trempé, elle l’avait dévêtu en silence, avec précision. Pour que ces
vêtements sèchent. Il s’est retrouvé en caleçon devant cette femme énergique,
elle l’a frotté avec une serviette à l’odeur de fougère. Ils ont fait l’amour
sur le sol, ils faisaient si chauds.
Il était parti sans savoir, qui
elle était. Et depuis son seul désir était de revenir.
Ses mains lui effleurent
l’intérieur des cuisses. Elle a ouvert le haut de son corsage.
C’est elle la première qui a
entendu les coups de feu suivi de plusieurs cris
Des cris, des pas qui se
rapprochent, très vite, on doit courir, dehors. Le président s’est éloigné de
France. France ça ne s’invente pas, cette belle femme, à l’allure sauvage,
cette femme qui l’habite depuis plusieurs mois, qui l’a colonisé diraient
certains, s’appelle France. En quelques secondes les cris sont devenus des
souffles d’impatience, on frappe à la porte, avec le plat de la main. On sent
la peur. Le président ouvre la porte, ils sont cinq à s’engouffrer à se jeter
dans la pièce. Le président n’est pas surpris de la composition de ce petit
groupe : trois hommes et deux femmes, ce sont les seuls qui depuis la
formation du gouvernement se comportent la plupart du temps avec franchise. Lorsqu’ils
prennent la parole, autour de la table du conseil des ministres, on ressent la
bienveillance qu’ils ont les uns pour les autres. Ce n’est certainement pas un
hasard mais aucun d’entre eux n’a suivi la voie dite royale, sciences po, Ena,
passage par un cabinet, ces cinq là ont eu des parcours atypiques,
syndicalisme, entreprise…. Le président les laisse reprendre leur souffle,
c’est la Ministre de la santé, Frédérique, des larmes au bord des yeux, le
souffle court qui explique. Les autres ne disent rien, on les sent terrorisés.
C’est tellement rare de
l’entendre parler. C’est vrai qu’il prend rarement la parole au conseil des
ministres, ou quand il le fait, généralement invité par le président personne
ne l’écoute. Ses sujets ne passionnent guère, et puis ce n’est pas un politique
lui… Il ne s’est jamais frotté au terrain / jamais candidat, jamais élu, jamais
battu…. Ses seules victoires il les a connues au tir à la carabine. D’ailleurs
beaucoup ne savent même pas d’où il vient exactement. Où le président est-il allé
le pêcher… Mystère…Chacun se souvient aujourd’hui de leur complicité, petits
clins d’œil, accolades un peu plus affectives que l’usage ne le permet. En fait,
pour dire vrai chacun a pris conscience qu’il n’y a jamais d’hypocrisie dans ces
gestes d’affection. Comme si leur lien était très fort.
Alors quand il a pris la parole,
personne n’a ni bougé, ni réagi. Chacun comprend qu’il ne ment pas et n’essaie
pas d’imposer un point de vue : oui il connait le chemin, cela ne fait pas
l’ombre d’un doute. Il connait très bien le président, intimement… Toutes les
circonstances sont désormais réunies : Il devient important, il suscite de
l’intérêt. Il connait le chemin.
Pendant ce temps, déjà à quelques
kilomètres, le président est entrée dans ce que dans les contes pour enfant on
appellerait une chaumière. Une petite maison de chasse à dire vrai, une seule
pièce, elle sent le bois, humide, elle sent le renfermé. Au centre de la pièce,
une table sur laquelle sont posées deux couverts. La femme semble attendre.
Le président a refermé la porte,
il accroche sa veste au porte manteau sur lequel pend déjà une veste de chasse
en cuir vieilli. Il s’approche et se penche à peine, pour poser tendrement un
baiser sur le front de cette femme qui lui sourit doucement.
« Je t’attendais, je suis
heureuse que tu sois revenu. Je n’y croyais plus. J’étais sûr que tu m’aurais
oublié. Tu dois avoir faim, j’ai préparé à manger. »
L’unique pièce est enveloppée d’une belle odeur de cuisine, pas de ces effluves qui font saliver, par réflexe, non c’est plus qu’une odeur de cuisine. Ce qui se dégage du fourneau qu’on distingue dans le fond de la pièce, mérite amplement le nom de parfum. Ce qui envahit le président, ce sont les émotions, les souvenirs, il y a dans cette petite pièce un concentré de vie, de cette vie qui lui a échappé depuis si longtemps. La femme assise derrière la table penche un peu plus la tête en arrière, sa gorge est tendue, la peau est blanche et fine, elle frémit à chaque inspiration. Il est toujours debout derrière elle et se penche à son tour pour poser un baiser. Elle frémit, elle sourit. Il n’est entré que depuis quelques minutes et il se sent bien. Ils se regardent, leurs yeux brillent. Il se sentent bien.
Ca y est ? C’est fait ? Tu les as perdus tes brebis.
Avant de publier les derniers épisodes de cette nouvelle, je vous propose de relire en une seule fois , les 11 parties que j’ai déjà publiées. Histoire de se remettre dans l’ambiance…..
Ce mercredi matin, comme tous les
mercredi matin, c’est le conseil des ministres. L’ordre du jour est fixé un peu
avant, avec le premier ministre : jamais de grandes surprises, les communications
des uns et des autres, des nominations. Bref la routine républicaine. Tous les mercredis matins tout le pouvoir
exécutif se retrouve pendant une heure mais personne n’y prête attention, c’est
ainsi depuis longtemps.
Ce jour-là, pourtant le premier
ministre a bien remarqué que le président n’était pas comme d’habitude. C’est
simple on aurait dit qu’il était heureux, détendu. Bref de bonne humeur, avec
un sourire permanent non pas au bord des lèvres mais au milieu de tout le
visage. Pour quelqu’un d’autre que le président de la république ce sourire
serait plutôt un bon signe, mais brandir à quelques minutes du conseil des
ministres une telle décontraction avait de quoi interroger le locataire de
Matignon.
Rejoignant ses principaux
conseillers, Il a fait part de son inquiétude, de son étonnement. Et chacun de
se perdre en conjectures, en hypothèses, chacun s’escrimant à chercher dans les
jours précédents, des signes, politiques ou pas, qui pourraient expliquer
pourquoi en ce mercredi 8 juillet à quelques minutes d’un conseil des ministres
le président pouvait sourire.
Les conseillers sont réunis
autour d’une table au plateau de verre. Tous ont les ongles rongés, ils
tiennent leurs stylos d’une curieuse manière. La main tenant le stylo forme un
angle fermé vers le poignet, le bras venant se poser en haut de la feuille afin
que même en gribouillant, l’ensemble de la page soit visible, ce qui oblige
quand même à une contorsion un peu curieuse. Ceci dit cette simple posture en
dit long sur ce qui se passe dans ces cabinets et aujourd’hui plus que jamais,
les esprits cherchent à comprendre.
La difficulté c’est que personne
n’est en mesure de mobiliser pour affiner sa pensée une des matrices d’analyse
qu’aurait pu proposer l’usine à fabriquer des conseillers : sciences po,
HEC, ENA… Les données du problème sont pourtant simples : le conseil des
ministres va se réunir dans quelques minutes pour traiter comme chaque semaine
de problèmes importants : importants pour la France, pour le gouvernement,
pour le parti, bref importants. Le
conseil des ministres sera et devra comme toujours être sérieux mais, et c’est
l’autre donnée du problème et non des moindres : le président ce matin a souri, pire le
premier ministre prétend qu’il l’a senti heureux et détendu.
Que se passe-t-il ? Que
va-t-il se passer si on apprend dans les médias qu’alors que le chômage ne
cesse d’augmenter, que la situation internationale est gravissime que le
président de la république sourit ? C’est grave ! Il faut réagir !
Il faut, à défaut de comprendre, envisager tous les scénarios possibles et
préparer toutes les réponses politiques appropriées.
Le débat n’est pas animé – il ne
l’est jamais d’ailleurs- chacun surveillant l’autre, évitant de se dévoiler, de
proposer des analyses pertinentes ; le risque étant de se les faire
« piquer » par plus ancien que soi, plus en cours que soi… Bref ça
cogite, mais avec pédale sur le frein ce qui arrange tout le monde parce que
finalement il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent ;
Le conseil des ministres débute à
11 h 00. Tous les ministres sont tendus,
les mâchoires serrées, ils sont évidemment au courant que le président a souri
ce matin. Leurs conseillers politiques ont pondu de petites notes synthétiques
pour tenter d’expliquer ce sourire et surtout envisager toutes les
conséquences.
Le président de la République
prend la parole. Avant qu’il ne prononce le premier mot, tout le monde voit
bien qu’il sourit.
« Monsieur le Premier ministre,
mesdames et messieurs les ministres, je suppose, évidemment que toutes et tous
l’ont remarqué : je souris ! Oui depuis ce matin je souris. Vous
pouvez le constater par vous-même : c’est un beau, un large, un vrai
sourire, un sourire à belles dents.
C’est un sourire qui exprime du
bonheur, pas un de ces sourires dont nous pouvons être coutumiers en
politique : sourire généralement sarcastique, carnassier, sourire dont on
use et abuse surtout face à ses adversaires. Parfois, vous le savez aussi bien
que moi le sourire annonce le rire, souvent un rire entendu, bref, celui qu’on
utilise pour montrer qu’on est encore sensible à l’humour, aux bonnes blagues,
qui nous rendent plus sympathiques, enfin le pense t’on…Et bien mes chers amis
ce n’est aucun de ces sourires qui m’illuminent. C’est bien autre chose et je
vais vous le dire, je vais vous le raconter.
Je souris parce que je suis
heureux. Je suis heureux, parce que ce matin, me promenant dans le parc, j’ai
été touché par la lumière du soleil encore bas à travers les feuillages, par la
fraîcheur persistante de la nuit qui a instantanément éliminé la migraine qui
m’a empoisonné la nuit.
Ce sera à certains de sourire, à
présent, de la futilité de ce bonheur, d’autres penseront ou diront que je suis
fatigué, et que cet épuisement me rend sensible, vulnérable. Et là mes amis, je
souris encore. Je souris encore parce que ces petites choses simples auquel il
faudrait que j’ajoute le sifflement d’un merle, se sont imposées comme une
évidence, une nécessité. Nous devons et c’est urgent cesser de nous comporter
comme des êtres inaccessibles, insensibles, intouchables, infaillibles.
Mes chers amis j’ai décidé que
nous devions aujourd’hui ne pas traiter cet insupportable ordre du jour. De
toute façon tout est déjà décidé et engagé. Nos pâles conseillers de cabinets
s’occuperont de donner du corps, de la réalité à ces différents points. Ce que
je vais vous proposer c’est de prendre un autocar qui nous attend dans la cour
de l’Elysée et de nous échapper assez loin de Paris pour ne point en entendre
la rumeur. Nous irons marcher en silence
quelques heures, et chacun d’entre vous devra retrouver un sourire, un vrai
sourire, simple naturel ».
Sur tous les visages ministériels
on lit de l’étonnement, mais toujours un peu d’inquiétude et quelques-uns
sourient, eux aussi. Le premier ministre ose timidement un : « mais
Monsieur le Président… ». Ce à quoi ce dernier répond l’index tendu devant
la bouche : « chut écoutez … »
La grande fenêtre est ouverte, on
entend des chants d’oiseaux et le bruissement des feuilles qu’un petit vent
agite
L’autocar n’a pu se garer devant le
perron de l’Elysée, l’entrée est trop étroite. Il est stationné devant l’entrée
principale rue du Faubourg Saint Honoré.
Le Président de la République
s’est levé le premier, et avec une joie non dissimulée dans la voix, comme un
enfant tout heureux du tour qu’il est en train de jouer à ses camarades, il
lance à toutes et à tous un tonitruant : « allez suivez-moi, on y
va ! »
Ce n’est plus l’étonnement qu’on
lit sur les visages des ministres, surtout chez le premier d’entre eux, cette
fois ci c’est bien de l’inquiétude, chez certains c’est même de la peur. D’autres, peut-être les plus intimes se
retiennent pour ne pas rire, essayant de se persuader qu’il doit s’agir d’une
plaisanterie. Quelques-uns, les plus jeunes, semblent prêts, eux, à lui
emboîter le pas, émoustillés de cette situation pour le moins cocasse.
Le président est maintenant debout près de la porte, on n’entend plus qu’un brouhaha et le frottement des chaises un peu lourdes qu’on tire pour s’extirper de cette longue table un peu sinistre. Les huissiers ont le visage fermé. L’un d’entre eux ne peut dissimuler une réelle envie de rire. Les ministres baissent les yeux et viennent de comprendre : le président n’a pas ses habituelles chaussures noires, mais de magnifiques baskets aux couleurs fluos, véritables provocations pour les teintes sinistres, un peu délavées, qui emplissent cet espace de pouvoir depuis tant d’années. Il ouvre lui-même la porte, se retourne et comme un animateur de colonie de vacances, donne les explications, plutôt les consignes.
« Mes chers amis, ne vous inquiétez pas, j’ai tout prévu, dans l’autocar qui nous attend devant la grille de l’Elysée, il y a un tout un assortiment de baskets, comme les miennes, avec toutes les pointures, je n’imaginais pas que vous puissiez faire quelques pas en forêt en escarpins et souliers vernis. Vous allez laisser vos dossiers ici, à votre place, sur la table et vos dévoués conseillers s’empresseront de les récupérer dès que l’autocar aura démarré. Justement : j’allais oublier deux choses essentielles, aucun conseiller ne nous accompagne, évidemment. Deux motards nous ouvriront la route et le chauffeur qui est un habitué des voyages scolaires a promis de nous emmener dans un endroit tranquille, où, et c’est la deuxième chose nous pique niquerons. Un repas tiré du sac…Nous allons maintenant sortir calmement, bien groupé, pour ne pas perdre de temps. Des dispositions ont été prises pour qu’aucun journaliste ne soit ni devant le perron, ni devant la grille. De toute façon aujourd’hui c’était un conseil des ministres ordinaire, sans intérêt pour les chaînes d’infos. Quand je parle de disposition prise je veux dire que pour éloigner tous ces pseudos journalistes je me suis débrouillé pour allumer, comment dire un contre feu, dont je vous parlerai au micro dès que nous aurons quitté la ville. J’espère que personne n’est malade en autocar. Des questions ? «
Des questions, des questions, il
en a de bonne notre président pense à ne pas en douter la moitié des ministres,
on en aurait une bonne dizaine à lui poser, et à commencer évidemment par
pourquoi ? On veut bien se détendre, c’est une bonne idée, on veut bien
rester dans la dynamique du sourire, cela nous fera du bien à tous, mais de là
à monter sans nos conseillers dans un autocar, enfiler des baskets ridicules
pour manger chips et sandwichs au jambon il y a quand même un gouffre.
L’un d’entre eux, un des plus jeunes, exceptionnellement invité aujourd’hui, parce qu’il n’est que secrétaire d’état, pour évoquer un projet de loi qui doit être déposé à la rentrée, est le seul à oser prendre la parole
« Euh monsieur le président, c’est surprise surprise, elles sont où les caméras ? »
Le président visiblement pressé de sortir de la salle lui répond calmement.
« Oui mon petit Jacques, pour une surprise, c’est une surprise et vous allez voir ce n’est pas fini ! Allez on a déjà assez perdu de temps puisqu’il n’y a plus de questions, , en avant les enfants ! «
Il est onze heures trente : président
en tête, c’est une troupe d’une trentaine de ministres, la parité est parfaite,
qui s’engage dans l’allé qui conduit jusqu’à la grille ou les portes de
l’autocar sont déjà ouvertes.
Le président marche d’un bon pas,
il faut dire qu’il est chaussé pour. Beaucoup, surtout les femmes sont en train
de se dire que si au moins on avait été prévenu on aurait évité les tailleurs,
et autres tenues plus adéquates pour répondre aux questions au gouvernement que
pour aller batifoler en forêt.
Certains espèrent en silence
qu’il aura pensé aux tenues qui iront avec les baskets. Il sera bien temps de
lui poser la question quand on sera monté dans l’autocar.
Le premier ministre est pâle,
transparent : il vient à l’instant de prendre conscience qu’ils vont sécher
la séance des questions au gouvernement tout à l’heure. Il faut qu’il en parle
au président : ce n’est pas possible, ce sera une catastrophe politique
d’une ampleur inégalée. Cela ne s’est jamais vu. Il faut qu’il prévienne son
directeur de cabinet, il faut déclencher une espèce de plan Orsec…. Vite
envoyer un texto…
Un texto…
La petite troupe, est maintenant
agglutinée devant la porte du bus, c’est amusant mais certains semblent
impatients, ils jouent mêmes des coudes pour grimper dans le bus mais là ils
sont ralentis : le président est en
haut des marches il tient un grand sac à la main et le regard teinté d’une
espèce de sévérité bienveillante, il demande à chacun de poser à l’intérieur du
sac son ou ses portables. On comprend au
ton qui est le sien et à son regard qu’il ne sera pas possible de tricher ou de
dissimuler, alors chacun s’exécute avec peu d’enthousiasme il faut bien en
convenir.
Le premier ministre qui est le
dernier de la troupe a compris ce qui se passait et s’empresse de sortir son smartphone
pour dans les quelques secondes qui lui restent tenter d’envoyer un texto
suffisamment clair pour que son directeur de cabinet puisse prendre toutes les
dispositions nécessaires. C’est à cet instant et à cet instant seulement que
Pierre – Pierre est le premier ministre – ose s’autoriser à envisager que le
Président a peut-être perdu la tête ; Il commence à taper frénétiquement
sur son clavier quand il entend la voix du président un peu irritée qui lui
dit :
Pierre, je te vois, ton portable s’il te plait,
allez tout de suite, tu le fais passer et je le récupère !
Mais monsieur le Président, c’est impossible,
comment on va faire cet après-midi…L’assemblée…
Pas de mais mon petit Pierre, je te rappelle que
nous sommes encore officiellement en conseil des ministres. Je maitrise l’ordre
du jour et je te rappelle aussi que la constitution précise que c’est le
président de la république qui nomme le premier ministre.
Mais monsieur le président
Pas de mais Pierre, si ton portable ne me
parvient pas instantanément tu n’es plus premier ministre
Bien Monsieur le Président
Pierre puisque c’est ainsi que
nous l’appellerons à présent s’exécute ; le brouhaha s’est atténué, c’est
le silence maintenant qui devient plus pesant.
Tous les ministres sont montés,
ils se sont installés, certains, ont déjà pris les place du fond (les vieux
réflexes ne disparaissent pas même lorsqu’on est ministre ).
Le président est devant à côté du
chauffeur, il a pris le micro, l’autocar démarre…
Le président, a le micro posé en
bas du menton, il est debout et tousse un peu. On ne saurait dire de quelle
nature est cette toux, et ce d’autant plus que le sourire de tout à l’heure a
disparu. Il jette un coup d’œil à sa petite troupe.
Ils sont tous là à attendre qu’il veuille bien commencer. Tous, enfin, si on ne tient pas compte des cinq ministres qui se sont encastrés au fond de l’autobus et qui sont complètement entrés dans le jeu. En quelques minutes ils ont oublié le conseil des ministres, la tension, ils sont au fond d’un autobus et ils chahutent. Ils chahutent comme des adolescents, heureux de se retrouver dans l’intimité de ce fond de car, ce fond objet de tous les fantasmes, objet de toutes les convoitises. Combien de souvenirs de voyages scolaires ne se résument qu’à ce combat gagné ou perdu, avec ses proches ou celles qu’on rêve d’effleurer, pour gagner le fond du bus.
Evidemment le président les a
repérés, il sait qu’ils seront ses alliés, mais la limite entre le chahut et
l’impertinence est très légère.
Il tousse encore et réclame un
peu d’attention ;
« On m’écoute dans le fond
s’il vous plait… »
Et dans le fond, les ministres de
la justice, de l’industrie, de la santé, de l’outre-mer et des universités
pouffent comme de joyeux étudiants.
Le premier ministre, Pierre, occupe un des deux sièges les plus proches du chauffeur. Il ne plaisante pas, il ne sourit pas, et pour être complètement sincère il commence même à être excédé. Contrairement à tous ses collègues, il n’a pas encore essayé les fameuses paires de baskets, il y en a sur tous les sièges, on les examine, certains les reniflent même, pour être certains qu’elles sont neuves, qu’elles n’ont jamais été portées. Les pointures ont été disposées un peu au hasard, alors on se les fait passer d’un siège à un autre, les escarpins encombrent l’allée centrale. La ministre de l’économie les a enfilés et elle fait quelques pas, quelques-uns sifflotent, d’autres rient. Finalement on a le sentiment que tout le monde est détendu. Sauf le premier ministre bien entendu et le ministre chargé des relations avec le parlement. Ces deux-là s’envoient des signes qui en disent long sur le jugement qu’ils portent sur la situation
Le président s’est éclairci la
voix : il a même retrouvé le sourire
« Mes chers amis, je vous
dois désormais quelques explications. Maintenant que la plupart d’entre vous
semble avoir pris leur marque et surtout leur chaussures…. Il est temps que
vous compreniez ce qui se passe, ce qui est en train de se passer. L’autocar
vient de démarrer et nous allons nous rendre dans une forêt que je connais bien
et soyez très attentif : là-bas j’ai décidé de vous perdre… »
Même les dissipés du fond se sont
tus, la plupart pensent avoir mal entendu ou mal compris, mais le président
continue.
« Vous avez bien entendu,
vous êtes monté dans cet autocar, et nous allons dans deux heures environ nous
garer à un endroit un peu à l’écart de tout, vous prendrez votre petit sac de
pique-nique, nous marcherons ensemble pendant une trentaine de minutes, nous
nous enfoncerons au plus profond de cette forêt avec le chauffeur qui la
connait parfaitement, et là nous vous perdrons, je vous perdrai. Il arrivera un
moment où vous ne me verrez plus, j’ai repéré l’endroit, vous verrez c’est un
peu épais, très impressionnant et là vous serez perdu… »
Le premier Ministre a compris,
cette fois ci il n’y a plus aucun doute le président, son président est devenu
fou. Il faut qu’il fasse, qu’il tente quelque chose. Il est encore temps….
Il n’est pas très grand,
contrairement au président qui lui est un grand gaillard, mais il va le
ceinturer le forcer à s’asseoir calmement, reprendre le micro et mettre un
terme à cette mascarade. Il est encore possible d’arriver à temps pour la
séance des questions au gouvernement.
Les perdre dans la forêt, avec
leur petit sac de pique-nique et leurs baskets ! Non mais franchement on
se croirait dans une série parodique et délirante dont le seul objectif est de
se moquer toujours un peu plus de nos gouvernants !
Il a presque envie de rire
tellement la situation lui semble surréaliste : le président est encore
debout à expliquer en long, en large, et en travers, s qu’il va les perdre,
comme s’il s’agissait de tous ses petits-enfants… Grotesque…
Pierre, le premier ministre s’est
levé presque calmement, on dirait même qu’il y a de la tendresse dans son
geste, sa main tendue vers le président pour lui demander le micro. Il n’a pas
le temps d’ouvrir la bouche que sa tête éclate comme une pastèque.
Il vient de prendre une balle en
pleine tête….
La France n’a plus de premier ministre.
Il a perdu la tête.
Perdu n’est d’ailleurs pas le mot
approprié pour qualifier ce qui vient de se produire. La tête du premier
ministre, puisque c’est de cela dont il s’agit a littéralement éclaté. C’est le
jeune secrétaire d’état, exceptionnellement invité aujourd’hui qui a tiré. Jean
Marc Dourcet puisque c’est de lui dont il s’agit est à quelques mètres
seulement son arme toujours pointée, dans le cas, fort peu probable d’ailleurs,
où un courageux essaierait à son tour de maitriser le président.
Ce dernier tient toujours
fermement le micro la main, le coup de feu l’a interrompu et il semble
contrarié.
« C’est dommage pour Pierre,
c’était quelqu’un de bien. Mais vous le savez je n’aime pas trop être
interrompu quand je souhaite parler. Merci mon petit Jacques. Il faudrait
peut-être que je vous nomme premier ministre. Enfin on n’en est pas encore
là »
Jean Marc, le secrétaire d’état
au sport est très calme. Il faut dire qu’il fait partie de ces personnalités de
la société civile que le président a souhaité intégrer dans son gouvernement.
C’est un ancien champion olympique de tir au pistolet. Le premier ministre n’était pas des plus
enthousiastes mais le président a insisté, mettant en avant les qualités de concentration
de cet homme.
Dans le fond de l’Autobus, les
potaches n’ont plus du tout mais alors plus du tout envie de plaisanter. Le
plus difficile est de comprendre, de mettre en place au plus vite tous les
mécanismes intellectuels pour analyser la situation. Tout est tellement
inattendu. En silence, chacun cherche, ces derniers jours, ces dernières
semaines ce qui a pu se passer, chacun essaie de se souvenir, un indice,
quelque chose qui leur permettrait de comprendre ce qui est en train de se
passer. Mais rien, c’est le néant pour chacun. Tous prennent conscience à cet
instant précis qu’ils ne prêtent aucune attention aux autres. Quand ils se
regardent c’est pour se surveiller, identifier un éventuel signe de faiblesse.
Tous à cet instant comprennent que ce qu’ils n’ont pas vu c’est à quel point le
président n’en pouvait plus, était épuisé. Par contre tous savent que le
président ne supportait plus son premier ministre, son arrogance, sa froideur,
son intelligence purement mécanique. Tous savent qu’il ne l’a pas choisi pour
ses qualités humaines, pour sa capacité à le compléter, à le réguler, non il
l’a choisi par calcul politique. Tous le savent mais personne ne le dit. Tout
est calcul.
Le président tapote à nouveau sur
le micro : il va parler. Il s’éclaircit la voix. Ce sont les premiers mots
depuis le coup de feu, ils brisent le silence…
« Bien, tout cela est
embêtant. Je ne voulais pas changer de premier ministre, pas encore, pas tout
de suite, mais là convenons en tous, je ne vais plus trop avoir le choix. Mais
ce n’est pas le plus important, c’est dommage bien sûr ! Certains
trouveront même que c’est triste, que c’est grave, mais croyez-moi ce qui vient
de se passer n’est pas de nature à me faire changer d’avis. Et puis, après tout
soyez honnêtes, tout le monde détestait Pierre. Je vois bien dans vos regards
que personne ne le regrette. Vous le savez comme moi, en politique on apprend
tellement à lire dans le regard des autres que je peux vous dire, simplement en
vous observant, que la plupart d’entre vous sont déjà entrés dans le calcul, se
disant probablement : pourquoi pas moi ? Et maintenant je sais, je
suis absolument certain que personne ne parlera, que personne n’expliquera ce
qui s’est passé dans le huis clos de cet autocar. »
Certains, surtout dans le fond de
l’autocar, fidèles à leurs habitudes de groupies ont déjà oublié la tête qui a
roulé et dodelinent la leur à chaque phrase du président afin qu’il comprenne
bien que l’incident est clos, qu’ils sont à nouveau avec lui. Il y en a bien un
ou deux qui ont le regard effaré, mais le président les connait suffisamment
pour savoir sur quelles cordes il faudra appuyer.
Le président n’a pas lâché le
micro : il poursuit
Après cette interruption
fâcheuse, je reprends mon propos. Mes amis c’est simple j’en ai marre, je n’en
peux plus. Je n’en peux plus de ce que nous sommes. Je n’en peux plus de ce que
nous donnons à voir. Je n’en peux plus de ces grappes de conseillers qui nous
collent comme des mouches, qui ne sont là que pour servir leur propre
intérêt. Je n’ai pas changé d’avis, je
veux qu’on redevienne des êtres humains, je veux que vous retrouviez le sens
des émotions, je veux que vous preniez seuls des décisions, sans conseil. Alors
je le maintiens nous irons dans cette forêt et je vous perdrai. Je veux que
vous sachiez pourquoi je veux que vous vous perdiez !
Le calme s’est installé dans
l’autocar, le président s’est assis, on dirait même qu’il s’est assoupi. C’est
le jeune secrétaire d’état, auteur du tir, qui a ramassé la tête, enfin ce qui
était autrefois une tête pour la glisser tranquillement dans un sac de sport.
Il a même trouvé de quoi nettoyer. Le corps décapité du premier ministre est
resté sur son siège.
La circulation est de plus en
plus fluide. Par petits groupes, les membres du gouvernement échangent,
certains ont revêtu avec les fameuses baskets des survêtements soigneusement
pliés dans les coffres à bagage. On entend même quelques plaisanteries, et
curieusement on ressent une espèce de sérénité. Le ministre de la Défense s’est
même endormi et son ronflement retentit jusqu’au fond du car.
Au fond du car justement, il y a
discussion, on essaie de comprendre, ce n’est pas tant la disparition du
locataire de Matignon qui semble perturber le petit groupe, que l’intention du
président.
L’autocar a ralenti, il vient de
s’engager sur une petite route qui hésite entre le chemin vicinal et le sentier
forestier. La forêt qu’ils aperçoivent
par les vitres est épaisse, très épaisse même, la lumière ne passe pas.
L’autocar roule à très petite
allure encore une bonne vingtaine de minutes avant de stopper au milieu d’une
clairière. Le président saisit le micro.
Nous sommes arrivés mes amis, je
vous présente la clairière du poète, vous allez descendre tranquillement, vous
récupérerez les sacs de pique-nique dans les soutes du car, nous déjeunerons
ici et dans une heure, tout au plus, vous nous suivrez et nous nous enfoncerons
au cœur de la forêt.
Les sandwichs sont vite avalés,
certains ne prennent même pas le temps de s’asseoir, comme s’ils étaient
pressés d’en finir.
Le président passe vers tous ses
ministres, il glisse quelques mots à chacun. Ce qui frappe le plus à cet
instant ce sont les bruits de la forêt qui peu à peu envahissent l’espace, on
n’entend plus que cela. Le pique-nique a attiré les insectes, les bras
commencent à s’agiter, comme des moulinets pour les chasser. Mais ce qui domine
c’est la rumeur intérieure de la forêt, ce mélange un peu angoissant avec le
bruit que font les arbres, le moindre souffle agite les branches, les grands
troncs craquent. On entend aussi des cris d’oiseaux, ce ne sont pas des chants,
mais bien des cris, et des sons dont on ne sait d’où ils viennent ce qu’ils
sont.
Le président explique que c’est
un endroit qu’il connait parfaitement. Enfant il est venu plusieurs fois et a
marché dans cette forêt, seul. A l’évocation de ce souvenir sa voix tremble un
peu, on ne saurait dire s’il s’agit d’émotion, ou de peur. Il a pris la tête,
avec le chauffeur, de la troupe encore un peu sous le choc de toutes ces
émotions. Leurs sens endormis,
anesthésiés par toutes les protections dont on les entoure se réveillent un à
un. Ils voient, ils entendent, ils sentent.
Le président n’est plus très
jeune mais son pas est rapide. Au début le chemin est large, on distingue même
des traces de pneus dans les ornières que les pluies de printemps ont creusées.
C’est rassurant, mais très rapidement le chemin devient plus étroit, plus
sombre surtout, les arbres sont de plus en plus proches, serrés comme une foule
qui observe une procession. Leurs branches se touchent de part et d’autre du
chemin, formant peu à peu comme un tunnel de verdure. Il faut parfois se
baisser, retenir les branches pour que celui qui suit ne la prenne en pleine
figure.
Peu à peu, chacun ne se concentre
que sur la marche. On fait d’abord attention à soi. Il faut regarder où on met le pied. Le chemin
est devenu plus escarpé, avec des cailloux qui pointent. Il faut se protéger le
visage, et aussi veiller à ne pas mettre en danger les suivants. On prévient,
on met en garde, dans un murmure inhabituel : « attention au trou, à la
branche ». Le président se retourne souvent pour vérifier que tout le
monde suit. Il est le premier surpris en
constatant que le groupe est bien là, derrière lui, à mettre chaque pas dans
celui qui précède. Pas une parole pour déranger le bourdonnement de la forêt.
Souvent des chemins se croisent, mais le président est sûr de lui, sûr de ses
choix, de ses décisions. Lorsqu’il prend le chemin du haut, le plus haut, celui
qui grimpe, aucune remarque, aucun commentaire : on le suit, on lui fait
confiance. C’est difficile, certains ont le souffle court, mais ils suivent.
Ils marchent depuis une bonne heure, ici le temps ne s’écoule pas de la même
façon que dans les ministères ou à l’assemblée. Le président annonce qu’on va
prendre le temps d’une pause. Elle est bienvenue, surtout pour les plus âgés.
Le silence domine, un silence
pesant, lourd de toutes les interrogations qui pèsent encore. Mais curieusement
on ressent aussi une espèce d’apaisement. Le président comprend à cet instant
qu’il a pris totalement le contrôle. Il est le guide, leur point de repère.
Elle est vraiment épaisse cette
forêt. Les rares rayons de lumière sont ternes, avec un peu de poussière qui
plane. Le jacassement d’une pie les
surprend, on sent de la moquerie dans ce cri d’oiseau. Beaucoup ne connaissent
pas, ne connaissent plus ces sonorités alors ils se fabriquent de l’inquiétude.
Les premiers commencent à se lever quand la pie vient se poser sur l’épaule du
président. Il n’est pas surpris, on dirait qu’ils se connaissent, il a des
gestes tendres pour elle et chose rare pour cet oiseau un peu tapageur on
dirait qu’elle glousse, on dirait qu’elle a compris. Elle reprend son envol, vite,
très vite, et disparait. Elle a plongé en piqué, vers ce qui ressemble à un
bout ou à un bord de cette forêt. Elle a plongé, le président a souri. Tous les
regards l’ont suivi et quelques instants après, à peine, la voici qui
remonte : elle n’est plus seule. Le président est de plus en plus
rayonnant, avec elle dans les airs, et à terre dans la bruyère c’est toute une
ménagerie qui surgit sortie de derrière ce qui a été pour quelques instants
leur horizon… Ce sont les oiseaux qui sont les plus nombreux, de toutes
tailles, de toutes les couleurs, ils s’agitent plus qu’ils ne volent ; les
plus rapides, ceux qui ont suivi la pie entourent déjà le président qui tend
les mains : on dirait qu’ils le reconnaissent. Chacun s’est assis. Tous
sont fascinés par le spectacle, le président, leur président siffle, fabrique
de multiples bruits avec la bouche, avec les lèvres. Mais les oiseaux ne sont
pas venus seuls, surgis de partout, de trous dans la terre, d’autres chemins
que personne n’avait repéré c’est une véritable arche de Noé qui maintenant les
entoure. Un cerf s’est approché, à pas lent, du président, leurs regards se
croisent. Des lapins, un blaireau, des
mulots, une espèce de chat sauvage, et d’autres bestioles complètent ce
troupeau hétéroclite. Désormais le président rit. Il rit de bon cœur, il rit de
bonheur.
« Mes amis je vous présente
ma famille, ma nouvelle famille, je vais les suivre, et je vais vous laisser
vous débrouiller. Vous verrez ce n’est pas compliqué, vous allez comprendre. Il
y a quelques mois fatigué, épuisé même, j’ai décidé, seul, de m’échapper et
c’est ici que je suis venu, cette forêt où grand-père m’emmenait. Je suis venu
seul sans prévenir celles et ceux qui m’auraient évidemment interdit
l’escapade. Je suis venu seul et je me suis perdu. C’était il y a trois mois
souvenez-vous.
Ce sont les dernières paroles du
président, du moins ses dernières paroles avant qu’il ne reprenne son chemin
accompagné par une nuée d’oiseau. Tous les ministres sont restés immobiles, la
plupart déjà trop fatigués pour emboîter le pas au président qui s’est
engouffré dans l’épaisseur de la forêt. Ils sont immobiles, un peu tétanisés,
abasourdis par ce qui vient de se produire, par cet incroyable enchaînement
d’événements. Marie France, l’une des plus jeunes, ministre de la culture, est
la première à rompre le silence.
« Bon, qu’est-ce qu’on fait
maintenant, on ne va pas rester planter là, on va retourner sur nos pas et on
tombera forcément sur clairière où est garé le bus. »
Retourner sur leurs pas ?
Evidemment, tout le monde a ça en tête. Il faut le faire et si possible sans
trop tarder. La lumière se fait rare et s’orienter deviendra bientôt compliqué.
Sans attendre, le groupe se met en marche. Il ne faut pas attendre plus d’une
centaine de mètres pour que survienne le premier problème.
En effet, et personne n’y avait
prêté attention, lorsque le président, tout à l’heure, a choisi le
« chemin du haut » celui sur lequel ils se trouvent maintenant, il y
avait aussi deux autres sentiers qui y conduisaient, deux autres, l’un
au-dessus et l’autre légèrement en dessous. En fait ils se sont trouvés face à
un échangeur, non pas un nœud autoroutier, mais bien un carrefour pour les
randonneurs. Et évidemment trop concentrés à mettre un pied l’un devant
l’autre, personne n’a pris la peine de prendre le moindre repère. Il est même
fort probable très peu d’entre eux n’ont remarqué la présence des deux autres
sentiers.
Ils se sont tous arrêtés. Mais
rapidement trois d’entre eux n’hésitent plus. Ils continuent ! Ils sont sûrs de leur choix pour ce qui
semble en toute logique la bonne direction : le chemin du centre. Evidemment…
« Arrêtez, je suis sûr que
ce n’est pas par là qu’on est passé tout à l’heure ! »
C’est Bernard le ministre de la
Défense qui vient de parler. Les trois « éclaireurs », ministre de la
culture toujours en tête ont stoppé net. Ils étaient persuadés du bien-fondé de
leur choix et maintenant ils doutent. Il y en a plusieurs d’ailleurs qui
confirment qu’ils ne reconnaissent rien. La ministre de l’éducation est
catégorique.
« On n’est pas passé à côté
de ce rocher. Je l’aurai vu quand même ! »
« Et pourquoi tu l’aurais
vu, ce n’est qu’un rocher, il y en a d’autres des rochers…Moi je suis sûr qu’on
est passé ici. C’est logique quand même :
on ne fait que suivre le sentier du haut. »
Le silence est définitivement
rompu. Chacun y va de son souvenir, de sa certitude, et au bout de quelques
minutes il faut bien se rendre à l’évidence, il y a trois choix possibles et
personne n’est d’accord. Personne n’est d’accord et personne ne veut céder.
Chacun, évidemment, a toutes les bonnes raisons pour affirmer, avec des
arguments imparables que c’est son option qui est la bonne.
Le Ministre du budget demande un
peu de silence. Il évoque la disparition du premier ministre, et constate
froidement que tout cela était bien pensé, bien préparé par le président.
Le calme est revenu et peu à peu
tous les regards qui, le crépuscule aidant, deviennent de plus en plus inquiets
convergent vers le jeune secrétaire d’état aux sports. C’est quand même lui qui
a tiré tout à l’heure. Il était forcément au courant, il sait quelque chose, il
doit avoir une carte. Il a une carte, c’est certain, c’est évident il est le
« complice » du président ! D’ailleurs il ne dit rien, il est en
retrait, quelques mètres derrière. Comme pour se faire oublier.
Il n’en faut pas plus pour que la
ministre déléguée à la famille explose de colère
Plus exactement, cela commence
par ce qui ressemble à une colère, une vraie, tout y passe, tous y passent, puis
rapidement cela devient une vraie crise de nerfs. Elle finit par s’asseoir, sur
le bord du sentier, elle tremble, elle sanglote. Elle ne comprend pas, elle qui
connait le président depuis plus de trente ans, une vieille amitié… Elle se
sent trahi aujourd’hui. Le secrétaire d’état aux sports est toujours
silencieux. Ce qui est inquiétant c’est qu’il a l’air terriblement sûr de lui.
Certains diraient même qu’il a un petit sourire au coin des lèvres.
« Je connais le chemin, je
sais par où il faut passer. »
C’est tellement rare de
l’entendre parler. C’est vrai qu’il prend rarement la parole au conseil des
ministres, ou quand il le fait, généralement invité par le président personne
ne l’écoute. Ses sujets ne passionnent guère, et puis ce n’est pas un politique
lui… Il ne s’est jamais frotté au terrain / jamais candidat, jamais élu, jamais
battu…. Ses seules victoires il les a connues au tir à la carabine. D’ailleurs
beaucoup ne savent même pas d’où il vient exactement. Où le président est-il
allé le pêcher… Mystère…Chacun se souvient aujourd’hui de leur complicité,
petits clins d’œil, accolades un peu plus affectives que l’usage ne le permet.
En fait, pour dire vrai chacun a pris conscience qu’il n’y a jamais
d’hypocrisie dans ces gestes d’affection. Comme si leur lien était très fort.
Alors quand il a pris la parole,
personne n’a ni bougé, ni réagi. Chacun comprend qu’il ne ment pas et n’essaie
pas d’imposer un point de vue : oui il connait le chemin, cela ne fait pas
l’ombre d’un doute. Il connait très bien le président, intimement… Toutes les
circonstances sont désormais réunies : Il devient important, il suscite de
l’intérêt. Il connait le chemin.
Pendant ce temps, déjà à quelques
kilomètres, le président est entré dans ce que dans les contes pour enfant on
appellerait une chaumière. Une petite maison de chasse à dire vrai, une seule
pièce, elle sent le bois, humide, elle sent le renfermé. Au centre de la pièce,
une table sur laquelle sont posées deux couverts. La femme semble attendre.
Le président a refermé la porte,
il accroche sa veste au porte manteau sur lequel pend déjà une veste de chasse
en cuir vieilli. Il s’approche et se penche à peine, pour poser tendrement un
baiser sur le front de cette femme qui lui sourit doucement.
« Je t’attendais, je suis
heureuse que tu sois revenu. Je n’y croyais plus. J’étais sûr que tu m’aurais
oublié. Tu dois avoir faim, j’ai préparé à manger. »
L’unique pièce est enveloppée
d’une belle odeur de cuisine, pas de ces effluves qui font saliver, par
réflexe, non c’est plus qu’une odeur de cuisine. Ce qui se dégage du fourneau
qu’on distingue dans le fond de la pièce, mérite amplement le nom de parfum. Ce
qui envahit le président, ce sont les émotions, les souvenirs, il y a dans
cette petite pièce un concentré de vie, de cette vie qui lui a échappé depuis
si longtemps. La femme assise derrière la table penche un peu plus la tête en
arrière, sa gorge est tendue, la peau est blanche et fine, elle frémit à chaque
inspiration. Il est toujours debout derrière elle et se penche à son tour pour
poser un baiser. Elle frémit, elle sourit. Il n’est entré que depuis quelques
minutes et il se sent bien. Ils se regardent, leurs yeux brillent. Il se
sentent bien.
Ça y est ? C’est fait ?
Tu les as perdus tes brebis.
Ce sont les dernières paroles du
président, du moins ses dernières paroles avant qu’il ne reprenne son chemin
accompagné par une nuée d’oiseau. Tous les ministres sont restés immobiles, la
plupart déjà trop fatigués pour emboîter le pas au président qui s’est
engouffré dans l’épaisseur de la forêt. Ils sont immobiles, un peu tétanisés,
abasourdis par ce qui vient de se produire, par cet incroyable enchaînement
d’événements. Marie France, l’une des plus jeunes, ministre de la culture, est
la première à rompre le silence.
« Bon, qu’est-ce qu’on fait
maintenant, on ne va pas rester planter là, on va retourner sur nos pas et on
tombera forcément sur clairière où est garé le bus. »
Retourner sur leurs pas ? Evidemment,
tout le monde a ça en tête. Il faut le faire et si possible sans trop tarder. La
lumière se fait rare et s’orienter deviendra bientôt compliqué. Sans attendre,
le groupe se met en marche. Il ne faut pas attendre plus d’une centaine de
mètres pour que survienne le premier problème.
En effet, et personne n’y avait
prêté attention, lorsque le président, tout à l’heure, a choisi le « chemin
du haut » celui sur lequel ils se trouvent maintenant, il y avait aussi
deux autres sentiers qui y conduisaient, deux autres, l’un au-dessus et l’autre
légèrement en dessous. En fait ils se sont trouvés face à un échangeur, non pas
un nœud autoroutier, mais bien un carrefour pour les randonneurs. Et évidemment
trop concentrés à mettre un pied l’un devant l’autre, personne n’a pris la
peine de prendre le moindre repère. Il est même fort probable très peu d’entre
eux n’ont remarqué la présence des deux autres sentiers.
Ils se sont tous arrêtés. Mais
rapidement trois d’entre eux n’hésitent plus. Ils continuent ! Ils sont sûrs de leur choix pour ce qui semble
en toute logique la bonne direction : le chemin du centre. Evidemment…
« Arrêtez, je suis sûr que
ce n’est pas par là qu’on est passé tout à l’heure ! »
C’est Bernard le ministre de la
Défense qui vient de parler. Les trois « éclaireurs », ministre de la
culture toujours en tête ont stoppé net. Ils étaient persuadés du bien-fondé de
leur choix et maintenant ils doutent. Il y en a plusieurs d’ailleurs qui
confirment qu’ils ne reconnaissent rien. La ministre de l’éducation est catégorique.
« On n’est pas passé à côté
de ce rocher. Je l’aurai vu quand même ! »
« Et pourquoi tu l’aurais vu,
ce n’est qu’un rocher, il y en a d’autres des rochers…Moi je suis sûr qu’on est
passé ici. C’est logique quand même : on ne fait que suivre le sentier du haut. »
Le silence est définitivement rompu.
Chacun y va de son souvenir, de sa certitude, et au bout de quelques minutes il
faut bien se rendre à l’évidence, il y a trois choix possibles et personne
n’est d’accord. Personne n’est d’accord et personne ne veut céder. Chacun, évidemment,
a toutes les bonnes raisons pour affirmer, avec des arguments imparables que
c’est son option qui est la bonne.
Le Ministre du budget demande un
peu de silence. Il évoque la disparition du premier ministre, et constate froidement
que tout cela était bien pensé, bien préparé par le président.
Le calme est revenu et peu à peu
tous les regards qui, le crépuscule aidant, deviennent de plus en plus inquiets
convergent vers le jeune secrétaire d’état aux sports. C’est quand même lui qui
a tiré tout à l’heure. Il était forcément au courant, il sait quelque chose, il
doit avoir une carte. Il a une carte, c’est certain, c’est évident il est le
« complice » du président ! D’ailleurs il ne dit rien, il est en
retrait, quelques mètres derrière. Comme pour se faire oublier.
Il n’en faut pas plus pour que la
ministre déléguée à la famille explose de colère
Plus exactement, cela commence
par ce qui ressemble à une colère, une vraie, tout y passe, tous y passent,
puis rapidement cela devient une vraie crise de nerfs. Elle finit par
s’asseoir, sur le bord du sentier, elle tremble, elle sanglote. Elle ne
comprend pas, elle qui connait le président depuis plus de trente ans, une
vieille amitié… Elle se sent trahi aujourd’hui. Le secrétaire d’état aux sports
est toujours silencieux. Ce qui est inquiétant c’est qu’il a l’air terriblement
sûr de lui. Certains diraient même qu’il a un petit sourire au coin des lèvres.
« Je connais le chemin, je
sais par où il faut passer. »
Peu à peu, chacun ne se concentre
que sur la marche. On fait d’abord attention à soi. Il faut regarder où on met le pied. Le chemin
est devenu plus escarpé, avec des cailloux qui pointent. Il faut se protéger le
visage, et aussi veiller à ne pas mettre en danger les suivants. On prévient,
on met en garde, dans un murmure inhabituel : « attention au trou, à la
branche ». Le président se retourne souvent pour vérifier que tout le
monde suit. Il est le premier surpris en
constatant que le groupe est bien là, derrière lui, à mettre chaque pas dans
celui qui précède. Pas une parole pour déranger le bourdonnement de la forêt. Souvent
des chemins se croisent, mais le président est sûr de lui, sûr de ses choix, de
ses décisions. Lorsqu’il prend le chemin du haut, le plus haut, celui qui
grimpe, aucune remarque, aucun commentaire : on le suit, on lui fait
confiance. C’est difficile, certains ont le souffle court, mais ils suivent.
Ils marchent depuis une bonne heure, ici le temps ne s’écoule pas de la même
façon que dans les ministères ou à l’assemblée. Le président annonce qu’on va
prendre le temps d’une pause. Elle est bienvenue, surtout pour les plus âgés.
Le silence domine, un silence
pesant, lourd de toutes les interrogations qui pèsent encore. Mais curieusement
on ressent aussi une espèce d’apaisement. Le président comprend à cet instant
qu’il a pris totalement le contrôle. Il est le guide, leur point de repère.
Elle est vraiment épaisse cette
forêt. Les rares rayons de lumière sont ternes, avec un peu de poussière qui
plane. Le jacassement d’une pie les
surprend, on sent de la moquerie dans ce cri d’oiseau. Beaucoup ne connaissent
pas, ne connaissent plus ces sonorités alors ils se fabriquent de l’inquiétude.
Les premiers commencent à se lever quand la pie vient se poser sur l’épaule du
président. Il n’est pas surpris, on dirait qu’ils se connaissent, il a des
gestes tendres pour elle et chose rare pour cet oiseau un peu tapageur on
dirait qu’elle glousse, on dirait qu’elle a compris. Elle reprend son envol,
vite, très vite, et disparait. Elle a plongé en piqué, vers ce qui ressemble à
un bout ou à un bord de cette forêt. Elle a plongé, le président a souri. Tous
les regards l’ont suivi et quelques instants après, à peine, la voici qui
remonte : elle n’est plus seule. Le président est de plus en plus
rayonnant, avec elle dans les airs, et à terre dans la bruyère c’est toute une
ménagerie qui surgit sortie de derrière ce qui a été pour quelques instants
leur horizon… Ce sont les oiseaux qui sont les plus nombreux, de toutes
tailles, de toutes les couleurs, ils s’agitent plus qu’ils ne volent ; les
plus rapides, ceux qui ont suivi la pie entourent déjà le président qui tend
les mains : on dirait qu’ils le reconnaissent. Chacun s’est assis. Tous
sont fascinés par le spectacle, le président, leur président siffle, fabrique
de multiples bruits avec la bouche, avec les lèvres. Mais les oiseaux ne sont
pas venus seuls, surgis de partout, de trous dans la terre, d’autres chemins
que personne n’avait repéré c’est une véritable arche de Noé qui maintenant les
entoure. Un cerf s’est approché, à pas lent, du président, leurs regards se croisent.
Des lapins, un blaireau, des mulots, une
espèce de chat sauvage, et d’autres bestioles complètent ce troupeau
hétéroclite. Désormais le président rit. Il rit de bon cœur, il rit de bonheur.
« Mes amis je vous présente
ma famille, ma nouvelle famille, je vais les suivre, et je vais vous laisser vous
débrouiller. Vous verrez ce n’est pas compliqué, vous allez comprendre. Il y a
quelques mois fatigué, épuisé même, j’ai décidé, seul, de m’échapper et c’est
ici que je suis venu, cette forêt où grand-père m’emmenait. Je suis venu seul
sans prévenir celles et ceux qui m’auraient évidemment interdit l’escapade. Je
suis venu seul et je me suis perdu. C’était il y a trois mois souvenez-vous.
L’autocar a ralenti, il vient de
s’engager sur une petite route qui hésite entre le chemin vicinal et le sentier
forestier. La forêt qu’ils aperçoivent
par les vitres est épaisse, très épaisse même, la lumière ne passe pas.
L’autocar roule à très petite
allure encore une bonne vingtaine de minutes avant de stopper au milieu d’une
clairière. Le président saisit le micro.
Nous sommes arrivés mes amis, je
vous présente la clairière du poète, vous allez descendre tranquillement, vous
récupérerez les sacs de pique-nique dans les soutes du car, nous déjeunerons
ici et dans une heure, tout au plus, vous nous suivrez et nous nous enfoncerons
au cœur de la forêt.
Les sandwichs sont vite avalés,
certains ne prennent même pas le temps de s’asseoir, comme s’ils étaient pressés
d’en finir.
Le président passe vers tous ses
ministres, il glisse quelques mots à chacun. Ce qui frappe le plus à cet
instant ce sont les bruits de la forêt qui peu à peu envahissent l’espace, on n’entend
plus que cela. Le pique-nique a attiré les insectes, les bras commencent à
s’agiter, comme des moulinets pour les chasser. Mais ce qui domine c’est la
rumeur intérieure de la forêt, ce mélange un peu angoissant avec le bruit que
font les arbres, le moindre souffle agite les branches, les grands troncs
craquent. On entend aussi des cris d’oiseaux, ce ne sont pas des chants, mais
bien des cris, et des sons dont on ne sait d’où ils viennent ce qu’ils sont.
Le président explique que c’est
un endroit qu’il connait parfaitement. Enfant il est venu plusieurs fois et a
marché dans cette forêt, seul. A l’évocation de ce souvenir sa voix tremble un
peu, on ne saurait dire s’il s’agit d’émotion, ou de peur. Il a pris la tête,
avec le chauffeur, de la troupe encore un peu sous le choc de toutes ces
émotions. Leurs sens endormis,
anesthésiés par toutes les protections dont on les entoure se réveillent un à
un. Ils voient, ils entendent, ils sentent.
Le président n’est plus très
jeune mais son pas est rapide. Au début le chemin est large, on distingue même
des traces de pneus dans les ornières que les pluies de printemps ont creusées.
C’est rassurant, mais très rapidement le chemin devient plus étroit, plus
sombre surtout, les arbres sont de plus en plus proches, serrés comme une foule
qui observe une procession. Leurs branches se touchent de part et d’autre du
chemin, formant peu à peu comme un tunnel de verdure. Il faut parfois se
baisser, retenir les branches pour que celui qui suit ne la prenne en pleine
figure.
« Alors je le maintiens nous irons dans cette forêt et je vous perdrai … »
Le président tapote à nouveau sur
le micro : il va parler. Il s’éclaircit la voix. Ce sont les premiers mots
depuis le coup de feu, ils brisent le silence…
« Bien, tout cela est
embêtant. Je ne voulais pas changer de premier ministre, pas encore, pas tout
de suite, mais là convenons en tous, je ne vais plus trop avoir le choix. Mais
ce n’est pas le plus important, c’est dommage bien sûr ! Certains
trouveront même que c’est triste, que c’est grave, mais croyez-moi ce qui vient
de se passer n’est pas de nature à me faire changer d’avis. Et puis, après tout
soyez honnêtes, tout le monde détestait Pierre. Je vois bien dans vos regards que
personne ne le regrette. Vous le savez comme moi, en politique on apprend
tellement à lire dans le regard des autres que je peux vous dire, simplement en
vous observant, que la plupart d’entre vous sont déjà entrés dans le calcul, se
disant probablement : pourquoi pas moi ? Et maintenant je sais, je
suis absolument certain que personne ne parlera, que personne n’expliquera ce
qui s’est passé dans le huis clos de cet autocar. »
Certains, surtout dans le fond de
l’autocar, fidèles à leurs habitudes de groupies ont déjà oublié la tête qui a
roulé et dodelinent la leur à chaque phrase du président afin qu’il comprenne
bien que l’incident est clos, qu’ils sont à nouveau avec lui. Il y en a bien un
ou deux qui ont le regard effaré, mais le président les connait suffisamment
pour savoir sur quelles cordes il faudra appuyer.
Le président n’a pas lâché le
micro : il poursuit
Après cette interruption fâcheuse,
je reprends mon propos. Mes amis c’est simple j’en ai marre, je n’en peux plus.
Je n’en peux plus de ce que nous sommes. Je n’en peux plus de ce que nous
donnons à voir. Je n’en peux plus de ces grappes de conseillers qui nous
collent comme des mouches, qui ne sont là que pour servir leur propre intérêt. Je n’ai pas changé d’avis, je veux qu’on
redevienne des êtres humains, je veux que vous retrouviez le sens des émotions,
je veux que vous preniez seuls des décisions, sans conseil. Alors je le
maintiens nous irons dans cette forêt et je vous perdrai. Je veux que vous
sachiez pourquoi je veux que vous vous perdiez !
Le calme s’est installé dans
l’autocar, le président s’est assis, on dirait même qu’il s’est assoupi. C’est
le jeune secrétaire d’état, auteur du tir, qui a ramassé la tête, enfin ce qui
était autrefois une tête pour la glisser tranquillement dans un sac de sport.
Il a même trouvé de quoi nettoyer. Le corps décapité du premier ministre est
resté sur son siège.
La circulation est de plus en
plus fluide. Par petits groupes, les membres du gouvernement échangent,
certains ont revêtu avec les fameuses baskets des survêtements soigneusement pliés
dans les coffres à bagage. On entend même quelques plaisanteries, et
curieusement on ressent une espèce de sérénité. Le ministre de la Défense s’est
même endormi et son ronflement retentit jusqu’au fond du car.
Au fond du car justement, il y a
discussion, on essaie de comprendre, ce n’est pas tant la disparition du
locataire de Matignon qui semble perturber le petit groupe, que l’intention du
président.
Le premier Ministre a compris,
cette fois ci il n’y a plus aucun doute le président, son président est devenu
fou. Il faut qu’il fasse, qu’il tente quelque chose. Il est encore temps….
Il n’est pas très grand,
contrairement au président qui lui est un grand gaillard, mais il va le
ceinturer le forcer à s’asseoir calmement, reprendre le micro et mettre un
terme à cette mascarade. Il est encore possible d’arriver à temps pour la
séance des questions au gouvernement.
Les perdre dans la forêt, avec
leur petit sac de pique-nique et leurs baskets ! Non mais franchement on
se croirait dans une série parodique et délirante dont le seul objectif est de
se moquer toujours un peu plus de nos gouvernants !
Il a presque envie de rire
tellement la situation lui semble surréaliste : le président est encore
debout à expliquer en long, en large, et en travers, s qu’il va les perdre,
comme s’il s’agissait de tous ses petits-enfants… Grotesque…
Pierre, le premier ministre s’est
levé presque calmement, on dirait même qu’il y a de la tendresse dans son
geste, sa main tendue vers le président pour lui demander le micro. Il n’a pas
le temps d’ouvrir la bouche que sa tête éclate comme une pastèque.
Il vient de prendre une balle en
pleine tête….
La France n’a plus de premier
ministre. Il a perdu la tête.
Perdu n’est d’ailleurs pas le mot
approprié pour qualifier ce qui vient de se produire. La tête du premier
ministre, puisque c’est de cela dont il s’agit a littéralement éclaté. C’est le
jeune secrétaire d’état, exceptionnellement invité aujourd’hui qui a tiré. Jean
Marc Dourcet puisque c’est de lui dont il s’agit est à quelques mètres
seulement son arme toujours pointée, dans le cas, fort peu probable d’ailleurs,
où un courageux essaierait à son tour de maitriser le président.
Ce dernier tient toujours
fermement le micro la main, le coup de feu l’a interrompu et il semble
contrarié.
« C’est dommage pour Pierre,
c’était quelqu’un de bien. Mais vous le savez je n’aime pas trop être
interrompu quand je souhaite parler. Merci mon petit Jacques. Il faudrait
peut-être que je vous nomme premier ministre. Enfin on n’en est pas encore là »
Jean Marc, le secrétaire d’état
au sport est très calme. Il faut dire qu’il fait partie de ces personnalités de
la société civile que le président a souhaité intégrer dans son gouvernement.
C’est un ancien champion olympique de tir au pistolet. Le premier ministre n’était pas des plus
enthousiastes mais le président a insisté, mettant en avant les qualités de
concentration de cet homme.
Dans le fond de l’Autobus, les
potaches n’ont plus du tout mais alors plus du tout envie de plaisanter. Le
plus difficile est de comprendre, de mettre en place au plus vite tous les
mécanismes intellectuels pour analyser la situation. Tout est tellement
inattendu. En silence, chacun cherche, ces derniers jours, ces dernières
semaines ce qui a pu se passer, chacun essaie de se souvenir, un indice,
quelque chose qui leur permettrait de comprendre ce qui est en train de se
passer. Mais rien, c’est le néant pour chacun. Tous prennent conscience à cet
instant précis qu’ils ne prêtent aucune attention aux autres. Quand ils se
regardent c’est pour se surveiller, identifier un éventuel signe de faiblesse.
Tous à cet instant comprennent que ce qu’ils n’ont pas vu c’est à quel point le
président n’en pouvait plus, était épuisé. Par contre tous savent que le
président ne supportait plus son premier ministre, son arrogance, sa froideur,
son intelligence purement mécanique. Tous savent qu’il ne l’a pas choisi pour
ses qualités humaines, pour sa capacité à le compléter, à le réguler, non il
l’a choisi par calcul politique. Tous le savent mais personne ne le dit. Tout
est calcul.
Le président est devant à côté du
chauffeur, il a pris le micro, l’autocar démarre…
Le président, a le micro posé en bas
du menton, il est debout et tousse un peu. On ne saurait dire de quelle nature
est cette toux, et ce d’autant plus que le sourire de tout à l’heure a disparu.
Il jette un coup d’œil à sa petite troupe.
Ils sont tous là à attendre qu’il
veuille bien commencer. Tous, enfin, si on ne tient pas compte des cinq
ministres qui se sont encastrés au fond de l’autobus et qui sont complétement
entrés dans le jeu. En quelques minutes ils ont oublié le conseil des
ministres, la tension, ils sont au fond d’un autobus et ils chahutent. Ils
chahutent comme des adolescents, heureux de se retrouver dans l’intimité de ce
fond de car, ce fond objet de tous les fantasmes, objet de toutes les
convoitises. Combien de souvenirs de voyages scolaires ne se résument qu’à ce
combat gagné ou perdu, avec ses proches ou celles qu’on rêve d’effleurer, pour
gagner le fond du bus.
Evidemment le président les a
repérés, il sait qu’ils seront ses alliés, mais la limite entre le chahut et
l’impertinence est très légère.
Il tousse encore et réclame un
peu d’attention ;
« On m’écoute dans le fond
s’il vous plait… »
Et dans le fond, les ministres de
la justice, de l’industrie, de la santé, de l’outre-mer et des universités
pouffent comme de joyeux étudiants.
Le premier ministre, Pierre,
occupe un des deux sièges les plus proches du chauffeur. Il ne plaisante pas,
il ne sourit pas, et pour être complétement sincère il commence même à être
excédé. Contrairement à tous ses collègues, il n’a pas encore essayé les fameuses
paires de baskets, il y en a sur tous les sièges, on les examine, certains les
reniflent même, pour être certains qu’elles sont neuves, qu’elles n’ont jamais
été portées. Les pointures ont été disposées un peu au hasard, alors on se les
fait passer d’un siège à un autre, les escarpins encombrent l’allée centrale.
La ministre de l’économie les a enfilés et elle fait quelques pas, quelques-uns
sifflotent, d’autres rient. Finalement on a le sentiment que tout le monde est
détendu. Sauf le premier ministre bien entendu et le ministre chargé des
relations avec le parlement. Ces deux-là s’envoient des signes qui en disent
long sur le jugement qu’ils portent sur la situation
Le président s’est éclairci la
voix : il a même retrouvé le sourire
« Mes chers amis, je vous
dois désormais quelques explications. Maintenant que la plupart d’entre vous
semble avoir pris leur marque et surtout leur chaussures…. Il est temps que
vous compreniez ce qui se passe, ce qui est en train de se passer. L’autocar
vient de démarrer et nous allons nous rendre dans une forêt que je connais bien
et soyez très attentif : là-bas j’ai décidé de vous perdre… »
Même les dissipés du fond se sont
tus, la plupart pensent avoir mal entendu ou mal compris, mais le président
continue.
« Vous avez bien entendu,
vous êtes monté dans cet autocar, et nous allons dans deux heures environ nous
garer à un endroit un peu à l’écart de tout, vous prendrez votre petit sac de
pique-nique, nous marcherons ensemble pendant une trentaine de minutes, nous
nous enfoncerons au plus profond de cette forêt avec le chauffeur qui la
connait parfaitement, et là nous vous perdrons, je vous perdrai. Il arrivera un
moment où vous ne me verrez plus, j’ai repéré l’endroit, vous verrez c’est un
peu épais, très impressionnant et là vous serez perdu… »
Le premier Ministre a compris, cette fois ci il n’y a plus aucun doute le président, son président est devenu fou. Il faut qu’il fasse, qu’il tente quelque chose. Il est encore temps….