Il y a un an mon père qui m’a transmis l’amour de la mer nous quittait pour le long sommeil des absents. Je pense à lui aujourd’hui
Il a mis le pied sur le quai et
ce qu’il a tout de suite senti, très fort, c’est l’air. Il l’a senti sur sa
peau, il l’a senti entrer en lui, partout, par tous les pores. Alors il s’est
arrêté, et il a compris que la mer dans la ville, dans cette ville est partout.
L’air qu’on respire n’est pas le même, il est parfumé, avec juste cette
sensation d’humide qui ne glace pas le sang mais qui donne le sourire. Oui,
elle est là la différence, c’est dans l’air ! C’est un sourire qui
caresse, doux comme le premier chant d’oiseau à la fin de l’hiver, on ouvre la
fenêtre, on respire : la vie est partout et on sourit. Il n’est là que
depuis cinq minutes. Il ouvre les yeux, son cœur bat, très fort, les autres il
ne les voit plus. Il est sorti de la gare et il avance, il sent, il reconnaît
il comprend tous ces récits de la mer qui commencent là, au port. Les mouettes
d’abord, leurs cris ne sont pas beaux, mais leurs cris le bouleversent. Elles
l’appellent, elles le savent nouveau. Il avance. Tout est si beau : une
lumière de fin d’après-midi, un soleil déclinant qui laissent traîner quelques
couleurs ; la moindre pierre est étincelle, et les flaques d’eau
graisseuse belles comme des toiles de maître. Le port est encore loin mais il
le comprend déjà, il perçoit les cliquetis, cocktails de bruits symphoniques.
Les bruits, la lumière les odeurs qui racontent la vie qui les a faites. Il
voudrait courir pour être au plus vite au port, mais aussi prendre le temps,
entrer comme un navire, calme, glissant, apaisant, masse métallique qui se pose
le long du quai.
Les souvenirs touffus et la douce déraison des
enfances paysannes, en vain les chercherais-je en moi. Je n’ai jamais gratté la
terre ni quêté des nids, je n’ai pas herborisé ni lancé des pierres aux
oiseaux. Mais les livres ont été mes oiseaux et mes nids, mes bêtes
domestiques, mon étable et ma campagne ; la bibliothèque, c’était le monde pris
dans un miroir ; elle en avait l’épaisseur infinie, la variété,
l’imprévisibilité. Je me lançai dans d’incroyables aventures : il fallait
grimper sur les chaises, sur les tables, au risque de provoquer des avalanches
qui m’eussent enseveli. Les ouvrages du rayon supérieur restèrent longtemps
hors de ma portée ; d’autres, à peine je les avais découverts, me furent ôtés
des mains ; d’autres, encore, se cachaient : je les avais pris, j’en avais
commencé la lecture, je croyais les avoir remis en place, il fallait une
semaine pour les retrouver. Je fis d’horribles rencontres : j’ouvrais un album,
je tombais sur une planche en couleurs, des insectes hideux grouillaient sous
ma vue. Couché sur le tapis, j’entrepris d’arides voyages à travers Fontenelle,
Aristophane, Rabelais : les phrases me résistaient à la manière des choses ; il
fallait les observer, en faire le tour, feindre de m’éloigner et revenir
brusquement sur elles pour les surprendre hors de leur garde : la plupart du
temps, elles gardaient leur secret. J’étais La Pérouse, Magellan, Vasco de Gama
; je découvrais des indigènes étranges : «Héautontimorouménos» dans une
traduction de Térence en alexandrins, « idiosyncrasie » dans un ouvrage de
littérature comparée. Apocope, chiasme, Parangon, cent autres Cafres
impénétrables et distants surgissaient au détour d’une page et leur seule
apparition disloquait tout le paragraphe. Ces mots durs et noirs, je n’en ai
connu le sens que dix ou quinze ans plus tard et, même aujourd’hui, ils gardent
leur opacité : c’est l’humus de ma mémoire.
Lorsque j’ai décidé d’ouvrir une nouvelle rubrique en publiant de très vieux textes, la plupart ont plus de quarante ans j’ai été tout autant frappé par les maladresses et les envolées lyriques que par la « permanence » du style…
Il y a un an mon père s’est endormi pour le long sommeil des absents. Je pense à lui aujourd’hui… Je lui dois mon indéfectible amour de la mer
Il a mis le pied sur le quai et
ce qu’il a tout de suite senti, très fort, c’est l’air. Il l’a senti sur sa
peau, il l’a senti entrer en lui, partout, par tous les pores. Alors il s’est
arrêté, et il a compris que la mer dans la ville, dans cette ville est partout.
L’air qu’on respire n’est pas le même, il est parfumé, avec juste cette
sensation d’humide qui ne glace pas le sang mais qui donne le sourire. Oui,
elle est là la différence, c’est dans l’air ! C’est un sourire qui
caresse, doux comme le premier chant d’oiseau à la fin de l’hiver, on ouvre la
fenêtre, on respire : la vie est partout et on sourit. Il n’est là que
depuis cinq minutes. Il ouvre les yeux, son cœur bat, très fort, les autres il
ne les voit plus. Il est sorti de la gare et il avance, il sent, il reconnaît
il comprend tous ces récits de la mer qui commencent là, au port. Les mouettes
d’abord, leurs cris ne sont pas beaux, mais leurs cris le bouleversent. Elles
l’appellent, elles le savent nouveau. Il avance. Tout est si beau : une
lumière de fin d’après-midi, un soleil déclinant qui laissent traîner quelques
couleurs ; la moindre pierre est étincelle, et les flaques d’eau
graisseuse belles comme des toiles de maître. Le port est encore loin mais il
le comprend déjà, il perçoit les cliquetis, cocktails de bruits symphoniques.
Les bruits, la lumière les odeurs qui racontent la vie qui les a faites. Il
voudrait courir pour être au plus vite au port, mais aussi prendre le temps,
entrer comme un navire, calme, glissant, apaisant, masse métallique qui se pose
le long du quai.
Je range, je fouille, j’ouvre de vieux cahiers et tombe parfois sur des bouts, sur des essais, parfois maladroits, un peu emphatiques, mais je suis indulgent avec celui qui écrivait il y a quarante ans. Je cherche les traces, dans les mémoires du papier…
C’était une journée d’automne qui se terminait par petites flaques, sur le pavé gluant. Plus rien n’avait l’odeur du neuf. Dans chaque grain de poussière, dans chaque molécule de vie, un parfum de moisissure tirait des larmes aux passants du soir. Dans les yeux de ceux qui se croisaient, il y avait cette lueur de désespoir, si vraie, si dure, si fatidique, si irréversible. Comme si…
Comme si la destinée de chacun était contenue dans ce bruit, sourd et continu, bruit qui m’arrache encore des larmes tant il est dur de se sentir glisser sur des pentes où l’amour n’existe plus que par pointillés jaunâtres. Le ronflement de l’alentour produisait comme un halo de brouillard, mais il m’étouffait plus que n’importe quel autre, il m’étouffait en dedans, il me bouffait mon printemps qui à cette heure-ci n’était pourtant encore qu’inscrit en marge, en attente de frénésie, en attente d’irréel…
Je range, je fouille, j’ouvre de vieux cahiers et tombe parfois sur des bouts, sur des essais, parfois maladroits, un peu emphatiques, mais je suis indulgent avec celui qui écrivait il y a quarante ans. Je cherche les traces, dans les mémoires du papier…
C’était une journée d’automne qui se terminait par petites flaques, sur le pavé gluant. Plus rien n’avait l’odeur du neuf. Dans chaque grain de poussière, dans chaque molécule de vie, un parfum de moisissure tirait des larmes aux passants du soir. Dans les yeux de ceux qui se croisaient, il y avait cette lueur de désespoir, si vraie, si dure, si fatidique, si irréversible. Comme si…
Comme si la destinée de chacun était contenue dans ce bruit, sourd et continu, bruit qui m’arrache encore des larmes tant il est dur de se sentir glisser sur des pentes où l’amour n’existe plus que par pointillés jaunâtres. Le ronflement de l’alentour produisait comme un halo de brouillard, mais il m’étouffait plus que n’importe quel autre, il m’étouffait en dedans, il me bouffait mon printemps qui à cette heure-ci n’était pourtant encore qu’inscrit en marge, en attente de frénésie, en attente d’irréel…
Le 25 février 2005, j’ai écrit ce texte que je viens de retrouver et que je publie en deux parties.
L’air est glacial, coupant, comme
un rasoir neuf sur une peau juvénile. Il a laissé tourner le moteur de sa voiture,
encore quelques instants, pour s’emplir de cette chaleur aux senteurs
mécaniques, qui donne encore pour quelques instants l’illusion du bien-être. Lorsqu’il
est sorti, qu’il a claqué la portière, il a perçu comme un rétrécissement. Il est
encore plein de ces sensations « ouateuses » que laissent une nuit
sous une couette. Le train est annoncé dans un quart d’heure. Il attendra dans
le grand hall d’accueil. Il aime ses petits moments de presque rien, où on sent
chaque minute qui passe laisser sa trace grise dans la chair. Il est un habitué
du lieu, mais pas de cet horaire. Il est de ceux qui entrent dans le train,
avec des souliers vernis, les mains fines et l’air préoccupés. A cette heure,
ce sont surtout ceux qui travaillent dur, ce sont dont les mains racontent l’histoire
caleuse des chantiers. Dans la salle, ils sont six à lutter contre les courants
d’air. Sept avec la femme de ménage de la gare. Elle semble hors du temps, qui
passe et qu’il fait, absorbée par son entreprise de nettoyage. Elle est haute
comme trois pommes et sautille pour atteindre les vitres du guichet. Elle est
comme une mélodie virevoltante dans le silence glacial de l’aurore. Contre le
mur, tassés les uns contre les autres, quatre hommes, épaules larges, l’œil vif.
Ce sont des turcs, ils parlent entre eux doucement. Il ne semble pas souffrir
du froid, on dirait que toutes leurs forces, toute leur énergie est consacrée à
se donner une contenance sereine. Contre les fenêtres, un grand, bonnet vissé jusqu’aux
lunettes, d’une immobilité qui s’apparente à de la pétrification. On croirait
que le froid ne l’atteint pas , qu’il le contourne, qu’il hésite à le déranger
dans sa raideur matinale.
Pas une voix pour arrondir les
angles du froid. Seuls les regards se croisent : on se connait, mais
chaque matin on se découvre. Et dans ce simple petit matin de février, il y a
comme une éruption de solennel dans ce petit espace de ce rien de tous les
jours. Il est le seul à ne pas rester en place. Comme toujours, il cherche à
embrasser de tous ses sens ce qui l’entoure…
Je pioche de ci, de là dans ma mémoire, et je trouve parfois des traces, des bouts, des débuts livrés à eux mêmes, en voici un
C’était un soir graisseux, comme tant d’autres. Il était imprégné de cette odeur métallurgique, si prenante, si noble. Non, vous vous trompez, pas une odeur de saleté, pas de ces odeurs aigrelettes qui est la marque de ceux qui respirent par réflexe animal. C’est l’odeur noble du métal qu’on fond, Derrière ses yeux fatigués on sent la force de celui qui vit la matière comme un prolongement de sa douleur. Rien n’est plus beau dans notre mémoire sidérurgique que ces pas lourds ouvriers qui frappent le trottoir aux premières lueurs du jour. Rien n’est plus fort que ces rencontres au détour d’une aube blafarde avec les ceux qui font notre fierté.
Ces quelques mots écrits sur un cahier souvent ouvert à l’envers, je les retrouve ce soir, trente ans après et je souris. Je souris parce que les trottoirs sont propres, parce que les pas lourds ont disparu. J’ai l’impression d’avoir fermé définitivement Germinal…
Un vieux texte que j’ai envie de partager a nouveau ce soir…
Il a mis le pied sur le quai et
ce qu’il a tout de suite senti, très fort, c’est l’air. Il l’a senti sur sa
peau, il l’a senti entrer en lui, partout, par tous les pores. Alors il s’est
arrêté, et il a compris que la mer dans la ville, dans cette ville est partout.
L’air qu’on respire n’est pas le même, il est parfumé, avec juste cette
sensation d’humide qui ne glace pas le sang mais qui donne le sourire. Oui,
elle est là la différence, c’est dans l’air ! C’est un sourire qui
caresse, doux comme le premier chant d’oiseau à la fin de l’hiver, on ouvre la
fenêtre, on respire : la vie est partout et on sourit. Il n’est là que
depuis cinq minutes. Il ouvre les yeux, son cœur bat, très fort, les autres il
ne les voit plus. Il est sorti de la gare et il avance, il sent, il reconnaît
il comprend tous ces récits de la mer qui commencent là, au port. Les mouettes
d’abord, leurs cris ne sont pas beaux, mais leurs cris le bouleversent. Elles
l’appellent, elles le savent nouveau. Il avance. Tout est si beau : une
lumière de fin d’après-midi, un soleil déclinant qui laissent traîner quelques
couleurs ; la moindre pierre est étincelle, et les flaques d’eau
graisseuse belles comme des toiles de maître. Le port est encore loin mais il
le comprend déjà, il perçoit les cliquetis, cocktails de bruits symphoniques.
Les bruits, la lumière les odeurs qui racontent la vie qui les a faites. Il
voudrait courir pour être au plus vite au port, mais aussi prendre le temps,
entrer comme un navire, calme, glissant, apaisant, masse métallique qui se pose
le long du quai.
Je range, je fouille, j’ouvre de vieux cahiers et tombe parfois sur des bouts, sur des essais, parfois maladroits, un peu emphatiques, mais je suis indulgent avec celui qui écrivait il y a quarante ans. Je cherche les traces, dans les mémoires du papier…
C’était une journée d’automne qui se terminait par petites flaques, sur le pavé gluant. Plus rien n’avait l’odeur du neuf. Dans chaque grain de poussière, dans chaque molécule de vie, un parfum de moisissure tirait des larmes aux passants du soir. Dans les yeux de ceux qui se croisaient, il y avait cette lueur de désespoir, si vraie, si dure, si fatidique, si irréversible. Comme si…
Comme si la destinée de chacun était contenue dans ce bruit, sourd et continu, bruit qui m’arrache encore des larmes tant il est dur de se sentir glisser sur des pentes où l’amour n’existe plus que par pointillés jaunâtres. Le ronflement de l’alentour produisait comme un halo de brouillard, mais il m’étouffait plus que n’importe quel autre, il m’étouffait en dedans, il me bouffait mon printemps qui à cette heure-ci n’était pourtant encore qu’inscrit en marge, en attente de frénésie, en attente d’irréel…
J’ai supprimé le texte que j’avais écrit tout à l’heure, je le trouvais mauvais, très mauvais même…Ça arrive : tant pis, mais comme j’aimais beaucoup la photographie, prise ce matin même, je la laisse, seule, sans texte, et me dit que pour une fois elle se suffit à elle même, n’est ce pas ?
Le 25 février 2005, j’ai écrit ce texte que je viens de retrouver et que je publie en deux parties.
L’air est glacial, coupant, comme
un rasoir neuf sur une peau juvénile. Il a laissé tourner le moteur de sa voiture,
encore quelques instants, pour s’emplir de cette chaleur aux senteurs
mécaniques, qui donne encore pour quelques instants l’illusion du bien-être. Lorsqu’il
est sorti, qu’il a claqué la portière, il a perçu comme un rétrécissement. Il est
encore plein de ces sensations « ouateuses » que laissent une nuit
sous une couette. Le train est annoncé dans un quart d’heure. Il attendra dans
le grand hall d’accueil. Il aime ses petits moments de presque rien, où on sent
chaque minute qui passe laisser sa trace grise dans la chair. Il est un habitué
du lieu, mais pas de cet horaire. Il est de ceux qui entrent dans le train,
avec des souliers vernis, les mains fines et l’air préoccupés. A cette heure,
ce sont surtout ceux qui travaillent dur, ce sont dont les mains racontent l’histoire
caleuse des chantiers. Dans la salle, ils sont six à lutter contre les courants
d’air. Sept avec la femme de ménage de la gare. Elle semble hors du temps, qui
passe et qu’il fait, absorbée par son entreprise de nettoyage. Elle est haute
comme trois pommes et sautille pour atteindre les vitres du guichet. Elle est
comme une mélodie virevoltante dans le silence glacial de l’aurore. Contre le
mur, tassés les uns contre les autres, quatre hommes, épaules larges, l’œil vif.
Ce sont des turcs, ils parlent entre eux doucement. Il ne semble pas souffrir
du froid, on dirait que toutes leurs forces, toute leur énergie est consacrée à
se donner une contenance sereine. Contre les fenêtres, un grand, bonnet vissé jusqu’aux
lunettes, d’une immobilité qui s’apparente à de la pétrification. On croirait
que le froid ne l’atteint pas , qu’il le contourne, qu’il hésite à le déranger
dans sa raideur matinale.
Pas une voix pour arrondir les
angles du froid. Seuls les regards se croisent : on se connait, mais
chaque matin on se découvre. Et dans ce simple petit matin de février, il y a
comme une éruption de solennel dans ce petit espace de ce rien de tous les
jours. Il est le seul à ne pas rester en place. Comme toujours, il cherche à
embrasser de tous ses sens ce qui l’entoure…
La
pluie a cessé. Je sors. J’ai la sensation d’être en pointillé, d’émerger d’une
longue nuit. J’ai envie de rentrer chez moi, par le bus. J’aime les bus, je m’y
sens bien. Je trouve extraordinaire de pouvoir partager aussi intimement
quelques minutes de vie dans un si petit espace. Il y a une espèce de magie
dans ces moments où tout le monde s’essaye à la pensée mélancolique. On se
croirait dans un colloque du silence. Chacun s’efforce d’apporter sa
contribution à la construction de cette atmosphère. Personne ne semble avoir
conscience qu’il ne se contente que de se déplacer, d’aller d’un point à un
autre. Certains parlent, murmurent plutôt, et cela ne fait que rajouter à la
solennité de l’instant. Les bribes de phrases perçues plus qu’entendues se
rejoignent d’un bout à l’autre du véhicule et tissent une toile d’araignée à
laquelle les pensées de chacun s’accrochent. Lorsque tout est fini, lorsqu’il
faut quitter ce domaine clos, la sensation est bizarre. On se croirait
débarquant dans un port inconnu, l’air entre à pleins poumons, et l’on regrette
la rapidité du voyage.
Le
soleil est bas, il en est à ce niveau d’indécision que les encyclopédistes de
la littérature romantique appellent le crépuscule. Pour ma part, je vois une
lumière basse qui enveloppe le quartier dans une espèce de coton inconfortable.
C’est une sensation multidirectionnelle, et c’est peut‑être cela qui la rend si
digne. Quand une lumière est si présente, quand elle vous pénètre, quand elle
vous essouffle, quand elle se subtilise à votre ouïe, qu’elle calfeutre les
regards et donne aux mots qui sortent des bouches des goûts exotiques, alors,
il est temps de se nouer la gorge, il est temps d’y croire à cette fameuse
grandeur crépusculaire.
J’arrive
chez moi un peu après souper. Le retard, comme d’ailleurs tout ce qui émane de
ma personne, ne pourra être qu’universitaire. Il aura le privilège d’être
affranchi et anobli avant d’avoir pu se transformer en insouciance ou
incorrection. Sur la table de la cuisine un couvert m’attend avec fierté. Ce
repas que je prends seul me donne de l’importance, m’installe officiellement
dans le statut de celui qui est trop occupé pour s’attarder à de basses considérations
horaires. Je regarde autour de moi, tout semble être mis en place pour rimer
avec simplicité et honnêteté.
Il est, en poésie, mon maître absolu, cet Everest que je regarde avec respect et fascination….Eh Basta est un de ces textes qui me mettent la chair de poule….
Je ne vais tout de même pas te raconter comment et pourquoi j’écris des chansons, non ? C’est comme ça ! Ma main sur le clavier de mon piano est reliée à un fil et ça marche. Je suis « dicté ». J’ai un magnétophone dans le désespoir qui me ronge et qui tourne et qui tourne et qui n’arrête pas. Alors je copie cette voix qui m’arrive de là-bas, je ne sais, qui m’arrive, en tout cas, et je la reconnais chaque fois. ça fait comme un déclic et ça se déclenche. Je suis le porte-parole d’un monde perdu, présent pour moi, d’un monde auquel vous n’avez pas entrée parce que si tu y entres, dans ce monde, tu perds pied et deviens inédit. Ton foie, tes poumons, ton sexe, tout ça est à toi. Ta tête, non. Si tu es fou, alors viens dans mes bras. Je t’aime.
Photo prise au musée des phares et balise au phare le Creac’h
Jean-Pierre Abraham 1936-2003 a déjà publié « le vent » lorsqu’il suit la formation de gardien de 1960 à 1962. Il est nommé chef de phare à Ar-Men réputé comme un des phares les plus dangereux. Il y exerce pendant trois ans le double métier de gardien et d’écrivain. Il y écrit Armen un magnifique récit autobiographique…
Je pars demain pour une semaine, sur l’Ile d’Ouessant. J’y ferai le plein d’air, de vents, d’embruns, de sensations salées , d’images tourmentées…Mon blog sera donc à marée basse, pour une petite semaine. Et à mon retour plein de nouveautés, à publier…..
Je suis dans
ma chambre, à ma petite table devant la fenêtre. Je trace des mots avec ma
plume trempée dans l’encre rouge… je vois bien qu’ils ne sont pas pareils aux
vrais mots des livres… ils sont comme déformés, comme un peu infirmes… En
voici un tout vacillant, mal assuré, je dois le placer… ici peut-être… non,
là… mais je me demande… j’ai dû me tromper… il n’a pas l’air de bien
s’accorder avec les autres, ces mots qui vivent ailleurs.., j’ai été les
chercher loin de chez moi et je les ai ramenés ici, mais je ne sais pas ce qui
est bon pour eux, je ne connais pas leurs habitudes…
Les mots de chez moi, des mots solides que je connais bien, que j’ai disposés,
ici et là, parmi ces étrangers, ont un air gauche, emprunté, un peu ridicule…
on dirait des gens transportés dans un pays inconnu, dans une société dont ils
n’ont pas appris les usages, ils ne savent pas comment se comporter, ils ne
savent plus très bien qui ils sont…
Et moi je suis comme eux, je me suis égarée, j’erre dans des lieux que je n’ai
jamais habités… je ne connais pas du tout ce pâle jeune homme aux boucles
blondes, allongé près d’une fenêtre d’où il voit les montagnes du Caucase… Il
tousse et du sang apparaît sur le mouchoir qu’il porte à ses lèvres… Il ne
pourra pas survivre aux premiers souffles du printemps… Je n’ai jamais été
proche un seul instant de cette princesse géorgienne coiffée d’une toque de
velours rouge d’où flotte un long voile blanc… Elle est enlevée par un
djiguite sanglé dans sa tunique noire… une cartouchière bombe chaque côté de
sa poitrine…je m’efforce de les rattraper quand ils s’enfuient sur un
coursier… « fougueux »… je lance sur lui ce mot… un mot qui me paraît
avoir un drôle d’aspect, un peu inquiétant, mais tant pis… ils fuient à
travers les gorges, les défilés, portés par un coursier fougueux… ils murmurent
des serments d’amour.., c’est cela qu’il leur faut… elle se serre contre
lui… Sous son voile blanc ses cheveux noirs flottent jusqu’à sa taille de
guêpe…
Je ne me sens pas très bien auprès d’eux, ils m’intimident.., mais ça ne fait
rien, je dois les accueillir le mieux que je peux, c’est ici qu’ils doivent
vivre.., dans un roman… dans mon roman, j’en écris un, moi aussi, et il faut
que je reste ici avec eux… avec ce jeune homme qui mourra au printemps, avec
la princesse enlevée par le djiguite… et encore avec cette vieille sorcière
aux mèches grises pendantes, aux doigts crochus, assise auprès du feu, qui leur
prédit… et d’autres encore qui se présentent…
Je me tends vers eux… je m’efforce avec mes faibles mots hésitants de
m’approcher d’eux plus près, tout près, de les tâter, de les manier… Mais ils
sont rigides et lisses, glacés… on dirait qu’ils ont été découpés dans des
feuilles de métal clinquant… j’ai beau essayer, il n’y a rien à faire, ils
restent toujours pareils, leurs surfaces glissantes miroitent, scintillent…
ils sont comme ensorcelés.
À moi aussi un sort a été jeté, je suis envoûtée, je suis enfermée ici avec
eux, dans ce roman, il m’est impossible d’en sortir…
Et voilà que ces paroles magiques… « Avant de se mettre à écrire un roman, il
faut apprendre l’orthographe » … rompent le charme et me délivrent.
J’aime les mots mais je suis aussi un incorrigible maniaque des chiffres et des statistiques. Je sais c’est un peu absurde mais bon je l’assume. En tout merci à toutes et tous
Le premier Ministre a compris,
cette fois ci il n’y a plus aucun doute le président, son président est devenu
fou. Il faut qu’il fasse, qu’il tente quelque chose. Il est encore temps….
Il n’est pas très grand,
contrairement au président qui lui est un grand gaillard, mais il va le
ceinturer le forcer à s’asseoir calmement, reprendre le micro et mettre un
terme à cette mascarade. Il est encore possible d’arriver à temps pour la
séance des questions au gouvernement.
Les perdre dans la forêt, avec
leur petit sac de pique-nique et leurs baskets ! Non mais franchement on
se croirait dans une série parodique et délirante dont le seul objectif est de
se moquer toujours un peu plus de nos gouvernants !
Il a presque envie de rire
tellement la situation lui semble surréaliste : le président est encore
debout à expliquer en long, en large, et en travers, s qu’il va les perdre,
comme s’il s’agissait de tous ses petits-enfants… Grotesque…
Pierre, le premier ministre s’est
levé presque calmement, on dirait même qu’il y a de la tendresse dans son
geste, sa main tendue vers le président pour lui demander le micro. Il n’a pas
le temps d’ouvrir la bouche que sa tête éclate comme une pastèque.
Il vient de prendre une balle en
pleine tête….
La France n’a plus de premier
ministre. Il a perdu la tête.
Perdu n’est d’ailleurs pas le mot
approprié pour qualifier ce qui vient de se produire. La tête du premier
ministre, puisque c’est de cela dont il s’agit a littéralement éclaté. C’est le
jeune secrétaire d’état, exceptionnellement invité aujourd’hui qui a tiré. Jean
Marc Dourcet puisque c’est de lui dont il s’agit est à quelques mètres
seulement son arme toujours pointée, dans le cas, fort peu probable d’ailleurs,
où un courageux essaierait à son tour de maitriser le président.
Ce dernier tient toujours
fermement le micro la main, le coup de feu l’a interrompu et il semble
contrarié.
« C’est dommage pour Pierre,
c’était quelqu’un de bien. Mais vous le savez je n’aime pas trop être
interrompu quand je souhaite parler. Merci mon petit Jacques. Il faudrait
peut-être que je vous nomme premier ministre. Enfin on n’en est pas encore là »
Jean Marc, le secrétaire d’état
au sport est très calme. Il faut dire qu’il fait partie de ces personnalités de
la société civile que le président a souhaité intégrer dans son gouvernement.
C’est un ancien champion olympique de tir au pistolet. Le premier ministre n’était pas des plus
enthousiastes mais le président a insisté, mettant en avant les qualités de
concentration de cet homme.
Dans le fond de l’Autobus, les
potaches n’ont plus du tout mais alors plus du tout envie de plaisanter. Le
plus difficile est de comprendre, de mettre en place au plus vite tous les
mécanismes intellectuels pour analyser la situation. Tout est tellement
inattendu. En silence, chacun cherche, ces derniers jours, ces dernières
semaines ce qui a pu se passer, chacun essaie de se souvenir, un indice,
quelque chose qui leur permettrait de comprendre ce qui est en train de se
passer. Mais rien, c’est le néant pour chacun. Tous prennent conscience à cet
instant précis qu’ils ne prêtent aucune attention aux autres. Quand ils se
regardent c’est pour se surveiller, identifier un éventuel signe de faiblesse.
Tous à cet instant comprennent que ce qu’ils n’ont pas vu c’est à quel point le
président n’en pouvait plus, était épuisé. Par contre tous savent que le
président ne supportait plus son premier ministre, son arrogance, sa froideur,
son intelligence purement mécanique. Tous savent qu’il ne l’a pas choisi pour
ses qualités humaines, pour sa capacité à le compléter, à le réguler, non il
l’a choisi par calcul politique. Tous le savent mais personne ne le dit. Tout
est calcul.
Un petit rappel : mon texte « les couleurs ont disparu » publié sur ce blog il y a quelques temps est encore en compétition sur pour le grand prix du court, automne 2019. Il est classé aujourd’hui autour de la cinquantième place…Il est encore possible si vous le souhaitez, de voter pour lui en vous rendant sur le site :
J’ai franchi aujourd’hui le cap des 250 abonnés à mon blog. Ravi que » les mots d’Eric » plaise, suscite des commentaires…Ravi aussi de decouvrir d’autres passionnés de déguster leurs friandises littéraires. Le but que je recherchais était bien de partager mon plaisir des mots, de la poésie, de l’écriture. Peu à peu je me détache totalement de Facebook où comme le disait Camus le réflexe a remplacé la réflexion et où la méchanceté se prend pour de l’intelligence…
Dans le compartiment, il y a cette odeur, unique, qui s’accroche aux vêtements. Une odeur de voyages, trop courts, pour que la sueur soit absorbée par les souvenirs touristiques. Une odeur de vitre propre, de soupirs fatigués, une odeur de vie qui est à la peine, pour s’approcher de ce dont on rêve quand on est la tête contre la vitre. On ressent les vibrations, et puis il y a l’humidité de l’haleine qui fait comme un voile. Le voyage contre la vitre peut commencer, les yeux qui se ferment et le skaï devient cuir sauvage. Les néons ferroviaires sont des reflets de lune sur l’eau, pas un son, pas une voix qui ne troublent le rien d’un songe qui cherche son issue. Comme une musique, comme une mélodie. Et le couple d’en face, si vieux, si bons, qui posent leurs yeux sur la main de l’autre, pour signifier leur amour. Ils sont si beaux, si vrais, avec des souvenirs en réserve, pour chaque aiguillage, des regards croisés. Le front fait corps contre la vitre, les vibrations se font plus douces, le couple est comme un bouquet. Plus loin des jeunes filles rient, elles sont heureuses, heureuses de leurs sens, de ce qu’elles disent, de ce qu’elles montrent aux regards des peureux du bonheur. Elles batifolent, de mots en mots, d’histoires banales en tranches de vie. Et leurs rires nous réchauffent dans ce temps qui ne fait que passer.
Dans quelques jours, ou semaine, je vais publier un nouveau texte, un dialogue entre la norme et la beauté… Ces deux images pour bien montrer que si écrire c’est de l’expression, littéralement faire sortir de…., c’est aussi du travail, beaucoup de travail , entre le premier jet, et le résultat. En ce qui me concerne le papier est toujours là, j »écris, je réécris, je rature, je complète, j’utilise les couleurs. Bref écrire c’est du travail….
Les souvenirs touffus et la douce déraison des
enfances paysannes, en vain les chercherais-je en moi. Je n’ai jamais gratté la
terre ni quêté des nids, je n’ai pas herborisé ni lancé des pierres aux
oiseaux. Mais les livres ont été mes oiseaux et mes nids, mes bêtes
domestiques, mon étable et ma campagne ; la bibliothèque, c’était le monde pris
dans un miroir ; elle en avait l’épaisseur infinie, la variété,
l’imprévisibilité. Je me lançai dans d’incroyables aventures : il fallait
grimper sur les chaises, sur les tables, au risque de provoquer des avalanches
qui m’eussent enseveli. Les ouvrages du rayon supérieur restèrent longtemps
hors de ma portée ; d’autres, à peine je les avais découverts, me furent ôtés
des mains ; d’autres, encore, se cachaient : je les avais pris, j’en avais
commencé la lecture, je croyais les avoir remis en place, il fallait une
semaine pour les retrouver. Je fis d’horribles rencontres : j’ouvrais un album,
je tombais sur une planche en couleurs, des insectes hideux grouillaient sous
ma vue. Couché sur le tapis, j’entrepris d’arides voyages à travers Fontenelle,
Aristophane, Rabelais : les phrases me résistaient à la manière des choses ; il
fallait les observer, en faire le tour, feindre de m’éloigner et revenir
brusquement sur elles pour les surprendre hors de leur garde : la plupart du
temps, elles gardaient leur secret. J’étais La Pérouse, Magellan, Vasco de Gama
; je découvrais des indigènes étranges : «Héautontimorouménos» dans une
traduction de Térence en alexandrins, « idiosyncrasie » dans un ouvrage de
littérature comparée. Apocope, chiasme, Parangon, cent autres Cafres
impénétrables et distants surgissaient au détour d’une page et leur seule
apparition disloquait tout le paragraphe. Ces mots durs et noirs, je n’en ai
connu le sens que dix ou quinze ans plus tard et, même aujourd’hui, ils gardent
leur opacité : c’est l’humus de ma mémoire.
Et bien je dois dire que j’ai été surpris lorsque j’ai appris par une notification que j’avais écrit 100 articles sur mon blog. En moins de trois mois, je suis assez satisfait…Et je dois dire que j’éprouve beaucoup de plaisir tous les jours, à m’interroger sur ce que je vais publier, inédit, textes anciens ( parfois très anciens). Et beaucoup de plaisirs à lire les textes d’autres blogueurs, à lire les commentaires encourageants . Bon allez faut que je réfléchisse au 102 ème article…
Il y a quelques années, un peu après la disparition de notre chien « Patouf » j’ai écrit une nouvelle, un peu originale. J’ai écrit comme un chien…. Une forme d’hommage au personnage attachant, dont vous découvrez le portrait ci-dessous …
Je suis sensé être bête, être une bête. Vous allez me lire et je sais déjà, ce que vous allez dire, si vous n’êtes pas l’un d’eux. Voilà ce que vous allez dire avec un petit sourire amusé ( un petit sourire carnassier, tiens tiens.. ) : « encore un petit écrivain qui cherche à se rendre intéressant en usant de vieilles ficelles juste bonnes à endormir les enfants. »
J’imagine déjà les titres : un petit écrivain en mal de succès invente un nouveau style littéraire : l’écriture canine : une écriture naïve, stupide, pataude et surtout vous serez mauvais, méchant. Comment peut-on oser parler de littérature quand on lit ce texte maladroit, poussif, comme s’il avait été, péniblement écrit, par un petit enfant ? Bien sûr on cherchera l’auteur, puisque je l’aurai signé de mon nom de mon vrai nom : Patouf ! Un livre signé Patouf, mais de qui se moque-t-on ?
Mais non, là je rêve, je fantasme, si on cherche l’auteur c’est qu’on le lira, et si un jour on le lit c’est que j’aurai réussi à l’écrire jusqu’au bout et à faire en sorte que quelqu’un le lise et se pose la question.
Je sais aussi ce qu’il faut croire, ce qu’on peut croire, ce qu’il est impossible de croire et ce qu’on aimerait bien croire. Je sais que les hommes croient que l’un d’entre eux, un jour, est né comme cela, sans que sa mère ne sente, un sexe entrer en elle. C’est pour cela qu’on l’appelle la vierge… Je ris, intérieurement, parce que si je ris un peu fort on va croire que j’aboie, et ça ne se fait pas d’aboyer sans raison apparente !
Comment je sais tout cela, comment je le sais ? C’est lui qui me l’a dit, c’est lui, c’est eux. Eux ils n’étaient pas pareils, je pense que si un jour ils découvrent ce que j’ai écrit ils ne seront peut-être même pas étonnés, ils liront, et ils diront : « tiens Patouf, a écrit, il nous a écrit ». Oh bien sûr il y en d’autres qui leur diront qu’ils sont dingues, qu’ils sont complètement allumés, que ce n’est même pas drôle » ; tant pis je sais qu’ils y croiront, alors je continue, ce n’est pas facile, franchement vous ne pouvez pas savoir, mais je le fais, j’expliquerai plus tard comment je m’y prends.
Bref,
voilà ça c’était l’introduction, ou le début, le préambule quoi, histoire
d’expliquer que ce texte est et sera un peu spécial.
J’ai décidé d’ouvrir une nouvelle rubrique en publiant de très vieux textes, la plupart ont plus de quarante ans. Au milieu des maladresses et des envolées lyriques on retrouve le style…
Amis blogueurs je me permets de republier cet article ce soir. En effet je ne m’attendais pas à recueillir tant de voix sur le site Short-Edition où ma nouvelle est en compétition. Elle est désormais classée 39 ème et je vous invite à vous rendre sur le site et à voter. Si le coeur vous en dit bien sûr !
…C’est
un voilier qui hésite encore entre la voile d’hier, faite de bois et de cordes
qui sentent la paille et la voile de demain faite de matériaux lisses, et de
cordages qui sentent le plastic. C’est un bateau qui hésite, entre deux, il a
du gris dans les rares couleurs que le soleil lui a laissé, un gris qui parle
des marées, un gris qui parle des pluies d’hiver qui déchire le bleu de la mer.
A bord sur le pont, encombré de tous ces objets qui parlent vrai tant ils sont
usés, un homme se déplace lentement. Chaque chose qu’il touche semble le
remercier. Il n’est pas comme les autres, il semble déjà un peu plus loin, son
regard ne se disperse pas, son regard est à ce qu’il fait. Les autres, ceux
qui virevoltent sur des bateaux de
catalogue ont les yeux absents, on ne les devine même pas derrière des verres
de marques ou se reflètent des couleurs qui n’existent que pour les touristes
canonisés. Sur le pont, l’homme sans
lunettes se prépare pour le départ. Arrivé hier soir, sans bruit, il a cherché
un mouillage éloigné des autres pour ne rien dire, pour ne pas parler d’où il vient, pour ne pas utiliser de mots qui n’ont pas de
sens pour lui. Les autres, lorsqu’ils
sont au port aiment à raconter, se raconter, l’homme au navire sans âge n’est
pas de ceux-là. Il ne se mêle pas à la vie du port. Il ne les méprise pas, il
lui arrive même parfois de les écouter, de s’emplir de leurs rires pour s’en
faire une couverture, douillette pour la nuit. Il ne les méprise pas, mais il
n’aime pas qu’on pose de questions, il n’aime pas qu’on cherche à savoir. Son
histoire ne doit intéresser personne, il ne le veut pas. Il se souvient,
lorsqu’il est parti, il a mis le cap vers le nord, avec le vent de face.
C’était un vent coupant et lui serrait les dents, pour ne pas faiblir, pour ne
pas se poser de questions. Il était parti un matin tout simplement et quand il
avait posé la main sur la barre en sortant du port de Concarneau, il savait
qu’il ne parlerait plus, il avait tant à faire, tant à se dire à l’intérieur…
La brume a des remords de fleuve Et d’étang Les oiseaux nagent dans du mauve Les mots de ma plume se sauvent Me laissant Avec des phrases qui ne parlent Que de tourments Vienne le temps des amours neuves La brume a des remords de fleuve Et d’étangJe ne suis jamais qu’un enfant Tu le sais bien, toi que j’attends Tu le sais puisque tu m’attends Dans une dominante bleue Où le mauve fait ce qu’il peut La page blanche se noircit Laissant parfois une éclaircie Une lisière dans la marge Où passe comme un vent du largeLa brume a des remords de fleuve Et de pluie Les chansons naissent dans la frime Et les dictionnaires de rimes S’y ennuient Mes phrases meurent sur tes lèvres Mais la nuit Elles renaissent…
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Et rythmés lents sous les rutilements du jour, Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres, Fermentent les rousseurs amères de l’amour !
…Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes Et les ressacs et les courants : je sais le soir, L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes, Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !
J’ai proposé plusieurs textes : nouvelles, micro-nouvelles, poésies au site Short-Edition, en voici un qui vient d’être accepté par le comité des lecteurs et qui participera au grand concours de l’été 2019, au delà de la possibilité de voter… je vous recommande vivement ce site pour le sérieux et la qualité de sa production.
…La lumière est plus
basse, les premiers nuages naissent, ils se forment. On sent des trous de
fraîcheurs qui s’installent au-dessus des têtes. Des oiseaux effrayés
s’éparpillent sans réfléchir. Puis les
nuages n’enflent plus, ne s’élèvent plus. Ils ont éliminés l’horizon. Ils s’étirent,
s’étalent. Plus rien ne les empêche de se rassembler aux quatre coins,
là où le regard peut se poser.
Au sol, il y a ce noir qui tombe par plaques lourdes de ce
sombre qui repousse les derniers éclats d’un soleil qui en a trop fait
aujourd’hui.
En quelques heures, la
chaleur est oubliée. L’angoisse monte. Une angoisse emplie des respirations qui
se retiennent. C’est la crainte de ceux qui ont peur, de ceux qui ont appris
l’orage comme une colère, comme une punition. Ils attendent. Ils regrettent les
brûlures du soleil qu’ils maudissaient après déjeuner. Ils auraient pu
patienter, supporter.
Vu d’en haut, c’est
comme une étendue de silence, on dirait une mer d’huile qui se prépare aux
déchaînements. Il y a des yeux qui cherchent le premier éclair, le signe du
départ, du début. Les portes se ferment, les rideaux se tirent, les lèvres se
pincent, les mâchoires se crispent. C’est la peur qui déroule, qui enfle…
Il y a un an mon père qui m’a transmis l’amour de la mer nous quittait pour le long sommeil des absents. Je pense à lui aujourd’hui
Il a mis le pied sur le quai et
ce qu’il a tout de suite senti, très fort, c’est l’air. Il l’a senti sur sa
peau, il l’a senti entrer en lui, partout, par tous les pores. Alors il s’est
arrêté, et il a compris que la mer dans la ville, dans cette ville est partout.
L’air qu’on respire n’est pas le même, il est parfumé, avec juste cette
sensation d’humide qui ne glace pas le sang mais qui donne le sourire. Oui,
elle est là la différence, c’est dans l’air ! C’est un sourire qui
caresse, doux comme le premier chant d’oiseau à la fin de l’hiver, on ouvre la
fenêtre, on respire : la vie est partout et on sourit. Il n’est là que
depuis cinq minutes. Il ouvre les yeux, son cœur bat, très fort, les autres il
ne les voit plus. Il est sorti de la gare et il avance, il sent, il reconnaît
il comprend tous ces récits de la mer qui commencent là, au port. Les mouettes
d’abord, leurs cris ne sont pas beaux, mais leurs cris le bouleversent. Elles
l’appellent, elles le savent nouveau. Il avance. Tout est si beau : une
lumière de fin d’après-midi, un soleil déclinant qui laissent traîner quelques
couleurs ; la moindre pierre est étincelle, et les flaques d’eau
graisseuse belles comme des toiles de maître. Le port est encore loin mais il
le comprend déjà, il perçoit les cliquetis, cocktails de bruits symphoniques.
Les bruits, la lumière les odeurs qui racontent la vie qui les a faites. Il
voudrait courir pour être au plus vite au port, mais aussi prendre le temps,
entrer comme un navire, calme, glissant, apaisant, masse métallique qui se pose
le long du quai.
En arrivant ce matin sur le quai
de la gare, j’ai perçu un petit quelque chose de bizarre, d’anormal. D’abord
une sensation physique : je respire… Oui c’est cela : c’est dans
l’air ! La respiration est un vrai
bonheur, subtil mélange de fraîcheurs et d’odeurs d’herbe coupée. Je me suis
dit que dans le fond de l’air il y avait certainement un petit peu de
bonheur, un tout petit peu. Alors j’ai
souri, parce que le bonheur c’est pour fabriquer du sourire, sinon ce n’est qu’une escroquerie de plus.
Je souris et – c’est bien cela
que j’ai ressenti comme inhabituel – la première personne que j’ai croisée, une
habituée comme moi, souriait aussi, d’abord seule, pour elle, comme moi, et
puis j’ai bien vu qu’elle me souriait. Elle qui tous les jours serrent les
dents pour ne pas risquer d’être obligé de répondre à mon regard, aujourd’hui
elle me sourit. Incroyable ! Je me dis que c’est un hasard, un heureux
hasard, que ce matin, enfin, elle est contente, peut-être même heureuse. Elle
est contente de cette journée qui s’ouvre, contente de ce qu’elle est, de ce qu’elle
fait. Tout simplement contente de vivre. Mais, je reste sur l’hypothèse du
hasard.
Quand j’arrive sur le quai je me
dis que le hasard a beau bien faire les choses, là c’est quand même beaucoup,
j’ai même pensé à un tournage : peut-être un film publicitaire sur le bonheur
de prendre le train ou la joie d’aller travailler. Mais non je me trompe, je
connais toutes ces silhouettes, je les croise tous les jours, certaines depuis
des années. Et là, tout le monde sourit, il y en même qui parle, et mieux
encore qui se parlent. Je n’en peux plus, ma joie déborde. Je vais enfin
pouvoir dire bonjour à toutes ces compagnies du matin sans qu’elles ne se
sentent agressées.
« Bonjour, bonjour, bonjour » !
Je suis comme un rossignol, je sautille
sur le quai, je suis empli d’un incroyable bonheur ferroviaire. Sur le quai
d’en face il semble que ce soit pareil. Je m’emballe, je me dis que je vais
enfin pouvoir parler avec cette jeune fille qui tous les matins, depuis trois
ans attend au même endroit, qui monte
avec moi dans le même compartiment qui descend dans la même gare. Je vais lui parler, tout simplement, elle va me répondre : je le sens, je le sais, je le veux.
Je m’approche d’elle, d’abord un
bonjour, puis un sourire, puis deux, ma bouche s’ouvre pour lui proposer une de
ces insignifiances qui ce matin seront de vraies perles à conserver pour ce
petit bonheur matinal qui nous a surpris en plein réveil. « Je, je
…. »
Et soudain, la terrible voix féminine
de la SNCF, terrible voix si belle, si chaude si sensuelle, cette voix qui fige
tout le monde sur le quai : « que va-t-elle annoncer, ce matin :
encore du retard, une annulation, peut-être ? »
« Votre attention s’il vous
plait : en raison de la réutilisation tardive d’un triste matériel, le
bonheur que vous respirez depuis ce matin, aura une durée indéterminée, nous
vous tiendrons informé de l’évolution de la situation : en cas de
difficulté à poursuivre votre voyage vers la morosité ferroviaire,
veuillez-vous adresser aux agents les plus tristes sur le quai »
J’ai baissé la tête, avalé mon
sourire et comme tous les matins j’ai regardé le cadran de ma montre.