
A Limoges il n’y a rien qui rappelle la mer, alors Marcel est allé dans la plus grande librairie et il a tout acheté. Tout ce qui posait des mots sur la mer, sur les vents sur l’océan, sur les bateaux, petits, grands, à voiles, à moteur. Il s’est plongé dans les dictionnaires, a avalé des centaines de pages, pour s’emplir le cerveau de ce vocabulaire ou les mots assemblés forment comme une nouvelle langue. Il a joué avec poupes et proues avec drisses et focs et à chaque découverte se sentait plus proche du matin ou il partirait. Même le calcul des courants l’a passionné, il s’est procuré de vieux fascicules achetés chez un antiquaire où les pages sont pleines de ces flèches qui grossissent avec les marées et qui se mettent soudain à danser sur le papier pour fabriquer un tourbillon. Il a rêvé à feuilleter les catalogues de navire, de toutes sortes. Au lycée alors que les autres parlent de l’équipe de basket de Limoges lui s’enflamme à décrire le dernier cargo sorti des chantiers naval de Saint Nazaire. Les autres le regardent AVEC un sourire qui en dit long sur ce qu’ils pensent de son état mental. Il passe le bac sans passion, pour l’avoir, pour être de l’autre côté de la rive. Passer le bac pour traverser, il aime cette image que ses copains ne comprennent pas parce qu’ils ne s’intéressent qu’aux voitures, aux motos, véhicules au métal triste qui ne raconte rien quand il est immobile. Marcel explique qu’une voiture, quand il y a du vent elle ne grince pas, alors qu’un bateau, n’est jamais vide, n’est jamais sans vie, il est toujours dans le frémissement. Le bac en poche, Marcel a pris le train, il ira chercher du travail sur un bateau n’importe lequel. Il est arrivé à La Rochelle, en début d’après-midi, très vite s’est approché du port et là il a demandé comment faire pour monter sur un bateau, on a cru qu’il voulait visiter, mais il a répondu qu’il n’était pas touriste. Il voulait vivre sur un bateau. A côté de lui un homme au regard plissé lui a donné le nom d’un navire et de son capitaine : c’est un cargo, il doit partira du port de La Palisse le lendemain pour l’Afrique, pour charger du bois exotique. Il manque des matelots, il peut tenter sa chance. Ils se sourient, ils se comprennent.