Mes Everest : « la tristesse », LĆ©o FerrĆ©…

La Tristesse a jetĆ© ses feux rue d’ Amsterdam
Dans les yeux d’une fille accrochĆ©e aux pavĆ©s
Les gens qui s’en allaient dans ce Paris de flamme
Ne la regardaient plus, elle s’Ć©tait pavĆ©e
La Tristesse a changĆ© d’hĆ“tel et vit en face
Et la rue renversƩe dans ses yeux du malheur
Ne sait plus par quel bout se prendre et puis se casse
Au bout du boulevard comme un delta majeur

La Tristesse…

C’est un chat Ć©tendu comme un drap sur la route
C’est ce vieux qui s’en va doucement se casser
C’est la peur de t’ entendre aux frontiĆØres du doute
C’est la mĆ©lancolie qu’a pris quelques annĆ©es
C’est le chant du silence empruntĆ© Ć  l’automne
C’est les feuilles chaussant leurs lunettes d’hiver
C’est un chagrin passĆ© qui prend le tĆ©lĆ©phone
C’est une flaque d’eau qui se prend pour la mer

La Tristesse…

La Tristesse a passƩ la main et court encore
On la voit quelquefois traƮner dans le quartier
Ou prendre ses quartiers de joie dans le drugstore
Où meurent des idées découpées en quartiers
La Tristesse a planquƩ tes yeux dans les Ʃtoiles
Et te mêle au silence étoilé des années
Dont le regard lumière est voilé de ces voiles
Dont tu t’en vas drapant ton destin constellĆ©

La Tristesse…

C’est cet enfant perdu au bout de mes caresses
C’est le sang de la terre avortĆ© cette nuit
C’est le bruit de mes pas quand marche ta dĆ©tresse
Et c’est l’imaginaire au coin de la folie
C’est ta gorge en allĆ©e de ce foulard de soie
C’est un soleil bĆ¢tard bon pour les rayons  » X « 
C’est la pension pour Un dans un caveau pour trois
C’est un espoir perdu qui se cherche un prĆ©fixe

Le dĆ©sespoir…

Ne regarde pas comme les autres…

Ne regarde pas comme les autres.

Les autres…N’écoute pas ce qu’ils te disent, sors de leur route toute tracĆ©e, choisis ton chemin. Et si on te rĆ©pond que ce n’est pas possible d’entendre la mer lorsque tu es dans la forĆŖt, ne dis rien, ferme les yeux et plains les, eux, qui n’entendent pas les arbres qui s’essaient au bruit des vagues. S’ils te disent que c’est ton imagination qui te joue des tours, rĆ©ponds-leur que leur imagination est en panne, fatiguĆ©e, dis-leur que c’est quand on ne veut pas voir ce qui est vrai, quand on ne veut pas entendre le bruit des vagues qui secouent les crĆŖtes des sapins qu’on est trompĆ© par son obsession du rĆ©el convenu.

Cette imagination-lĆ  n’est pas la tienne, tu n’en veux pas de ces artifices pour enfant naĆÆf qui fabriquent du magique pour empĆŖcher d’aller ailleurs, de choisir d’autres chemins, tu n’en veux pas de cette mythologie prĆ©fabriquĆ©e qui fabrique des rĆŖves Ć  la chaĆ®ne, des rĆŖves qui sont toujours les mĆŖmes, depuis longtemps, et pour tout le monde. Tu dois leur dire que les arbres tu les vois comme des arbres et pas comme de vieilles femmes aux doigts crochus ou tout autres monstres qu’on veut entrer de force dans les tĆŖtes pour que les peurs soient identiques.

Tu ne dois pas ĆŖtre comme les autres. Les arbres tu dois les voir arbres et la mer que tu entends quand ils bougent dans le vent tu dois dire que c’est la mer. Tu ne dois pas dire : ils font comme la mer, c’est comme la mer, j’ai l’impression d’entendre la mer. Tu ne dois pas dire cela parce que c’est injuste de le dire, c’est injuste pour les arbres d’abord, et puis pour la mer surtout, c’est comme si tu disais que la mer n’existe pas, qu’elle est ailleurs, plus loin, toujours plus loin, qu’elle n’appartient qu’à ceux qui prĆ©tendent qu’ils l’ont vue, qu’ils l’ont entendue avec leurs mots Ć  eux, avec les mots qui ont Ć©tĆ© fabriquĆ©s par d’autres pour dire que la mer existe, ici, et pas ailleurs…

Toi tu dois dire que la mer existe ici, dans ces forĆŖts d’altitude, tu dois dire qu’elle est lĆ , derriĆØre ce vent, comme une mĆ©moire……

Matinales…

Sur les ocres feuilles du lent automne

J’Ć©cris sans rires ni rimes

Une belle et longue plainte

Les mots que je trempe dans une encre de mauve pluie

Glissent sous les lourds pas de ma veuve plume

Depuis l’envol du bel et bleu Ć©tĆ©

18 novembre

Mes Everest, Nathalie Sarraute

Je suis dans ma chambre, Ć  ma petite table devant la fenĆŖtre. Je trace des mots avec ma plume trempĆ©e dans l’encre rouge… je vois bien qu’ils ne sont pas pareils aux vrais mots des livres… ils sont comme dĆ©formĆ©s, comme un peu infirmes… En voici un tout vacillant, mal assurĆ©, je dois le placer… ici peut-ĆŖtre… non, là… mais je me demande… j’ai dĆ» me tromper… il n’a pas l’air de bien s’accorder avec les autres, ces mots qui vivent ailleurs.., j’ai Ć©tĆ© les chercher loin de chez moi et je les ai ramenĆ©s ici, mais je ne sais pas ce qui est bon pour eux, je ne connais pas leurs habitudes…
Les mots de chez moi, des mots solides que je connais bien, que j’ai disposĆ©s, ici et lĆ , parmi ces Ć©trangers, ont un air gauche, empruntĆ©, un peu ridicule… on dirait des gens transportĆ©s dans un pays inconnu, dans une sociĆ©tĆ© dont ils n’ont pas appris les usages, ils ne savent pas comment se comporter, ils ne savent plus trĆØs bien qui ils sont…
Et moi je suis comme eux, je me suis Ć©garĆ©e, j’erre dans des lieux que je n’ai jamais habitĆ©s… je ne connais pas du tout ce pĆ¢le jeune homme aux boucles blondes, allongĆ© prĆØs d’une fenĆŖtre d’où il voit les montagnes du Caucase… Il tousse et du sang apparaĆ®t sur le mouchoir qu’il porte Ć  ses lĆØvres… Il ne pourra pas survivre aux premiers souffles du printemps… Je n’ai jamais Ć©tĆ© proche un seul instant de cette princesse gĆ©orgienne coiffĆ©e d’une toque de velours rouge d’où flotte un long voile blanc… Elle est enlevĆ©e par un djiguite sanglĆ© dans sa tunique noire… une cartouchiĆØre bombe chaque cĆ“tĆ© de sa poitrine…je m’efforce de les rattraper quand ils s’enfuient sur un coursier… Ā« fougueux »… je lance sur lui ce mot… un mot qui me paraĆ®t avoir un drĆ“le d’aspect, un peu inquiĆ©tant, mais tant pis… ils fuient Ć  travers les gorges, les dĆ©filĆ©s, portĆ©s par un coursier fougueux… ils murmurent des serments d’amour.., c’est cela qu’il leur faut… elle se serre contre lui… Sous son voile blanc ses cheveux noirs flottent jusqu’à sa taille de guĆŖpe…
Je ne me sens pas trĆØs bien auprĆØs d’eux, ils m’intimident.., mais Ƨa ne fait rien, je dois les accueillir le mieux que je peux, c’est ici qu’ils doivent vivre.., dans un roman… dans mon roman, j’en Ć©cris un, moi aussi, et il faut que je reste ici avec eux… avec ce jeune homme qui mourra au printemps, avec la princesse enlevĆ©e par le djiguite… et encore avec cette vieille sorciĆØre aux mĆØches grises pendantes, aux doigts crochus, assise auprĆØs du feu, qui leur prĆ©dit… et d’autres encore qui se prĆ©sentent…
Je me tends vers eux… je m’efforce avec mes faibles mots hĆ©sitants de m’approcher d’eux plus prĆØs, tout prĆØs, de les tĆ¢ter, de les manier… Mais ils sont rigides et lisses, glacĆ©s… on dirait qu’ils ont Ć©tĆ© dĆ©coupĆ©s dans des feuilles de mĆ©tal clinquant… j’ai beau essayer, il n’y a rien Ć  faire, ils restent toujours pareils, leurs surfaces glissantes miroitent, scintillent… ils sont comme ensorcelĆ©s.
ƀ moi aussi un sort a Ć©tĆ© jetĆ©, je suis envoĆ»tĆ©e, je suis enfermĆ©e ici avec eux, dans ce roman, il m’est impossible d’en sortir…
Et voilĆ  que ces paroles magiques… Ā« Avant de se mettre Ć  Ć©crire un roman, il faut apprendre l’orthographe Ā» … rompent le charme et me dĆ©livrent.

Extrait de « l’enfance »

Flash…

Parfois Ć  l’angle d’un jour sans relief

Il y a une belle histoire qui s’échappe

Des griffes des tristes charognards

Ils n’ont pas eu le temps de souffler leur venin

Ils n’ont pas eu le temps d’abĆ®mer la belle fossette

D’un sourire matin

Ils sont trop occupƩs Ơ enfiler des perles de haine

Qu’ils offriront aux oreilles dociles

Belle histoire s’est Ć©chappĆ©e

Regarde, Ecoute petit homme

Elle est accrochƩe

Elle frissonne sur le fil d’un prochain baiser

28 novembre

MĆ©moires…

Entends le mot Ć  mot

Du vieux mur de pierres

Ɖcoute cette histoire d’hier

Ɖcoute ces chants du lĆØve tĆ“t

Avance et ne dis rien

Ne sĆØche plus tes larmes

Ton rire vit le dernier drame

Tout est fini il ne sera plus demain

Matinales

J’ai lu la derniĆØre page de ta mĆ©moire gravĆ©e
Au recto de ta longue vie
Tant de fois racontƩe
Je vois un champ de rires
Au rose si lƩger
Une Ć  une
Les fleurs de papier se sont envolƩes
Au verso quelques lignes ont noirci
Et pleurent en glissant
Tes derniers mots aux rimes inachevƩes

Trois fois rien…

Trois fois rien

Me dites-vous ?

Oui trois fois rien,

Et c’est tout !

Cela suffit pour mon peu de bonheur…

Non vous dis-je !

Ce n’est pas assez,

Vous le regretterez…

Oh non, rien de plus,

Je vous en prie !

Pas de rose,

Plus de mauves,

Laissez les bleus en paix.

Je n’ai besoin que de terres grises

Pour écrire mes rêves bariolés.

Reflets… InĆ©dit

Nez en l’air Ć  rĆŖver

Tu as posƩ le pied

Dans une flaque de nuit

La ville au gris ƩclaboussƩ

Te sourit de ses mille larmes

Aux flammes du soir brillant

Le matin s’est levĆ©…

Sur l’eau, quelques rides de lumiĆØres,

Le matin lĆ©ger s’étire sur le fleuve.

Au loin la rumeur de la ville,

Comme un bruit qui s’éveille.

On s’étire, le silence se respire.

Il fait frais, on sourit.

Le jour se lĆØve.

C’est beau,

La nuit s’est retirĆ©e,

DiscrĆØtement, le port l’a avalĆ©e.

Le soleil est lĆ , on le sent.

On l’entend.

Chaque couleur s’est prĆ©parĆ©e,

Dans le matin lƩger,

Ses ailes lissƩes le fleuve a dƩployƩ.

Mes Everest, Paul Verlaine…

Ariettes oubliĆ©es…3

II pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville:
Quelle est cette langueur
Qui pĆ©nĆØtre mon cœur?

Ɣ bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits!
Pour un cœur qui s’ennuie Ɣ le chant de la pluie!

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’Ć©cœure.
Quoi! nulle trahison?…
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine!

Flash…

Je gratte le fond de ma boƮte Ơ mƩmoire

Je tombe sur une flaque de flou

Un bout de brume

Un cargo ridƩ de rouille

Un reste de vent du large

C’est si beau c’est si bon

Le long flux du fil perdu

26 novembre

Matinales…

Ils ont rƩglƩ leur rƩveil chagrin

A l’heure du regard matin

Jour de plus

Jour de rien

Dans les sombres arriĆØres salles

D’un monde si vieux

Qu’il pleure toutes les larmes mauves

De son corps affaibli

J’entends la bruine de mille pluies

Ils ont rƩglƩ leur rƩveil matin

A l’heure des regards chagrins

Mes Everest, Paul Verlaine…

Ariettes oubliƩes, 2

Je devine, Ć  travers un murmure.
Le contour subtil des voix anciennes
Et dans les lueurs musiciennes.
Amour pâle, une aurore future!

Et mon Ć¢me et mon cœur en dĆ©lires
Ne sont plus qu’une espĆØce d’œil double
Où tremblote à travers un jour trouble
L*ariette. hƩlas! de toutes lyres!

O mourir de cette mort seulette

Que s’en vont, — cher amour qui t’Ć©peures.

BalanƧant jeunes et vieilles heures!

O mourir de cette escarpolette!

Flash…

Dans les presque nuits mauves

L’oeil flou de l’espoir de paix

Il n’est plus possible d’attendre

Les heures graves ont empli mon rĆŖve

Goutte Ơ goutte les larmes de silence ont sƩchƩ

Matinale venteuse…

Vent de novembre rƩveille matin docile

Aux quatre coins du ciel des nuages s’Ć©tirent

Regarde-les gonfler de plaisir

Regarde-les s’emplir d’un flot de rires

Voiles légères gonflent et se courbent

Ne riez pas Ɣ maris secouĆ©s

Les hommes de terre redoutent la tempĆŖte

Mes Everest : Paul Verlaine…

Ariettes oubliƩes : 1

C’est l’extase langoureuse.
C’est la fatigue amoureuse,
C’est tous les frissons des bois
Parmi l’Ć©treinte des brises,
C’est, vers les ramures grises,
Le chœur des petites voix.

Ɣ le frĆŖle et frais murmure!
Cela gazouille et susurre,
Cela ressemble au cri doux
Que l’herbe agitĆ©e expire…
Tu dirais, sous l’eau qui vire.
Le roulis sourd des cailloux.

Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante
C’est la nĆ“tre, n’est-ce pas?
La mienne, dis, et la tienne.
Dont s’exhale l’humble antienne
Par ce tiĆØde c soir, tout bas?

Flash…

Le chemin le plus court qui conduit Ơ la poƩsie ?

Je ne sais pas

Pour ma part c’est au choix

Je flotte entre les courbes de deux mots

Je bondis entre vers et rime

Je saute

Je sursaute

Je colle l’oreille au dos doux d’une feuille de papier

J’entends un vague clapotis

A moins que ce ne soit un cliquetis

Je caresse les longues jambes de mots longs qui s’affaissent

Un point endormi soudain se lĆØve

L’heure est venue mon bel ami

De conjuguer tes principes passƩs

A tous les temps dƩcomposƩs

MĆ©moires…

Je me souviens, c’était il y a quarante deux ans. Quarante ans, une vie qui s’ajoute, des vies qu’on ajoute… Et les traces, toutes ces traces, celles que l’on suit, celles que l’on laisse. Je les aime ces traces, les marques du passĆ©. On croit qu’on oublie et puis…Et puis on se croise sur le chemin des souvenirs posĆ©s, on se surprend, le cœur bat, il est le mĆŖme. Il est là… C’est lui l’homme, le jeune homme que j’étais, je suis le mĆŖme. Je devine les mots, mes mots, eux aussi sont les mĆŖmes, lĆ©gers, prĆŖts pour l’envol. Regarde je les attrape, ils attendaient, lĆ , tout la haut, dans le ciel, entre mauves et solitudes…

Barre d’Etel

Barre d’Etel,Ā  aoĆ»t 2016

FatiguĆ©e d’une si longue marĆ©e,

Tout doucement la mer s’est assoupie.

Entre les bras de la terre elle s’est endormie.

Lente et longue,

EtirƩe reposƩe,

Dans la chair de la cƓte,

Elle est entrƩe.

Regarde  les gris qui se rencontrent

Le ciel est bas, il s’approche

Pour les entendre s’aimer.

Entre ciel et mer,

La terre s’est apaisĆ©e.

Entre terre et mer,

Le ciel a gonflƩ ses voiles de brume.

Et dans la lumiĆØre qui sombre

Engloutie par cette  fin d’aprĆØs midi

Sans un bruit, sur la rive ourlƩe

D’un sable qui crisse

Ecoute leurs pas qui glissent.

Ɖcoute-les, ils se sont aimĆ©s.

Matinales…

La nuit est entrƩe dans un dernier soupir

La lente agonie des noirceurs aux angles mous

RĆ©veille les absents enfouis dans les draps humides de l’oubli

Il ne nous reste plus qu’Ć  ouvrir les yeux

Pour aimer la ronde des belles couleurs

24 novembre

Perdre le nord…

Perdre le nord…

Le problĆØme avec celles et ceux dont on dit avec pitiĆ©, condescendance, ou inquiĆ©tude qu’ils ont perdu le nord c’est qu’Ć  ma connaissance, ils ne le savent pas et surtout on ne le leur dit pas.
S’ils le savaient peut-ĆŖtre le chercheraient-ils, ou mieux, peut-ĆŖtre essaieraient-ils de le retrouver ou plus tĆ“t de le trouver. Car retrouver quelque chose cela signifie que ce n’est pas la premiĆØre fois ni qu’on le trouve, ni qu’on l’a perdu. Cela signifie donc qu’ils l’ont dĆ©jĆ  perdu (au moins une fois) puis retrouvĆ© et donc qu’ils savent sinon où il est tout au moins où le chercher…
Mais vous conviendrez avec moi que si on sait où il faut chercher ce qu’on a perdu, c’est qu’on ne l’a pas vraiment perdu.
Et lorsqu’on est perdu l’essentiel est de se retrouver (surtout si on sait pas vraiment ni où on est, voire mĆŖme où on habite ) et comment le faire si on est dĆ©sorientĆ©, si on a perdu la boussole….Tout cela, il faut en convenir est bien compliquĆ© et une fois encore j’ai peur de vous perdre, voire de vous avoir dĆ©jĆ  perdu. Et vous perdre cela je ne le voudrai pas, car j’ai mis quand mĆŖme un peu de temps Ć  vous trouver, que je voudrais bien vous garder, Ć  moins que vous ne considĆ©riez, peut-ĆŖtre, que je suis complĆ©tement Ć  l’ouest…

Seule et triste…

Elle est figƩe, blanche et fragile,

Contre le mur de carreaux blancs et sales.

En bas des escaliers poisseux d’une station de mĆ©tro,

Elle n’attend pas, elle est lĆ .

Triste et digne, son regard bleu est ƩpuisƩ.

Elle a faim, elle est seule, femme oubliĆ©e ;

Raide de honte, elle ne dit rien,

Immobile dans le concert des pressƩs.

Je ne peux continuer, il faut que je lui offre

Deux mots peut-ĆŖtre, un regard surtout

Tout faire pour l’exister.

Elle est une mère oubliée.

Les talons claquent, tout s’accĆ©lĆØre.  

C’est le fracas d’une rame, odeur humide, grincements mĆ©talliques,

Une grappe est sortie, une autre s’est engouffrĆ©e ;

Et elle,  est restĆ©e

Seule et apeurƩe.

Tout doucement je me suis approchƩe,

Lui ai pris les deux mains, les ai serrƩes

Ses yeux se sont baissƩs,

Elle ne peut me regarder

Elle n’ose  plus exister.

Tout doucement contre moi je l’ai serrĆ©e,  

Tout doucement elle a pleurĆ©.  

Mes Everest : Albertine Sarrazin

Chaque page de la TraversiĆØre renferme des trĆ©sors. Le talent de Albertine Sarrazin est inouĆÆ et me laisse sans voix… Dans ce passage Albertine Ć©voque son arrivĆ©e Ć  AlĆØs.

…Ma ville Ć  moi est dĆ©serte, les rues sont mouillĆ©es, le nĆ©on zigzague dans les flaques du caniveau : une ville de mines dĆ©funtes dont le poussier colle encore aux maisons, avec par-ci par lĆ  des poussĆ©es de bĆ©ton, des grappes de vitrines jeunes, des vendeurs de bouquets, des adolescents agglutinĆ©s autour d’une mobylette ; une ville qui recommence sur une province morte.

Il y a parfois un oiseau dans ma tĆŖte…

Il y a parfois un oiseau dans ma tĆŖte,

Un oiseau aux mille couleurs qui Ʃtouffent le gris de mes yeux,

Un oiseau qui plane au-dessus des plaines de ma mƩmoire.

Au matin levant, il frƩmit des ailes.

Les perles de rosƩe glissent sur la plume dorƩe,

Tout doucement la nuit s’est effacĆ©e.

L’oiseau dans ma tĆŖte a chantĆ©.

Il est l’heure de rĆ©veiller les couleurs.

Au bout de mes yeux la lumiĆØre s’est Ć©tirĆ©e.

Au bord de mes yeux quelques larmes de beautƩ.

C’est un matin sans saison, le froid ne pique pas

Il est une caresse souriante qui imite la douce fraicheur.

Ce matin j’ai un oiseau dans la tĆŖte,

Tout doucement de la plume de mes mains

Des mots se sont envolƩs.

Flash…

Et si l’on ne se disait rien
Se croiser et se sourire
Se parler et se souvenir
Et si l’on se disait tout
Se rencontrer et s’étonner
Se sĆ©duire et s’aimer
Et si l’on se disait demain
Se rĆŖver et se promettre
S’espĆ©rer et s’oublier
Souffrir dans un souffle
Seul et perdu
Dans la foule des absents

A l’ouest de vos mĆ©moires encombrĆ©es…

Pointe de Pern

Ici, un bout de ce monde habitƩ,

Terre dƩchiquetƩe,

Vagues emmêlées,

Hommes de l’intĆ©rieur

Retournez vous !

A l’ouest de vos mĆ©moires encombrĆ©es,

Il y a le vent.

Vent qui souffle sur vos nuques.

Vent qui s’engouffre

Derrière vos yeux étonnés.

Avancez encore un peu,

Tendez votre oreille

Entendez son chant,

Il vous murmure

Toutes ces histoires oubliƩes

Demain…

Il reste si peu de temps

Pour ne plus rien dire

Pour ne plus mentir

Pour Ʃtouffer les cris du pire

Et on se tiendra par un bout de rien

On soufflera des mots doux au vent chagrin

On prendra le premier verre du bon voisin

On sifflera la lente mƩlodie du doux demain

Ouvre les yeux homme courbƩ

Ouvre les yeux le monde s’est figĆ©

Il atteint l’agonie de la pleine marĆ©e

Regarde la derniĆØre vague de haine s’est affaissĆ©

20 novembre

Flash…

Entre les lourdes plaques des silences imposƩs

Se glisse une feuille froissƩe au vent des murmures

Entends le chant de la mer

Il roule des vagues malines

Sur les rives englouties

De nos rides enfouies

Flash…

Chaque jour passe lisse et long

FidĆØles nous t’attendons

Ɣ pleine mer des longs frissons

Viens il est l’heure

Entre mes bras oublie tes vieilles peurs

Oui viens Ć“ mer de mes passions

Je te prends d’une vague main

Et tu entres dans la danse touffue

De nos rondes brumes

Aux Ʃcumes joufflues

Matinales…

J’ai posĆ© le pied sur une terre inconnue

Les rires sont longs

Les peurs sont blanches

Les aubes grises ouvrent un oeil mauve

C’est le chant bleu

De mon soleil heureux

La ronde des bonnes nouvelles

« Epidémie de mauvais foi : un vaccin est annoncé !

Ce journal est un de mes prĆ©fĆ©rĆ©s, il ne paraĆ®t que trĆØs peuĀ : rarement plus d’une fois par semaine. Il faut dire que sa ligne Ć©ditoriale est originale. En effet, on peut lire en premiĆØre page, sous le titre, en petit caractĆØreĀ : « journal ironique et sarcastique Ć  la parution sporadiqueĀ Ā». Et justement le titre de ce journal en dit long sur l’esprit de la rĆ©dactionĀ : Ā« On dit, j’écris, tu lisĀ Ā». Nous conviendrons que le titre n’est pas accrocheur mais ce n’est justement pas l’intention de la rĆ©daction que d’accrocher. Bref un journal que j’aime et le titre de ce soir m’intrigue.

L’Agence Nationale de Lutte Contre les Contradictions annonce la mise sur le marchĆ© d’ici quelques jours d’un vaccin qui devrait sans nul doute ralentir considĆ©rablement l’épidĆ©mie de mauvais foi qui sĆ©vit depuis de nombreuses annĆ©es et qui ces derniĆØres semaines a pris des proportions alarmantes. Ā Ce sont chaque jour des centaines de milliers de cas qui sont dĆ©pistĆ©s. Rappelons briĆØvement les symptĆ“mesĀ : tout commence gĆ©nĆ©ralement par une manifestation d’indignation, qui amĆØne les malades Ć  rĆ©pĆ©ter inlassablementĀ : « c’est scandaleux, il faudrait, il aurait falluĀ Ā». Les plus gravement atteints ajoutent parfoisĀ : « on aurait dû ». PassĆ© ce premier stade que les spĆ©cialistes prĆ©sentent comme celui de l’incubation, suit une longue pĆ©riode de lĆ©thargie, de bougonnerie, que certains appellent la phase du rĆ¢lage passif.

Le troisiĆØme stade apparaĆ®t quand une solution a Ć©tĆ© trouvĆ©e au problĆØme qui a provoquĆ© la maladie. Il est le plus critiqueĀ : c’est cette phase qu’on appelle celle de la mauvaise foi. Les malades grognent encore mais cette fois cela se traduit par des : « c’est n’importe quoi, on ne devrait pas, il ne fallait pas, je ne le ferai pasĀ Ā». Et quand le mĆ©decin explique au malade qu’ils sont atteints de mauvaise foi, ceux-ci rĆ©pondent Ć©videmment que ce n’est pas possible, qu’ils n’ont jamais changĆ© d’avis, que de toute faƧon ils ont raison et que rien ne va mais qu’il ne faut rien changer. Bref Ć  ce stade tout le monde comprendra que la situation est dĆ©sespĆ©rĆ©e.

Mais aujourd’hui bonne nouvelle l’ANLCC a mis au point un vaccin. Ce vaccin est trĆØs simple, il s’agit dĆØs les premiers troubles d’écouter avant chaque journal tĆ©lĆ©visĆ© un enregistrement de vent marin, de chants d’oiseaux, et de battements de cœurs amoureux… Et ce, pendant toute la durĆ©e de la crise de mauvaise foi…

La ronde des bonnes nouvelles

Erreur sytĆØme…

Ma dĆ©cision est prise : aujourd’hui je ne vais pas perdre de temps Ć  chercher une bonne nouvelle. C’est Ć  la fois ridicule, trĆØs fatigant mais surtout dĆ©primant. En effet, convenons-en, ce qui est le plus extraordinaire quand on cherche, c’est lorsqu’on trouve.

Non, aujourd’hui je vais choisir une autre mĆ©thode, faire confiance au hasard, ou Ć  la chance et je vais attendre patiemment que bonne nouvelle vienne Ć  moi.

Au moment du petit dĆ©jeuner, je suis tendu, pensant un peu naĆÆvement que c’est au petit matin que les bonnes nouvelles sont annoncĆ©es.

Mais rien… Si, une seule chose est Ć  noter :  je renverse ma tasse de cafĆ©, encore trĆØs chaud sur la magnifique chemise blanche que j’ai mise pour l’occasion. On ne peut quand mĆŖme pas accueillir une bonne nouvelle vĆŖtu d’un vieux polo grenat qui pluche…

Le matin passe :  rien. Ce n’est pourtant pas faute de tout mettre en œuvre pour que le hasard remplisse sa mission. Pour ĆŖtre clair je me comporte comme un hyper actif, je surfe littĆ©ralement, sur tout ce qui passe, sur tout ce que j’entends, que je vois, que je pressens, que je suppose, mais Ć©videmment, je ne provoque rien :  il ne se passe rien !  

L’aprĆØs-midi s’étire : rien, toujours rien !  Pas la moindre bonne nouvelle et encore pire, une succession de petites tracasseries me font dire que ce n’est pas mon jour, que je n’ai pas de chance. Quand le soir arrive et qu’il va ĆŖtre temps de clore, enfin, cette journĆ©e somme toute assez banale, un peu dĆ©pitĆ© et dƩƧu je finis par prendre la dĆ©cision, comme tous les jours, de chercher, de fouiller.

Je m’installe devant mon ordinateur que j’ai d’ailleurs malmenĆ© toute la journĆ©e, je bouge lĆ©gĆØrement la souris. J’entends alors un de ces horribles sons numĆ©riques. Sur l’écran est affichĆ© le message suivantĀ :

Erreur fatale : ouvrez votre panneau de configuration et procédez à une analyse de votre système

J’ouvre le fameux panneau et comme je suis obĆ©issant je procĆØde Ć  l’analyse de mon systĆØme…

On me dit de sauvegarder le journal de cette opĆ©ration. Je m’exĆ©cute. Je sauvegarde le journal de cette opĆ©ration. Je l’enregistre ; et une fois n’est pas coutume je l’imprime

La page sort de l’imprimante. Une seule phrase est Ć©crite, plus d’une centaine de fois

Ā« Mauvais nouvelle : votre mĆ©moire est saturĆ©e vous devez procĆ©der Ć  un nettoyage et Ć©liminer les fichiers inutiles Ā»

La ronde des bonnes nouvelles…

On fait une omelette en cassant les œufs

Pour une raison que j’ignore encore, je me lĆØve ce matin avec une furieuse envie d’omelette. Et pour une raison que j’ignore encore plus, j’ai Ć  peine posĆ© le pied Ć  terre, au pied de mon lit, que j’entends cette phrase qui tourne en boucle Ć  l’intĆ©rieur de la tĆŖte : Ā« on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs, on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs Ā».

Etrange : j’ai dĆ» rĆŖver d’omelette, ou d’œufs, ou d’œufs cassĆ©s. Je ne me souviens plus mais ce que je sais c’est qu’il va me falloir, en casser des œufs justement. En casser deux ou peut-ĆŖtre trois car j’ai grand faim. Une faim de loup gris.

Mais en moi-mĆŖme, je ne peux m’empĆŖcher de trouver ce dicton, cette morale plutĆ“t quand mĆŖme un peu sentencieuse. Comme si l’omelette que j’aime tant Ć©tait la consĆ©quence d’un vĆ©ritable acte criminel contre les Ć©lĆ©ments qui la composent. J’entre dans la cuisine, ouvre la porte du frigo et saisissant trois magnifiques œufs frais je dĆ©clame Ć  la cantonade : Ā« pour me faire une omelette je vais casser trois œufs Ā».

Je prends le premier des œufs, je l’approche du bord du bol pour le casser et soudain j’hĆ©site, et me dis :  « si j’essayais moi justement de faire une omelette sans casser les œufs. AprĆØs tout je n’en peux plus de toutes ces morales dĆ©guisĆ©es derriĆØre des dictons populaires. »

Je me saisis des deux autres œufs et les pose dĆ©licatement avec le troisiĆØme au fond de mon bol, je prends un fouet et je commence Ć  battre consciencieusement mes trois œufs. Ā« On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs, on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs ! Ā»

Ƈa tourne en boucle dans ma tĆŖte. Je remue, Ƨa remue et Ƨa me remue. Mais les œufs rĆ©sistent, ils ont la coquille dure, ils roulent, ils s’entrechoquent. Rien ne se passe. Mon envie d’omelette est toujours lĆ . J’accĆ©lĆØre le mouvement et d’un coup d’un seul les trois œufs se brisent.

Me voici tout bĆŖte devant mon bol Ć  Ć¢nonner : Ā« Ć§a c’est une bonne nouvelle : pour faire une omelette il faut casser les œufs Ā»

La ronde des bonnes nouvelles…

J’aurais aimĆ©, au moins aujourd’hui deviser, enfin, sur une vraie bonne nouvelleĀ : celle qui m’aurait annoncĆ© la dĆ©faite de Donal Trump. Et bien non je suis encore obligĆ© de me rabattre sur mes rĆŖves, ou fantasmes, sait-on jamais…

Il y a un loup sur mon terrain…

Ah je m’en souviendrai du 7 novembre…Comme tous les matins, j’ouvre en grand la fenĆŖtre de ma chambre. Il fait frais et j’aime cette sensation aprĆØs une nuit toujours un peu agitĆ©e. La lumiĆØre me rĆ©veille et l’air vif me fouette. Au milieu de la pelouse, assis, le dos Ć  la fenĆŖtreĀ : un loup. Un grand loup gris. Je sais que c’est un loup, ses oreilles pointues ne trompent pas. Il est assis et regarde droit devant lui, enfin me semble-t-il. Je me racle la gorge discrĆØtement. Il se retourne, lĆØve la tĆŖte et me regarde… Oui je le confirme, dĆ©finitivement, c’est un loup : un grand loup mĆŖme.

Il me regarde. Je le regarde. On se regarde.

Et comment dire, je ne me pose aucune question… C’est simple, il y a un loup sur mon terrain et Ƨa ne me gĆŖne pas ; au contraire…Comment a-t-il pu entrer ? Je l’ignore. Qui est -il, d’où vient-il ? Cela ne m’intĆ©resse pas. Ce que je vois, ce que je sais, ce que je sens mĆŖme, c’est qu’on va bien s’entendre tous les deux. Il m’attend, j’en suis sĆ»r. Quand il a tournĆ© la tĆŖte pour me regarder, il n’était mĆŖme pas Ć©tonnĆ©, ni effrayĆ© et encore moins effrayant. Je referme la fenĆŖtre, je m’habille, avec un sourire d’enfant qui ne me quitte pas. Je bois un cafĆ© en vitesse, parce que je suis quand mĆŖme un peu impatient et je sors…

Et au moment où je ferme la porte, je crie un peu fort (il faut quand mĆŖme que  les endormis profitent de ma joie)  : Ā« je sors, je vais donner Ć  manger au loup ! Ā»

La ronde des bonnes nouvelles…

Instauration d’une journĆ©e nationale sans rĆ¢ler

En ouvrant mon journal ce matin dont, au passage, la qualitĆ© du papier se dĆ©grade de plus en plus, ce qui a pour consĆ©quence de noircir les doigts, j’ai malencontreusement renversĆ© ma tasse de cafĆ©.

La journĆ©e commence vraiment mal, ai-je failli dire…Non, en fait, oui je l’avoue je l’ai dit !

Et ce d’autant plus qu’il n’y avait plus de lait, que le pain Ć©tait sec, que le chat miaulait sans raisons apparentes, que la chaudiĆØre ne voulait pas dĆ©marrer, qu’évidemment il pleuvait et que j’avais perdu mon parapluie et Ć©garĆ© les clĆ©s de ma voiture. Voiture qui ne dĆ©marrera certainement pas lorsque j’aurai retrouvĆ© les clĆ©s si j’en crois le texto laissĆ© par le voisin : Ā« vous avez laissĆ© vos phares allumĆ©s Ā». Texto que je ne dĆ©couvre que maintenant Ć©tant donnĆ© que je ne savais plus où Ć©tait mon portable. Bref il me semble que toutes les conditions sont quand mĆŖme rĆ©unies pour que je m’autorise, un tout petit peu, Ć  rĆ¢ler.

Et me voici donc Ć  feuilleter mon journal imbibĆ© de cafĆ© froid (oui mon micro-onde est en panne et du fait de la panne de la chaudiĆØre je n’ai pas d’eau chaude et comme hier en voulant rĆ©parer une vieille lampe de chevet j’ai fait un mauvais branchement j’ai provoquĆ© un court-circuit et grillĆ© la cafetiĆØre). Bref je feuillette et que lis-je en gros caractĆØres gras ? 

Ā« Le 2 novembre devient la journĆ©e nationale sans rĆ¢ler Ā». La dĆ©cision a Ć©tĆ© prise Ć  la suite d’une pĆ©tition adressĆ©e au prĆ©sident de la rĆ©publique par un florilĆØge de professions victimes rĆ©guliĆØres des rĆ¢leurs. Il s’agit notamment des professeurs, des garagistes, des plombiers, des facteurs, des mĆ©tĆ©orologues j’en passe et bien d’autres…

Et comment dire, j’ai terminĆ© la lecture de mon journal en me disant : Ā« oh aprĆØs tout, il n’y a pas de quoi rĆ¢ler… Ā»

Carnets, 13 : « il m’a lancĆ© un regard… »

Photo : Alice NƩdƩlec

Je vous assure, il m’a lancĆ© un regard, franchement je m’en remets difficilement. Lancer un regard, ce ne doit quand mĆŖme pas ĆŖtre des plus simples, il faut Ć©videmment savoir viser, car lancer un regard sans savoir vers qui l’envoyer c’est un peu comme un coup d’épĆ©e dans l’eau. Encore qu’un coup d’épĆ©e dans l’eau a au moins deux vertus celle de faire de provoquer des remous (mĆŖme si on ne veut pas dans ce cas prĆ©cis faire de vague) et celle de trancher dans le vif, surtout s’il s’agit d’eau courante. Mais revenons Ć  nos moutons, revenons Ć  ce regard lancĆ©, et qui semble t’il a atteint sa cible (puisque la personne victime du jet prĆ©tend qu’on lui a lancĆ© un regard), est ce que ce regard est vif, acĆ©rĆ©, aiguisĆ©, perƧant mĆŖme. Imaginons les dĆ©gĆ¢ts provoquĆ©s par un regard qui en plus d’avoir Ć©tĆ© lancĆ© est aussi perƧant. La personne, appelons-lĆ  la victime, risque de se retrouver comme le disait Corneille Ā« percĆ©e jusqu’au fond du cœur d’une atteinte imprĆ©vue Ā» …. En conclusion, ce que je crois c’est qu’un regard n’est jamais lancĆ© au hasard, Ć  l’aveugle dirions-nous car il faut ĆŖtre clair une fois lancĆ© le regard ne peut revenir en arriĆØre, ce n’est pas un boomerang et le lanceur doit autant que possible avoir les yeux en face des trous s’il ne veut pas rater sa cible.
ā€ƒ

Matinales…

Il me reste quelques lignes Ć  remplir

Sur la page de ma belle nuit

J’y pose quelques mots craquants

Et les rires bleus du matin frileux

S’invitent Ć  la table des endormis

13 novembre…

Vagues…

Vagues

« Une vague, les vagues, une dĆ©ferlante… » Je crois que c’en est trop, je n’en peux plus et allez je vous le dis j’ai du mal avec ces mots, ces mots que j’aime, qui sont abĆ®mĆ©s, salis, trahis plusieurs fois par jour. Oh bien sĆ»r je connais plus que tout autre le pouvoir des mots, de ce qu’ils Ć©voquent, de ce qu’ils convoquent, de ce qu’ils invoquent. Mais il y a des jours où je n’en peux plus de voir, d’entendre toutes ces vagues Ć©pidĆ©miques et numĆ©riques, se rĆ©pandre sans retenue dans la longue plaine de mes inspirations. Je vous en prie laissez les vagues dans l’ocĆ©an, laissez la mer nous enivrer de son flux, de son reflux, laissez les dĆ©ferlantes Ć  la tempĆŖte. Un peu d’effort je vous en prie cherchez dans votre dictionnaire de l’angoisse cathodique d’autres mots, d’autres images, laissez les courbes en paix, ne cherchez pas d’autres rimes aux graphiques.

Et je vous suggĆØre d’essayer la retenue, le silence, et peut-ĆŖtre d’aller marcher au bord de cette mer que vous voudriez me voler…

Matinales

J’ai lu la derniĆØre page de ta mĆ©moire gravĆ©e
Au recto de ta longue vie
Tant de fois racontƩe
Je vois un champ de rires
Au rose si lƩger
Une Ć  une
Les fleurs de papier se sont envolƩes
Au verso quelques lignes ont noirci
Et pleurent en glissant
Tes derniers mots aux rimes inachevƩes

Dialogue inspirĆ©…

Je ne trouve pas l’inspiration…

Comment tu ne trouves pas ? Explique-moi, je t’en prie… Tu prĆ©tends que tu ne trouves pas ? Admettons, je veux bien, mais cela signifie, enfin je l’espĆØre, que tu as cherchĆ©, et probablement cherches-tu encore !

Oui c’est cela, je cherche, je cherche… Et ne trouve rien…

Ɖtonnant tout de mĆŖme : je te connais…Il t’en faut si peu : un train qui passe, une flaque d’eau sur un quai, un rayon de lumiĆØre derriĆØre une vitre grise, une vague qui grossit et d’un coup, d’un seul, tu as la main qui tremble et le regard qui luit…

Oui je le sais, tu as raison. Je crois comprendre ce qui m’arrive. Je ne dois plus chercher. Il faut que je sois saisi, surpris. Les trains sont loin, toutes les marĆ©es sont basses. La lumiĆØre elle-mĆŖme est Ć©tonnĆ©e de toute cette lenteur, et le ciel, ce ciel tellement Ć©tonnĆ© qu’on se mette Ć  le regarder…

Et bien tu vois, tu as trouvĆ©, tu es inspiré…

Oui c’est vrai, mais où sont les rimes, où sont les vers, les images, les…

Mais comment tu ne les vois pas, tu ne les entends pas ?

Non je t’en prie dis-moi ?

Chut, ne dis rien, le silence est la rime d’aujourd’hui…

Mes Everest : les mots, Jean Paul Sartre…

Les souvenirs touffus et la douce dĆ©raison des enfances paysannes, en vain les chercherais-je en moi. Je n’ai jamais grattĆ© la terre ni quĆŖtĆ© des nids, je n’ai pas herborisĆ© ni lancĆ© des pierres aux oiseaux. Mais les livres ont Ć©tĆ© mes oiseaux et mes nids, mes bĆŖtes domestiques, mon Ć©table et ma campagne ; la bibliothĆØque, c’Ć©tait le monde pris dans un miroir ; elle en avait l’Ć©paisseur infinie, la variĆ©tĆ©, l’imprĆ©visibilitĆ©. Je me lanƧai dans d’incroyables aventures : il fallait grimper sur les chaises, sur les tables, au risque de provoquer des avalanches qui m’eussent enseveli. Les ouvrages du rayon supĆ©rieur restĆØrent longtemps hors de ma portĆ©e ; d’autres, Ć  peine je les avais dĆ©couverts, me furent Ć“tĆ©s des mains ; d’autres, encore, se cachaient : je les avais pris, j’en avais commencĆ© la lecture, je croyais les avoir remis en place, il fallait une semaine pour les retrouver. Je fis d’horribles rencontres : j’ouvrais un album, je tombais sur une planche en couleurs, des insectes hideux grouillaient sous ma vue. CouchĆ© sur le tapis, j’entrepris d’arides voyages Ć  travers Fontenelle, Aristophane, Rabelais : les phrases me rĆ©sistaient Ć  la maniĆØre des choses ; il fallait les observer, en faire le tour, feindre de m’Ć©loigner et revenir brusquement sur elles pour les surprendre hors de leur garde : la plupart du temps, elles gardaient leur secret. J’Ć©tais La PĆ©rouse, Magellan, Vasco de Gama ; je dĆ©couvrais des indigĆØnes Ć©tranges : Ā«HĆ©autontimoroumĆ©nosĀ» dans une traduction de TĆ©rence en alexandrins, Ā« idiosyncrasie Ā» dans un ouvrage de littĆ©rature comparĆ©e. Apocope, chiasme, Parangon, cent autres Cafres impĆ©nĆ©trables et distants surgissaient au dĆ©tour d’une page et leur seule apparition disloquait tout le paragraphe. Ces mots durs et noirs, je n’en ai connu le sens que dix ou quinze ans plus tard et, mĆŖme aujourd’hui, ils gardent leur opacitĆ© : c’est l’humus de ma mĆ©moire. 

Tribunal acadĆ©mique…

Ce matin il y a procĆØs au tribunal acadĆ©mique. Quelques mots sont lĆ , coupables de coalition. Le prĆ©sident du tribunal, vient d’appeler automne Ć  la barre.

Il lit l’acte d’accusation :

Ā« Automne, nom commun, vous comparaissez devant cette cour pour le dĆ©lit de haute trahison. A plusieurs reprises, vous avez Ć©tĆ© vu, entendu en compagnie des mots suivants : joyeux, bleu, heureux, doux, roux, bucolique et Ā« cerise Ā» sur le gĆ¢teau, mou.

Eu Ć©gard Ć  la loi du 13 novembre 1912, stipulant qu’automne ne peut ĆŖtre vu qu’en compagnie de gris, morne, triste, venteux, mĆ©lancolique, et violon, vous ĆŖtes donc en infraction grammaticale, syntaxique et surtout lexicale.

En consĆ©quence et en vertu des pouvoirs alphabĆ©tiques qui me sont donnĆ©s, je vous condamne Ć  trois ans de travaux forcĆ©s. Messieurs les gardiens de la rime, je vous en prie, veuillez accompagner le prĆ©venu… Ā»

Ā« Affaire suivante ! Ā»  

Retrouvons, la Norme et la BeautĆ©, qui, une fois encore se dĆ©chirent…

Norme : Je viens d’apprendre Ć  l’instant, chĆØre BeautĆ©, qu’une fois de plus vous vous ĆŖtes Ć©garĆ©e.

BeautĆ© : EgarĆ©e ? Nullement, sachez chĆØre Norme, que si je me suis posĆ©e ici, sur cette belle fleur de pissenlit, c’est parce que je le voulais, et surtout parce qu’il le fallait.

Norme : Une fleur de pissenlit ! Pourquoi pas du chiendent, ou non du trĆØfle, oui tiens du trĆØfle ! Encore une fois je me dois d’intervenir. Je vous le dis, je vous le rĆ©pĆØte : jamais, je dis bien jamais, vous ne devez prendre la libertĆ© de vous poser où bon vous semble, sans au prĆ©alable ne m’en avoir parlé…

BeautĆ© : Je vous entends, je vous entends chĆØre Norme, mais sachez que je ne me pose jamais au hasard…Voyez-vous ce que j’aime par-dessus tout, c’est la lĆ©gĆØretĆ©, la douceur, la dĆ©licatesse et surtout la discrĆ©tion. Vous conviendrez que ce ne sont pas les premiĆØres qualitĆ©s de toutes ces fleurs qu’habituellement vous m’imposez dans vos plans de vols.

Norme : Mais enfin BeautĆ©, reprenez-vous, je ne vous demande pas de faire de la poĆ©sie, mais simplement d’ouvrir les yeux. Regardez autour de vous, ces jonquilles, ces roses qui Ć©closent. Vous ne me direz pas que ce vulgaire pissenlit mĆ©rite plus qu’elles qu’on leur rende les honneurs qu’elles mĆ©ritent.

Beauté : Ā Je vous Ć©coute chĆØre Norme et je ne vous dis pas que les fleurs que vous me citez doivent ĆŖtre oubliĆ©es, mais voyez-vous, il est des jours, où la beautĆ© ne vous appartient plus. Elle s’envole, elle respire, elle est libre… Alors oui, je persiste dans ma dĆ©sobĆ©issance, et , je le sais, Ā chĆØre Norme vous n’aurez pas Ć  le regretter…

28 mars

Et encore la norme et la beautĆ©…

Plage des Laurons, Martigues

La norme et la beautĆ©, n’en finissent jamais de se chamailler. Leurs dĆ©saccords sont profonds. Je vous laisse juger…

BeautĆ© : Ce soir je suis heureuse, tellement heureuse, ce n’était pas simple mais j’y suis arrivĆ©e.

Norme : De quoi me parles-tu ? De ce gribouillis fumeux que tu es allĆ©e me poser sur cette horrible plage que je me tue Ć  dissimuler.  

BeautĆ© : Gribouillis fumeux, horrible plage…ChĆØre norme, as-tu bien regardĆ© ? Mais je m’égare…Comment la norme peut-elle simplement regarder ? Tu n’es lĆ  que pour mesurer…

Norme : Quelle impertinente ! BeautĆ©, mais as-tu simplement regardĆ©, ces traces que tu as laissĆ©es ?  Que va-t-on dire ? Où sont tes limites ? Quatre cheminĆ©es ! Et pourquoi pas un pĆ©trolier !

BeautĆ© : Un pĆ©trolier, quelle bonne idĆ©e, et j’y ajouterai aussi un amandier, un parolier, un cabanon, un rĆ©servoir, et surtout, surtout, norme engourdie, un peu d’espoir…

Norme : Il suffit beautĆ©, je ne peux tolĆ©rer de tels Ć©carts, tu le sais !

BeautĆ© : Je te comprends norme, je le sais, tu n’y es pour rien. Je te demande une simple petite faveur…

Norme : Je t’écoute beautĆ©.

BeautĆ© : Ferme les yeux. Pendant quelques instants, oublie ce qu’on t’a racontĆ©. Attends bien quelques minutes et doucement, tout doucement, soulĆØve tes lourdes paupiĆØres et lĆ , je te promets, tu verras. Et tu vivras…

Retrouvons la norme et la beautĆ©…

Retrouvons la norme et la beautĆ© qui ne parviennent pas Ć  s’entendre, elles s’Ć©taient dĆ©jĆ  expliquĆ©es il y a quelques temps sur ce blog…

https://wordpress.com/block-editor/post/lesmotsderic.blog/1237

BeautĆ© : Je vais partir, je veux partir. Je veux qu’on m’oublie. Quelques temps peut-ĆŖtre, ou quelques instants, je ne sais pas, mais je veux partir. Alors on se souviendra, on me rĆ©clamera. Je les entends dĆ©jĆ  : reviens, reviens…

Norme : Je ne comprends pas ce que tu gĆ©mis. Tu veux partir c’est bien cela ?

BeautĆ© :  Oui c’est cela, bien entendue chĆØre norme, partir, m’envoler, m’effacer….

Norme : Je ne te comprends pas, je ne te comprends plus. Tu parles comme une enfant gĆ¢tĆ©e. Regarde, tout est ici : regarde autour de toi, tout est lĆ  :  pour rĆ©ussir, pour t’imposer. Ressaisis-toi, il faut que tu poses, il faut que tu oses.

BeautĆ© : Tu prĆ©tends que j’ai tout, ici, tout ce qu’il me faut, mais je ne vois rien, je ne sens rien. Je m’ennuie Ć  mourir. Tout est tracĆ©, tout est formatĆ© : tu choisis, tu Ć©limines, tu dĆ©cides, tu juges, tu convoques, tu condamnes. Quand il faut que j’apparaisse, les couleurs sont au garde Ć  vous, elles sont pĆ©trifiĆ©es, ma lumiĆØre les a abandonnĆ©s, tes paysages sont figĆ©s. Pire ils sont coagulĆ©s ! Tes visages sont communs, tes regards sont vides. C’en est trop, je n’en peux plus, je reprends ma libertĆ©.

Norme : VoilĆ  que tu recommences avec tes dĆ©lires, tes envies de gris, de flaques poisseuses. Mais que veux-tu ? Tu le sais pourtant : ce que je dĆ©cide n’est pas pour t’embĆŖter ou t’humilier. Ce n’est pas une lubie. Ce sont les autres : ils me tiennent la main, me dictent ma conduite. Tu le sais, je suis une norme, je suis LA NORME, et ne suis pas nĆ©e toute seule. Moi aussi, comme toi j’ai Ć©tĆ© convoquĆ©e, moi aussi je n’ai pas de libertĆ©.

BeautĆ© : Eh bien, Ć©chappe-toi aussi et laisse-moi m’envoler. Les autres finiront par s’habituer.  

Norme : Mais que diront-ils ces autres si plus rien de ce qu’ils attendent n’est beau. Que diront-ils, que deviendront-ils, que ressentiront-ils ?

BeautĆ© :  Ils feront comme nous, il faut qu’ils sortent eux aussi, il faut qu’ils bougent. Il faut qu’ils changent, que leurs regards souffrent un peu, juste un peu, pour ensuite pouvoir s’étonner…

Norme : Impossible, nous ne pouvons pas, nous n’avons pas le droit….

BeautĆ© : C’est fini, je vous quitte, je vous abandonne, je vous laisse Ć  vos paysages lisses et glacĆ©es,

Norme : Nous quitter, nous abandonner, pauvre folle mais pour qui te prends tu ?

BeautĆ© : Je suis la beautĆ©, celle dont on rĆŖve, celle qu’on attend, celle qu’on ressent quand on est vivant, lĆ , Ć  l’intĆ©rieur, celle qui explose pour tos nos sens quand on espĆØre, quand on aime….

La Norme et la BeautĆ©…

Où l’on dĆ©couvre que norme et beautĆ© ont parfois un peu de mal Ć  s’entendre, Ć  se comprendre. Aujourd’hui nous retrouvons une norme Ā« Ć©tonnĆ©e Ā» pour ne pas dire irritĆ©e. Elle a convoquĆ© une beautĆ© libĆ©rĆ©e et l’interroge sur ses mauvaises frĆ©quentations.

Norme : Que fais-tu ici ? Regarde autour de toi, ouvre les yeux, tu le vois bien, ici il n’y a rien que tu puisses regarder.

BeautĆ© : Ce que je fais ici ? Mais je ne fais rien, je suis, je sens, je ressens. Et toi tu ne vois rien ? Ici je suis bien, ici je suis invitĆ©e. Alors tu vois, mĆŖme pour quelques instants je vais m’installer…

Norme : InvitĆ©e ? InvitĆ©e ? Toi la beautĆ© ? Mais regarde, ici tout est laid, qui t’aurait donc invitĆ© ?

BeautĆ© : Du laid, du laid ? Suis-je Ć  ce point aveuglĆ©e, que je n’ai rien vu de tout ce laid que tu as dĆ©cidĆ© de m’inventer. Moi je n’ai rien vu, et ici, tout, oui tout me plait. Toi tu restes enfermĆ©e entre les murs lisses de tes lignes droites. Regarde la douceur de ces courbes, c’est si simple, ici je suis bien.

Norme : Tu n’as rien vu et moi je n’ai rien su. Tu le sais, tu ne peux l’ignorer, jamais tu ne dois distribuer de la beautĆ© sans que j’en sois informĆ©e. La beautĆ© m’appartient, tu n’es que messagĆØre.

BeautĆ© : Oui je le sais, et je l’ai voulu, je suis venu et je ne t’ai rien dit. Peut-ĆŖtre pour que tu ne puisses rien abĆ®mer. Ici vit un gris, un si beau gris oubliĆ©, il s’est souvenu de qui il Ć©tait, alors il m’a appelĆ© et sans hĆ©siter je suis venue.

Norme : Un gris oubliĆ© ? Mais tu t’égares ma pauvre beautĆ©. Regarde autour de toi, regarde ce que je vois, ce n’est que du terne, avec un gris qui nous dĆ©sespĆØre. Ici tout est sale, et si plein de triste.

BeautĆ© : Mais ce que tu vois, ma pauvre, ce n’est que ce que tu crois. Ouvre les portes, aĆØre-toi, regarde avec l’arriĆØre de tes yeux et alors tu comprendras.

Norme : Cela suffit ! Je te le rappelle une derniĆØre fois, tu ne peux pas dĆ©cider n’importe quoi. Remballe tes couleurs, range ton gris oubliĆ© et rentre chez toi.

BeautĆ© : Moi tu vois, c’est ce qui me plait, ici. A cette table je me sens vivante. Ici tout est riant. Regarde, ouvre-toi, tout est surprenant. Ici personne ne m’attend.

Norme : Je veux bien, mais juste quelques instants, je ne veux pas d’incidents.

Une journĆ©e d’automne… inĆ©dit de 1980…

Je range, je fouille, j’ouvre de vieux cahiers et tombe parfois sur des bouts, sur des essais, parfois maladroits, un peu emphatiques, mais je suis indulgent avec celui qui Ć©crivait il y a quarante quatre ans. Je cherche les traces, dans les mĆ©moires du papier…

C’était une journĆ©e d’automne qui se terminait par petites flaques, sur le pavĆ© gluant. Plus rien n’avait l’odeur du neuf. Dans chaque grain de poussiĆØre, dans chaque molĆ©cule de vie, un parfum de moisissure tirait des larmes aux passants du soir. Dans les yeux de ceux qui se croisaient, il y avait cette lueur de dĆ©sespoir, si vraie, si dure, si fatidique, si irrĆ©versible. Comme si…

Comme si la destinĆ©e de chacun Ć©tait contenue dans ce bruit, sourd et continu, bruit qui m’arrache encore des larmes tant il est dur de se sentir glisser sur des pentes où l’amour n’existe plus que par pointillĆ©s jaunĆ¢tres. Le ronflement de l’alentour produisait comme un halo de brouillard, mais il m’étouffait plus que n’importe quel autre, il m’étouffait en dedans, il me bouffait mon printemps qui Ć  cette heure-ci n’était pourtant encore qu’inscrit en marge, en attente de frĆ©nĆ©sie, en attente d’irrĆ©el…

Flash…

Et les mots se rebelleront. Lorsqu’on voudra les utiliser pour haĆÆr, ou ne rien dire, lorsqu’on les abĆ®mera en leur ajoutant des adjectifs inutiles, ils resteront Ć  quai, ils ne se formeront plus. Ce sera la grĆØve des mots.

Et quand on les obligera Ć  cohabiter avec des mots creux, des mots vides, des mots en ique, ils se tairont et retrouveront tranquillement leurs longues nuits.

Les mots sont fatiguƩs. Laissez les se reposer.

Mes Everest. Noces, Albert Camus…

 » Au printemps, Tipasa est habitĆ©e par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassĆ©e d’argent, le ciel bleu Ć©cru, les ruines couvertes de fleurs et la lumiĆØre Ć  gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumiĆØre et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur Ć©norme. A peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village et s’Ć©branle d’un rythme sĆ»r et pesant pour aller s’accroupir dans la mer. »

RĆ©action…

  • Bonjour cher ami est ce que nous pourrions avoir votre rĆ©action ?
  • Une rĆ©action, mais Ć  quel sujet ?
  • Peu importe, ce n’est pas le sujet qui est important, ce qui nous intĆ©resse ce sont les rĆ©actions…
  • Mais voyons, je ne peux pas rĆ©agir si je ne connais pas de quoi il s’agit, ou qui agit. Je vous rappelle que dans rĆ©action il y a action !
  • Eh bien vous pourriez rĆ©agir sur ceux qui ne rĆ©agissent jamais. Oui c’est bien Ƨa : qu’en pensez-vous ?
  • Eh bien Ć©coutez si certains ne rĆ©agissent pas c’est peut-ĆŖtre qu’il est parfois inutile de rĆ©agir…
  • Comment inutile ? Mais vous plaisantez, plus il y a de rĆ©actions, plus Ƨa rĆ©agit ?
  • Et ?
  • Eh bien c’est formidable non, cela prouve qu’on aime le dĆ©bat ?
  • Vous trouvez qu’une rĆ©action qui en entraĆ®ne une autre, c’est un dĆ©bat, moi j’appellerai plutĆ“t cela une impasse, ou plutĆ“t une boucle… Oui c’est cela, une boucle, on finit toujours par revenir au dĆ©but tout en Ć©tant persuadĆ© qu’on a avancĆ©.
  • Et que proposez vous ?
  • Rien, ou plutĆ“t je propose de prendre le temps. Une action c’est une pĆ¢te, il faut attendre qu’elle lĆØve, ou pas, il faut observer, ajuster, comprendre, complĆ©ter. Bref il faut rĆ©flĆ©chir.
  • Mais ce sera trop tard…
  • Trop tard pour quoi ?
  • Je ne sais pas, c’est juste une rĆ©action que j’ai Ć  ce que vous dites !
  • Et vous voudriez que je rĆ©agisse ?
  • Oh oui, s’il vous plaĆ®t ! Une petite rĆ©action…

6 novembre

Cours, vole, rĆŖve, espĆØre…

Quand le monde est si bruyant,
Qu’il couvre mĆŖme le vent,
Quand les regards sont de travers
Que les yeux se noient dans le triste amer
N’entre pas dans l’arĆØne,
N’aiguise pas tes lames numĆ©riques
Fais comme tes pĆØres
Et rĆŖve d’AmĆ©rique
Il faut que tu marches jusqu’au bout
LĆ -bas, si loin
Ou l’île se blottit
Dans les bras de l’ocĆ©an
Si tu ne peux pas partir,
TĆŖte haute
Marche jusqu’aux souvenirs
Prends le chemin le plus malin
Cours, vole, rĆŖve, espĆØre,
Souris de cet air qui te fouette

Mais ne laisse pas gagner
La fanfare des maudits
Laisse-les s’agiter, vocifĆ©rer,
Demain tu verras
Ils seront oubliƩs

A table !

Il est des mots que j’aime inviter

J’ouvre en grand la porte de mon inspiration

Papillons aux l lƩgers

Ils entrent sans bruit

S’installent autour de la table

Et prennent un premier vers de silence

EnivrƩs de mes belles rimes

Les voici qui babillent

Ils sont tous lĆ 

Brume et flacon

Douce et fƩline

Charme et mauve

Flou et fauve

Heureux de se retrouver

Heureux de s’ajouter

Ils se racontent en riant

Le poĆØme de demain

5 novembre

PoĆØmes de jeunesse : « Ecoute Petite… »

Ecoute

Ƈa craque petite

Ecoute

Ƈa bouge

ArrĆŖte de rire petite

Ecoute

Tout tremble

Tout se désespère

Vent de panique

Regarde petite

Regarde

FƩvrier 1978

PoĆØmes de jeunesse : « peut-ĆŖtre… »

Je continue de fouiller mes archives et lĆ , j’ai trouvĆ© ce petit texte sur une feuille volante, Ć©crit Ć  la plume, je pense qu’il date de 1979…

C’est le soir comme tous les jours

Un homme se meurt

Ou il pĆ©rit noyĆ© dans l’ocĆ©an

De tortures

Un homme aime

Ou il pleure sur sa compagne

Finale

Point Ć  la ligne

Un homme naƮt

Ou il crie parce qu’il ne connait

Personne

Pas mĆŖme en rĆŖve

Un homme tue

Ou triche contre ses rĆØgles

TrĆØs propre

Bien baptisƩ

Un homme hurle

Il a peur

Alors il Ʃcrit

Tout droit

Au cœur

Peut-ĆŖtre

Mes Everest, Christian Bobin

La chambre de lecture est nue, peu faite pour recevoir. Point de ce luxe qui Ć©parpille la vue, fragmente le silence du dedans. Chambre obscure ou flotte pourtant une lumiĆØre qui n’est pas celle du jour. Dans un instant, viendra y tournoyer les poussiĆØre des ailes de mourir, de naĆ®tre et d’aimer, il suffira pour cela d’un livre heureux, d’une abeille noire et blanche : d’un rien.

Seul sur le bord de la fenêtre, ce panier de mots et de violettes fraîches, à peine entamé.

Flaques…

On a tous un rĆŖve de flaques

Longue et large

Petite mer des belles amitiƩs

Comme l’enfant insouciant

Au rire parfum d’ocĆ©an

Les deux pieds joints

Tu sautes avec la jolie joie

Oui celle qui Ʃclabousse

On rit on pleure

Il pleut on s’Ć©broue

Gouttes de pluie perlent de lui

Larmes salĆ©es parlent d’une si belle

Et je sĆØme une suite de cailloux

Pour nos lendemains un peu fous

Mes Everest : Samuel Beckett

« que ferais-je… »

que ferais-je sans ce monde sans visage
sans questions
où ĆŖtre ne dure qu’un instant où chaque instant
verse dans le vide dans l’oubli d’avoir Ć©tĆ©
sans cette onde où à la fin
corps et ombre ensemble s’engloutissent
que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures
haletant furieux vers le secours vers l’amour
sans ce ciel qui s’Ć©lĆØve
sur la poussiĆØre de ses lests
que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd’hui
regardant par mon hublot si je ne suis pas seul
Ć  errer et Ć  virer loin de toute vie
dans un espace pantin
sans voix parmi les voix
enfermƩes avec moi

Une journĆ©e d’automne… inĆ©dit de 1980…

Je range, je fouille, j’ouvre de vieux cahiers et tombe parfois sur des bouts, sur des essais, parfois maladroits, un peu emphatiques, mais je suis indulgent avec celui qui Ć©crivait il y a quarante ans. Je cherche les traces, dans les mĆ©moires du papier…

C’était une journĆ©e d’automne qui se terminait par petites flaques, sur le pavĆ© gluant. Plus rien n’avait l’odeur du neuf. Dans chaque grain de poussiĆØre, dans chaque molĆ©cule de vie, un parfum de moisissure tirait des larmes aux passants du soir. Dans les yeux de ceux qui se croisaient, il y avait cette lueur de dĆ©sespoir, si vraie, si dure, si fatidique, si irrĆ©versible. Comme si…

Comme si la destinĆ©e de chacun Ć©tait contenue dans ce bruit, sourd et continu, bruit qui m’arrache encore des larmes tant il est dur de se sentir glisser sur des pentes où l’amour n’existe plus que par pointillĆ©s jaunĆ¢tres. Le ronflement de l’alentour produisait comme un halo de brouillard, mais il m’étouffait plus que n’importe quel autre, il m’étouffait en dedans, il me bouffait mon printemps qui Ć  cette heure-ci n’était pourtant encore qu’inscrit en marge, en attente de frĆ©nĆ©sie, en attente d’irrĆ©el…

Mes Everest, CĆ©cile Sauvage…

MƩlancolie, Ɠ ma colombe

A l’œil tendre, Ć  la plume grise,

Toi qui me suis quand le jour tombe

Vers l’étang que la lune irise ; 

Toi qui becquĆØtes mon bras frĆŖle

Comme une sœur encore mutine

Et dont le baiser me rappelle

L’ongle pointu d’une main fine.

Je suis nƩe au milieu du jour,

La chair tremblante et l’Ć¢me pure,

Mais ni l’homme ni la nature

N’ont entendu mon chant d’amour.

Depuis, je marche solitaire,

Pareille Ć  ce ruisseau qui fuit

RĆŖveusement dans les fougĆØres

Et mon cœur s’Ć©loigne sans bruit.