Mes Everest : Albert Camus : L’Ć©tranger, extrait 3

J’ai retournĆ© ma chaise et je l’ai placĆ©e comme celle du marchand de tabac parce que j’ai trouvĆ© que c’était plus commode. J’ai fumĆ© deux cigarettes, je suis rentrĆ© pour prendre un morceau de chocolat et je suis revenu le manger Ć  la fenĆŖtre. Peu aprĆØs, le ciel s’est assombri et j’ai cru que nous allions avoir un orage d’étĆ©. Il s’est dĆ©couvert peu Ć  peu cependant. Mais le passage des nuĆ©es avait laissĆ© sur la rue comme une promesse de pluie qui l’a rendue plus sombre. Je suis restĆ© longtemps Ć  regarder le ciel.  ƀ cinq heures, des tramways sont arrivĆ©s dans le bruit. Ils ramenaient du stade de banlieue des grappes de spectateurs perchĆ©s sur les marchepieds et les rambardes. Les tramways suivants ont ramenĆ© les joueurs que j’ai reconnus Ć  leurs petites valises. Ils hurlaient et chantaient Ć  pleins poumons que leur club ne pĆ©rirait pas. Plusieurs m’ont fait des signes. L’un m’a mĆŖme criĆ© : Ā« On les a eus. Ā» Et j’ai fait : Ā« Oui Ā», en secouant la tĆŖte. ƀ partir de ce moment, les autos ont commencĆ© Ć  affluer.

Mes Everest; Albert Camus : l’Ć©tranger, extrait 2…

C’est un frĆ“lement qui m’a rĆ©veillĆ©. D’avoir fermĆ© les yeux, la piĆØce m’a paru encore plus Ć©clatante de blancheur. Devant moi, il n’y avait pas une ombre et chaque objet, chaque angle, toutes les courbes se dessinaient avec une puretĆ© blessante pour les yeux. C’est
Ć  ce moment que les amis de maman sont entrĆ©s. Ils Ć©taient en tout une dizaine, et ils glissaient en silence dans cette lumiĆØre aveuglante. Ils se sont assis sans qu’aucune
chaise grinçât. Je les voyais comme je n’ai jamais vu personne et pas un dĆ©tail de leurs visages ou de leurs habits ne m’échappait. Pourtant je ne les entendais pas et
j’avais peine Ć  croire Ć  leur rĆ©alitĆ©. Presque toutes les femmes portaient un tablier et le cordon qui les serrait Ć  la taille faisait encore ressortir leur ventre bombĆ©. Je n’avais encore jamais remarquĆ© Ć  quel point les vieilles femmes pouvaient avoir du ventre. Les hommes Ć©taient presque tous trĆØs maigres et tenaient des cannes. Ce qui me frappait dans leurs visages, c’est que je ne voyais pas leurs yeux, mais seulement une lueur sans Ć©clat au milieu d’un nid de rides. Lorsqu’ils se sont assis, la plupart m’ont regardĆ© et ont hochĆ© la tĆŖte avec gĆŖne, les lĆØvres toutes mangĆ©es par leur bouche sans dents, sans que je puisse savoir s’ils me saluaient ou s’il s’agissait d’un tic. Je crois plutĆ“t qu’ils me saluaient. C’est Ć  ce moment que je me suis aperƧu qu’ils Ć©taient tous assis en face de moi Ć  dodeliner de la tĆŖte, autour du concierge. J’ai eu un moment l’impression ridicule qu’ils Ć©taient lĆ  pour me juger.

Mes Everest : l’Ć©tranger de Camus, extrait 1…

Quand le monde est au plus mal, que seul des vagues de haine dĆ©ferlent sur les longues plages de l’humanitĆ©, je retrouve de l’espoir de l’apaisement en lisant, relisant Camus.. Quelques extraits choisis aujourd’hui….

…Lui parti, j’ai retrouvĆ© le calme. J’étais Ć©puisĆ© et je me suis jetĆ© sur ma couchette. Je crois que j’ai dormi parce que je me suis rĆ©veillĆ© avec des Ć©toiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu’à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraĆ®chissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet Ć©tĆ© endormi entrait en moi comme une marĆ©e. ƀ ce moment, et Ć  la limite de la nuit, des sirĆØnes ont hurlĆ©. Elles annonƧaient des dĆ©parts pour un monde qui maintenant m’était Ć  jamais indiffĆ©rent. Pour la premiĆØre fois depuis bien longtemps, j’ai pensĆ© Ć  maman…

Le coucher de sommeil : suite et fin…

Elle les Ć©coute avec respect et attention et sans mĆŖme s’étonner de ce qu’ils font lĆ  au creux de sa main elle leur rĆ©pond qu’elle est bien d’accord, que Ƨa fait longtemps que tout cela elle le dit, elle, elle le pense.

Ā« Moi je vous crois, moi je suis comme vous Ā». Vous savez ce qu’il faut faire c’est continuer Ć  ne pas douter, Ć  ne pas douter de vous, il faut continuer Ć  poser toutes les questions que vous avez dans la tĆŖte parce que si vous ne posez plus de questions les autres ils croiront qu’ils ont gagnĆ©, ils croiront que vous ĆŖtes devenus comme eux, fades, tristes, avec que des rĆ©ponses toutes faites, des rĆ©ponses toutes simples, des rĆ©ponses pour ĆŖtre comme les autres comme tous les autres, mais vous comme moi on n’est pas comme les autres, nous on veut encore et toujours s’émerveiller, on veut encore et toujours dire que rien n’est sĆ»r,  que ce qui est vrai Ƨa n’existe pas ou pas longtemps, parce qu’on se trompe toujours Ā»

Vous le savez bien avant il fallait pour être bien, pour être comme les autres, dire que la terre était plate, et quand on disait autrement on mourrait et ben maintenant moi je vous le dis il faut continuer à douter, à douter de tout même de ce qui semble être sur et il faut rêver, il faut voir le possible partout.

Tenez moi par exemple j’ai envie de croire qu’un jour pour aller Ć  l’autre bout du monde il n’y aura plus besoin d’avions il suffira de prendre un ascenseur pour l’espace et d’attendre lĆ  dans une espĆØce de cabine, d’attendre que la terre tourne et alors quand juste en dessous il y aura la ville, on descendra c’est simple non, et bien vous savez j’ai envie d’y croire.

Ā« J’ai envie aussi de dire qu’un jour on ira dans une Ć©cole où on a apprendra Ć  poser des questions, Ć  tout remettre en question plutĆ“t qu’à ingurgiter les rĆ©ponses des autres, de tous les autres. Vous savez il faut que vous reteniez une chose, il n’y a qu’une chose qui vous appartient ce sont les questions que vous posez, que vous vous posez, les rĆ©ponses elles ne vous appartiennent pas, les rĆ©ponses elles sont toujours la propriĆ©tĆ© de quelqu’un d’autre de quelqu’un que vous ne connaitrez jamais Ā».

Elle avait toujours la main tendue devant elle et plus elle parlait plus elle entendait sa voix comme si elle venait d’ailleurs, le groupe d’enfants qu’elle avait dans la main grandissait,  elle le sentait, elle le sentait, pas parce qu’ils devenaient plus lourds, mais parce qu’elle les voyait sourire, parce qu’elle les voyait exister.

Ils existaient et ils Ʃtaient en train de le comprendre.

Le rĆŖve c’est beau, le rĆŖve on devrait pouvoir l’enregistrer, on devrait pouvoir se brancher le matin pour revoir le merveilleux de la nuit. C’est ce qu’elle se dit ce matin en ouvrant la fenĆŖtre elle a encore plein d’images de la nuit dans la tĆŖte derriĆØre les yeux. Quand elle a posĆ© le pied sur la terrasse elle s’attendait presque Ć  trouver le sable, de ce sable si fin, de ce sable qui ressemble tant Ć  de l’eau. Le sable, l’eau, les grains, les gouttes, elle sourit en s’étirant, elle va appeler ses frĆØres pour leur donner la rĆ©ponse. Ce matin elle est heureuse elle sait qu’elle est dans le vrai, elle sait que c’est comme cela qu’on l’aime, que c’est comme cela qu’on l’admire.

Elle ferme les yeux juste une seconde et lĆ  dans son Ć©cran intĆ©rieur, il y a un coucher de sommeil, un coucher de sommeil, tiens donc,  pourquoi pas aprĆØs tout, quand la nuit est terminĆ©e quand elle a Ć©tĆ© belle, que les couleurs que le rĆŖve a fabriquĆ© n’existent pas encore, quand les enfants sont si petits qu’ils tiennent au creux d’une main, quand les autres, les bien-pensants ne sont que des figurants alors on a bien le droit de parler d’un coucher de sommeil.

C’est tout !

Nouvelle Ʃcrite en dƩcembre 2011

Le coucher de sommeil : 3

De l’eau, il y en a au robinet mais ce n’est pas celle-ci qui l’intĆ©resse. Elle va descendre pour s’approcher de la mer,  de cette mer.

Elle entre dans l’appartement son compagnon dort encore, elle s’habille pour aller au bord de l’eau. En mĆŖme temps elle se dit qu’il ne faut pas qu’elle oublie de tĆ©lĆ©phoner Ć  ses frĆØres pour leur dire que dans une petite poignĆ©e de sable il y a presque 12000 grains de sable. Ils vont lui demander comment elle peut le savoir et elle va leur expliquer. Mais  elle se dit qu’ils ne la croiront pas, qu’ils lui diront qu’elle a fumĆ©.

Qu’elle a fumĆ© ! N’importe quoi, jamais elle ne s’amusera Ć  cela mais alors :  qui pour la croire ? LĆ  tout de suite maintenant, elle va voir si ce truc-lĆ  ne marche que pour le sable, elle s’est approchĆ©e de ce qui ressemble Ć  la mer, mĆŖme si derriĆØre elle distingue encore les montagnes.

Elle recueille entre ces deux mains un peu de cette eau, c’est presque la mĆŖme sensation que le sable, elle ferme les yeux 18 546. Ca y est, cette fois elle a la rĆ©ponse, elle s’en doutait de toute faƧon, il y a plus de gouttes d’eau c’est sĆ»r.

  • Penser Ć  tĆ©lĆ©phoner Ć  ses frĆØres, Ć  son pĆØre et leur dire qu’il y a plus de gouttes d’eau que de grains de sable. 

Elle allait remonter chez elle quand soudain elle a entendu que quelqu’un l’appelait par son prĆ©nom, d’abord elle n’a vu personne et puis en baissant les yeux presque devant ses pieds nus, elle a vu tout un groupe de gens, minuscules, Ć  peine plus grand qu’un ongle. Elle s’est baissĆ©e et avec la main droite elle les a ramenĆ©s dans le creux de sa main gauche, avec un peu de sable humide ; elle a portĆ© la main Ć  hauteur des yeux et elle a vu tout un groupe. Qui ils Ć©taient, elle ne savait pas, ce qu’ils faisaient lĆ  elle ne savait pas non plus mais en prĆŖtant bien l’oreille et parce que la mer Ć©tait calme elle distinguait bien quelques paroles, cela semblait ĆŖtre des paroles de colĆØre. Ils Ć©taient bien une dizaine, des enfants lĆ  au creux de sa main.

Ā« On en a marre, personne ne nous croit, personne ne nous croit jamais, on est toujours Ć  nous dire qu’on est trop petit, qu’on verra, qu’on comprendra plus tard quand on sera plus grand, on n’en peut plus de ne plus exister, nous ce qu’on sait c’est qu’un jour on rencontrera quelqu’un qui nous Ć©coutera qui nous croira qui nous verra et alors on existera Ā».

Alors elle s’est assise lĆ  par terre, enfin plutĆ“t par sable parce que quand on est au bord de la mer on oublie la terre, mĆŖme si la terre elle porte le sable sur elle et la mer aussi mais Ƨa aussi c’est une autre question.

Ā« Pourquoi on nous dit qu’il ne faut pas jouer avec la terre, que c’est sale,  et quand on est Ć  la mer on nous oblige Ć  jouer avec le sable : c’est compliquĆ© les mots, nous on voudrait qu’on nous laisse comprendre ce qu’on veut Ā».

Ā« Pourquoi on nous dit qu’il faut ĆŖtre sage Ć  l’école et en mĆŖme temps si on parle trop Ć  table on nous dit : sois sage, parle pas Ć  table ! Et aprĆØs Ć  l’école on nous dit que si on ne dit rien, si on ne parle pas c’est qu’on ne s’intĆ©resse pas ! Ā»

Ā« Et pourquoi on dit des vieux qui ne disent pas grand-chose mais que tout le monde Ć©coute quand il rĆ©citent une phrase qui ne veut rien dire qu’ils sont des sages. On y comprend rien on ne veut pas ĆŖtre des sages on veut pouvoir parler quand on a envie de dire quelque chose Ā».

Ā« Pourquoi quand les grands, les adultes parlent de nous, ils cherchent Ć  savoir ce qu’on pense ce qu’on ressent, alors qu’ils ne nous le demandent jamais pourquoi ils disent Ć  notre place ce qu’on pas envie de dire. Ā»  

Elle les Ć©coute, en silence parce que le moindre bruit risque de couvrir leur voix elle les Ć©coute et elle sait qu’ils ont raison ? Ils continuent leur liste de pourquoi.

Ā« Pourquoi quand on est tout petit on nous oblige Ć  embrasser des vieilles tantes fripĆ©es Ć  l’odeur de naphtaline en nous disant que Ƨa lui fera plaisir que c’est une vieille tante, qu’elle a jamais eu d’enfants et que quand on est grand,  un peu plus grand on nous dit que c’est pas bien d’embrasser le premier  venu mĆŖme si il est jeune, mĆŖme s’il est beau, mĆŖme si on l’aime. Ā» 

Ā« Pourquoi on nous dit, Ć  longueur de journĆ©e : tu ne peux pas comprendre quand on pose des questions sur ce qui nous intĆ©resse, nous rend curieux et par contre on nous dit d’essayer de comprendre de faire des efforts quand on est Ć  l’école ? Ā»

Le coucher de sommeil, 2

12 763 !

Et puis soudain alors que la liste ne cessait de s’allonger, elle a poussĆ© un petit cri, Ć  peine de l’étonnement car rien ne l’étonne et un rien l’étonne c’est d’ailleurs ce qui fait qu’elle est si Ć©tonnante et que tout le monde aime quand elle est lĆ .

LĆ , dehors Ć  la place de l’immense terrasse, il y avait la plage,  et plus loin Ć  la place du grand prĆ© qui bordait le bĆ¢timent, de l’eau, de l’eau bien bleue. En fait ce qu’elle voyait devant elle ce n’était rien d’autre que la mer, de la mer et de la plage. On ne dit pas comme cela d’habitude ? De la mer et de la plage ? Incorrect, cette formulation et bien tant pis se dit-elle moi Ƨa me plait, Ƨa a plus de sens !

Tant d’autres auraient hurlĆ© de terreur, ou seraient partis se recoucher certains d’être encore en plein sommeil ou sous l’emprise de quelques substances hallucinogĆØnes. Mais elle,  il lui en fallait plus pour la dĆ©stabiliser, elle n’a pas mis longtemps Ć  rĆ©agir et Ć  chercher puis trouver une rĆ©ponse, une rĆ©ponse que pourtant elle garde bien au chaud dans une de ses  boĆ®tes Ć  explications.

Son souci pour le moment c’est le sable, juste au bord de la porte fenĆŖtre, il ne faudrait pas qu’il entre, elle n’aime pas le sable quand il s’insinue lĆ  où il n’est pas fait pour aller. Elle n’a pas fait de bruit pour ne pas rĆ©veiller son compagnon et s’est dit qu’il faudrait chercher le parasol et des serviettes de plage, c’est quand mĆŖme mieux pour le sable, surtout qu’ils annoncent le beau pour les prochains jours. Elle sort sur la terrasse, enfin sur la plage, tout en se disant qu’il faudrait qu’elle ajoute deux ou trois choses dans sa liste

  • TĆ©lĆ©phoner Ć  sa mĆØre pour lui demander où sont les  rabanes
  • Ajouter Ć  la liste de course de la crĆØme solaire
  • Regarder les horaires des marĆ©es

Elle est dehors les pieds nus dans le sable. Le sable il est encore plein de fraƮcheur, Ƨa lui fait comme un gazouillis sous les pieds. Alors machinalement elle se baisse et prend une poignƩe de sable dans le creux de la main.

C’est un sable comme elle n’en a jamais touchĆ©, d’une douceur incroyable, elle ferme les yeux presque machinalement, et lĆ  soudain comme une diapositive qui se projette sur son Ć©cran intĆ©rieur, elle lit 1239, elle ne comprend pas immĆ©diatement, mais elle  a un pressentiment. Alors elle jette sa poignĆ©e de sable et elle en prend une autre,  plus grosse celle-ci, elle ferme les yeux et elle lit 12763.

Incroyable elle vient de comprendre : tout en gardant les yeux fermĆ©s elle laisse couler comme un filet de sable et elle voit les chiffres qui dĆ©filent, elles referment les mains et c’est le chiffre 9734 qui s’affiche. Super, ce truc Ƨa lui plaĆ®t, elle va pouvoir enfin savoir : plus de  gouttes d’eau ou plus de grain de sables ?

Le coucher de sommeil : 1

Une nouvelle Ć©crite il y a quelques annĆ©es Ć  l’occasion de l’anniversaire de ma grande fille, je la publierai en 4 parties ….

Un matin elle s’était levĆ©e plus rapidement que d’habitude avait tirĆ© les rideaux d’un geste prĆ©cis, ouvert la fenĆŖtre et en quelques secondes avait dĆ©cidĆ© que cette journĆ©e ne serait pas comme les autres. Pas comme les autres parce que tout le lui disait, partout, ce qu’elle voyait, ce qu’elle sentait, ce qu’elle ressentait, ce qu’elle entendait lui confirmait sa certitude de la nuit, aujourd’hui serait la journĆ©e des rĆ©ponses, la journĆ©e ou tout s’éclairerait. Cette nuit comme souvent, comme parfois des questions avaient tournĆ© en boucle dans sa tĆŖte des questions sur la vie, sur la mort, sur l’amour, sur les autres, des questions sur l’absurde, sur la bĆŖtise, sur l’indiffĆ©rence, des questions sur l’insuffisance, sur le mĆ©pris, sur les fausses idĆ©es, sur le temps, pas sur le temps des nuages, pas sur le temps du soleil, non sur le temps qui s’accroche aux pendules, aux aiguilles ce temps qui vous pique.

Cette nuit elle avait eu 25 ans et comme elle est quelqu’un d’organisĆ© contrairement Ć  ce que certains croyaient autrefois parce qu’on s’attache trop aux dĆ©tails aux apparences elle a dĆ©cidĆ© cette nuit de chasser toutes ces questions et demain de chercher les rĆ©ponses, toutes les rĆ©ponses.

Elle n’a pas tout de suite remarquĆ© le changement dans le paysage, concentrĆ©e qu’elle Ć©tait Ć  cette nouvelle journĆ©e qui s’ouvrait, les yeux grands ouverts, il y avait comme une liste qui se dĆ©roulait derriĆØre son regard rieur, elle n’aimait pas ĆŖtre prise au dĆ©pourvu et aimait organiser ses journĆ©es.  

Aujourd’hui, c’était entre autres.

  • Finir ses courses sur internet
  • Choisir un cadeau pour sa sœur
  • TĆ©lĆ©phoner Ć  sa mĆØre pour lui dire qu’elle avait choisi un cadeau pour sa sœur
  • Choisir un cadeau pour sa mĆØre avec ses frĆØres
  • TĆ©lĆ©phoner Ć  ses frĆØres pour leur dire qu’elle allait choisir un cadeau pour leur mĆØre
  • Faire un gĆ¢teau pour ce soir
  • PrĆ©venir par tĆ©lĆ©phone ses amis qu’elle ferait un gĆ¢teau pour ce soir
  • Finir les courses pour faire un gĆ¢teau pour ce soir
  • TĆ©lĆ©phoner Ć  sa mĆØre pour lui demander ce qu’elle aimerait comme cadeau pour NoĆ«l
  • Dire Ć  son compagnon de changer la litiĆØre du chat
  • TĆ©lĆ©phoner Ć  ses autres amis pour dire qu’elle ferait un gĆ¢teau pour ce soir
  • Et plein d’autres choses encore

Et puis soudain alors que la liste ne cessait de s’allonger, elle a poussĆ© un petit cri, Ć  peine de l’étonnement car rien ne l’étonne et un rien l’étonne c’est d’ailleurs ce qui fait qu’elle est si Ć©tonnante et que tout le monde aime quand elle est lĆ .

Matinales…

Pas un bruit
Pas mĆŖme la douce caresse
Du flocon qu’on attend
Il viendra je le sais
Du bout d’un bisou
Il viendra se poser
FraƮche tendresse
Dans la braise Ʃtreinte
Du creux de mon cou alangui

Des mots aux ailes bleues…

Je voudrais Ʃcrire,

Oh oui, je le veux…

Ɖcrire pour deux,

Pour toi, pour eux.

Je voudrais Ʃcrire

Heureux,

Entre deux lourdes marges en feu.

Oh, je voudrai tant Ʃcrire,

Ce mot qui caresse,

LĆ , seul,

Il attend, rien ne presse.

Je voudrais tant Ʃcrire

Tendresse,

Sur une feuille d’automne

Aux rimes mauves

Sur le titre accrochƩes.

Je voudrais tant…

Tremper ma plume

Dans une flaque de rires jolis.

Je voudrais tant entendre

De longs mots aux ailes bleues.

Ils chantent, ils dansent,

C’est eux, ils sont arrivĆ©s.

10 fƩvrier 2020

Ne regarde pas comme les autres…

Ne regarde pas comme les autres.

Les autres…N’écoute pas ce qu’ils te disent, sors de leur route toute tracĆ©e, choisis ton chemin. Et si on te rĆ©pond que ce n’est pas possible d’entendre la mer lorsque tu es dans la forĆŖt, ne dis rien, ferme les yeux et plains les, eux, qui n’entendent pas les arbres qui s’essaient au bruit des vagues. S’ils te disent que c’est ton imagination qui te joue des tours, rĆ©ponds-leur que leur imagination est en panne, fatiguĆ©e, dis-leur que c’est quand on ne veut pas voir ce qui est vrai, quand on ne veut pas entendre le bruit des vagues qui secouent les crĆŖtes des sapins qu’on est trompĆ© par son obsession du rĆ©el convenu.

Cette imagination-lĆ  n’est pas la tienne, tu n’en veux pas de ces artifices pour enfant naĆÆf qui fabriquent du magique pour empĆŖcher d’aller ailleurs, de choisir d’autres chemins, tu n’en veux pas de cette mythologie prĆ©fabriquĆ©e qui fabrique des rĆŖves Ć  la chaĆ®ne, des rĆŖves qui sont toujours les mĆŖmes, depuis longtemps, et pour tout le monde. Tu dois leur dire que les arbres tu les vois comme des arbres et pas comme de vieilles femmes aux doigts crochus ou tout autres monstres qu’on veut entrer de force dans les tĆŖtes pour que les peurs soient identiques.

Tu ne dois pas ĆŖtre comme les autres. Les arbres tu dois les voir arbres et la mer que tu entends quand ils bougent dans le vent tu dois dire que c’est la mer. Tu ne dois pas dire : ils font comme la mer, c’est comme la mer, j’ai l’impression d’entendre la mer. Tu ne dois pas dire cela parce que c’est injuste de le dire, c’est injuste pour les arbres d’abord, et puis pour la mer surtout, c’est comme si tu disais que la mer n’existe pas, qu’elle est ailleurs, plus loin, toujours plus loin, qu’elle n’appartient qu’à ceux qui prĆ©tendent qu’ils l’ont vue, qu’ils l’ont entendue avec leurs mots Ć  eux, avec les mots qui ont Ć©tĆ© fabriquĆ©s par d’autres pour dire que la mer existe, ici, et pas ailleurs…

Toi tu dois dire que la mer existe ici, dans ces forĆŖts d’altitude, tu dois dire qu’elle est lĆ , derriĆØre ce vent, comme une mĆ©moire……

Mes Everest, Marie Claire Bancquart…

Incertaine

Les oiseaux-conseils sont partis

Ayant dƩlavƩ leur tristesse

Tu te passerais bien

De l’automne et du feu perdu

Le printemps proche est repliƩ

Sur un oeil blanc

C’est novembre ou avril tu as perdu le temps

Tu ne sais s’il recule ou monte

Ta confiance

Te semble nulle au regard de cris cent fois volƩs

Tu sens les os de ton squelette

Tu finirais

En cristaux

De crƩation manquƩe

Les mots s’envolent…

Il ouvre son livre intƩrieur

Et ajoute quelques pages.

L’encre ne sĆØche plus.

Elle coule

Douce et légère.

C’est le sang vif des mots.

Ils s’échappent, lumineux.

Le jour les Ʃveille.

C’est si beau

Ces mots qui s’envolent.

Dans le vent qui attend, quelques grains de lumiĆØre,

Les yeux les lisent, le regard se plisse.

Le cœur s’affole,

On est bien.

Pas un son n’essaye le bruit,

Tout est mĆ©lodie.  

Des notes s’enroulent

Autour des mots,

Flotte comme un doux parfum de nuit

Sur la vitre…

J’ai posĆ© le doigt

Sur la lune molle

De la vitre brƻlƩe

Loin du soleil rageur

Un oiseau s’est posĆ©

Ses ailes de velours

Battent doucement du cil

BouĆ©e…

L’homme est courbĆ©,

Son dur regard racle le sol.

Lever les yeux ?

Il ne le veut pas,

Il ne le peut plus.

L’homme est triste,

Il marche

Sur le fil gris de la peur.

Il tire sur les manches de la douleur,

Soudain,

Merle siffle ;

L’homme dĆ©plie un bout de sourire,

Essuie la buĆ©e de ses larmes bleues,  

BouƩe est lƠ, ronde et fleurie.

Elle est pour lui

Il la serre,

Tout est fini.  

Mes Everest, Stefan Zweig

La jeune fille

Aujourd’hui, je ne peux trouver le repos…

La faute sans doute Ć  cette nuit d’Ć©tĆ©.

Le parfum des tilleuls Ʃclos

Pénètre par le battant écarté.

Oh, toi mon cœur ! Si maintenant il venait

-Ma mère depuis longtemps est allée se coucher-

Et dans ses bras te prenait…

Toi mon faible cœur…Jusqu’où te laisseras-tu aller ?

Cordes d’argent-1901-

Peut-ĆŖtre…

Dans le goutte Ć  goutte d’un monde Ć  l’agonie
Je mettrai des restes de larmes de tendres joies
Nous attendrons que les plaies de haine se ferment
Et nos doigts s’effleureront en vibrant
Ce sera dans un peut-ĆŖtre demain
Et je te prendrai la main

24 mars 2025

La Norme et la BeautĆ©…

Où l’on dĆ©couvre que norme et beautĆ© ont parfois un peu de mal Ć  s’entendre, Ć  se comprendre. Aujourd’hui nous retrouvons une norme Ā« Ć©tonnĆ©e Ā» pour ne pas dire irritĆ©e. Elle a convoquĆ© une beautĆ© libĆ©rĆ©e et l’interroge sur ses mauvaises frĆ©quentations.

Norme : Que fais-tu ici ? Regarde autour de toi, ouvre les yeux, tu le vois bien, ici il n’y a rien que tu puisses regarder.

BeautĆ© : Ce que je fais ici ? Mais je ne fais rien, je suis, je sens, je ressens. Et toi tu ne vois rien ? Ici je suis bien, ici je suis invitĆ©e. Alors tu vois, mĆŖme pour quelques instants je vais m’installer…

Norme : InvitĆ©e ? InvitĆ©e ? Toi la beautĆ© ? Mais regarde, ici tout est laid, qui t’aurait donc invitĆ© ?

BeautĆ© : Du laid, du laid ? Suis-je Ć  ce point aveuglĆ©e, que je n’ai rien vu de tout ce laid que tu as dĆ©cidĆ© de m’inventer. Moi je n’ai rien vu, et ici, tout, oui tout me plait. Toi tu restes enfermĆ©e entre les murs lisses de tes lignes droites. Regarde la douceur de ces courbes, c’est si simple, ici je suis bien.

Norme : Tu n’as rien vu et moi je n’ai rien su. Tu le sais, tu ne peux l’ignorer, jamais tu ne dois distribuer de la beautĆ© sans que j’en sois informĆ©e. La beautĆ© m’appartient, tu n’es que messagĆØre.

BeautĆ© : Oui je le sais, et je l’ai voulu, je suis venu et je ne t’ai rien dit. Peut-ĆŖtre pour que tu ne puisses rien abĆ®mer. Ici vit un gris, un si beau gris oubliĆ©, il s’est souvenu de qui il Ć©tait, alors il m’a appelĆ© et sans hĆ©siter je suis venue.

Norme : Un gris oubliĆ© ? Mais tu t’égares ma pauvre beautĆ©. Regarde autour de toi, regarde ce que je vois, ce n’est que du terne, avec un gris qui nous dĆ©sespĆØre. Ici tout est sale, et si plein de triste.

BeautĆ© : Mais ce que tu vois, ma pauvre, ce n’est que ce que tu crois. Ouvre les portes, aĆØre-toi, regarde avec l’arriĆØre de tes yeux et alors tu comprendras.

Norme : Cela suffit ! Je te le rappelle une derniĆØre fois, tu ne peux pas dĆ©cider n’importe quoi. Remballe tes couleurs, range ton gris oubliĆ© et rentre chez toi.

BeautĆ© : Moi tu vois, c’est ce qui me plait, ici. A cette table je me sens vivante. Ici tout est riant. Regarde, ouvre-toi, tout est surprenant. Ici personne ne m’attend.

Norme : Je veux bien, mais juste quelques instants, je ne veux pas d’incidents.

Matinales…

A l’heure molle des impatiences cadencĆ©es

J’entends parfois le cri de l’oiseau noir

Il pleure une curiositƩ engloutie

Au fond du gouffre numƩrique

Visages courbƩs

Nuques raides

Regards polis de vides

Ils ont effacƩ

D’un doigt qui glisse sur le verre appauvri

Les derniers chants qu’ils prennent pour des cris

Pas un signe pour lui

Oiseau noir ce matin est encore seul

Je lĆØve les yeux

Je sais qu’il me voit qu’il m’attend

Oiseau noir du matin

Tu es mon rƩveil chagrin

12 avril

Mes Everest , FranƧoise Delcarte…

Peut-ĆŖtre le visage souvient-il encore…

Peut-ĆŖtre, le visage se souvient-il encore,  lui.
Il  doit avoir des yeux comme du fenouil,  des yeux comme
             une  seule  poignĆ©e  de  thym  sauvage  dans  la  main.

Quelqu’un le regardait, alors.
Le regardait comme on regarde un oiseau.
Mais n’a pas aimĆ© l’arbre, la feuille.

Aujourd’hui, je n’ai plus que des doigts.
Une vie comme une grande Ʃtoile sur la mer.
Qui s’ajoute aux Ć©toiles.

Parfois, la nuit, une main appuie sur l’eau la courbe de
             la barque.
Mais,  c’est Ć  peine.
On se dissout plus loin.

MƩmoire.
Et le jour.
Et qu’il tombe.
Une main venue prendre un caillou sur la plage.

FranƧoise Delcarte, Ā« Pouvoirs Ā» inĀ Infinitif, Éditions Seghers, 1967 .

Petit bonheur ferroviaire Ć©phĆ©mĆØre…

En arrivant ce matin sur le quai de la gare, j’ai perƧu un petit quelque chose de bizarre, d’anormal. D’abord une sensation physique : je respire… Oui c’est cela : c’est dans l’air !  La respiration est un vrai bonheur, subtil mĆ©lange de fraĆ®cheurs et d’odeurs d’herbe coupĆ©e. Je me suis dit que dans le fond de l’air il y avait certainement un petit peu de bonheur, un tout petit peu. Alors j’ai  souri, parce que le bonheur c’est pour fabriquer du sourire,  sinon ce n’est qu’une escroquerie de plus.

Je souris et – c’est bien cela que j’ai ressenti comme inhabituel – la premiĆØre personne que j’ai croisĆ©e, une habituĆ©e comme moi, souriait aussi, d’abord seule, pour elle, comme moi, et puis j’ai bien vu qu’elle me souriait. Elle qui tous les jours serrent les dents pour ne pas risquer d’être obligĆ© de rĆ©pondre Ć  mon regard, aujourd’hui elle me sourit. Incroyable ! Je me dis que c’est un hasard, un heureux hasard, que ce matin, enfin, elle est contente, peut-ĆŖtre mĆŖme heureuse. Elle est contente de cette journĆ©e qui s’ouvre, contente de ce qu’elle est, de ce qu’elle fait. Tout simplement contente de vivre. Mais, je reste sur l’hypothĆØse du hasard.

Quand j’arrive sur le quai je me dis que le hasard a beau bien faire les choses, lĆ  c’est quand mĆŖme beaucoup, j’ai mĆŖme pensĆ© Ć  un tournage : peut-ĆŖtre un film publicitaire sur le bonheur de prendre le train ou la joie d’aller travailler. Mais non je me trompe, je connais toutes ces silhouettes, je les croise tous les jours, certaines depuis des annĆ©es. Et lĆ , tout le monde sourit, il y en mĆŖme qui parle, et mieux encore qui se parlent. Je n’en peux plus, ma joie dĆ©borde. Je vais enfin pouvoir dire bonjour Ć  toutes ces compagnies du matin sans qu’elles ne se sentent agressĆ©es.

Ā« Bonjour, bonjour, bonjour Ā» ! Je suis comme un rossignol,  je sautille sur le quai, je suis empli d’un incroyable bonheur ferroviaire. Sur le quai d’en face il semble que ce soit pareil. Je m’emballe, je me dis que je vais enfin pouvoir parler avec cette jeune fille qui tous les matins, depuis trois ans attend  au mĆŖme endroit, qui monte avec moi dans le mĆŖme compartiment qui descend dans la mĆŖme gare.  Je vais lui parler, tout simplement,  elle va me rĆ©pondre : je le sens,  je le sais,  je le veux.

Je m’approche d’elle, d’abord un bonjour, puis un sourire, puis deux, ma bouche s’ouvre pour lui proposer une de ces insignifiances qui ce matin seront de vraies perles Ć  conserver pour ce petit bonheur matinal qui nous a surpris en plein rĆ©veil. Ā« Je, je …. Ā»

Et soudain, la terrible voix fĆ©minine de la SNCF, terrible voix si belle, si chaude si sensuelle, cette voix qui fige tout le monde sur le quai : Ā« que va-t-elle annoncer, ce matin : encore du retard, une annulation, peut-ĆŖtre ? Ā»  

Ā« Votre attention s’il vous plait : en raison de la rĆ©utilisation tardive d’un triste matĆ©riel, le bonheur que vous respirez depuis ce matin, aura une durĆ©e indĆ©terminĆ©e, nous vous tiendrons informĆ© de l’évolution de la situation : en cas de difficultĆ© Ć  poursuivre votre voyage vers la morositĆ© ferroviaire, veuillez-vous adresser aux agents les plus tristes sur le quai Ā»

J’ai baissĆ© la tĆŖte, avalĆ© mon sourire et comme tous les matins j’ai regardĆ© le cadran de ma montre. 

Mes Everest, Anne HĆ©bert…

La voix de l’oiseau

J’entends la voix de l’oiseau mort
Dans un bocage inconnu.

L’oiseau chante sa plainte
ƀ la droite
De ma nuit.

J’entends le bruissement des peupliers
Qui font un chant liquide
Tout autour de moi,

Ǝle noire
Sur soi enroulƩe.
CaptivitƩ.

De moi Ć  l’oiseau
De moi Ć  cette plainte
De l’oiseau mort
Nul passage
Nul secours

Que sa plainte reƧue
Que sa plainte revĆŖtue
Par la voix intƩrieure

Pareillement blessƩe
Pareillement d’ailleurs

D’une nuit Ć©gale
D’une mort Ć©gale
Ɣ Paradis dĆ©chirĆ© !

Anne HƩbert

PoĆØmes

Ɖditions du Seuil, 1960

En route vers la bibliothĆØque

Ā« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! Ā». Ce matin Jules s’est levĆ© en sueur.

Ā« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! Ā».

Ces paroles ne le quittent pas. Elles sont là, elles résonnent, ou plutÓt elles chantent au fond de son crâne douloureux.

Jules ne se souvient que trĆØs rarement de ses rĆŖves. Mais ce matin, il sait, il sent. Il est certain que ce sont des paroles qu’il a entendues cette nuit, dans son sommeil.  Il lui semble mĆŖme reconnaĆ®tre cette voix. Une voix douce et gaie. Il faut dire que Jules vit seul, et dĆ©bute sa journĆ©e, comme il l’a finie : dans le silence. C’est pour cette raison qu’il aime tant la compagnie de cette voix, comme une caresse qui le rĆ©conforte.

Tous les matins depuis dix jours il prend le temps de faire le tour de son appartement avec ce nĆ©cessaire regard d’explorateur, comme s’il dĆ©couvrait Ć  chaque fois, un territoire inconnu. Oh ce n’est pas trĆØs grand, mais il a suffisamment d’imagination pour s’inventer Ć  chacune de ses tournĆ©es des aventures nouvelles. Il s’attend toujours Ć  ĆŖtre surpris, Ć  dĆ©couvrir, qui sait, un coin encore vierge, dans une des quatre piĆØces de son logement. IntĆ©rieurement il sourit de sa naĆÆvetĆ© : comme si les lois de la gĆ©omĆ©trie pouvaient Ć  la faveur de ce confinement ĆŖtre bouleversĆ©es. Ce serait incroyable que je sois le premier Ć  dĆ©couvrir que dans certains rectangles, on peut trouver un cinquiĆØme coin. Pauvre Jules, il est seul et ne sait plus quoi inventer pour s’aĆ©rer, pour s’obliger Ć  ne pas rester enfermĆ© entre ces quatre murs. Quatre murs ? Il faudra peut-ĆŖtre que je recompte se dit-il ?

Ā« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! Ā».

Toujours ce refrain qu’il entend, petite voix dĆ©sormais familiĆØre. Il a mĆŖme l’impression qu’elle se rapproche dĆ©sormais

AprĆØs avoir traversĆ© le long couloir – sans faire de pause s’il vous plait- Jules se trouve dĆ©sormais devant sa bibliothĆØque.

Jules commence par un long moment d’admiration, presque de la contemplation. Il est vrai qu’il a un cĆ“tĆ© maniaque qu’il assume totalement ; il ne se passe pas journĆ©e, en pĆ©riode normale, sans qu’il ne caresse les dos alignĆ©s de ses trĆØs nombreux livres, il les bouge parfois lĆ©gĆØrement, souffle sur le dessus, persuadĆ© que la poussiĆØre s’est encore invitĆ©e et va coloniser les pages.

Jules aime les livres, nous l’aurons compris. Et depuis le dĆ©but de cet enferment imposĆ©, Jules accomplit son rite plusieurs fois dans la journĆ©e. Nous ne sommes pas loin reconnaissons le de l’obsession.

Bref, Jules aprĆØs la longue traversĆ©e du couloir sombre et aride est lĆ , raide et rigide, plantĆ©e devant les rayons de sa bibliothĆØque. Une belle bibliothĆØque, bien fournie car Jules nous l’aurons compris aime les livres.

Ā« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! Ā». La voix semble se rapprocher.

Jules aime les livres bien sĆ»r, mais Jules aime les oiseaux aussi, il est mĆŖme passionnĆ©, il aime les observer, les Ć©couter, et surtout, Jules aime quand ils s’envolent… Nous aurons donc compris que comme Jules aime les livres et qu’il aime aussi les oiseaux, Jules a beaucoup, mais alors beaucoup de livres sur les oiseaux.

Ā« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! Ā».

Et d’un coup, d’un seul Jules comprend. Les livres, les oiseaux, la fenĆŖtre toujours fermĆ©e. Jules saisit un de ces magnifiques livres, qu’il aime tant feuilleter. Celui qu’il tient est un livre sur les oiseaux de mer, il le sort dĆ©licatement, caresse amoureusement la couverture et l’ouvre, lentement, trĆØs lentement…

Ā« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! Ā».

25 mars 2020

Printemps…

A la table des quatre saisons,

Comme chaque annƩe,

Je me suis installé…

Et pour monsieur, ce sera ?

Oh pour monsieur ce sera simple !

Un peu de printemps, s’il vous plait.

Et je le veux nature,

Sans fioritures,

Ni fanfares, ni trompettes !

Je vous en prie,

Je suis pressƩ.

Oh oui,

Il y a tant d’hivers

Que je l’attends.

C’est un printemps

Que je veux dƩguster

Et emporter…

Oui je le prends,  

Tel qu’il est…

Oui ainsi :

Fleuri,

Et pour le service,

Un sourire ou deux,

Et je serai comblƩ,

Pour tout l’étĆ©.

Mes Everest, Joyce Mansour…

On a pesĆ© l’homme

On a pesĆ© l’homme blanchi Ć  la chaux

On a pesƩ mon pied moins ses orteils

On a pesƩ les fruits mƻrs de ton ventre

Sur la balance inexacte des Ʃglises

Et on a retrouvé que le poids de mon âme

Egale celle d’un pingouin

Moins ses ailes

Flash…

Dans la mƩmoire des tristes aciers

Il reste une trace desĀ  cris de la terre

Et j’entends l’agonie des pierres grises

Qui rĆŖvent d’envol au pays des rondes plaintes

20 mars

Matinales…

Je lis les titres des malheurs du monde

Ils hurlent les longues douleurs

Et je rĆŖve d’Ć©crire une derniĆØre page

Qui raconte en rimes bleues les beautƩs oubliƩes

Flash…

C’est le jour de la feuille blanche

AffamƩ je me suis invitƩ

A la table des bien nourris

Au rƩgime des lettres arrondies

Autour tous les ventrus

Les repus de verbes acadƩmiques

Le menu du jour est sinistre

Fade comme un jour sans pain

En entrƩe un vague sonnet

Le plat de rƩsistance ne dit rien

On me dit sans rire que c’est du rĆ©chauffĆ©

Où sont les rires

Ou sont les mots que j’aime

Les flacons flocons blasons

Les nƩnuphars et tintamarres

Les balbuzards

Où sont les boucles et plumes

Les ailes et doubles l

Je n’en peux plus

Je quitte ce banquet de rimes en rƓt

Flous…

Et nous regarderons le temps disparu

Enfant pressƩ vole un presque rire

Il en barbouille les impatients

Au bord de la longue attente

Flotte trois mots lƩgers

Il est l’heure de la belle parole

Je n’entends plus les soupirs lents

18 mars

Matinales…

Derrière la vitre de mon voyage ferré

Je lis l’histoire de silence enfermĆ©s

Les mots se grisent au vent flou

De mes mers emmurƩes

J’entends les soupirs blasĆ©s

De l’inconnue vite croisĆ©e

OubliƩe

EvaporƩe

Page tournƩe

MƩmoire froissƩe

14 avril Ā 

Regarde le mur, inĆ©dit…

L’homme est seul

Il tremble

Je le vois dos courbé, tête rentrée

Il n’avance plus je le sais

Regarde

C’est un haut mur flou

Son sommet effleure un fond de ciel mou

Une ride de gris glisse

Au coin de l’œil qui plisse

Regarde le mur

Il pleure des larmes de pierre

Oh mur

On ne peut te percer du regard

Couvert d’une mousse de silences suintants

Il faut creuser et s’enfouir

Dans un gouffre de papiers perdus

Regarde il fond

Il coule

C’est la fin

Regarde, tu es passƩ

9 avril 2024

Retrouvons le tribunal acadĆ©mique…

Le temps qui passe Ć  travers la vitre

Le tribunal acadĆ©mique s’est rĆ©uni aujourd’hui dans son format le plus restreint. Car oui, il a bien fallu se rĆ©soudre Ć  le convoquer. Une fois de plus, le cas qui lui est soumis aujourd’hui est un peu particulier.

Le plaignant est un personnage Ć  part, chacun le connaĆ®t et pense l’avoir dĆ©jĆ  rencontrĆ©. Mais rares sont celles et ceux qui peuvent le dĆ©crire, si ce n’est pour dire : Ā« oui je l’ai vu, mais il est passĆ©, si vite que je n’ai mĆŖme pas eu le temps de lui parler. Ā»

Vous l’aurez peut-ĆŖtre compris, le plaignant est le prĆ©sent. Et Ć©videmment, quand le prĆ©sident du tribunal procĆØde Ć  l’appel, il commence toujours par dire : Ā« Ć  l’énoncĆ© de votre nom, je vous demanderai de bien vouloir rĆ©pondre prĆ©sent Ā».

Et il dƩbute son appel.

  • PrĆ©sent ?
  • …
  • Je rĆ©pĆØte : prĆ©sent ?

C’est l’avocat de la partie civile, c’est-Ć -dire, de prĆ©sent qui rĆ©pond.

  • PrĆ©sent est absent, monsieur le prĆ©sident, mais comme la loi m’y autorise je le reprĆ©sente…

Le prĆ©sident du tribunal soupireĀ : Ā il sait dĆ©jĆ  que la sĆ©ance va ĆŖtre compliquĆ©e. Il demande Ć  la cour en formation restreinte d’être attentive car il va procĆ©der Ć  la lecture de la plainte dĆ©posĆ©e par le prĆ©sent.

« Le prĆ©sent, absent aujourd’hui, mais reprĆ©sentĆ© par son mandataire, ici prĆ©sent, a dĆ©posĆ© une plainte pour je citeĀ : oubli du prĆ©sent, falsification du passĆ©, escroquerie sur le futur et surtout, utilisation abusive d’un temps vaporeux, Ć  savoir le conditionnel. »

« Le jury aprĆØs avoir dĆ©libĆ©rĆ©, informe le prĆ©sent que s’il n’a pas Ć©tĆ© en mesure de prendre une dĆ©cision concernant tous les temps, il a toutefois considĆ©rĆ© que dans cette pĆ©riode, un peu particuliĆØre, les conditionnels suivantsĀ : il faudrait, il aurait fallu, nous aurions dĆ», ne pourront plus ĆŖtre employĆ©s qu’aprĆØs avoir pris le temps de les prononcer dix fois de suite en se regardant fixement face Ć  une glace. »

A prƩsent la sƩance est levƩe.

4 avril

Matinales

J’ai lu la derniĆØre page de ta mĆ©moire gravĆ©e
Au recto de ta longue vie
Tant de fois racontƩe
Je vois un champ de rires
Au rose si lƩger
Une Ć  une
Les fleurs de papier se sont envolƩes
Au verso quelques lignes ont noirci
Et pleurent en glissant
Tes derniers mots aux rimes inachevƩes

Tu t’en foutais d’ĆŖtre nĆ© : fin

Tu devrais plus souvent ĆŖtre seul

T’es trop souvent avec lui

Il est tricheur

Parce qu’il perd souvent

Quand il veut

Il est frimeur

Parce qu’il a toujours peur

Parle lui

Dis lui qu’on le vire

Dis lui qu’il ne se correspond pas

Qu’il est autre

Comme ceux qu’il a crƩƩs

Comme ceux qu’il a jugĆ©s

Dis lui qu’il est dĆ©passĆ©

Mais lui il s’en fout

Il le sait

Mais il faut s’aider

Parce qu’on est rien

Parce qu’on ne peut entendre sa raison

Parce qu’on ne peut attendre que Ƨa passe

De toute faƧon demain tu seras ƩcrasƩ par un tramway

Tu peux ĆŖtre peureux

De supposer

Que finalement t’es pas lĆ  pour rien

Tu sais que l’unique ne peut exister

Sinon chez les thƩoriciens

Masturbateurs de cerveaux

Sinon chez les jardiniers

Du sentiment des autres

Tu ne peux pas passer ta vie Ć  imaginer l’homme

Sans savoir s’il existe rĆ©ellement

Comme les autres

Tu ne peux pas passer ta vie

A t’imaginer

Dans ton rĆŖve

Sans savoir s’il est tien

Sans savoir s’il est rĆ©alitĆ©

Sauf peut-ĆŖtre pour d’autres

Pour elles

Pour eux

Veux tu encore construire de l’amour

Parce que c’est un jeu entre deux fous

Parce qu’on invente des rĆØgles

Parce qu’on recommence

Toujours les mĆŖmes rĆØgles

MĆŖmes conneries

Jamais le mĆŖme prudent

Jamais le mĆŖme perdant

Et de toute faƧon demain tu seras ƩcrasƩ par un tramway

On dirait que tu cours aprĆØs ceux qui te fuient

Parce qu’ils ont vu l’image

Parce qu’ils ont tournĆ© la page

Parce qu’ils s’en foutent

Et toi tu t’essouffles Ć  espĆ©rer

Quelquefois

Suicide toi

Meurs un peu

Fabrique toi une fin

Les yeux fermƩs

Sans les autres parce tu aurais peur

De toute façon demain tu seras peut-être écrasé par un tramway

Tu t’es peut-ĆŖtre trompĆ©

Tu veux peut-ĆŖtre te lever de ton lits de songes

Qu’est ce que tu attends pour enfin distribuer ton portrait

Sans le faire payer au prix de tes mots d’avenir

Qu’est ce que tu attends pour te raconter

A ton auteur

Sans te mettre Ć  trembler

Tu touches la vie

Comme celle que tu aimes

Tu veux la faire aimer

Tu veux qu’elle te rĆ©ponde

Mais elle se tait

Parce qu’elle s’en fout

Parce qu’il est trop tard

Et toi t’es pas d’accord

Alors tu continue

Parce qu’autrement tu te ferais Ć©crasĆ© par un tramway.

Tu t’en foutais d’ĆŖtre nĆ© : -3-

…T’es sĆ»r qu’aimer n’est pas original

C’est peut-ĆŖtre le mot qui pue

Mais t’es sĆ»r d’autre chose

Parce que tu le cherches

Tu en parles pourtant

Comme les autres

Mais tu t’en fous

Ou tu fais semblant

Comme les autres

De toute faƧon demain tu seras ƩcrasƩ par un tramway

On dirait que t’as peur

De ne plus pouvoir te taire quand t’es triste

Et pourtant tu ris derriĆØre ton enterrement

Tu ris

Et les autres savent pas

Que tu trembles

Pour qui t’a tuĆ©

Pour qui t’a oubliĆ©

Tu trembles

Et les autres croient qu’il n’y a qu’une rĆ©alitĆ©

Celle de l’utile apparence

Et pourtant tu voudrais leur dire

Et pourtant tu voudrais craquer

Mais tu ne dis rien

Parce que t’as peur

Parce que tu attends

Parce que tu attends la fin de ton rĆŖve

Heureux tu l’as trouvĆ©

Et c’Ć©tait pas mieux

Tu veux revenir au dƩbut

Parce que tu hais les fins

Qui n’existent pas

Tu veux revenir au dƩbut

Pour que les autres sachent

Qu’il y a autre chose

Que tu l’as trouvĆ©

DƩjƠ tu vas plus vite

Que ton rĆŖve

Je crois que tu vas laisser tomber

Pas les autres

Eux aussi ils cherchent

Ils te croisent

Vite

Toujours le rĆŖve

Ils sont ailleurs

Tu les fais tien

Et tu les oublies

Ils sont autres

PoĆØmes de jeunesse : tu t’en foutais d’ĆŖtre nĆ© -2-

…Et pourtant on sent que t’as peur

Pour elle

Du silence

De ses questions sans secrets

Et pourtant elle ne veut rien te dire

Et pourtant elle tue tes rĆŖves

Et pourtant elle te tue

Parce que tu ne dis rien

Parce que tu parles avec celle qui est en toi

Parce qu’elle n’est pas celle lĆ 

Parce que c’est dĆ©jĆ  une autre

Parce qu’elle est dĆ©jĆ  dans le rĆŖve d’un plus Ć©trange que toi

Et toi tu parlais avec ton rĆŖve

Et tu t’en foutais d’ĆŖtre nĆ©

Tu vois la rƩalitƩ

Alors tu ne dis rien

Parce que t’as peur

Parce que tu sais qu’elle s’est Ć©chappĆ©e

Parce que tu t’es trompĆ©

T’as encore peur

T’es un peu paumĆ©

Je crois que tu finiras par comprendre

Que les autres t’oublieront

Parce que tu n’es que toi-mĆŖme

Parce que tu n’es qu’un autre

Tu n’es que l’infime particule

D’un sentiment qui appartient

A ceux que tu n’as pas revus

A ceux qu tu n’as pas prĆ©vus

Tu veux pas rƩussir

Comme les autres

T’es sĆ»r qu’il y a mieux

T’es sĆ»r de trouver

T’es sĆ»r qu’aimer n’est pas original

PoĆØmes de jeunesse : « Tu t’en foutais d’ĆŖtre nĆ©… » -1-

Un texte, trĆØs long celui ci aussi, Ć©crit entre 1978 et 1979, je le publierai en plusieurs fois : son titre « tu t’en foutais d’ĆŖtre nĆ©… »

Tu t’en foutais d’ĆŖtre nĆ©

Dis tu t’en foutais

Tu rĆŖvais pas

Ou tu t’en souviens pas

Et maintenant t’as peur

T’as peur

Et tu sais pourquoi

Le chaque jour de ta vie

Est un bagne de rĆŖves

Et tu veux pas t’Ć©vader

De toute faƧon demain tu seras ƩcrasƩ par un tramway

Sors du foetus

ArrĆŖte de dire que t’es nĆ©

Pour ta libertƩ

Comprends qu’ils t’ont condamnĆ©

Comprends que le code t’a accouchĆ©

Pour que les lois puissent t’Ć©lever

T’en avais pris pour une vie

Et t’as cru t’Ć©chapper

T’as failli tout perdre parce que t’as cru ĆŖtre le plus fort

ArrĆŖte de dire que les autres ont tort

Parce qu’ils dĆ©racinent ton arbre de vĆ©ritĆ©

ArrĆŖte de conjuguer les autres Ć  la troisiĆØme personne

Arrête de te déchirer sur leur indifférence

Criminelle

Un jour peut-ĆŖtre on parlera de toi au futur

Un jour peut-ĆŖtre…

Flash…

Entre deux Ʃpaisseurs de malaise
Se glisse une ombre tremblante
Une faible lueur s’invite au gris banquet
Elle signe d’une main molle
Au creux du bas de page
Un mot doux qui brille en glissant

13 mars

Matinales…

Pardonne moi Ɠ mer oubliƩe

Pardonne moi il est long et gris

Ce temps abandonnƩ aux vagues ennuis

Tu es lĆ  rassure-toi

Rime sableuse de mes insomnies

J’entends ton roulis

Dans le creux de mes houles nocturnes

Il ondule et glisse en sifflant

Ne crains rien tu sais je t’entends

Le chant mauve de ton Ʃcume

Se pose doucement sur la tendre plaine de mes encres apaisƩes

Matinales, inƩdit

Je plonge des yeux encore fripƩs de nuit
Dans une bleue et lointaine vallƩe
Y coule le sourd torrent de mes mémoires rêvées
J’entends chants et rires qui s’éloignent
Et moi je reste sur les cimes lumineuses
De ces doutes aux brumes enroulƩes

Carnets : j’ai un trou de mĆ©moire…

J’ai un trou de mĆ©moire…

J’ai un trou de mĆ©moire… Curieuse non cette expression ? Pour ma part, j’ai plutĆ“t l’impression quand je suis confrontĆ© Ć  ce problĆØme de trou qu’il s’agit plutĆ“t d’un trou DANS la mĆ©moire. Comme s’il s’agissait d’un panier percĆ©. Et au bout du compte si on rĆ©flĆ©chit un peu un trou ce n’est rien ou plutĆ“t ce n’est que du rien, qu’un peu de vide autour de tout, d’un tout ou du plein pour ne pas dire du pain parce qu’un trou dans le pain ce n’est rien ou trois fois rien. Mais revenons Ć  nos moutons : un trou de mĆ©moire ne serait finalement rien ou presque rien. Et le presque est ici important : il rappelle que trĆØs souvent au bord du trou il y a un tas : le tas composĆ© de ce qui a Ć©tĆ© extrait du trou avant qu’il ne devienne trou. Si je poursuis mon raisonnement je me dis que finalement tout est lĆ , au bord, et qu’il suffit de chercher, de trier et alors on retrouvera bien quelque chose, pour combler le trou.

Je me relis et je me dis que tout cela n’est peut-ĆŖtre pas si clair, qu’il manque quelque chose, qu’il y a comme on le dit parfois un trou dans la raquette. Tout cela est bien complexe et plus j’avance plus je me dis que la solution est probablement au fond du trou.

Mais c’est une autre histoire

Mes Everest, GrĆ©goire Delacourt…

Parmi les pauses lecture que je m’accorde pendant mon chantier d’Ć©criture, il y a eu ce magnifique roman de GrĆ©goire Delacourt. L’extrait que je vous propose est comment dire d’une intensitĆ© poĆ©tique qui me provoque des vibrations.

/… Sa famille.

Des cultivateurs dans le CambrĆ©sis. Vingt hectares de lecture fourragĆØre. Quelques bĆŖtes. Des nuits de peu d’heures, des mains usĆ©es, des ongles noirs, comme des griffes, la peau tannĆ©e, un vieux cuir craquelĆ©. Jamais de vacances, jamais de premier mai parfumĆ© au muguet ; la terre, toujours, la terre exigeante, capricieuse ; et la mer, une fois, une seule, pour mes sept ans, a-t-il prĆ©cisĆ©, mais pas vraiment la mer, une plage plutĆ“t, celle des Argales, Ć  Rieulay, du sable fin au bord d’un lac artificiel sur un ancien terril ; mes parents n’avaient pas voulu me dĆ©cevoir : ils avaient dit qu’il n’y avait pas de vagues ce jour lĆ , une histoire de lune, de planĆØtes, je ne sais plus, et je les avais bien crus, bien que l’eau ne soit pas salĆ©e, ah Ƨa ! disait mon pĆØre Ć  propos du sel, Ƨa dĆ©pend des courants, des marĆ©es et mĆŖme de la lune, AndrĆ©, c’est trĆØs compliquĆ©, tu sais, tout ce bazar, et plus tard j’ai compris qu’ils avaient voulu m’Ć©crire une histoire unique, m’enseigner que l’imagination fait advenir tous les voyages, exhausse toutes les enfances. Ils ne se plaignaient jamais, ni du gel ni des pluies qui pourrissaient tout ; ils sillonnaient et faƧonnaient la terre comme des sculpteurs, comme des amants ; ils lui parlaient, ils la remerciaient les jours de grande rĆ©coltes , la consolaient lorsque le froid la fendillait et la gerƧait ; ils aimaient que le temps marque les choses. Ils attendaient les printemps comme on attend un pardon. /…

Flash d’humeur…

Je ne veux pas Ʃliminer ce qui repose ma rƩtine

FatiguƩes des figures imposƩes

Des beautƩs qui Ʃtonnent

Cherchent une place

Elles hƩsitent et veulent entrer

Les vigiles acadƩmiques veillent

Vous n’existez pas sur ma palette apprise

Je vous invite Ć  rester correcte

Et vous refaire une beautƩ

Dans la longue file des oubliƩes

Les refoulées lèvent en riant

Un point qu’elles posent sur ce bout de ligne perdue

10 mars 2025

Sur le tableau noir de mes envies

Sur le tableau noir de mes dĆ©sirs d’écriture
J’ai tracĆ© quelques lettres de brumes
Des mots bleus se sont envolƩs
A tire ligne jusqu’au bord d’une blanche feuille
Que j’avais attendue
Une phrase est lĆ , en suspens
Une autre aussi qui l’attend
Je les regarde heureux
Elle se sont aimƩes
Avec mon consentement

Mes Everest, Robert Sabatier…

J’entre et je sors de moi-mĆŖme souvent,

Je me demande audience parfois,

Je me rencontre en de noirs corridors,

Je fais semblant de ne pas me surprendre

Ou je m’ignore.

                        Un long sanglot nocturne

Brise un miroir. On voyage on voyage

Et l’on se quitte, on joue Ć  cache-cache,

Mon corps et moi, mariĆ©s de l’aurore.

Suis-je sans ĆŖtre ? Et rĆŖver n’est-il vivre

Hors de soi-mĆŖme, hors les murs, hors le doute,

Là où le corps ne va pas, car il pèse

Plus que le bronze et le plomb des pensƩes.

Et je m’en vais sur des lieux de musique

Pour oublier mon sol de rĆ©sidence :

Ce corps Ć©pais où j’entre et sors, et j’ose

Me rƩsigner Ơ demeurer sans ailes.

—   Entrez chez moi, j’ai pour vous mille chambres

Et des salons, et des orangeraies…

Mais nul ne vient, le seul hÓte est moi-même

Dans ma maison bien trop vaste pour moi.

Les arĆŖtes de mon stylo…

Lorsque j’écris, sur le papier, avec un stylo-bille des plus commun, je ressens trĆØs fort la sensation de l’écriture. C’est un acte physique, qui laisse des traces. Et je me souviens alors de cette toute premiĆØre phrase que j’avais Ć©crite il y a quarante trois ans lorsque je dĆ©cidai d’écrire un roman, mon premier roman, premiĆØre pierre d’un chantier qui ne s’est jamais fermĆ©, mĆŖme dans les pires moments, ceux où l’inspiration est ballottĆ©e dans les intempĆ©ries de la vie.
Je me souviens, j’avais 19 ans et j’écrivais : Ā« J’ai la tĆŖte qui bourdonne, les mains moites. Mes jointures gardent en mĆ©moire les arĆŖtes du stylo. Ā»
En ce moment, presque tous les soirs mes doigts gardent en mémoire les arêtes de mon stylo.

La peur est seule

Dans le bout de cette vie qui rƩsiste

Il y a comme un voile gris

Flamme qui vacille

La peur est seule

Elle n’ose plus entrer

Un rideau de larmes

Inutile elle recule

Son temps est passƩe

J’ai rĆŖvĆ© d’une fenĆŖtre…

Photo de Jeffrey Czum sur Pexels.com

LassƩ de me cogner
Aux angles mauves
Du grand mur gris
De vos molles promesses
J’ai rĆŖvĆ© d’une fenĆŖtre
Ouverte sur le souffle bleu
De nos demains heureux

Oiseaux de fer..

Fin du jour

Lumière bleue métallique

Dans l’angle lourd

PĆ¢le envie d’AmĆ©rique

Bouillon de silences

TraƮne un sac Ơ mots rances

Brouillon de rimes en fĆŖte

Entends les cris qu’on rĆ©pĆØte

Au bord du soir chante danse espĆØre

Et grincent grands oiseaux de fer

Et si vous cessiez de vous haĆÆr…

Et si vous cessiez de vous haĆÆr !
Oui c’est Ć  vous que je parle, ne tournez pas la tĆŖte…
Oui, vous, femmes et hommes enfermƩs dans vos camisoles idƩologiques.
Vous qui maniez avec dextƩritƩ la fine lame du mƩpris.
Oui, vous, je vous en prie, prenez le temps,
Il reste encore du beau pour espƩrer
Vous niez ?
Les autres, ce sont les autres me dites-vous.
Les autres, toujours les autres :
Les ceux qui ne savent pas,
Les ceux qui ne comprennent pas,
Les ceux qui dƩrangent les angles mous de vos certitudes carrƩes.
Mais vous n’y ĆŖtes pour rien, vous ĆŖtes dans le vrai, vous le savez.
Bien au chaud entre les raides Ʃpaisseurs de vos convictions avariƩes,
Vous jugez, vous condamnez, vous accusez,
C’est bien triste vous savez.
Il faut vous redresser.
Je vous plains,
C’est vrai,
Je voudrais tant vous dire
Que tout n’est que rien,
Que tout n’est que vain,
Allez un effort s’il vous plait,
Ce sera tellement mieux lorsque vous vivrez…

Mes Everest : Albertine Sarrazin

Il y a des mois que j’écoute
Les nuits et les minuits tomber
Et les camions dƩrober
La grande vitesse Ć  la route
Et grogner l’heureuse dormeuse
Et manger la prison les vers
Printemps ƩtƩs automnes hivers
Pour moi n’ont aucune berceuse
Car je suis inutile et belle
En ce lit où l’on n’est plus qu’un
Lasse de ma peau sans parfum
Que pâlit cette ombre cruelle
La nuit crisse et froisse des choses
Par le carreau que j’ai cassĆ©
Où s’engouffre l’air du passĆ©
Tourbillonnant en mille poses
C’est le drap frais le dessin miĆØvre
LƩchant aux murs le reposoir
C’est la voix maternelle un soir
Où l’on criait parmi la fiĆØvre
Le grand jeu d’amant et maĆ®tresse
Fut bien pire que celui-lĆ 
C’est lui pourtant qui reste lĆ 
Car je suis nue et sans caresse
Mais veux dormir ceci annule
Les prĆ©cĆ©dents Ah m’évader
Dans les pavots ne plus compter
Les pas de cellule en cellule

Billet d’humeur…

Est-ce qu’il est encore possible aujourd’hui d’être tentĆ© par l’optimismeĀ ? J’ai bien prĆ©cisĆ©, tentĆ©, ce qui vous me l’accorderez, est une nuance importante. Être optimiste c’est en ce moment, compte tenu du contexte, un peu osĆ©, pour ne pas dire inconvenant, en prenant le risque, par un tel comportement, d’être suspectĆ© d’indiffĆ©rence ou d’aveuglement. Sur ce long chemin qui doit nous conduire Ć  l’optimisme, il y a de nombreux obstaclesĀ : ce sont ce que j’appellerai les cailloux ou les orniĆØres de la rĆ©alitĆ©. Non, c’est autre chose dont je parle, et c’est trĆØs clair dans mon esprit. Je suis tentĆ©, oui tentĆ©, par l’optimisme, c’est-Ć -dire que sur ce chemin Ć©voquĆ©, je ressens le besoin de tendre la main, ou le regard, vers autre chose que cette boue grise qui envahit un peut tout. Je vous entends dĆ©jĆ  me rĆ©pondre que la situation ne nous invite ni Ć  ĆŖtre de doux rĆŖveurs, ni des tendres naĆÆfs. Il s’agit pour moi de regarder ce qu’il y a encore de beau, de rĆ©confortant dans ce monde, et de se laisser tenter, de plonger dans cette gourmandise spontanĆ©e. Et si les occasions sont rares, il faut les saisir, et surtout, surtout, ne pas respecter les injonctions de toutes ces morales qui nous invitent Ć  ne pas succomber Ć  cette tentation. Mon choix est faitĀ : le premier acte de ma rĆ©sistance consiste Ć  me rĆ©jouir de ce qui est beau, joyeux, humain, solidaire, lumineux… Enfin j’essaie…

Le 7 mars 2025

Matinales…

J’aime le long silence

Du matin ƩtonnƩ

De ce bleu qu’on attend pas

Il ouvre grand son œil fripĆ©

La journĆ©e s’essaiera au peut-ĆŖtre

Et nos mƩmoires glisseront sur les promesses de rires promis

7 mars

Mes Everest, CĆ©cile Sauvage…

MƩlancolie, Ɠ ma colombe

A l’œil tendre, Ć  la plume grise,

Toi qui me suis quand le jour tombe

Vers l’étang que la lune irise ; 

Toi qui becquĆØtes mon bras frĆŖle

Comme une sœur encore mutine

Et dont le baiser me rappelle

L’ongle pointu d’une main fine.

Je suis nƩe au milieu du jour,

La chair tremblante et l’Ć¢me pure,

Mais ni l’homme ni la nature

N’ont entendu mon chant d’amour.

Depuis, je marche solitaire,

Pareille Ć  ce ruisseau qui fuit

RĆŖveusement dans les fougĆØres

Et mon cœur s’Ć©loigne sans bruit.

Flash, inĆ©dit…

Ecrire sur une vaste prairie de rires fleuris

Cueillir, tremblant, entre deux feuilles de tendre vert

Un mot doux aux rondes et longues lettres

Une Ć  une, les arracher aux griffes d’une vieille grammaire

Souffler sur leurs ailes fripƩes

Et rĆŖver leurs envolĆ©es Ć  l’autre bout d’une proche nuit  

6 mars 2025

Chuuuuint…

Anton se souvient quand ils ont pris la voiture avec Marcel son pĆØre. Il Ć©tait trĆØs tĆ“t quand ils sont entrĆ©s sur l’A7. Ils ont roulĆ© prĆØs de deux heures sans rien dire avec simplement le bruit du moteur et les chuintements des autres voitures, plus rapides, et qui vous doublent en produisant ce souffle, chuuuinnt, si caractĆ©ristique quand la vitre est lĆ©gĆØrement ouverte. Ce bruit, Marcel dit que c’est un chuintement. C’est vrai que c’est un mot qui va bien, parce que si on ouvre la vitre plus grand, c’est pas pareil Ƨa ne chuinte plus, c’est autre chose, un autre son qu’on ne retient pas, qu’on n’arrive pas Ć  capturer dans sa mĆ©moire pour en faire un joli mot.

Il se souvient. Ils se sont arrĆŖtĆ©s sur une aire, il faisait chaud, il y avait le bruit des camions et on entendait les premiĆØres cigales. L’A7 c’est le sud et le sud c’est les cigales. Le sud : l’air est sec, les cigales vibrent, les chuintements se gravent dans la mĆ©moire, les camions rugissent au loin. Anton regarde Marcel qui s’étire dans un sourire. Ils sont sortis de la voiture, sans rien dire, parce que dans ces moments-lĆ , il ne faut rien dire pour ne pas prendre le risque d’abĆ®mer ce qui va entrer en vous. Ils sont sortis et il y a eu le claquement simultanĆ© des deux portiĆØres, bruit de mĆ©tal et de cuir, enfin il pense que le cuir c’est ce bruit lĆ  que Ƨa fait. Ils ont marchĆ© quelques dizaines de mĆØtres et maintenant les odeurs prennent toute la place dans la machine Ć  Ć©motions.

Les odeurs sur une aire d’autoroute : il y a l’essence bien sĆ»r, le caoutchouc un peu chaud aussi, un mĆ©lange qui se marie avec les bruits qu’on entend. Marcel et Anton sont bien mais ne le disent pas, ils le savent, le comprennent sans se regarder, c’est Ć©crit dans le silence tranquille qui s’est posĆ© entre eux. Anton a quand mĆŖme levĆ© la tĆŖte, son regard a croisĆ© celui de Marcel, et aujourd’hui Anton se souvient. C’est ce jour-lĆ , il avait une dizaine d’annĆ©es, qu’il a commencĆ© Ć  comprendre ce que c’était qu’être un autre, ĆŖtre diffĆ©rent, il a compris que c’est accepter de se jeter dans les bras de l’émotion, entiĆØrement, sans rĆ©flĆ©chir, sans s’interdire, y compris dans ces moments et ces lieux que tous ceux qui discourent sur le bonheur, sur le beau rejettent et abandonnent sur les rives bleues de leur vie. 

Ces marcheurs de rĆŖve vous vendent des plages blanches, des couchers de soleil et soudain vous ĆŖtes lĆ  sur une aire d’autoroute, un peu aprĆØs MontĆ©limar. Votre voiture n’a pas d’acajou, les siĆØges sentent la chaleur, mais quand vous sortez, lĆ , avec votre pĆØre, votre pĆØre cet incroyable personne qui vous a ditĀ : « pas d’interdit, ne retiens pas, laisse-toi aller, ne trie pas tes Ć©motionsĀ Ā». Et les Ć©motions entrent Ć  plein bouillons. Bien sĆ»r une voix bien-pensante est lĆ  pour vous rappeler que ce n’est pas normal, ridicule mĆŖme. Mais vous vous moquez, vous laissez entrer et Ƨa fait comme une vague et c’est la premiĆØre fois que Anton s’est ditĀ : « ça y est j’ai compris, je suis un autre… »

Extrait de mon quatriĆØme manuscrit en cours d’Ć©criture

Entre larmes et mers…

Entre larmes et mers

Brune ou brumes

Belles ou bleues

Roulent perles de vie

Sueur salƩe de simples bonheurs

Corps et cœurs envahis

On aime

On frissonne

Ne retiens rien mon fils

Hier

Demain

Toujours

Petit homme est lĆ 

De trace en trace

Il suivra

Mes Everest : Paul Eluard. PoĆ©sie ininterrompue, extrait…

L’aile gauche du cœur
Se replie sur le cœur

Je vois brĆ»ler l’eau pure et l’herbe du matin
Je vais de fleur en fleur sur un corps auroral
Midi qui dort je veux l’entourer de clameurs
L’honorer dans son jour de senteurs de lueurs

Je ne me mƩfie plus je suis un fils de femme
La vacance de l’homme et le temps bonifiĆ©
La rƩplique grandiloquente
Des Ʃtoiles minuscules

Et nous montons

Les derniers arguments du nƩant sont vaincus
Et le dernier bourdonnement
Des pas revenant sur eux-mĆŖmes

Peu Ơ peu se dƩcomposent
Les alphabets ânonnés
De l’histoire et des morales
Et la syntaxe soumise
Des souvenirs enseignĆ©s Et c’est trĆØs vite
La libertƩ conquise
La libertƩ feuille de mai
ChauffƩe Ơ blanc
Et le feu aux nuages
Et le feu aux oiseaux
Et le feu dans les caves
Et les hommes dehors
Et les hommes partout

Tenant toute la place
Abattant les murailles
Se partageant le pain
Dévêtant le soleil
S’embrassant sur le front
Habillant les orages
Et s’embrassant les mains
Faisant fleurir charnel
Et le temps et l’espace
Faisant chanter les verrous
Et respirer les poitrines

Les prunelles s’Ć©carquillent
Les cachettes se dƩvoilent
La pauvretƩ rit aux larmes
De ses chagrins ridicules
Et minuit mƻrit ses fruits
Et midi mƻrit des lunes

Tout se vide et se remplit
Au rythme de l’infini
Et disons la vƩritƩ
La jeunesse est un trƩsor
La vieillesse est un trƩsor
L’ocĆ©an est un trĆ©sor
Et la terre est une mine
L’hiver est une fourrure
L’Ć©tĆ© une boisson fraĆ®che
Et l’automne un lait d’accueil

Quant au printemps c’est l’aube
Et la bouche c’est l’aube
Et les yeux immortels
Ont la forme de tout

Nous deux toi toute nue
Moi tel que j’ai vĆ©cu

Toi la source du sang
Et moi les mains ouvertes
Comme des yeux

Nous deux nous ne vivons que pour ĆŖtre fidĆØles
A la vie

P. Eluard

Aidez-nous…

La premiĆØre caresse de printemps

Sur nos visages fermƩs

Le rire d’un enfant pour ce rien qui surprend

Ces deux ou trois mots doux Ć  l’oreille soufflĆ©s

Cette douce lumiĆØre qui efface une plaie

Le monde boĆ®te bas…

Souviens-toi passager,
Souviens-toi,
C’est un mardi,
Un petit mardi
Aux bords affaissƩs.
Tout va si vite,
Tant de terres traversƩes
Tant de terres sĆ©parĆ©es…
Souviens-toi,
DerriĆØre la vitre,

C’est un homme qui pleure,
Personne ne le voit.
Chacun est Ć  son clic,
Les larmes ne s’affichent pas.
L’homme regarde le monde,
Les autres ne le voient pas,
Rides sur le front,
Ils habitent le monde numƩrique.
L’homme pleure le monde perdu,
Son monde frissonne et boite bas.

Mes Everest, RenĆ© Char: « les vivres du retour… »

Au fond de la nuit la plus nue
Pas trace de village sur la houle
Je n’ai qu’Ć  prendre ta main
Pour changer le cours de tes rĆŖves
Embellie ton haleine malmenƩe par la rixe

Tous les sentiers qui te dévêtent
Ont dans le lierre de mon corps
Perdu leurs chiens leurs carillons
La tige Ć©moussĆ©e de l’Ć©toile
Fait palpiter ton sexe Ʃmu
A mille lieues vierges de nous
Nous restons sourds Ć  l’agneau noir
A toute goutte d’eau d e pieuvre
Nous avons ouvert le lit
A la pierre creuse du jour en quĆŖte de sang
De rƩsistance

Songe…

Entre les rides

Des espoirs dƩƧus

Un bouquet de couleur

Une larme bleue

Douce lueur

Sur ces quelques fleurs

Oublie les rires mauvais

Va, cours

RĆŖve

Creuse lĆ 

Oui

Ici

Tout au fond de la poche

Tu trouveras

Les derniĆØres miettes

De l’arbre heureux…

Je n’en veux pas…

On le disait homme du passƩ
Plus rien n’est comme avant, homme dĆ©passĆ©
Plus rien me dites-vous
Permettez-moi de rire et d’en douter
Je ne veux pas de ce monde sans ce soleil taquin
Je ne veux pas de vos vies enfermƩes
Dans un rectangle aux angles numƩriques
Je n’en veux pas de vos matins incolores
Sans cette douce lumiĆØre qui caresse
Les restes mauves de la longue nuit
Je n’en veux pas de vos morales hygiĆ©niques
Je n’en veux pas de vos peurs organisĆ©es
Moi je suis un homme du toujours
J’aime que mon souffle brise l’ombre du silence
J’aime tous les rires de rien
J’aime le chant de mes mots doux
Qui dansent sur le papier
J’aime le parfum de ces histoires d’hier
Qui caressent mes lendemains
Vous me disiez homme du passƩ
Je vous ai dƩjƠ oubliƩs

Nuit moite a tirĆ© le rideau…

Homme en presque pleurs

Il est l’heure,

Il est tĆ“t…

Ta bouche est sĆØche

Du silence d’une nuit agitĆ©e.  

Le feu de la peur

DƩvore les mots.

Ā« Ouvre les yeux,

Homme qui tremble. Ā»

DerriĆØre la vitre,

Nuit moite a tirƩ le rideau.

Dans les coulisses de ses rĆŖves,  

Un pli de ciel brille.

Je le vois,

Il est pour moi.

Je le vois,

Il est Ć  toi.

Le monde boĆ®te bas…

Souviens-toi passager,
Souviens-toi,
C’est un mardi,
Un petit mardi
Aux bords affaissƩs.
Tout va si vite,
Tant de terres traversƩes
Tant de terres sĆ©parĆ©es…
Souviens-toi,
DerriĆØre la vitre,

C’est un homme qui pleure,
Personne ne le voit.
Chacun est Ć  son clic,
Les larmes ne s’affichent pas.
L’homme regarde le monde,
Les autres ne le voient pas,
Rides sur le front,
Ils habitent le monde numƩrique.
L’homme pleure le monde perdu,
Son monde frissonne et boite bas.

Mes mots sont lĆ …

Il y a cinq ans en raison d’une luxation de l’Ć©paule il a fallu me rĆ©soudre Ć  Ć©crire de la main gauche…C’est plus long mais c’est plus proche du cœur…

L’écriture est lĆ ,

Je la sens,

Je la vois,

Elle coule,

Lente et fragile.

Goutte Ć  goutte,

Elle entre Ć  pleine ligne,

Dans le blanc de la page.

Les mots sont lĆ ,

Un par un,

Ils se posent

Sur le fil qui tremble.

EtonnĆ©s d’un si long silence

Ils s’écoutent,

Ils s’assemblent.

Mes mots sont lĆ ,

Ils nous ressemblent.

Mes Everest : « la mer au plus prĆØs » Albert Camus, suite

Ā« J’attends longtemps. Parfois, je trĆ©buche, je perds la main, la rĆ©ussite me fuit. Qu’importe, je suis seul alors. Je me rĆ©veille ainsi, dans la nuit, et, Ć  demi endormi, je crois entendre un bruit de vagues, la respiration des eaux. RĆ©veillĆ© tout Ć  fait, je reconnais le vent dans les feuillages et la rumeur malheureuse de la ville dĆ©serte. Ensuite, je n’ai pas trop de tout mon art pour cacher ma dĆ©tresse ou l’habiller Ć  la mode.

Ā« D’autres fois, au contraire, je suis aidĆ©. ƀ New York, certains jours, perdu au fond de ces puits de pierre et d’acier où errent des millions d’hommes, je courais de l’un Ć  l’autre, sans en voir la fin, Ć©puisĆ©, jusqu’à ce que je ne fusse plus soutenu que par la masse humaine qui cherchait son issue. J’étouffais alors, ma panique allait crier. Mais, chaque fois, un appel lointain de remorqueur venait me rappeler que cette ville, citerne sĆØche, Ć©tait une Ć®le, et qu’à la pointe de la Battery l’eau de mon baptĆŖme m’attendait, noire et pourrie, couverte de liĆØges creux.

Ā« Ainsi, moi qui ne possĆØde rien, qui ai donnĆ© ma fortune, qui campe auprĆØs de toutes mes maisons, je suis pourtant comblĆ© quand je le veux, j’appareille Ć  toute heure, le dĆ©sespoir m’ignore. Point de patrie pour le dĆ©sespĆ©rĆ© et moi, je sais que la mer me prĆ©cĆØde et me suit, j’ai une folie toute prĆŖte. Ceux qui s’aiment et qui sont sĆ©parĆ©s peuvent vivre dans la douleur, mais ce n’est pas le dĆ©sespoir : ils savent que l’amour existe. VoilĆ  pourquoi je souffre, les yeux secs, de l’exil. J’attends encore. Un jour vient, enfin… Ā»

Mes Everest : « La mer au plus prĆØs » Albert Camus

Une merveille, je le publie en deux courtes parties, il faut prendre de le lire, le relire, s’en imprĆ©gner comme d’un baume apaisant.

Ā« J’ai grandi dans la mer et la pauvretĆ© m’a Ć©tĆ© fastueuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m’ont paru gris, la misĆØre intolĆ©rable. Depuis, j’attends. J’attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide. Je patiente, je suis poli de toutes mes forces. On me voit passer dans de belles rues savantes, j’admire les paysages, j’applaudis comme tout le monde, je donne la main, ce n’est pas moi qui parle. On me loue, je rĆŖve un peu, on m’offense, je m’étonne Ć  peine. Puis j’oublie et souris Ć  qui m’outrage, ou je salue trop courtoisement celui que j’aime. Que faire si je n’ai de mĆ©moire que pour une seule image ? On me somme enfin de dire qui je suis. ā€œRien encore, rien encore… ā€

Ā« C’est aux enterrements que je me surpasse. J’excelle vraiment. Je marche d’un pas lent dans des banlieues fleuries de ferrailles, j’emprunte de larges allĆ©es, plantĆ©es d’arbres de ciment, et qui conduisent Ć  des trous de terre froide. LĆ , sous le pansement Ć  peine rougi du ciel, je regarde de hardis compagnons inhumer mes amis par trois mĆØtres de fond. La fleur qu’une main glaiseuse me tend alors, si je la jette, elle ne manque jamais la fosse. J’ai la piĆ©tĆ© prĆ©cise, l’émotion exacte, la nuque convenablement inclinĆ©e. On admire que mes paroles soient justes. Mais je n’ai pas de mĆ©rite : j’attends.