
Je pars une semaine Ć AthĆØnes…Mon blog prendra donc aussi quelques jours de vacances…

Je pars une semaine Ć AthĆØnes…Mon blog prendra donc aussi quelques jours de vacances…

Jāai retournĆ© ma chaise et je lāai placĆ©e comme celle du marchand de tabac parce que jāai trouvĆ© que cāĆ©tait plus commode. Jāai fumĆ© deux cigarettes, je suis rentrĆ© pour prendre un morceau de chocolat et je suis revenu le manger Ć la fenĆŖtre. Peu aprĆØs, le ciel sāest assombri et jāai cru que nous allions avoir un orage dāĆ©tĆ©. Il sāest dĆ©couvert peu Ć peu cependant. Mais le passage des nuĆ©es avait laissĆ© sur la rue comme une promesse de pluie qui lāa rendue plus sombre. Je suis restĆ© longtemps Ć regarder le ciel. Ć cinq heures, des tramways sont arrivĆ©s dans le bruit. Ils ramenaient du stade de banlieue des grappes de spectateurs perchĆ©s sur les marchepieds et les rambardes. Les tramways suivants ont ramenĆ© les joueurs que jāai reconnus Ć leurs petites valises. Ils hurlaient et chantaient Ć pleins poumons que leur club ne pĆ©rirait pas. Plusieurs māont fait des signes. Lāun māa mĆŖme criĆ© : Ā« On les a eus. Ā» Et jāai fait : Ā« Oui Ā», en secouant la tĆŖte. Ć partir de ce moment, les autos ont commencĆ© Ć affluer.

Cāest un frĆ“lement qui māa rĆ©veillĆ©. Dāavoir fermĆ© les yeux, la piĆØce māa paru encore plus Ć©clatante de blancheur. Devant moi, il nāy avait pas une ombre et chaque objet, chaque angle, toutes les courbes se dessinaient avec une puretĆ© blessante pour les yeux. Cāest
Ć ce moment que les amis de maman sont entrĆ©s. Ils Ć©taient en tout une dizaine, et ils glissaient en silence dans cette lumiĆØre aveuglante. Ils se sont assis sans quāaucune
chaise grinçât. Je les voyais comme je nāai jamais vu personne et pas un dĆ©tail de leurs visages ou de leurs habits ne māĆ©chappait. Pourtant je ne les entendais pas et
jāavais peine Ć croire Ć leur rĆ©alitĆ©. Presque toutes les femmes portaient un tablier et le cordon qui les serrait Ć la taille faisait encore ressortir leur ventre bombĆ©. Je nāavais encore jamais remarquĆ© Ć quel point les vieilles femmes pouvaient avoir du ventre. Les hommes Ć©taient presque tous trĆØs maigres et tenaient des cannes. Ce qui me frappait dans leurs visages, cāest que je ne voyais pas leurs yeux, mais seulement une lueur sans Ć©clat au milieu dāun nid de rides. Lorsquāils se sont assis, la plupart māont regardĆ© et ont hochĆ© la tĆŖte avec gĆŖne, les lĆØvres toutes mangĆ©es par leur bouche sans dents, sans que je puisse savoir sāils me saluaient ou sāil sāagissait dāun tic. Je crois plutĆ“t quāils me saluaient. Cāest Ć ce moment que je me suis aperƧu quāils Ć©taient tous assis en face de moi Ć dodeliner de la tĆŖte, autour du concierge. Jāai eu un moment lāimpression ridicule quāils Ć©taient lĆ pour me juger.
Quand le monde est au plus mal, que seul des vagues de haine dĆ©ferlent sur les longues plages de l’humanitĆ©, je retrouve de l’espoir de l’apaisement en lisant, relisant Camus.. Quelques extraits choisis aujourd’hui….

ā¦Lui parti, jāai retrouvĆ© le calme. JāĆ©tais Ć©puisĆ© et je me suis jetĆ© sur ma couchette. Je crois que jāai dormi parce que je me suis rĆ©veillĆ© avec des Ć©toiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusquāĆ moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraĆ®chissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet Ć©tĆ© endormi entrait en moi comme une marĆ©e. Ć ce moment, et Ć la limite de la nuit, des sirĆØnes ont hurlĆ©. Elles annonƧaient des dĆ©parts pour un monde qui maintenant māĆ©tait Ć jamais indiffĆ©rent. Pour la premiĆØre fois depuis bien longtemps, jāai pensĆ© Ć mamanā¦

Elle les Ć©coute avec respect et attention et sans mĆŖme sāĆ©tonner de ce quāils font lĆ au creux de sa main elle leur rĆ©pond quāelle est bien dāaccord, que Ƨa fait longtemps que tout cela elle le dit, elle, elle le pense.
Ā« Moi je vous crois, moi je suis comme vous Ā». Vous savez ce quāil faut faire cāest continuer Ć ne pas douter, Ć ne pas douter de vous, il faut continuer Ć poser toutes les questions que vous avez dans la tĆŖte parce que si vous ne posez plus de questions les autres ils croiront quāils ont gagnĆ©, ils croiront que vous ĆŖtes devenus comme eux, fades, tristes, avec que des rĆ©ponses toutes faites, des rĆ©ponses toutes simples, des rĆ©ponses pour ĆŖtre comme les autres comme tous les autres, mais vous comme moi on nāest pas comme les autres, nous on veut encore et toujours sāĆ©merveiller, on veut encore et toujours dire que rien nāest sĆ»r, que ce qui est vrai Ƨa nāexiste pas ou pas longtemps, parce quāon se trompe toujours Ā»
Vous le savez bien avant il fallait pour être bien, pour être comme les autres, dire que la terre était plate, et quand on disait autrement on mourrait et ben maintenant moi je vous le dis il faut continuer à douter, à douter de tout même de ce qui semble être sur et il faut rêver, il faut voir le possible partout.
Tenez moi par exemple jāai envie de croire quāun jour pour aller Ć lāautre bout du monde il nāy aura plus besoin dāavions il suffira de prendre un ascenseur pour lāespace et dāattendre lĆ dans une espĆØce de cabine, dāattendre que la terre tourne et alors quand juste en dessous il y aura la ville, on descendra cāest simple non, et bien vous savez jāai envie dāy croire.
Ā« Jāai envie aussi de dire quāun jour on ira dans une Ć©cole où on a apprendra Ć poser des questions, Ć tout remettre en question plutĆ“t quāĆ ingurgiter les rĆ©ponses des autres, de tous les autres. Vous savez il faut que vous reteniez une chose, il nāy a quāune chose qui vous appartient ce sont les questions que vous posez, que vous vous posez, les rĆ©ponses elles ne vous appartiennent pas, les rĆ©ponses elles sont toujours la propriĆ©tĆ© de quelquāun dāautre de quelquāun que vous ne connaitrez jamais Ā».
Elle avait toujours la main tendue devant elle et plus elle parlait plus elle entendait sa voix comme si elle venait dāailleurs, le groupe dāenfants quāelle avait dans la main grandissait, elle le sentait, elle le sentait, pas parce quāils devenaient plus lourds, mais parce quāelle les voyait sourire, parce quāelle les voyait exister.
Ils existaient et ils Ʃtaient en train de le comprendre.
Le rĆŖve cāest beau, le rĆŖve on devrait pouvoir lāenregistrer, on devrait pouvoir se brancher le matin pour revoir le merveilleux de la nuit. Cāest ce quāelle se dit ce matin en ouvrant la fenĆŖtre elle a encore plein dāimages de la nuit dans la tĆŖte derriĆØre les yeux. Quand elle a posĆ© le pied sur la terrasse elle sāattendait presque Ć trouver le sable, de ce sable si fin, de ce sable qui ressemble tant Ć de lāeau. Le sable, lāeau, les grains, les gouttes, elle sourit en sāĆ©tirant, elle va appeler ses frĆØres pour leur donner la rĆ©ponse. Ce matin elle est heureuse elle sait quāelle est dans le vrai, elle sait que cāest comme cela quāon lāaime, que cāest comme cela quāon lāadmire.
Elle ferme les yeux juste une seconde et lĆ dans son Ć©cran intĆ©rieur, il y a un coucher de sommeil, un coucher de sommeil, tiens donc, pourquoi pas aprĆØs tout, quand la nuit est terminĆ©e quand elle a Ć©tĆ© belle, que les couleurs que le rĆŖve a fabriquĆ© nāexistent pas encore, quand les enfants sont si petits quāils tiennent au creux dāune main, quand les autres, les bien-pensants ne sont que des figurants alors on a bien le droit de parler dāun coucher de sommeil.
Cāest tout !
Nouvelle Ʃcrite en dƩcembre 2011

De lāeau, il y en a au robinet mais ce nāest pas celle-ci qui lāintĆ©resse. Elle va descendre pour sāapprocher de la mer, de cette mer.
Elle entre dans lāappartement son compagnon dort encore, elle sāhabille pour aller au bord de lāeau. En mĆŖme temps elle se dit quāil ne faut pas quāelle oublie de tĆ©lĆ©phoner Ć ses frĆØres pour leur dire que dans une petite poignĆ©e de sable il y a presque 12000 grains de sable. Ils vont lui demander comment elle peut le savoir et elle va leur expliquer. Mais elle se dit quāils ne la croiront pas, quāils lui diront quāelle a fumĆ©.
Quāelle a fumĆ© ! Nāimporte quoi, jamais elle ne sāamusera Ć cela mais alors : qui pour la croire ? LĆ tout de suite maintenant, elle va voir si ce truc-lĆ ne marche que pour le sable, elle sāest approchĆ©e de ce qui ressemble Ć la mer, mĆŖme si derriĆØre elle distingue encore les montagnes.
Elle recueille entre ces deux mains un peu de cette eau, cāest presque la mĆŖme sensation que le sable, elle ferme les yeux 18 546. Ca y est, cette fois elle a la rĆ©ponse, elle sāen doutait de toute faƧon, il y a plus de gouttes dāeau cāest sĆ»r.
Elle allait remonter chez elle quand soudain elle a entendu que quelquāun lāappelait par son prĆ©nom, dāabord elle nāa vu personne et puis en baissant les yeux presque devant ses pieds nus, elle a vu tout un groupe de gens, minuscules, Ć peine plus grand quāun ongle. Elle sāest baissĆ©e et avec la main droite elle les a ramenĆ©s dans le creux de sa main gauche, avec un peu de sable humide ; elle a portĆ© la main Ć hauteur des yeux et elle a vu tout un groupe. Qui ils Ć©taient, elle ne savait pas, ce quāils faisaient lĆ elle ne savait pas non plus mais en prĆŖtant bien lāoreille et parce que la mer Ć©tait calme elle distinguait bien quelques paroles, cela semblait ĆŖtre des paroles de colĆØre. Ils Ć©taient bien une dizaine, des enfants lĆ au creux de sa main.
Ā« On en a marre, personne ne nous croit, personne ne nous croit jamais, on est toujours Ć nous dire quāon est trop petit, quāon verra, quāon comprendra plus tard quand on sera plus grand, on nāen peut plus de ne plus exister, nous ce quāon sait cāest quāun jour on rencontrera quelquāun qui nous Ć©coutera qui nous croira qui nous verra et alors on existera Ā».
Alors elle sāest assise lĆ par terre, enfin plutĆ“t par sable parce que quand on est au bord de la mer on oublie la terre, mĆŖme si la terre elle porte le sable sur elle et la mer aussi mais Ƨa aussi cāest une autre question.
Ā« Pourquoi on nous dit quāil ne faut pas jouer avec la terre, que cāest sale, et quand on est Ć la mer on nous oblige Ć jouer avec le sable : cāest compliquĆ© les mots, nous on voudrait quāon nous laisse comprendre ce quāon veut Ā».
Ā« Pourquoi on nous dit quāil faut ĆŖtre sage Ć lāĆ©cole et en mĆŖme temps si on parle trop Ć table on nous dit : sois sage, parle pas Ć table ! Et aprĆØs Ć lāĆ©cole on nous dit que si on ne dit rien, si on ne parle pas cāest quāon ne sāintĆ©resse pas ! Ā»
Ā« Et pourquoi on dit des vieux qui ne disent pas grand-chose mais que tout le monde Ć©coute quand il rĆ©citent une phrase qui ne veut rien dire quāils sont des sages. On y comprend rien on ne veut pas ĆŖtre des sages on veut pouvoir parler quand on a envie de dire quelque chose Ā».
Ā« Pourquoi quand les grands, les adultes parlent de nous, ils cherchent Ć savoir ce quāon pense ce quāon ressent, alors quāils ne nous le demandent jamais pourquoi ils disent Ć notre place ce quāon pas envie de dire. Ā»
Elle les Ć©coute, en silence parce que le moindre bruit risque de couvrir leur voix elle les Ć©coute et elle sait quāils ont raison ? Ils continuent leur liste de pourquoi.
Ā« Pourquoi quand on est tout petit on nous oblige Ć embrasser des vieilles tantes fripĆ©es Ć lāodeur de naphtaline en nous disant que Ƨa lui fera plaisir que cāest une vieille tante, quāelle a jamais eu dāenfants et que quand on est grand, un peu plus grand on nous dit que cāest pas bien dāembrasser le premier venu mĆŖme si il est jeune, mĆŖme sāil est beau, mĆŖme si on lāaime. Ā»
Ā« Pourquoi on nous dit, Ć longueur de journĆ©e : tu ne peux pas comprendre quand on pose des questions sur ce qui nous intĆ©resse, nous rend curieux et par contre on nous dit dāessayer de comprendre de faire des efforts quand on est Ć lāĆ©cole ? Ā»

Et puis soudain alors que la liste ne cessait de sāallonger, elle a poussĆ© un petit cri, Ć peine de lāĆ©tonnement car rien ne lāĆ©tonne et un rien lāĆ©tonne cāest dāailleurs ce qui fait quāelle est si Ć©tonnante et que tout le monde aime quand elle est lĆ .
LĆ , dehors Ć la place de lāimmense terrasse, il y avait la plage, et plus loin Ć la place du grand prĆ© qui bordait le bĆ¢timent, de lāeau, de lāeau bien bleue. En fait ce quāelle voyait devant elle ce nāĆ©tait rien dāautre que la mer, de la mer et de la plage. On ne dit pas comme cela dāhabitude ? De la mer et de la plage ? Incorrect, cette formulation et bien tant pis se dit-elle moi Ƨa me plait, Ƨa a plus de sens !
Tant dāautres auraient hurlĆ© de terreur, ou seraient partis se recoucher certains dāĆŖtre encore en plein sommeil ou sous lāemprise de quelques substances hallucinogĆØnes. Mais elle, il lui en fallait plus pour la dĆ©stabiliser, elle nāa pas mis longtemps Ć rĆ©agir et Ć chercher puis trouver une rĆ©ponse, une rĆ©ponse que pourtant elle garde bien au chaud dans une de ses boĆ®tes Ć explications.
Son souci pour le moment cāest le sable, juste au bord de la porte fenĆŖtre, il ne faudrait pas quāil entre, elle nāaime pas le sable quand il sāinsinue lĆ où il nāest pas fait pour aller. Elle nāa pas fait de bruit pour ne pas rĆ©veiller son compagnon et sāest dit quāil faudrait chercher le parasol et des serviettes de plage, cāest quand mĆŖme mieux pour le sable, surtout quāils annoncent le beau pour les prochains jours. Elle sort sur la terrasse, enfin sur la plage, tout en se disant quāil faudrait quāelle ajoute deux ou trois choses dans sa liste
Elle est dehors les pieds nus dans le sable. Le sable il est encore plein de fraƮcheur, Ƨa lui fait comme un gazouillis sous les pieds. Alors machinalement elle se baisse et prend une poignƩe de sable dans le creux de la main.
Cāest un sable comme elle nāen a jamais touchĆ©, dāune douceur incroyable, elle ferme les yeux presque machinalement, et lĆ soudain comme une diapositive qui se projette sur son Ć©cran intĆ©rieur, elle lit 1239, elle ne comprend pas immĆ©diatement, mais elle a un pressentiment. Alors elle jette sa poignĆ©e de sable et elle en prend une autre, plus grosse celle-ci, elle ferme les yeux et elle lit 12763.
Incroyable elle vient de comprendre : tout en gardant les yeux fermĆ©s elle laisse couler comme un filet de sable et elle voit les chiffres qui dĆ©filent, elles referment les mains et cāest le chiffre 9734 qui sāaffiche. Super, ce truc Ƨa lui plaĆ®t, elle va pouvoir enfin savoir : plus de gouttes dāeau ou plus de grain de sables ?
Une nouvelle Ć©crite il y a quelques annĆ©es Ć l’occasion de l’anniversaire de ma grande fille, je la publierai en 4 parties ā¦.

Un matin elle sāĆ©tait levĆ©e plus rapidement que dāhabitude avait tirĆ© les rideaux dāun geste prĆ©cis, ouvert la fenĆŖtre et en quelques secondes avait dĆ©cidĆ© que cette journĆ©e ne serait pas comme les autres. Pas comme les autres parce que tout le lui disait, partout, ce quāelle voyait, ce quāelle sentait, ce quāelle ressentait, ce quāelle entendait lui confirmait sa certitude de la nuit, aujourdāhui serait la journĆ©e des rĆ©ponses, la journĆ©e ou tout sāĆ©clairerait. Cette nuit comme souvent, comme parfois des questions avaient tournĆ© en boucle dans sa tĆŖte des questions sur la vie, sur la mort, sur lāamour, sur les autres, des questions sur lāabsurde, sur la bĆŖtise, sur lāindiffĆ©rence, des questions sur lāinsuffisance, sur le mĆ©pris, sur les fausses idĆ©es, sur le temps, pas sur le temps des nuages, pas sur le temps du soleil, non sur le temps qui sāaccroche aux pendules, aux aiguilles ce temps qui vous pique.
Cette nuit elle avait eu 25 ans et comme elle est quelquāun dāorganisĆ© contrairement Ć ce que certains croyaient autrefois parce quāon sāattache trop aux dĆ©tails aux apparences elle a dĆ©cidĆ© cette nuit de chasser toutes ces questions et demain de chercher les rĆ©ponses, toutes les rĆ©ponses.
Elle nāa pas tout de suite remarquĆ© le changement dans le paysage, concentrĆ©e quāelle Ć©tait Ć cette nouvelle journĆ©e qui sāouvrait, les yeux grands ouverts, il y avait comme une liste qui se dĆ©roulait derriĆØre son regard rieur, elle nāaimait pas ĆŖtre prise au dĆ©pourvu et aimait organiser ses journĆ©es.
Aujourdāhui, cāĆ©tait entre autres.
Et puis soudain alors que la liste ne cessait de sāallonger, elle a poussĆ© un petit cri, Ć peine de lāĆ©tonnement car rien ne lāĆ©tonne et un rien lāĆ©tonne cāest dāailleurs ce qui fait quāelle est si Ć©tonnante et que tout le monde aime quand elle est lĆ .

Pas un bruit
Pas mĆŖme la douce caresse
Du flocon quāon attend
Il viendra je le sais
Du bout dāun bisou
Il viendra se poser
FraƮche tendresse
Dans la braise Ʃtreinte
Du creux de mon cou alangui

Je voudrais Ʃcrire,
Oh oui, je le veuxā¦
Ćcrire pour deux,
Pour toi, pour eux.
Je voudrais Ʃcrire
Heureux,
Entre deux lourdes marges en feu.
Oh, je voudrai tant Ʃcrire,
Ce mot qui caresse,
LĆ , seul,
Il attend, rien ne presse.
Je voudrais tant Ʃcrire
Tendresse,
Sur une feuille dāautomne
Aux rimes mauves
Sur le titre accrochƩes.
Je voudrais tantā¦
Tremper ma plume
Dans une flaque de rires jolis.
Je voudrais tant entendre
De longs mots aux ailes bleues.
Ils chantent, ils dansent,
Cāest eux, ils sont arrivĆ©s.
10 fƩvrier 2020

Ne regarde pas comme les autres.
Les autresā¦NāĆ©coute pas ce quāils te disent, sors de leur route toute tracĆ©e, choisis ton chemin. Et si on te rĆ©pond que ce nāest pas possible dāentendre la mer lorsque tu es dans la forĆŖt, ne dis rien, ferme les yeux et plains les, eux, qui nāentendent pas les arbres qui sāessaient au bruit des vagues. Sāils te disent que cāest ton imagination qui te joue des tours, rĆ©ponds-leur que leur imagination est en panne, fatiguĆ©e, dis-leur que cāest quand on ne veut pas voir ce qui est vrai, quand on ne veut pas entendre le bruit des vagues qui secouent les crĆŖtes des sapins quāon est trompĆ© par son obsession du rĆ©el convenu.
Cette imagination-lĆ nāest pas la tienne, tu nāen veux pas de ces artifices pour enfant naĆÆf qui fabriquent du magique pour empĆŖcher dāaller ailleurs, de choisir dāautres chemins, tu nāen veux pas de cette mythologie prĆ©fabriquĆ©e qui fabrique des rĆŖves Ć la chaĆ®ne, des rĆŖves qui sont toujours les mĆŖmes, depuis longtemps, et pour tout le monde. Tu dois leur dire que les arbres tu les vois comme des arbres et pas comme de vieilles femmes aux doigts crochus ou tout autres monstres quāon veut entrer de force dans les tĆŖtes pour que les peurs soient identiques.
Tu ne dois pas ĆŖtre comme les autres. Les arbres tu dois les voir arbres et la mer que tu entends quand ils bougent dans le vent tu dois dire que cāest la mer. Tu ne dois pas dire : ils font comme la mer, cāest comme la mer, jāai lāimpression dāentendre la mer. Tu ne dois pas dire cela parce que cāest injuste de le dire, cāest injuste pour les arbres dāabord, et puis pour la mer surtout, cāest comme si tu disais que la mer nāexiste pas, quāelle est ailleurs, plus loin, toujours plus loin, quāelle nāappartient quāĆ ceux qui prĆ©tendent quāils lāont vue, quāils lāont entendue avec leurs mots Ć eux, avec les mots qui ont Ć©tĆ© fabriquĆ©s par dāautres pour dire que la mer existe, ici, et pas ailleursā¦
Toi tu dois dire que la mer existe ici, dans ces forĆŖts dāaltitude, tu dois dire quāelle est lĆ , derriĆØre ce vent, comme une mĆ©moireā¦ā¦

Tout loin d’eux,
Il y a le bleu…
Tout lĆ haut,
Il y a le beau…
Tout en bas,
Vieil arbre creux
Tend des bras noueux…

Incertaine
Les oiseaux-conseils sont partis
Ayant dƩlavƩ leur tristesse
Tu te passerais bien
De l’automne et du feu perdu
Le printemps proche est repliƩ
Sur un oeil blanc
C’est novembre ou avril tu as perdu le temps
Tu ne sais s’il recule ou monte
Ta confiance
Te semble nulle au regard de cris cent fois volƩs
Tu sens les os de ton squelette
Tu finirais
En cristaux
De crƩation manquƩe

Il ouvre son livre intƩrieur
Et ajoute quelques pages.
Lāencre ne sĆØche plus.
Elle coule
Douce et légère.
Cāest le sang vif des mots.
Ils sāĆ©chappent, lumineux.
Le jour les Ʃveille.
Cāest si beau
Ces mots qui sāenvolent.
Dans le vent qui attend, quelques grains de lumiĆØre,
Les yeux les lisent, le regard se plisse.
Le cÅur sāaffole,
On est bien.
Pas un son nāessaye le bruit,
Tout est mƩlodie.
Des notes sāenroulent
Autour des mots,
Flotte comme un doux parfum de nuit

J’ai posĆ© le doigt
Sur la lune molle
De la vitre brƻlƩe
Loin du soleil rageur
Un oiseau s’est posĆ©
Ses ailes de velours
Battent doucement du cil

Lāhomme est courbĆ©,
Son dur regard racle le sol.
Lever les yeux ?
Il ne le veut pas,
Il ne le peut plus.
Lāhomme est triste,
Il marche
Sur le fil gris de la peur.
Il tire sur les manches de la douleur,
Soudain,
Merle siffle ;
Lāhomme dĆ©plie un bout de sourire,
Essuie la buƩe de ses larmes bleues,
Bouée est là , ronde et fleurie.
Elle est pour lui
Il la serre,
Tout est fini.

La jeune fille
Aujourd’hui, je ne peux trouver le repos…
La faute sans doute Ć cette nuit d’Ć©tĆ©.
Le parfum des tilleuls Ʃclos
Pénètre par le battant écarté.
Oh, toi mon cÅur ! Si maintenant il venait
-Ma mère depuis longtemps est allée se coucher-
Et dans ses bras te prenait…
Toi mon faible cÅur…Jusqu’où te laisseras-tu aller ?
Cordes d’argent-1901-

Dans le goutte Ć goutte dāun monde Ć lāagonie
Je mettrai des restes de larmes de tendres joies
Nous attendrons que les plaies de haine se ferment
Et nos doigts sāeffleureront en vibrant
Ce sera dans un peut-ĆŖtre demain
Et je te prendrai la main
24 mars 2025

Où lāon dĆ©couvre que norme et beautĆ© ont parfois un peu de mal Ć sāentendre, Ć se comprendre. Aujourdāhui nous retrouvons une norme Ā« Ć©tonnĆ©e Ā» pour ne pas dire irritĆ©e. Elle a convoquĆ© une beautĆ© libĆ©rĆ©e et lāinterroge sur ses mauvaises frĆ©quentations.
Norme : Que fais-tu ici ? Regarde autour de toi, ouvre les yeux, tu le vois bien, ici il nāy a rien que tu puisses regarder.
BeautĆ© : Ce que je fais ici ? Mais je ne fais rien, je suis, je sens, je ressens. Et toi tu ne vois rien ? Ici je suis bien, ici je suis invitĆ©e. Alors tu vois, mĆŖme pour quelques instants je vais māinstallerā¦
Norme : InvitĆ©e ? InvitĆ©e ? Toi la beautĆ© ? Mais regarde, ici tout est laid, qui tāaurait donc invitĆ© ?
BeautĆ© : Du laid, du laid ? Suis-je Ć ce point aveuglĆ©e, que je nāai rien vu de tout ce laid que tu as dĆ©cidĆ© de māinventer. Moi je nāai rien vu, et ici, tout, oui tout me plait. Toi tu restes enfermĆ©e entre les murs lisses de tes lignes droites. Regarde la douceur de ces courbes, cāest si simple, ici je suis bien.
Norme : Tu nāas rien vu et moi je nāai rien su. Tu le sais, tu ne peux lāignorer, jamais tu ne dois distribuer de la beautĆ© sans que jāen sois informĆ©e. La beautĆ© māappartient, tu nāes que messagĆØre.
BeautĆ© : Oui je le sais, et je lāai voulu, je suis venu et je ne tāai rien dit. Peut-ĆŖtre pour que tu ne puisses rien abĆ®mer. Ici vit un gris, un si beau gris oubliĆ©, il sāest souvenu de qui il Ć©tait, alors il māa appelĆ© et sans hĆ©siter je suis venue.
Norme : Un gris oubliĆ© ? Mais tu tāĆ©gares ma pauvre beautĆ©. Regarde autour de toi, regarde ce que je vois, ce nāest que du terne, avec un gris qui nous dĆ©sespĆØre. Ici tout est sale, et si plein de triste.
BeautĆ© : Mais ce que tu vois, ma pauvre, ce nāest que ce que tu crois. Ouvre les portes, aĆØre-toi, regarde avec lāarriĆØre de tes yeux et alors tu comprendras.
Norme : Cela suffit ! Je te le rappelle une derniĆØre fois, tu ne peux pas dĆ©cider nāimporte quoi. Remballe tes couleurs, range ton gris oubliĆ© et rentre chez toi.
BeautĆ© : Moi tu vois, cāest ce qui me plait, ici. A cette table je me sens vivante. Ici tout est riant. Regarde, ouvre-toi, tout est surprenant. Ici personne ne māattend.
Norme : Je veux bien, mais juste quelques instants, je ne veux pas dāincidents.

A l’heure molle des impatiences cadencĆ©es
J’entends parfois le cri de l’oiseau noir
Il pleure une curiositƩ engloutie
Au fond du gouffre numƩrique
Visages courbƩs
Nuques raides
Regards polis de vides
Ils ont effacƩ
D’un doigt qui glisse sur le verre appauvri
Les derniers chants qu’ils prennent pour des cris
Pas un signe pour lui
Oiseau noir ce matin est encore seul
Je lĆØve les yeux
Je sais qu’il me voit qu’il m’attend
Oiseau noir du matin
Tu es mon rƩveil chagrin
12 avril

Peut-ĆŖtre le visage souvient-il encore…
Peut-ĆŖtre, le visage se souvient-il encore, lui.
Il doit avoir des yeux comme du fenouil, des yeux comme
une seule poignƩe de thym sauvage dans la main.
Quelquāun le regardait, alors.
Le regardait comme on regarde un oiseau.
Mais nāa pas aimĆ© lāarbre, la feuille.
Aujourdāhui, je nāai plus que des doigts.
Une vie comme une grande Ʃtoile sur la mer.
Qui sāajoute aux Ć©toiles.
Parfois, la nuit, une main appuie sur lāeau la courbe de
la barque.
Mais, cāest Ć peine.
On se dissout plus loin.
MƩmoire.
Et le jour.
Et quāil tombe.
Une main venue prendre un caillou sur la plage.
FranƧoise Delcarte, Ā« Pouvoirs Ā» inĀ Infinitif,Ā Ćditions Seghers, 1967 .

Et l’ombre s’est affolĆ©e
Elle cherche un trou de lumiĆØre
Pour y engloutir ses rĆŖves d’Ć©tĆ©

En arrivant ce matin sur le quai de la gare, jāai perƧu un petit quelque chose de bizarre, dāanormal. Dāabord une sensation physique : je respire⦠Oui cāest cela : cāest dans lāair ! La respiration est un vrai bonheur, subtil mĆ©lange de fraĆ®cheurs et dāodeurs dāherbe coupĆ©e. Je me suis dit que dans le fond de lāair il y avait certainement un petit peu de bonheur, un tout petit peu. Alors jāai souri, parce que le bonheur cāest pour fabriquer du sourire, sinon ce nāest quāune escroquerie de plus.
Je souris et – cāest bien cela que jāai ressenti comme inhabituel – la premiĆØre personne que jāai croisĆ©e, une habituĆ©e comme moi, souriait aussi, dāabord seule, pour elle, comme moi, et puis jāai bien vu quāelle me souriait. Elle qui tous les jours serrent les dents pour ne pas risquer dāĆŖtre obligĆ© de rĆ©pondre Ć mon regard, aujourdāhui elle me sourit. Incroyable ! Je me dis que cāest un hasard, un heureux hasard, que ce matin, enfin, elle est contente, peut-ĆŖtre mĆŖme heureuse. Elle est contente de cette journĆ©e qui sāouvre, contente de ce quāelle est, de ce quāelle fait. Tout simplement contente de vivre. Mais, je reste sur lāhypothĆØse du hasard.
Quand jāarrive sur le quai je me dis que le hasard a beau bien faire les choses, lĆ cāest quand mĆŖme beaucoup, jāai mĆŖme pensĆ© Ć un tournage : peut-ĆŖtre un film publicitaire sur le bonheur de prendre le train ou la joie dāaller travailler. Mais non je me trompe, je connais toutes ces silhouettes, je les croise tous les jours, certaines depuis des annĆ©es. Et lĆ , tout le monde sourit, il y en mĆŖme qui parle, et mieux encore qui se parlent. Je nāen peux plus, ma joie dĆ©borde. Je vais enfin pouvoir dire bonjour Ć toutes ces compagnies du matin sans quāelles ne se sentent agressĆ©es.
Ā« Bonjour, bonjour, bonjour Ā» ! Je suis comme un rossignol, je sautille sur le quai, je suis empli dāun incroyable bonheur ferroviaire. Sur le quai dāen face il semble que ce soit pareil. Je māemballe, je me dis que je vais enfin pouvoir parler avec cette jeune fille qui tous les matins, depuis trois ans attend au mĆŖme endroit, qui monte avec moi dans le mĆŖme compartiment qui descend dans la mĆŖme gare. Je vais lui parler, tout simplement, elle va me rĆ©pondre : je le sens, je le sais, je le veux.
Je māapproche dāelle, dāabord un bonjour, puis un sourire, puis deux, ma bouche sāouvre pour lui proposer une de ces insignifiances qui ce matin seront de vraies perles Ć conserver pour ce petit bonheur matinal qui nous a surpris en plein rĆ©veil. Ā« Je, je ā¦. Ā»
Et soudain, la terrible voix féminine de la SNCF, terrible voix si belle, si chaude si sensuelle, cette voix qui fige tout le monde sur le quai : « que va-t-elle annoncer, ce matin : encore du retard, une annulation, peut-être ? »
Ā« Votre attention sāil vous plait : en raison de la rĆ©utilisation tardive dāun triste matĆ©riel, le bonheur que vous respirez depuis ce matin, aura une durĆ©e indĆ©terminĆ©e, nous vous tiendrons informĆ© de lāĆ©volution de la situation : en cas de difficultĆ© Ć poursuivre votre voyage vers la morositĆ© ferroviaire, veuillez-vous adresser aux agents les plus tristes sur le quai Ā»
Jāai baissĆ© la tĆŖte, avalĆ© mon sourire et comme tous les matins jāai regardĆ© le cadran de ma montre.

La voix de l’oiseau
Jāentends la voix de lāoiseau mort
Dans un bocage inconnu.
Lāoiseau chante sa plainte
Ć la droite
De ma nuit.
J’entends le bruissement des peupliers
Qui font un chant liquide
Tout autour de moi,
Ćle noire
Sur soi enroulƩe.
CaptivitƩ.
De moi Ć lāoiseau
De moi Ć cette plainte
De lāoiseau mort
Nul passage
Nul secours
Que sa plainte reƧue
Que sa plainte revĆŖtue
Par la voix intƩrieure
Pareillement blessƩe
Pareillement d’ailleurs
D’une nuit Ć©gale
D’une mort Ć©gale
à Paradis déchiré !
Anne HƩbert
PoĆØmes
Ćditions du Seuil, 1960

Ā« Je nāen peux plus, je ne veux plus, je veux māĆ©chapper, je veux prendre lāair et māenvoler ! Ā». Ce matin Jules sāest levĆ© en sueur.
Ā« Je nāen peux plus, je ne veux plus, je veux māĆ©chapper, je veux prendre lāair et māenvoler ! Ā».
Ces paroles ne le quittent pas. Elles sont là , elles résonnent, ou plutÓt elles chantent au fond de son crâne douloureux.
Jules ne se souvient que trĆØs rarement de ses rĆŖves. Mais ce matin, il sait, il sent. Il est certain que ce sont des paroles quāil a entendues cette nuit, dans son sommeil. Il lui semble mĆŖme reconnaĆ®tre cette voix. Une voix douce et gaie. Il faut dire que Jules vit seul, et dĆ©bute sa journĆ©e, comme il lāa finie : dans le silence. Cāest pour cette raison quāil aime tant la compagnie de cette voix, comme une caresse qui le rĆ©conforte.
Tous les matins depuis dix jours il prend le temps de faire le tour de son appartement avec ce nĆ©cessaire regard dāexplorateur, comme sāil dĆ©couvrait Ć chaque fois, un territoire inconnu. Oh ce n’est pas trĆØs grand, mais il a suffisamment dāimagination pour sāinventer Ć chacune de ses tournĆ©es des aventures nouvelles. Il sāattend toujours Ć ĆŖtre surpris, Ć dĆ©couvrir, qui sait, un coin encore vierge, dans une des quatre piĆØces de son logement. IntĆ©rieurement il sourit de sa naĆÆvetĆ© : comme si les lois de la gĆ©omĆ©trie pouvaient Ć la faveur de ce confinement ĆŖtre bouleversĆ©es. Ce serait incroyable que je sois le premier Ć dĆ©couvrir que dans certains rectangles, on peut trouver un cinquiĆØme coin. Pauvre Jules, il est seul et ne sait plus quoi inventer pour sāaĆ©rer, pour sāobliger Ć ne pas rester enfermĆ© entre ces quatre murs. Quatre murs ? Il faudra peut-ĆŖtre que je recompte se dit-il ?
Ā« Je nāen peux plus, je ne veux plus, je veux māĆ©chapper, je veux prendre lāair et māenvoler ! Ā».
Toujours ce refrain quāil entend, petite voix dĆ©sormais familiĆØre. Il a mĆŖme lāimpression quāelle se rapproche dĆ©sormais
AprĆØs avoir traversĆ© le long couloir – sans faire de pause sāil vous plait- Jules se trouve dĆ©sormais devant sa bibliothĆØque.
Jules commence par un long moment dāadmiration, presque de la contemplation. Il est vrai quāil a un cĆ“tĆ© maniaque quāil assume totalement ; il ne se passe pas journĆ©e, en pĆ©riode normale, sans quāil ne caresse les dos alignĆ©s de ses trĆØs nombreux livres, il les bouge parfois lĆ©gĆØrement, souffle sur le dessus, persuadĆ© que la poussiĆØre sāest encore invitĆ©e et va coloniser les pages.
Jules aime les livres, nous lāaurons compris. Et depuis le dĆ©but de cet enferment imposĆ©, Jules accomplit son rite plusieurs fois dans la journĆ©e. Nous ne sommes pas loin reconnaissons le de lāobsession.
Bref, Jules aprĆØs la longue traversĆ©e du couloir sombre et aride est lĆ , raide et rigide, plantĆ©e devant les rayons de sa bibliothĆØque. Une belle bibliothĆØque, bien fournie car Jules nous lāaurons compris aime les livres.
Ā« Je nāen peux plus, je ne veux plus, je veux māĆ©chapper, je veux prendre lāair et māenvoler ! Ā». La voix semble se rapprocher.
Jules aime les livres bien sĆ»r, mais Jules aime les oiseaux aussi, il est mĆŖme passionnĆ©, il aime les observer, les Ć©couter, et surtout, Jules aime quand ils sāenvolent⦠Nous aurons donc compris que comme Jules aime les livres et quāil aime aussi les oiseaux, Jules a beaucoup, mais alors beaucoup de livres sur les oiseaux.
Ā« Je nāen peux plus, je ne veux plus, je veux māĆ©chapper, je veux prendre lāair et māenvoler ! Ā».
Et dāun coup, dāun seul Jules comprend. Les livres, les oiseaux, la fenĆŖtre toujours fermĆ©e. Jules saisit un de ces magnifiques livres, quāil aime tant feuilleter. Celui quāil tient est un livre sur les oiseaux de mer, il le sort dĆ©licatement, caresse amoureusement la couverture et lāouvre, lentement, trĆØs lentementā¦
Ā« Je nāen peux plus, je ne veux plus, je veux māĆ©chapper, je veux prendre lāair et māenvoler ! Ā».
25 mars 2020

A la table des quatre saisons,
Comme chaque annƩe,
Je me suis installĆ©ā¦
Et pour monsieur, ce sera ?
Oh pour monsieur ce sera simple !
Un peu de printemps, sāil vous plait.
Et je le veux nature,
Sans fioritures,
Ni fanfares, ni trompettes !
Je vous en prie,
Je suis pressƩ.
Oh oui,
Il y a tant dāhivers
Que je l’attends.
Cāest un printemps
Que je veux dƩguster
Et emporterā¦
Oui je le prends,
Tel quāil estā¦
Oui ainsi :
Fleuri,
Et pour le service,
Un sourire ou deux,
Et je serai comblƩ,
Pour tout lāĆ©tĆ©.

On a pesĆ© l’homme
On a pesĆ© l’homme blanchi Ć la chaux
On a pesƩ mon pied moins ses orteils
On a pesƩ les fruits mƻrs de ton ventre
Sur la balance inexacte des Ʃglises
Et on a retrouvé que le poids de mon âme
Egale celle d’un pingouin
Moins ses ailes

Dans la mƩmoire des tristes aciers
Il reste une trace desĀ cris de la terre
Et j’entends l’agonie des pierres grises
Qui rĆŖvent d’envol au pays des rondes plaintes
20 mars

Je lis les titres des malheurs du monde
Ils hurlent les longues douleurs
Et je rĆŖve d’Ć©crire une derniĆØre page
Qui raconte en rimes bleues les beautƩs oubliƩes

C’est le jour de la feuille blanche
AffamƩ je me suis invitƩ
A la table des bien nourris
Au rƩgime des lettres arrondies
Autour tous les ventrus
Les repus de verbes acadƩmiques
Le menu du jour est sinistre
Fade comme un jour sans pain
En entrƩe un vague sonnet
Le plat de rƩsistance ne dit rien
On me dit sans rire que c’est du rĆ©chauffĆ©
Où sont les rires
Ou sont les mots que j’aime
Les flacons flocons blasons
Les nƩnuphars et tintamarres
Les balbuzards
Où sont les boucles et plumes
Les ailes et doubles l
Je n’en peux plus
Je quitte ce banquet de rimes en rƓt

De courbe en courbe
Les lignes dures et droites apaisent leurs brƻlures
La lumiĆØre est Ć angle de vue
Il est temps d’Ć©viter le pire
19 mars

Et nous regarderons le temps disparu
Enfant pressƩ vole un presque rire
Il en barbouille les impatients
Au bord de la longue attente
Flotte trois mots lƩgers
Il est l’heure de la belle parole
Je n’entends plus les soupirs lents
18 mars

Derrière la vitre de mon voyage ferré
Je lis lāhistoire de silence enfermĆ©s
Les mots se grisent au vent flou
De mes mers emmurƩes
Jāentends les soupirs blasĆ©s
De lāinconnue vite croisĆ©e
OubliƩe
EvaporƩe
Page tournƩe
MƩmoire froissƩe
14 avril Ā

Lāhomme est seul
Il tremble
Je le vois dos courbé, tête rentrée
Il nāavance plus je le sais
Regarde
Cāest un haut mur flou
Son sommet effleure un fond de ciel mou
Une ride de gris glisse
Au coin de lāÅil qui plisse
Regarde le mur
Il pleure des larmes de pierre
Oh mur
On ne peut te percer du regard
Couvert dāune mousse de silences suintants
Il faut creuser et sāenfouir
Dans un gouffre de papiers perdus
Regarde il fond
Il coule
Cāest la fin
Regarde, tu es passƩ
9 avril 2024

Le tribunal acadĆ©mique sāest rĆ©uni aujourdāhui dans son format le plus restreint. Car oui, il a bien fallu se rĆ©soudre Ć le convoquer. Une fois de plus, le cas qui lui est soumis aujourdāhui est un peu particulier.
Le plaignant est un personnage Ć part, chacun le connaĆ®t et pense lāavoir dĆ©jĆ rencontrĆ©. Mais rares sont celles et ceux qui peuvent le dĆ©crire, si ce nāest pour dire : Ā« oui je lāai vu, mais il est passĆ©, si vite que je nāai mĆŖme pas eu le temps de lui parler. Ā»
Vous lāaurez peut-ĆŖtre compris, le plaignant est le prĆ©sent. Et Ć©videmment, quand le prĆ©sident du tribunal procĆØde Ć lāappel, il commence toujours par dire : Ā« Ć lāĆ©noncĆ© de votre nom, je vous demanderai de bien vouloir rĆ©pondre prĆ©sent Ā».
Et il dƩbute son appel.
Cāest lāavocat de la partie civile, cāest-Ć -dire, de prĆ©sent qui rĆ©pond.
Le prĆ©sident du tribunal soupireĀ : Ā il sait dĆ©jĆ que la sĆ©ance va ĆŖtre compliquĆ©e. Il demande Ć la cour en formation restreinte dāĆŖtre attentive car il va procĆ©der Ć la lecture de la plainte dĆ©posĆ©e par le prĆ©sent.
« Le prĆ©sent, absent aujourdāhui, mais reprĆ©sentĆ© par son mandataire, ici prĆ©sent, a dĆ©posĆ© une plainte pour je citeĀ : oubli du prĆ©sent, falsification du passĆ©, escroquerie sur le futur et surtout, utilisation abusive dāun temps vaporeux, Ć savoir le conditionnel. »
« Le jury aprĆØs avoir dĆ©libĆ©rĆ©, informe le prĆ©sent que sāil nāa pas Ć©tĆ© en mesure de prendre une dĆ©cision concernant tous les temps, il a toutefois considĆ©rĆ© que dans cette pĆ©riode, un peu particuliĆØre, les conditionnels suivantsĀ : il faudrait, il aurait fallu, nous aurions dĆ», ne pourront plus ĆŖtre employĆ©s quāaprĆØs avoir pris le temps de les prononcer dix fois de suite en se regardant fixement face Ć une glace. »
A prƩsent la sƩance est levƩe.
4 avril

Jāai lu la derniĆØre page de ta mĆ©moire gravĆ©e
Au recto de ta longue vie
Tant de fois racontƩe
Je vois un champ de rires
Au rose si lƩger
Une Ć une
Les fleurs de papier se sont envolƩes
Au verso quelques lignes ont noirci
Et pleurent en glissant
Tes derniers mots aux rimes inachevƩes



Tu devrais plus souvent ĆŖtre seul
T’es trop souvent avec lui
Il est tricheur
Parce qu’il perd souvent
Quand il veut
Il est frimeur
Parce qu’il a toujours peur
Parle lui
Dis lui qu’on le vire
Dis lui qu’il ne se correspond pas
Qu’il est autre
Comme ceux qu’il a crƩƩs
Comme ceux qu’il a jugĆ©s
Dis lui qu’il est dĆ©passĆ©
Mais lui il s’en fout
Il le sait
Mais il faut s’aider
Parce qu’on est rien
Parce qu’on ne peut entendre sa raison
Parce qu’on ne peut attendre que Ƨa passe
De toute faƧon demain tu seras ƩcrasƩ par un tramway
Tu peux ĆŖtre peureux
De supposer
Que finalement t’es pas lĆ pour rien
Tu sais que l’unique ne peut exister
Sinon chez les thƩoriciens
Masturbateurs de cerveaux
Sinon chez les jardiniers
Du sentiment des autres
Tu ne peux pas passer ta vie Ć imaginer l’homme
Sans savoir s’il existe rĆ©ellement
Comme les autres
Tu ne peux pas passer ta vie
A t’imaginer
Dans ton rĆŖve
Sans savoir s’il est tien
Sans savoir s’il est rĆ©alitĆ©
Sauf peut-ĆŖtre pour d’autres
Pour elles
Pour eux
Veux tu encore construire de l’amour
Parce que c’est un jeu entre deux fous
Parce qu’on invente des rĆØgles
Parce qu’on recommence
Toujours les mĆŖmes rĆØgles
MĆŖmes conneries
Jamais le mĆŖme prudent
Jamais le mĆŖme perdant
Et de toute faƧon demain tu seras ƩcrasƩ par un tramway
On dirait que tu cours aprĆØs ceux qui te fuient
Parce qu’ils ont vu l’image
Parce qu’ils ont tournĆ© la page
Parce qu’ils s’en foutent
Et toi tu t’essouffles Ć espĆ©rer
Quelquefois
Suicide toi
Meurs un peu
Fabrique toi une fin
Les yeux fermƩs
Sans les autres parce tu aurais peur
De toute façon demain tu seras peut-être écrasé par un tramway
Tu t’es peut-ĆŖtre trompĆ©
Tu veux peut-ĆŖtre te lever de ton lits de songes
Qu’est ce que tu attends pour enfin distribuer ton portrait
Sans le faire payer au prix de tes mots d’avenir
Qu’est ce que tu attends pour te raconter
A ton auteur
Sans te mettre Ć trembler
Tu touches la vie
Comme celle que tu aimes
Tu veux la faire aimer
Tu veux qu’elle te rĆ©ponde
Mais elle se tait
Parce qu’elle s’en fout
Parce qu’il est trop tard
Et toi t’es pas d’accord
Alors tu continue
Parce qu’autrement tu te ferais Ć©crasĆ© par un tramway.

…T’es sĆ»r qu’aimer n’est pas original
C’est peut-ĆŖtre le mot qui pue
Mais t’es sĆ»r d’autre chose
Parce que tu le cherches
Tu en parles pourtant
Comme les autres
Mais tu t’en fous
Ou tu fais semblant
Comme les autres
De toute faƧon demain tu seras ƩcrasƩ par un tramway
On dirait que t’as peur
De ne plus pouvoir te taire quand t’es triste
Et pourtant tu ris derriĆØre ton enterrement
Tu ris
Et les autres savent pas
Que tu trembles
Pour qui t’a tuĆ©
Pour qui t’a oubliĆ©
Tu trembles
Et les autres croient qu’il n’y a qu’une rĆ©alitĆ©
Celle de l’utile apparence
Et pourtant tu voudrais leur dire
Et pourtant tu voudrais craquer
Mais tu ne dis rien
Parce que t’as peur
Parce que tu attends
Parce que tu attends la fin de ton rĆŖve
Heureux tu l’as trouvĆ©
Et c’Ć©tait pas mieux
Tu veux revenir au dƩbut
Parce que tu hais les fins
Qui n’existent pas
Tu veux revenir au dƩbut
Pour que les autres sachent
Qu’il y a autre chose
Que tu l’as trouvĆ©
Déjà tu vas plus vite
Que ton rĆŖve
Je crois que tu vas laisser tomber
Pas les autres
Eux aussi ils cherchent
Ils te croisent
Vite
Toujours le rĆŖve
Ils sont ailleurs
Tu les fais tien
Et tu les oublies
Ils sont autres

…Et pourtant on sent que t’as peur
Pour elle
Du silence
De ses questions sans secrets
Et pourtant elle ne veut rien te dire
Et pourtant elle tue tes rĆŖves
Et pourtant elle te tue
Parce que tu ne dis rien
Parce que tu parles avec celle qui est en toi
Parce qu’elle n’est pas celle lĆ
Parce que c’est dĆ©jĆ une autre
Parce qu’elle est dĆ©jĆ dans le rĆŖve d’un plus Ć©trange que toi
Et toi tu parlais avec ton rĆŖve
Et tu t’en foutais d’ĆŖtre nĆ©
Tu vois la rƩalitƩ
Alors tu ne dis rien
Parce que t’as peur
Parce que tu sais qu’elle s’est Ć©chappĆ©e
Parce que tu t’es trompĆ©
T’as encore peur
T’es un peu paumĆ©
Je crois que tu finiras par comprendre
Que les autres t’oublieront
Parce que tu n’es que toi-mĆŖme
Parce que tu n’es qu’un autre
Tu n’es que l’infime particule
D’un sentiment qui appartient
A ceux que tu n’as pas revus
A ceux qu tu n’as pas prĆ©vus
Tu veux pas rƩussir
Comme les autres
T’es sĆ»r qu’il y a mieux
T’es sĆ»r de trouver
T’es sĆ»r qu’aimer n’est pas original
Un texte, trĆØs long celui ci aussi, Ć©crit entre 1978 et 1979, je le publierai en plusieurs fois : son titre « tu t’en foutais d’ĆŖtre nĆ©… »

Tu t’en foutais d’ĆŖtre nĆ©
Dis tu t’en foutais
Tu rĆŖvais pas
Ou tu t’en souviens pas
Et maintenant t’as peur
T’as peur
Et tu sais pourquoi
Le chaque jour de ta vie
Est un bagne de rĆŖves
Et tu veux pas t’Ć©vader
De toute faƧon demain tu seras ƩcrasƩ par un tramway
Sors du foetus
ArrĆŖte de dire que t’es nĆ©
Pour ta libertƩ
Comprends qu’ils t’ont condamnĆ©
Comprends que le code t’a accouchĆ©
Pour que les lois puissent t’Ć©lever
T’en avais pris pour une vie
Et t’as cru t’Ć©chapper
T’as failli tout perdre parce que t’as cru ĆŖtre le plus fort
ArrĆŖte de dire que les autres ont tort
Parce qu’ils dĆ©racinent ton arbre de vĆ©ritĆ©
ArrĆŖte de conjuguer les autres Ć la troisiĆØme personne
Arrête de te déchirer sur leur indifférence
Criminelle
Un jour peut-ĆŖtre on parlera de toi au futur
Un jour peut-ĆŖtre…

Entre deux Ʃpaisseurs de malaise
Se glisse une ombre tremblante
Une faible lueur sāinvite au gris banquet
Elle signe dāune main molle
Au creux du bas de page
Un mot doux qui brille en glissant
13 mars

Pardonne moi Ɠ mer oubliƩe
Pardonne moi il est long et gris
Ce temps abandonnƩ aux vagues ennuis
Tu es lĆ rassure-toi
Rime sableuse de mes insomnies
J’entends ton roulis
Dans le creux de mes houles nocturnes
Il ondule et glisse en sifflant
Ne crains rien tu sais je t’entends
Le chant mauve de ton Ʃcume
Se pose doucement sur la tendre plaine de mes encres apaisƩes

Je plonge des yeux encore fripƩs de nuit
Dans une bleue et lointaine vallƩe
Y coule le sourd torrent de mes mémoires rêvées
Jāentends chants et rires qui sāĆ©loignent
Et moi je reste sur les cimes lumineuses
De ces doutes aux brumes enroulƩes

J’ai un trou de mĆ©moire…
J’ai un trou de mĆ©moire… Curieuse non cette expression ? Pour ma part, j’ai plutĆ“t l’impression quand je suis confrontĆ© Ć ce problĆØme de trou qu’il s’agit plutĆ“t d’un trou DANS la mĆ©moire. Comme s’il s’agissait d’un panier percĆ©. Et au bout du compte si on rĆ©flĆ©chit un peu un trou ce n’est rien ou plutĆ“t ce n’est que du rien, qu’un peu de vide autour de tout, d’un tout ou du plein pour ne pas dire du pain parce qu’un trou dans le pain ce n’est rien ou trois fois rien. Mais revenons Ć nos moutons : un trou de mĆ©moire ne serait finalement rien ou presque rien. Et le presque est ici important : il rappelle que trĆØs souvent au bord du trou il y a un tas : le tas composĆ© de ce qui a Ć©tĆ© extrait du trou avant qu’il ne devienne trou. Si je poursuis mon raisonnement je me dis que finalement tout est lĆ , au bord, et qu’il suffit de chercher, de trier et alors on retrouvera bien quelque chose, pour combler le trou.
Je me relis et je me dis que tout cela n’est peut-ĆŖtre pas si clair, qu’il manque quelque chose, qu’il y a comme on le dit parfois un trou dans la raquette. Tout cela est bien complexe et plus j’avance plus je me dis que la solution est probablement au fond du trou.
Mais c’est une autre histoire

DerriĆØre la rime mauve
De mon vers
Tout le jour endormi
Fleur rare et seule
Un par un
Effeuille ses pƩtales
Sur la page du soir tombant
Parmi les pauses lecture que je m’accorde pendant mon chantier d’Ć©criture, il y a eu ce magnifique roman de GrĆ©goire Delacourt. L’extrait que je vous propose est comment dire d’une intensitĆ© poĆ©tique qui me provoque des vibrations.

/… Sa famille.
Des cultivateurs dans le CambrĆ©sis. Vingt hectares de lecture fourragĆØre. Quelques bĆŖtes. Des nuits de peu d’heures, des mains usĆ©es, des ongles noirs, comme des griffes, la peau tannĆ©e, un vieux cuir craquelĆ©. Jamais de vacances, jamais de premier mai parfumĆ© au muguet ; la terre, toujours, la terre exigeante, capricieuse ; et la mer, une fois, une seule, pour mes sept ans, a-t-il prĆ©cisĆ©, mais pas vraiment la mer, une plage plutĆ“t, celle des Argales, Ć Rieulay, du sable fin au bord d’un lac artificiel sur un ancien terril ; mes parents n’avaient pas voulu me dĆ©cevoir : ils avaient dit qu’il n’y avait pas de vagues ce jour lĆ , une histoire de lune, de planĆØtes, je ne sais plus, et je les avais bien crus, bien que l’eau ne soit pas salĆ©e, ah Ƨa ! disait mon pĆØre Ć propos du sel, Ƨa dĆ©pend des courants, des marĆ©es et mĆŖme de la lune, AndrĆ©, c’est trĆØs compliquĆ©, tu sais, tout ce bazar, et plus tard j’ai compris qu’ils avaient voulu m’Ć©crire une histoire unique, m’enseigner que l’imagination fait advenir tous les voyages, exhausse toutes les enfances. Ils ne se plaignaient jamais, ni du gel ni des pluies qui pourrissaient tout ; ils sillonnaient et faƧonnaient la terre comme des sculpteurs, comme des amants ; ils lui parlaient, ils la remerciaient les jours de grande rĆ©coltes , la consolaient lorsque le froid la fendillait et la gerƧait ; ils aimaient que le temps marque les choses. Ils attendaient les printemps comme on attend un pardon. /…

Je ne veux pas Ʃliminer ce qui repose ma rƩtine
FatiguƩes des figures imposƩes
Des beautƩs qui Ʃtonnent
Cherchent une place
Elles hƩsitent et veulent entrer
Les vigiles acadƩmiques veillent
Vous nāexistez pas sur ma palette apprise
Je vous invite Ć rester correcte
Et vous refaire une beautƩ
Dans la longue file des oubliƩes
Les refoulées lèvent en riant
Un point quāelles posent sur ce bout de ligne perdue
10 mars 2025

Sur le tableau noir de mes dĆ©sirs dāĆ©criture
Jāai tracĆ© quelques lettres de brumes
Des mots bleus se sont envolƩs
A tire ligne jusquāau bord dāune blanche feuille
Que jāavais attendue
Une phrase est lĆ , en suspens
Une autre aussi qui lāattend
Je les regarde heureux
Elle se sont aimƩes
Avec mon consentement

Jāentre et je sors de moi-mĆŖme souvent,
Je me demande audience parfois,
Je me rencontre en de noirs corridors,
Je fais semblant de ne pas me surprendre
Ou je māignore.
Un long sanglot nocturne
Brise un miroir. On voyage on voyage
Et lāon se quitte, on joue Ć cache-cache,
Mon corps et moi, mariĆ©s de lāaurore.
Suis-je sans ĆŖtre ? Et rĆŖver nāest-il vivre
Hors de soi-mĆŖme, hors les murs, hors le doute,
Là où le corps ne va pas, car il pèse
Plus que le bronze et le plomb des pensƩes.
Et je māen vais sur des lieux de musique
Pour oublier mon sol de rƩsidence :
Ce corps Ć©pais où jāentre et sors, et jāose
Me résigner à demeurer sans ailes.
ā Entrez chez moi, jāai pour vous mille chambres
Et des salons, et des orangeraies…
Mais nul ne vient, le seul hÓte est moi-même
Dans ma maison bien trop vaste pour moi.

Lorsque jāĆ©cris, sur le papier, avec un stylo-bille des plus commun, je ressens trĆØs fort la sensation de lāĆ©criture. Cāest un acte physique, qui laisse des traces. Et je me souviens alors de cette toute premiĆØre phrase que jāavais Ć©crite il y a quarante trois ans lorsque je dĆ©cidai dāĆ©crire un roman, mon premier roman, premiĆØre pierre dāun chantier qui ne sāest jamais fermĆ©, mĆŖme dans les pires moments, ceux où lāinspiration est ballottĆ©e dans les intempĆ©ries de la vie.
Je me souviens, jāavais 19 ans et jāĆ©crivais : Ā« J’ai la tĆŖte qui bourdonne, les mains moites. Mes jointures gardent en mĆ©moire les arĆŖtes du stylo. Ā»
En ce moment, presque tous les soirs mes doigts gardent en mémoire les arêtes de mon stylo.

Dans le bout de cette vie qui rƩsiste
Il y a comme un voile gris
Flamme qui vacille
La peur est seule
Elle nāose plus entrer
Un rideau de larmes
Inutile elle recule
Son temps est passƩe

LassƩ de me cogner
Aux angles mauves
Du grand mur gris
De vos molles promesses
Jāai rĆŖvĆ© dāune fenĆŖtre
Ouverte sur le souffle bleu
De nos demains heureux

Fin du jour
Lumière bleue métallique
Dans l’angle lourd
PĆ¢le envie d’AmĆ©rique
Bouillon de silences
Traîne un sac à mots rances
Brouillon de rimes en fĆŖte
Entends les cris qu’on rĆ©pĆØte
Au bord du soir chante danse espĆØre
Et grincent grands oiseaux de fer

Et si vous cessiez de vous haĆÆr !
Oui cāest Ć vous que je parle, ne tournez pas la tĆŖteā¦
Oui, vous, femmes et hommes enfermƩs dans vos camisoles idƩologiques.
Vous qui maniez avec dextƩritƩ la fine lame du mƩpris.
Oui, vous, je vous en prie, prenez le temps,
Il reste encore du beau pour espƩrer
Vous niez ?
Les autres, ce sont les autres me dites-vous.
Les autres, toujours les autres :
Les ceux qui ne savent pas,
Les ceux qui ne comprennent pas,
Les ceux qui dƩrangent les angles mous de vos certitudes carrƩes.
Mais vous nāy ĆŖtes pour rien, vous ĆŖtes dans le vrai, vous le savez.
Bien au chaud entre les raides Ʃpaisseurs de vos convictions avariƩes,
Vous jugez, vous condamnez, vous accusez,
Cāest bien triste vous savez.
Il faut vous redresser.
Je vous plains,
Cāest vrai,
Je voudrais tant vous dire
Que tout nāest que rien,
Que tout nāest que vain,
Allez un effort sāil vous plait,
Ce sera tellement mieux lorsque vous vivrezā¦

Il y a des mois que jāĆ©coute
Les nuits et les minuits tomber
Et les camions dƩrober
La grande vitesse Ć la route
Et grogner lāheureuse dormeuse
Et manger la prison les vers
Printemps ƩtƩs automnes hivers
Pour moi nāont aucune berceuse
Car je suis inutile et belle
En ce lit où lāon nāest plus quāun
Lasse de ma peau sans parfum
Que pâlit cette ombre cruelle
La nuit crisse et froisse des choses
Par le carreau que jāai cassĆ©
Où sāengouffre lāair du passĆ©
Tourbillonnant en mille poses
Cāest le drap frais le dessin miĆØvre
LƩchant aux murs le reposoir
Cāest la voix maternelle un soir
Où lāon criait parmi la fiĆØvre
Le grand jeu dāamant et maĆ®tresse
Fut bien pire que celui-lĆ
Cāest lui pourtant qui reste lĆ
Car je suis nue et sans caresse
Mais veux dormir ceci annule
Les prĆ©cĆ©dents Ah māĆ©vader
Dans les pavots ne plus compter
Les pas de cellule en cellule

Est-ce quāil est encore possible aujourdāhui dāĆŖtre tentĆ© par lāoptimismeĀ ? Jāai bien prĆ©cisĆ©, tentĆ©, ce qui vous me lāaccorderez, est une nuance importante. Ćtre optimiste cāest en ce moment, compte tenu du contexte, un peu osĆ©, pour ne pas dire inconvenant, en prenant le risque, par un tel comportement, dāĆŖtre suspectĆ© dāindiffĆ©rence ou dāaveuglement. Sur ce long chemin qui doit nous conduire Ć lāoptimisme, il y a de nombreux obstaclesĀ : ce sont ce que jāappellerai les cailloux ou les orniĆØres de la rĆ©alitĆ©. Non, cāest autre chose dont je parle, et cāest trĆØs clair dans mon esprit. Je suis tentĆ©, oui tentĆ©, par lāoptimisme, cāest-Ć -dire que sur ce chemin Ć©voquĆ©, je ressens le besoin de tendre la main, ou le regard, vers autre chose que cette boue grise qui envahit un peut tout. Je vous entends dĆ©jĆ me rĆ©pondre que la situation ne nous invite ni Ć ĆŖtre de doux rĆŖveurs, ni des tendres naĆÆfs. Il sāagit pour moi de regarder ce quāil y a encore de beau, de rĆ©confortant dans ce monde, et de se laisser tenter, de plonger dans cette gourmandise spontanĆ©e. Et si les occasions sont rares, il faut les saisir, et surtout, surtout, ne pas respecter les injonctions de toutes ces morales qui nous invitent Ć ne pas succomber Ć cette tentation. Mon choix est faitĀ : le premier acte de ma rĆ©sistance consiste Ć me rĆ©jouir de ce qui est beau, joyeux, humain, solidaire, lumineux… Enfin jāessaie…
Le 7 mars 2025

J’aime le long silence
Du matin ƩtonnƩ
De ce bleu qu’on attend pas
Il ouvre grand son Åil fripĆ©
La journĆ©e s’essaiera au peut-ĆŖtre
Et nos mƩmoires glisseront sur les promesses de rires promis
7 mars

MƩlancolie, Ɠ ma colombe
A lāÅil tendre, Ć la plume grise,
Toi qui me suis quand le jour tombe
Vers lāĆ©tang que la lune irise ;
Toi qui becquĆØtes mon bras frĆŖle
Comme une sÅur encore mutine
Et dont le baiser me rappelle
Lāongle pointu dāune main fine.
Je suis nƩe au milieu du jour,
La chair tremblante et l’Ć¢me pure,
Mais ni l’homme ni la nature
N’ont entendu mon chant d’amour.
Depuis, je marche solitaire,
Pareille Ć ce ruisseau qui fuit
RĆŖveusement dans les fougĆØres
Et mon cÅur s’Ć©loigne sans bruit.

Ecrire sur une vaste prairie de rires fleuris
Cueillir, tremblant, entre deux feuilles de tendre vert
Un mot doux aux rondes et longues lettres
Une Ć une, les arracher aux griffes dāune vieille grammaire
Souffler sur leurs ailes fripƩes
Et rĆŖver leurs envolĆ©es Ć lāautre bout dāune proche nuit
6 mars 2025

Anton se souvient quand ils ont pris la voiture avec Marcel son pĆØre. Il Ć©tait trĆØs tĆ“t quand ils sont entrĆ©s sur lāA7. Ils ont roulĆ© prĆØs de deux heures sans rien dire avec simplement le bruit du moteur et les chuintements des autres voitures, plus rapides, et qui vous doublent en produisant ce souffle, chuuuinnt, si caractĆ©ristique quand la vitre est lĆ©gĆØrement ouverte. Ce bruit, Marcel dit que cāest un chuintement. Cāest vrai que cāest un mot qui va bien, parce que si on ouvre la vitre plus grand, cāest pas pareil Ƨa ne chuinte plus, cāest autre chose, un autre son quāon ne retient pas, quāon nāarrive pas Ć capturer dans sa mĆ©moire pour en faire un joli mot.
Il se souvient. Ils se sont arrĆŖtĆ©s sur une aire, il faisait chaud, il y avait le bruit des camions et on entendait les premiĆØres cigales. LāA7 cāest le sud et le sud cāest les cigales. Le sud : lāair est sec, les cigales vibrent, les chuintements se gravent dans la mĆ©moire, les camions rugissent au loin. Anton regarde Marcel qui sāĆ©tire dans un sourire. Ils sont sortis de la voiture, sans rien dire, parce que dans ces moments-lĆ , il ne faut rien dire pour ne pas prendre le risque dāabĆ®mer ce qui va entrer en vous. Ils sont sortis et il y a eu le claquement simultanĆ© des deux portiĆØres, bruit de mĆ©tal et de cuir, enfin il pense que le cuir cāest ce bruit lĆ que Ƨa fait. Ils ont marchĆ© quelques dizaines de mĆØtres et maintenant les odeurs prennent toute la place dans la machine Ć Ć©motions.
Les odeurs sur une aire dāautoroute : il y a lāessence bien sĆ»r, le caoutchouc un peu chaud aussi, un mĆ©lange qui se marie avec les bruits quāon entend. Marcel et Anton sont bien mais ne le disent pas, ils le savent, le comprennent sans se regarder, cāest Ć©crit dans le silence tranquille qui sāest posĆ© entre eux. Anton a quand mĆŖme levĆ© la tĆŖte, son regard a croisĆ© celui de Marcel, et aujourdāhui Anton se souvient. Cāest ce jour-lĆ , il avait une dizaine dāannĆ©es, quāil a commencĆ© Ć comprendre ce que cāĆ©tait quāĆŖtre un autre, ĆŖtre diffĆ©rent, il a compris que cāest accepter de se jeter dans les bras de lāĆ©motion, entiĆØrement, sans rĆ©flĆ©chir, sans sāinterdire, y compris dans ces moments et ces lieux que tous ceux qui discourent sur le bonheur, sur le beau rejettent et abandonnent sur les rives bleues de leur vie.
Ces marcheurs de rĆŖve vous vendent des plages blanches, des couchers de soleil et soudain vous ĆŖtes lĆ sur une aire dāautoroute, un peu aprĆØs MontĆ©limar. Votre voiture nāa pas dāacajou, les siĆØges sentent la chaleur, mais quand vous sortez, lĆ , avec votre pĆØre, votre pĆØre cet incroyable personne qui vous a ditĀ : « pas dāinterdit, ne retiens pas, laisse-toi aller, ne trie pas tes Ć©motionsĀ Ā». Et les Ć©motions entrent Ć plein bouillons. Bien sĆ»r une voix bien-pensante est lĆ pour vous rappeler que ce nāest pas normal, ridicule mĆŖme. Mais vous vous moquez, vous laissez entrer et Ƨa fait comme une vague et cāest la premiĆØre fois que Anton sāest ditĀ : « ça y est jāai compris, je suis un autreā¦Ā Ā»
Extrait de mon quatriĆØme manuscrit en cours d’Ć©criture

Entre larmes et mers
Brune ou brumes
Belles ou bleues
Roulent perles de vie
Sueur salƩe de simples bonheurs
Corps et cÅurs envahis
On aime
On frissonne
Ne retiens rien mon fils
Hier
Demain
Toujours
Petit homme est lĆ
De trace en trace
Il suivra

L’aile gauche du cÅur
Se replie sur le cÅur
Je vois brĆ»ler l’eau pure et l’herbe du matin
Je vais de fleur en fleur sur un corps auroral
Midi qui dort je veux l’entourer de clameurs
L’honorer dans son jour de senteurs de lueurs
Je ne me mƩfie plus je suis un fils de femme
La vacance de l’homme et le temps bonifiĆ©
La rƩplique grandiloquente
Des Ʃtoiles minuscules
Et nous montons
Les derniers arguments du nƩant sont vaincus
Et le dernier bourdonnement
Des pas revenant sur eux-mĆŖmes
Peu à peu se décomposent
Les alphabets ânonnés
De l’histoire et des morales
Et la syntaxe soumise
Des souvenirs enseignĆ©s Et c’est trĆØs vite
La libertƩ conquise
La libertƩ feuille de mai
Chauffée à blanc
Et le feu aux nuages
Et le feu aux oiseaux
Et le feu dans les caves
Et les hommes dehors
Et les hommes partout
Tenant toute la place
Abattant les murailles
Se partageant le pain
Dévêtant le soleil
S’embrassant sur le front
Habillant les orages
Et s’embrassant les mains
Faisant fleurir charnel
Et le temps et l’espace
Faisant chanter les verrous
Et respirer les poitrines
Les prunelles s’Ć©carquillent
Les cachettes se dƩvoilent
La pauvretƩ rit aux larmes
De ses chagrins ridicules
Et minuit mƻrit ses fruits
Et midi mƻrit des lunes
Tout se vide et se remplit
Au rythme de l’infini
Et disons la vƩritƩ
La jeunesse est un trƩsor
La vieillesse est un trƩsor
L’ocĆ©an est un trĆ©sor
Et la terre est une mine
L’hiver est une fourrure
L’Ć©tĆ© une boisson fraĆ®che
Et l’automne un lait d’accueil
Quant au printemps c’est l’aube
Et la bouche c’est l’aube
Et les yeux immortels
Ont la forme de tout
Nous deux toi toute nue
Moi tel que j’ai vĆ©cu
Toi la source du sang
Et moi les mains ouvertes
Comme des yeux
Nous deux nous ne vivons que pour ĆŖtre fidĆØles
A la vie
P. Eluard

La premiĆØre caresse de printemps
Sur nos visages fermƩs
Le rire dāun enfant pour ce rien qui surprend
Ces deux ou trois mots doux Ć lāoreille soufflĆ©s
Cette douce lumiĆØre qui efface une plaie

Souviens-toi passager,
Souviens-toi,
Cāest un mardi,
Un petit mardi
Aux bords affaissƩs.
Tout va si vite,
Tant de terres traversƩes
Tant de terres sĆ©parĆ©esā¦
Souviens-toi,
DerriĆØre la vitre,
Cāest un homme qui pleure,
Personne ne le voit.
Chacun est Ć son clic,
Les larmes ne sāaffichent pas.
Lāhomme regarde le monde,
Les autres ne le voient pas,
Rides sur le front,
Ils habitent le monde numƩrique.
Lāhomme pleure le monde perdu,
Son monde frissonne et boite bas.

Au fond de la nuit la plus nue
Pas trace de village sur la houle
Je n’ai qu’Ć prendre ta main
Pour changer le cours de tes rĆŖves
Embellie ton haleine malmenƩe par la rixe
Tous les sentiers qui te dévêtent
Ont dans le lierre de mon corps
Perdu leurs chiens leurs carillons
La tige Ć©moussĆ©e de l’Ć©toile
Fait palpiter ton sexe Ʃmu
A mille lieues vierges de nous
Nous restons sourds Ć l’agneau noir
A toute goutte d’eau d e pieuvre
Nous avons ouvert le lit
A la pierre creuse du jour en quĆŖte de sang
De rƩsistance

Entre les rides
Des espoirs dƩƧus
Un bouquet de couleur
Une larme bleue
Douce lueur
Sur ces quelques fleurs
Oublie les rires mauvais
Va, cours
RĆŖve
Creuse lĆ
Oui
Ici
Tout au fond de la poche
Tu trouveras
Les derniĆØres miettes
De l’arbre heureux…

On le disait homme du passƩ
Plus rien nāest comme avant, homme dĆ©passĆ©
Plus rien me dites-vous
Permettez-moi de rire et dāen douter
Je ne veux pas de ce monde sans ce soleil taquin
Je ne veux pas de vos vies enfermƩes
Dans un rectangle aux angles numƩriques
Je nāen veux pas de vos matins incolores
Sans cette douce lumiĆØre qui caresse
Les restes mauves de la longue nuit
Je nāen veux pas de vos morales hygiĆ©niques
Je nāen veux pas de vos peurs organisĆ©es
Moi je suis un homme du toujours
Jāaime que mon souffle brise lāombre du silence
Jāaime tous les rires de rien
Jāaime le chant de mes mots doux
Qui dansent sur le papier
Jāaime le parfum de ces histoires dāhier
Qui caressent mes lendemains
Vous me disiez homme du passƩ
Je vous ai déjà oubliés

Homme en presque pleurs
Il est lāheure,
Il est tĆ“tā¦
Ta bouche est sĆØche
Du silence dāune nuit agitĆ©e.
Le feu de la peur
DƩvore les mots.
Ā« Ouvre les yeux,
Homme qui tremble. Ā»
DerriĆØre la vitre,
Nuit moite a tirƩ le rideau.
Dans les coulisses de ses rĆŖves,
Un pli de ciel brille.
Je le vois,
Il est pour moi.
Je le vois,
Il est Ć toi.

Souviens-toi passager,
Souviens-toi,
Cāest un mardi,
Un petit mardi
Aux bords affaissƩs.
Tout va si vite,
Tant de terres traversƩes
Tant de terres sĆ©parĆ©esā¦
Souviens-toi,
DerriĆØre la vitre,
Cāest un homme qui pleure,
Personne ne le voit.
Chacun est Ć son clic,
Les larmes ne sāaffichent pas.
Lāhomme regarde le monde,
Les autres ne le voient pas,
Rides sur le front,
Ils habitent le monde numƩrique.
Lāhomme pleure le monde perdu,
Son monde frissonne et boite bas.
Il y a cinq ans en raison d’une luxation de l’Ć©paule il a fallu me rĆ©soudre Ć Ć©crire de la main gauche…C’est plus long mais c’est plus proche du cÅur…

LāĆ©criture est lĆ ,
Je la sens,
Je la vois,
Elle coule,
Lente et fragile.
Goutte Ć goutte,
Elle entre Ć pleine ligne,
Dans le blanc de la page.
Les mots sont lĆ ,
Un par un,
Ils se posent
Sur le fil qui tremble.
EtonnĆ©s dāun si long silence
Ils sāĆ©coutent,
Ils sāassemblent.
Mes mots sont lĆ ,
Ils nous ressemblent.

Ā« Jāattends longtemps. Parfois, je trĆ©buche, je perds la main, la rĆ©ussite me fuit. Quāimporte, je suis seul alors. Je me rĆ©veille ainsi, dans la nuit, et, Ć demi endormi, je crois entendre un bruit de vagues, la respiration des eaux. RĆ©veillĆ© tout Ć fait, je reconnais le vent dans les feuillages et la rumeur malheureuse de la ville dĆ©serte. Ensuite, je nāai pas trop de tout mon art pour cacher ma dĆ©tresse ou lāhabiller Ć la mode.
Ā« Dāautres fois, au contraire, je suis aidĆ©. Ć New York, certains jours, perdu au fond de ces puits de pierre et dāacier où errent des millions dāhommes, je courais de lāun Ć lāautre, sans en voir la fin, Ć©puisĆ©, jusquāĆ ce que je ne fusse plus soutenu que par la masse humaine qui cherchait son issue. JāĆ©touffais alors, ma panique allait crier. Mais, chaque fois, un appel lointain de remorqueur venait me rappeler que cette ville, citerne sĆØche, Ć©tait une Ć®le, et quāĆ la pointe de la Battery lāeau de mon baptĆŖme māattendait, noire et pourrie, couverte de liĆØges creux.
Ā« Ainsi, moi qui ne possĆØde rien, qui ai donnĆ© ma fortune, qui campe auprĆØs de toutes mes maisons, je suis pourtant comblĆ© quand je le veux, jāappareille Ć toute heure, le dĆ©sespoir māignore. Point de patrie pour le dĆ©sespĆ©rĆ© et moi, je sais que la mer me prĆ©cĆØde et me suit, jāai une folie toute prĆŖte. Ceux qui sāaiment et qui sont sĆ©parĆ©s peuvent vivre dans la douleur, mais ce nāest pas le dĆ©sespoir : ils savent que lāamour existe. VoilĆ pourquoi je souffre, les yeux secs, de lāexil. Jāattends encore. Un jour vient, enfin⦠»
Une merveille, je le publie en deux courtes parties, il faut prendre de le lire, le relire, s’en imprĆ©gner comme d’un baume apaisant.

Ā« Jāai grandi dans la mer et la pauvretĆ© māa Ć©tĆ© fastueuse, puis jāai perdu la mer, tous les luxes alors māont paru gris, la misĆØre intolĆ©rable. Depuis, jāattends. Jāattends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide. Je patiente, je suis poli de toutes mes forces. On me voit passer dans de belles rues savantes, jāadmire les paysages, jāapplaudis comme tout le monde, je donne la main, ce nāest pas moi qui parle. On me loue, je rĆŖve un peu, on māoffense, je māĆ©tonne Ć peine. Puis jāoublie et souris Ć qui māoutrage, ou je salue trop courtoisement celui que jāaime. Que faire si je nāai de mĆ©moire que pour une seule image ? On me somme enfin de dire qui je suis. āRien encore, rien encore⦠ā
Ā« Cāest aux enterrements que je me surpasse. Jāexcelle vraiment. Je marche dāun pas lent dans des banlieues fleuries de ferrailles, jāemprunte de larges allĆ©es, plantĆ©es dāarbres de ciment, et qui conduisent Ć des trous de terre froide. LĆ , sous le pansement Ć peine rougi du ciel, je regarde de hardis compagnons inhumer mes amis par trois mĆØtres de fond. La fleur quāune main glaiseuse me tend alors, si je la jette, elle ne manque jamais la fosse. Jāai la piĆ©tĆ© prĆ©cise, lāĆ©motion exacte, la nuque convenablement inclinĆ©e. On admire que mes paroles soient justes. Mais je nāai pas de mĆ©rite : jāattends.