La poésie est partout, je la sens, la ressens, la partage…
Auteur : Eric Nedelec
Agé de 62 ans, depuis que je sais tenir un crayon, j'aime écrire, jouer avec les mots, les assembler pour qu'ils provoquent des émotions. J'aime qu'à la lecture de mes textes on éprouve des émotions identiques à celle que j'ai éprouvées en les vivant, puis en les écrivant.
Dans l’angle mort d’une histoire en pointillé J’ai trouvé un vieux reste de lumière figée Le bavard au cœur creux Sans rien dire l’a abandonné Dans l’onde dodue Des ronds de mes rires bleus Je l’ai jeté pour un dernier souvenir ricochet
Le monde pleure doucement Dans le creux des longues larmes Roulent des gouttes d’ennui Sur la vitre sale du hier sans fin J’ai gratté de mon ongle rongé d’impatience Une vieille trace de mémoire
Il y a un an mon père qui m’a transmis l’amour de la mer nous quittait pour le long sommeil des absents. Je pense à lui aujourd’hui
Il a mis le pied sur le quai et
ce qu’il a tout de suite senti, très fort, c’est l’air. Il l’a senti sur sa
peau, il l’a senti entrer en lui, partout, par tous les pores. Alors il s’est
arrêté, et il a compris que la mer dans la ville, dans cette ville est partout.
L’air qu’on respire n’est pas le même, il est parfumé, avec juste cette
sensation d’humide qui ne glace pas le sang mais qui donne le sourire. Oui,
elle est là la différence, c’est dans l’air ! C’est un sourire qui
caresse, doux comme le premier chant d’oiseau à la fin de l’hiver, on ouvre la
fenêtre, on respire : la vie est partout et on sourit. Il n’est là que
depuis cinq minutes. Il ouvre les yeux, son cœur bat, très fort, les autres il
ne les voit plus. Il est sorti de la gare et il avance, il sent, il reconnaît
il comprend tous ces récits de la mer qui commencent là, au port. Les mouettes
d’abord, leurs cris ne sont pas beaux, mais leurs cris le bouleversent. Elles
l’appellent, elles le savent nouveau. Il avance. Tout est si beau : une
lumière de fin d’après-midi, un soleil déclinant qui laissent traîner quelques
couleurs ; la moindre pierre est étincelle, et les flaques d’eau
graisseuse belles comme des toiles de maître. Le port est encore loin mais il
le comprend déjà, il perçoit les cliquetis, cocktails de bruits symphoniques.
Les bruits, la lumière les odeurs qui racontent la vie qui les a faites. Il
voudrait courir pour être au plus vite au port, mais aussi prendre le temps,
entrer comme un navire, calme, glissant, apaisant, masse métallique qui se pose
le long du quai.
Quel livre pourriez-vous relire sans vous lasser ?
Comment ne pas choisir ce compagnon de toute ma route littéraire, de tout mon chemin humaniste. Je l’ai lu, le relis, le relirai et je frissonne toujours autant à la lecture de certains passages.
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ». Ce matin Jules s’est levé en sueur.
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Ces paroles ne le quittent pas. Elles sont là, elles résonnent, ou plutôt elles chantent au fond de son crâne douloureux.
Jules ne se souvient que très rarement de ses rêves. Mais ce matin, il sait, il sent. Il est certain que ce sont des paroles qu’il a entendues cette nuit, dans son sommeil. Il lui semble même reconnaître cette voix. Une voix douce et gaie. Il faut dire que Jules vit seul, et débute sa journée, comme il l’a finie : dans le silence. C’est pour cette raison qu’il aime tant la compagnie de cette voix, comme une caresse qui le réconforte.
Tous les matins depuis dix jours il prend le temps de faire le tour de son appartement avec ce nécessaire regard d’explorateur, comme s’il découvrait à chaque fois, un territoire inconnu. Oh ce n’est pas très grand, mais il a suffisamment d’imagination pour s’inventer à chacune de ses tournées des aventures nouvelles. Il s’attend toujours à être surpris, à découvrir, qui sait, un coin encore vierge, dans une des quatre pièces de son logement. Intérieurement il sourit de sa naïveté : comme si les lois de la géométrie pouvaient à la faveur de ce confinement être bouleversées. Ce serait incroyable que je sois le premier à découvrir que dans certains rectangles, on peut trouver un cinquième coin. Pauvre Jules, il est seul et ne sait plus quoi inventer pour s’aérer, pour s’obliger à ne pas rester enfermé entre ces quatre murs. Quatre murs ? Il faudra peut-être que je recompte se dit-il ?
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Toujours ce refrain qu’il entend, petite voix désormais familière. Il a même l’impression qu’elle se rapproche désormais
Après avoir traversé le long couloir – sans faire de pause s’il vous plait- Jules se trouve désormais devant sa bibliothèque.
Jules commence par un long moment d’admiration, presque de la contemplation. Il est vrai qu’il a un côté maniaque qu’il assume totalement ; il ne se passe pas journée, en période normale, sans qu’il ne caresse les dos alignés de ses très nombreux livres, il les bouge parfois légèrement, souffle sur le dessus, persuadé que la poussière s’est encore invitée et va coloniser les pages.
Jules aime les livres, nous l’aurons compris. Et depuis le début de cet enferment imposé, Jules accomplit son rite plusieurs fois dans la journée. Nous ne sommes pas loin reconnaissons le de l’obsession.
Bref, Jules après la longue traversée du couloir sombre et aride est là, raide et rigide, plantée devant les rayons de sa bibliothèque. Une belle bibliothèque, bien fournie car Jules nous l’aurons compris aime les livres.
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ». La voix semble se rapprocher.
Jules aime les livres bien sûr, mais Jules aime les oiseaux aussi, il est même passionné, il aime les observer, les écouter, et surtout, Jules aime quand ils s’envolent… Nous aurons donc compris que comme Jules aime les livres et qu’il aime aussi les oiseaux, Jules a beaucoup, mais alors beaucoup de livres sur les oiseaux.
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Et d’un coup, d’un seul Jules comprend. Les livres, les oiseaux, la fenêtre toujours fermée. Jules saisit un de ces magnifiques livres, qu’il aime tant feuilleter. Celui qu’il tient est un livre sur les oiseaux de mer, il le sort délicatement, caresse amoureusement la couverture et l’ouvre, lentement, très lentement…
« Je n’en peux plus, je ne veux plus, je veux m’échapper, je veux prendre l’air et m’envoler ! ».
Oui, c’est vrai, je le constate aujourd’hui encore, les jours rallongent. Pourquoi d’ailleurs ne pas se contenter de dire qu’ils sont plus longs où qu’ils s’allongent (même si comme moi vous aurez constaté que les jours, ou plutôt les journées continuent éternellement d’avoir 24 heures…). Pourquoi ajouter une fois de plus ce préfixe répétitif qui racle la gorge. Vous remarquerez d’ailleurs que je n’ai pas parlé de rajouter, parce que convenons-en, un ajout est bien suffisant et ne prenons pas le risque de sombrer dans le bégaiement. Rallonger, allonger, je m’interroge : après tout une allonge ou une rallonge ce n’est pas exactement la même chose. Quand on me parle d’allonge j’étire le bras et je pense aux boxeurs, et quand on me parle de rallonge je cherche une prise et je vois un câble électrique. Ce câble qu’on ajoute quand le cordon est trop court et qu’on veut éclairer avec une torche par exemple, un peu plus loin, là où il fait sombre. Et en effet dans ce cas on ne peut que constater que grâce à la rallonge on allonge le jour ou tout au moins on l’éloigne un peu, mais par contre on ne parvient pas à le faire durer plus longtemps car il arrive toujours un moment ou tout devient trop long (comme ce texte d’ailleurs ), un peu comme un long jour sans fin. Mais une fois de plus je m’égare et la nuit bien qu’elle soit moins longue est déjà tombée. Tiens tiens voilà autre chose, la nuit est tombée…
A Limoges il n’y a rien qui
rappelle la mer, alors Marcel est allé dans la plus grande librairie et il a
tout acheté. Tout ce qui posait des mots sur la mer, sur les vents sur l’océan,
sur les bateaux, petits, grands, à voiles, à moteur. Il s’est plongé dans les dictionnaires,
a avalé des centaines de pages, pour s’emplir le cerveau de ce vocabulaire ou
les mots assemblés forment comme une nouvelle langue. Il a joué avec poupes et
proues avec drisses et focs et à chaque découverte se sentait plus proche du
matin ou il partirait. Même le calcul des courants l’a passionné, il s’est
procuré de vieux fascicules achetés chez un antiquaire où les pages sont
pleines de ces flèches qui grossissent avec les marées et qui se mettent
soudain à danser sur le papier pour fabriquer un tourbillon. Il a rêvé à
feuilleter les catalogues de navire, de toutes sortes. Au lycée alors que les autres
parlent de l’équipe de basket de Limoges lui s’enflamme à décrire le dernier
cargo sorti des chantiers naval de Saint Nazaire. Les autres le regardent AVEC
un sourire qui en dit long sur ce qu’ils pensent de son état mental. Il passe
le bac sans passion, pour l’avoir, pour être de l’autre côté de la rive. Passer
le bac pour traverser, il aime cette image que ses copains ne comprennent pas
parce qu’ils ne s’intéressent qu’aux voitures, aux motos, véhicules au métal
triste qui ne raconte rien quand il est immobile. Marcel explique qu’une
voiture, quand il y a du vent elle ne grince pas, alors qu’un bateau, n’est
jamais vide, n’est jamais sans vie, il est toujours dans le frémissement. Le
bac en poche, Marcel a pris le train, il ira chercher du travail sur un bateau
n’importe lequel. Il est arrivé à La Rochelle, en début d’après-midi, très vite
s’est approché du port et là il a demandé comment faire pour monter sur un
bateau, on a cru qu’il voulait visiter, mais il a répondu qu’il n’était pas touriste.
Il voulait vivre sur un bateau. A côté de lui un homme au regard plissé lui a
donné le nom d’un navire et de son capitaine : c’est un cargo, il doit
partira du port de La Palisse le lendemain pour l’Afrique, pour charger du bois
exotique. Il manque des matelots, il peut
tenter sa chance. Ils se sourient, ils se comprennent.
…Un jour,
c’était peut-être à la table de la cantine de son lycée Marcel a dit comme ça,
sans prévenir, « si plus tard j’ai un fils je voudrais qu’il atteigne
l’impossible et qu’il parvienne à l’incroyable » …
Impossible, incroyable, Anton est né avec ces deux mots gravés en lui. Il est né avec…
Pour atteindre l’impossible, Marcel disait qu’il faut commencer à regarder le monde avec les yeux de l’intérieur, ceux qui ne sont pas abîmés, par la morale, la connerie, l’ambition et surtout par le regard des autres. Le regard qui juge. Marcel l’a expliqué à Anton, très jeune : « ne regarde pas comme les autres, n’écoute pas ce qu’ils te disent, sors de leur route toute tracée, choisis ton chemin ». « Et si on te répond que ce n’est pas possible d’entendre la mer lorsque tu es dans la forêt, ne dis rien, ferme les yeux et plains les, eux qui n’entendent pas les arbres qui s’essaient au bruit des vagues ». « S’ils te disent que c’est ton imagination qui te joue des tours, dis-leur que c’est leur imagination qui est en panne, qui est fatiguée, dis-leur que c’est quand on ne veut pas voir ce qui est vrai, quand on ne veut pas entendre le bruit des vagues qui secouent les crêtes des sapins qu’on s’est trompé ».
« L’imagination qu’ils te proposent n’est pas la tienne,
tu n’en veux pas de ces artifices pour enfant naïf qui fabriquent du magique pour
empêcher d’aller ailleurs, de choisir d’autres chemins, tu n’en veux pas de
cette mythologie préfabriquée qui fabrique des rêves à la chaîne, toujours les
mêmes, depuis longtemps, et pour tout le monde. Toi tu dois leur dire que les
arbres tu les vois bien comme des arbres, pas comme de vieilles femmes aux
doigts crochus ou autres monstres qu’on veut entrer de force dans les têtes
pour que toutes les peurs soient identiques. Toi tu ne dois pas être comme les
autres. Les arbres tu dois les voir arbres et la mer que tu entends, quand ils
bougent dans le vent, tu dois te dire que c’est la mer. Tu ne dois pas
dire : il font comme la mer, c’est comme la mer, j’ai l’impression
d’entendre la mer, tu ne dois pas dire cela parce que c’est injuste , c’est
injuste pour les arbres d’abord, pour la mer surtout ! C’est comme si tu disais
que la mer n’existe pas, qu’elle est ailleurs, plus loin, toujours plus loin,
et qu’elle n’appartient qu’à ceux qui prétendent qu’ils l’ont vue, qu’ils l’ont
entendue, avec leurs mots à eux, avec des mots fabriqués par d’autres pour dire
que la mer existe, ici, et pas ailleurs… »
« Toi tu dois dire que la mer elle existe, ici, dans ces
forêts d’altitude, tu dois te dire qu’elle est là, par ce vent, comme une
mémoire…… »
Anton se souvient de ce que son père lui expliquait sur le
beau, sur le vrai. Tout petit déjà il l’accompagnait dans ses déambulations incroyables.
C’est au cours de ces longues promenades que Marcel a montré à Anton que
l’essentiel c’est de ne rien dire, de s’arrêter, d’écouter, de sentir sans
penser, sans chercher à expliquer, à faire des liens avec ce qui a déjà été dit
ou écrit, pour indiquer ce qu’il est bon, ce qu’il est bien d’aimer, de
regarder, de ressentir. Marcel disait que le beau n’appartient à personne, et
surtout il n’appartient à personne de désigner ce qui est beau, et que même ce
mot il fallait l’éviter, comme beaucoup d’autres d’ailleurs parce que ce sont
des mots qui ne se définissent que par rapport à d’autres mots, au regard de
leurs contraires qu’on leur oppose. Marcel n’aimait pas affirmer que quelque
chose était beau. Il préférait ne rien dire, et si on lui posait la question,
il ne répondait pas, c’était inutile, c’était du temps perdu. Il aimait la vie,
il aimait les sensations que la vie vous propose tout autour de vous, il
n’aimait pas comparer, mesurer. Il disait parfois qu’on ne le lui demandait jamais
pourquoi il respirait, donc il ne voyait pas pourquoi on l’interrogerait sur
tout autre sujet en lien avec la vie, et tout ce qu’il y a autour. La seule
réponse à laquelle il consentait c’était : « j’existe ». C’est
tout, et c’est amplement suffisant.
…Anton est en avance. Sur le quai, l’ombre que laisse le cargo sur le sol poisseux est si épaisse qu’on la croirait couverte d’une bâche graisseuse. Il est seul, sa gorge se serre, face à ce mur de métal qui dans quelques heures l’abritera. Il aime cette odeur, elle n’existe nulle part ailleurs. C’est un savant mélange de toutes ces matières qu’on hésite à marier parce que les lois de la physique ne veulent pas les réunir. Le fer, cette chair que la terre offre aux hommes pour qu’ils aillent sur l’eau sur d’immenses bâtiments. Le fer, la mer, tout à l’heure il sera à bord, il touchera, il sentira et il sourira. L’homme qui lui a promis d’embarquer, croisé la veille sur le vieux port vient d’arriver. Il lui fait signe de le suivre, ils franchissent ensemble la coupée. Ils sont à l’intérieur du monstre d’acier, l’homme marche vite, Anton peine un peu, il n’a pas l’habitude, tout est nouveau, les coursives sont étroites, il faut baisser la tête pour franchir les portes. Ils arrivent dans le carré des officiers, l’homme est un des leurs, il présente sa dernière trouvaille. « C’est un jeune homme de Limoges, il veut naviguer… » Ils se regardent et sourient. On lui explique que c’est l’habitude de ce cargo, prendre un jeune, comme lui, pour voir, pour l’aider. Il ne sera affecté à aucune touche en particulier, un peu le factotum ou le bouche trou quoi. Anton serre les dents, c’est sa manière à lui de ne pas laisser échapper sa joie…
Note pour mon quatrième manuscrit : disparaîtra certainement dans la version finale…
Anton se souvient quand ils ont pris la voiture avec Marcel
son père. Il était très tôt quand ils sont entrés sur l’A7. Ils ont roulé près
de deux heures sans rien dire avec simplement le bruit du moteur et les
chuintements des autres voitures, plus rapides, et qui vous doublent en
produisant ce souffle, chuuuinnt, si caractéristique quand la vitre est
légèrement ouverte. Ce bruit, Marcel dit que c’est un chuintement. C’est vrai
que c’est un mot qui va bien, parce que si on ouvre la vitre plus grand, c’est
pas pareil ça ne chuinte plus, c’est autre chose, un autre son qu’on ne retient
pas, qu’on n’arrive pas à capturer dans sa mémoire pour en faire un joli mot.
Il se souvient. Ils se sont arrêtés sur une aire, il faisait
chaud, il y avait le bruit des camions et on entendait les premières cigales. L’A7
c’est le sud et le sud c’est les cigales. Le sud : l’air est sec, les
cigales vibrent, les chuintements se gravent dans la mémoire, les camions
rugissent au loin. Anton regarde Marcel qui s’étire dans un sourire. Ils sont
sortis de la voiture, sans rien dire, parce que dans ces moments-là, il ne faut
rien dire pour ne pas prendre le risque d’abîmer ce qui va entrer en vous. Ils
sont sortis et il y a eu le claquement simultané des deux portières, bruit de
métal et de cuir, enfin il pense que le cuir c’est ce bruit là que ça fait. Ils
ont marché quelques dizaines de mètres et maintenant les odeurs prennent toute
la place dans la machine à émotions.
Les odeurs sur une aire d’autoroute : il y a l’essence
bien sûr, le caoutchouc un peu chaud aussi, un mélange qui se marie avec les
bruits qu’on entend. Marcel et Anton sont bien mais ne le disent pas, ils le
savent, le comprennent sans se regarder, c’est écrit dans le silence tranquille
qui s’est posé entre eux. Anton a quand même levé la tête, son regard a croisé
celui de Marcel, et aujourd’hui Anton se souvient. C’est ce jour-là, il avait
une dizaine d’années, qu’il a commencé à comprendre ce que c’était qu’être un
autre, être différent, il a compris que c’est accepter de se jeter dans les
bras de l’émotion, entièrement, sans réfléchir, sans s’interdire, y compris
dans ces moments et ces lieux que tous ceux qui discourent sur le bonheur, sur
le beau rejettent et abandonnent sur les rives bleues de leur vie.
Ces marcheurs de rêve vous vendent des plages blanches, des couchers de soleil et soudain vous êtes là sur une aire d’autoroute, un peu après Montélimar. Votre voiture n’a pas d’acajou, les sièges sentent la chaleur, mais quand vous sortez, là, avec votre père, votre père cet incroyable personne qui vous a dit : « pas d’interdit, ne retiens pas, laisse-toi aller, ne trie pas tes émotions ». Et les émotions entrent à plein bouillons. Bien sûr une voix bien-pensante est là pour vous rappeler que ce n’est pas normal, ridicule même. Mais vous vous moquez, vous laissez entrer et ça fait comme une vague et c’est la première fois que Anton s’est dit : « ça y est j’ai compris, je suis un autre… »
Extrait de mon quatrième manuscrit en cours d’écriture
Je relis la peste de Albert Camus, ce passage est sublime…
Le front de mer de Oran dans les années 60
Les fleurs sur les marchés n’arrivaient plus en boutons, elles éclataient déjà et, après la vente du matin, leurs pétales jonchaient les trottoirs poussiéreux. On voyait clairement que le printemps s’était exténué, qu’il s’était prodigué dans les milliers de fleurs éclatant partout à la ronde et qu’il allait maintenant s’assoupir, s’écraser lentement sous la double pesée de la peste et de la chaleur. Pour tous nos concitoyens, ce ciel d’été, ces rues qui pâlissaient sous les teintes de la poussière et de l’ennui, avaient le même sens menaçant que la centaine de morts dont la ville s’alourdissait chaque jour. Le soleil incessant, ces heures au goût de sommeil et de vacances, n’invitaient plus comme auparavant aux fêtes de l’eau et de la chair. Elles sonnaient creux au contraire dans la ville close et silencieuse. Elles avaient perdu l’éclat cuivré des saisons heureuses. Le soleil de la peste éteignait toutes les couleurs et faisait fuir toute joie.
Dans l’angle bleu de ma mémoire lointaine Repose une longue mélodie andalouse Je l’entends qui appelle les absents Dans la chaleur qui épuise Ses dernières cartouches de lueur Elle est là drapée de mauve nuit Me tend la main Larmes éternelles Au bord d’une jeunesse infinie
Le monde est à terre. Pâle d’ennui, Il chante à mots bas. Entends ce long murmure, Dans le souffle de mes bras. Il s’étire jusqu’à demain. Enroulés dans un lourd drap de brume, Nos enfants chagrins Pleurent au large. Leurs cris se glissent. Entre les plis de ton visage…
Il y a parfois un oiseau dans ma tête, Un oiseau aux mille couleurs qui étouffent le gris de mes yeux, Un oiseau qui plane au-dessus des plaines de ma mémoire. Au matin levant, il frémit des ailes. Les perles de rosée glissent sur la plume dorée, Tout doucement la nuit s’est effacée. L’oiseau dans ma tête a chanté. Il est l’heure de réveiller les couleurs. Au bout de mes yeux la lumière s’est étirée. Au bord de mes yeux quelques larmes de beauté. C’est un matin sans saison, le froid ne pique pas Il est une caresse souriante qui imite la douce fraicheur. Ce matin j’ai un oiseau dans la tête, Tout doucement de la plume de mes mains
En musique, en poésie comme en tout, tout
ce qui cherche à s’approcher de la
perfection académique, ne les touche pas, et les prouesses électroniques de
ceux qui font de la musique avec des
logiciels les laissent indifférents. Le
père le rappelle souvent d’ailleurs en
citant Ferré « la musique est une clameur » et le fils, lui répond à
chaque fois « et les poètes qui ont recours à leur doigts pour savoir
s’ils ont leur compte de pieds ne sont pas des poètes ce sont des
dactylographes ».
La pluie, il leur faudra de la pluie,
pour que leurs gorges se serrent aux évocations des ouvriers de Pittsburgh, de Youngstown
ou d’ailleurs. Il leur faudra de la
pluie pour entendre la rivière : « the river », c’est curieux ce
mot lorsqu’il est chanté, avec dans le fond les frottements de balais d’essuie- glaces vous donne envie de
retrouver la source, toutes les sources, celles qui pour Bruce comme pour
d’autres habillent les mots, les enrobent, leur donnent de telles tonalités
qu’ils ne sont plus des mots, mais des cocktails qui mélangent regards sourires
et soupirs.
Ils ont acheté l’auto, c’est le père qui
a payé, elle n’était pas chère, forcément une voiture qui sent le vieux cuir et
la graisse refroidie. Ils partiront le week-end suivant, il faudra d’abord installer
le lecteur de CD et penser à l’itinéraire qui les conduira pendant plus de
trente sept heures dans une série de villes industrielles. Ils partiront de Saint Etienne, évidemment, c’est qu’ils
sont nés, ils partiront de cette ville où leur idole a fait un de ses plus
grands concerts, il y a longtemps déjà, avant même que le fils ne naisse, à une
époque, où il y avait encore de la fumée grise qui sortait des cheminées des
aciéries.
Après ils continueront vers le nord et
l’est.
Ils sont montés sans un mot se sont
étirés sur les sièges, et ils ont démarré.
Ils ne parlent que très peu, c’est
inutile, il faut laisser agir les émotions
Au
bout d’une quinzaine d’heures, à
la presque moitié du parcours, le père
a souri, il était bien dans ses
cinquante ans, il a regardé son fils, habité par un de ses morceaux
préférés : Philadelphia…
John SteinbeckJack Kerouac HemingwayBruce Springsteen
Le père n’est pas musicien, ne comprend
pas grand-chose à l’anglais, mais ce qu’il aime avec ce chanteur c’est que tout
devient simple. La musique, elle lui entre dans la tête sans poser de
questions, sans chercher à se faire remarquer, sans chercher à ce qu’on prenne
l’air sérieux pour en comprendre les portées.
Cette musique, surtout les morceaux
acoustiques, on sent qu’elle est faite pour ceux qui n’obligent pas leurs
émotions à prendre d’autres chemins que ceux qu’elles sont habituées à
emprunter. Ce sont les mêmes chemins qu’à la lecture d’un passage de Steinbeck,
de Camus, de Kerouac, ou d’Hemingway. Les paroles il ne les comprend pas
toutes, contrairement à son fils qui est à l’aise avec l’anglais. Il ne les
comprend pas toutes mais il les ressent, il sait qu’elles parlent, pour
beaucoup d’entre elles, de ce qui est vrai.
Le fils lui connaît tout de ce chanteur,
il est un passionné, pas un fan ; le mot ne convient pas pour décrire ce
qui se passe chez lui quand il a les tripes secouées lors des nombreux concerts
auxquels il a assisté. On parle de fans pour les autres, ceux qui reçoivent
paroles et musiques avec passivité, comme des oies qu’on gave, lui il n’a pas
la bouche ouverte, il laisse entrer les émotions, il les laisse naviguer dans l’arrière-pays
de sa tête, alors elle rencontre ses autres passions, ses révoltes, ses
indignations, ses doutes et ce qui se passe c’est plus que du plaisir, c’est
autre chose. Les mots n’existent pas toujours pour décrire quand on sent un
frisson qui parcourt l’échine, avec des picotements sur tout le corps et
irrésistiblement des larmes qui montent, de ces larmes qu’on ne cherche pas à
ravaler parce qu’elles sont le sang de cette vie qu’on a en soi, une vie qu’on
ne retient pas, une vie qu’on laisse dire, qu’on laisse faire.
Le père il comprend bien cela, il
éprouve aussi ces sensations quand il lit les premières pages de l’étranger,
quand il lit et entend ce que dit Léo Ferré. Et lui non plus n’est fan de rien,
parce que lui non plus n’aime pas cette réduction du fanatisme. Tous les deux
ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est la vie, ses contrastes, ses
simplicités, ce qu’ils redoutent, ce qu’ils ne supportent pas, c’est les
fausses certitudes de celles et ceux qui prétendent savoir.
Il se souvient de cet homme. Il lui a
proposé d’entrer avec lui, à l’intérieur, de s’asseoir doucement, d’écouter la
portière qui claque, le craquement du mauvais cuir quand on s’assoit. Il lui a conseillé
de fermer les yeux et d’attendre, d’entendre. Il l’a pris pour un malade, pour un original, mais il est quand même entré. Il a fermé les
yeux, vite, parce qu’il était pressé, et c’est vrai il s’en souvient : il
était bien. Il pleuvait légèrement et les gouttes de pluie faisaient comme une mélodie,
une espèce de mélancolie qui rappelle tant le blues qui navigue toujours entre
le rire et les larmes.
Alors quand il les a vus arriver tous
les deux, il s’est souvenu de son musicien et quand ils les a vus sentir l’intérieur
des voitures il a su qu’il pourrait enfin vendre cette vieille Plymouth.
Il pourrait la vendre sans crainte, il
respecterait sa promesse. Il est un peu superstitieux et chaque fois qu’il fait
le tour de son parc, et qu’il s’approche de la carrosserie verdâtre il ne peut
s’’empêcher de revoir le visage raviné du musicien qui ne voulait plus rouler
dans cette carcasse récalcitrante.
Il leur explique qu’ils ne pourront pas
en attendre grand-chose ; il explique qu’elle est solide, mais pas nerveuse
il ne vaut mieux pas l’utiliser sur de petites routes sinueuses parce
qu’évidemment elle n’a pas de direction assistée.
Peu importe, ce qu’ils veulent tous les
deux c’est prendre la route, et aller le plus droit possible.
Ils expliquent. Ce qu’ils veulent, c’est
rouler en se relayant pendant plus de 37 heures, c’est le cadeau qu’ils ont
décidé de se faire, un cadeau dont ils sont à peu près les seuls à comprendre
le sens.
Pourquoi trente-sept heures ? Parce
que c’est à quelques minutes près la durée compilée de tous les disques de leur
maître, de leur idole commune, de leur compagnon de rêveries de celui qui
aurait pu conduire lui aussi cette voiture celui que les autres appellent le
Boss.
Ils ont décidé simplement de s’offrir un
voyage en voiture avec comme fonds musical tout ce que Bruce Springsteen a
écrit, chanté, joué, simplement sur un lecteur de CD assez simple avec des
vrais boutons qui tournent.
Au début ils avaient simplement décidé qu’il
faudrait qu’ils fassent quelque chose, ensemble, autour de cette passion
commune. Ils peuvent, ils s’en sont souvenus l’un comme l’autre recevoir des
bouquets d’émotions à l’écoute de ces
mélodies, avec pour envelopper la voix rauque, parfois plaintive de Bruce, le
ronronnement d’un moteur et le glissement des essuie- glaces.
Sur le pare- brise, de la buée ; on
ne sait pas au juste si c’est de la buée posée là par le souffle du père et de
son fils, ou s’il s’agit d’une simple humidité, conséquence d’une mauvaise
isolation.
La voiture qu’ils ont prise leur va
bien. Ils ne l’ont pas choisie pour le confort, encore moins pour le compte-tours
ou le carburateur mais pour l’odeur. Quand ils ont fait le tour du parc des
occasions, curieusement ils n’ont pas tapé dans les pneus avec les pieds.
Ils ne connaissent pas ces gestes
d’hommes, ils ne les connaissent pas et ne les comprennent pas. Ça ne les
intéresse pas. Lorsqu’un capot est ouvert, ils ne songent même pas à se pencher
au-dessus des entrailles de la bête. Ce qu’ils distinguent n’a pas beaucoup de
sens.
Non, tous les deux ils ont ouvert les
portières, ont reniflé l’intérieur. Ils se baissent, passent la tête en tendant
le cou. Ils savent, sans se le dire, ce qu’ils cherchent. Ils savent, ils le savent,
parce qu’ils ont lu et aimé Kerouac ; ils sentent, ils respirent, les yeux
légèrement plissés pour que les odeurs appellent rapidement les souvenirs. Ils
s’emplissent les narines des ces effluves si particuliers, et finissent, naturellement,
sans le besoin d’en discuter, par se mettre d’accord sur une drôle de machine, toute
droite débarquée d’un vieux road movie.
Son odeur est un mélange de mauvais cuir
vieilli, une odeur de mécanique fatiguée, imprégnée de graisse froide, avec
même derrière, qui produit comme un picotement dans les narines une sensation
de chaleur, diffuse comme si la route, l’asphalte avaient traversé l’habitacle.
« C’est celle-ci qui nous
faut ! »
Le garagiste a le sourire. On ne sait
pas s’il se moque ou s’il est heureux d’enfin se séparer de cette carcasse.
Elle est un peu vivante, elle garde en elle un peu de toutes ces vies que les
autres lui ont confiées dans l’intimité métallique.
Il se souvient de celui qui l’a vendue,
un musicien, mal rasé, la voix recouverte d’une fine couche de tabac, une voix
qu’on n’oublie pas même quand on est garagiste et qu’on a des goûts musicaux
assez sommaires. L’homme qui lui a vendu la machine n’en voulait pas
grand-chose, juste de quoi payer un billet de train pour rentrer chez lui, à
l’est.
Il s’en souvient. L’homme lui a demandé
de veiller sur elle : « c’est un peu comme ma moitié, ou mon double
vous savez, on a vu toute l’Europe ensemble, elle m’a tant attendu, elle m’a
tant entendu. »
Il lui a fait promettre de ne pas la
vendre à n’importe qui, à des gens qui ne la prendraient que pour une voiture,
pour se déplacer, pour faire des courses ou partir en vacances à la plage:
« voyez vous c’est autre chose, elle a tout gardé dans sa mémoire
intérieure, les chants, les rires, les peurs, les cris, les colères contre elle
et contre les autres, surtout contre les
autres ».
Je vois brûler l’eau pure et l’herbe du matin Je vais de fleur en fleur sur un corps auroral Midi qui dort je veux l’entourer de clameurs L’honorer dans son jour de senteurs de lueurs
Je ne me méfie plus je suis un fils de femme La vacance de l’homme et le temps bonifié La réplique grandiloquente Des étoiles minuscules
Et nous montons
Les derniers arguments du néant sont vaincus Et le dernier bourdonnement Des pas revenant sur eux-mêmes
Peu à peu se décomposent Les alphabets ânonnés De l’histoire et des morales Et la syntaxe soumise Des souvenirs enseignés Et c’est très vite La liberté conquise La liberté feuille de mai Chauffée à blanc Et le feu aux nuages Et le feu aux oiseaux Et le feu dans les caves Et les hommes dehors Et les hommes partout
Tenant toute la place Abattant les murailles Se partageant le pain Dévêtant le soleil S’embrassant sur le front Habillant les orages Et s’embrassant les mains Faisant fleurir charnel Et le temps et l’espace Faisant chanter les verrous Et respirer les poitrines
Les prunelles s’écarquillent Les cachettes se dévoilent La pauvreté rit aux larmes De ses chagrins ridicules Et minuit mûrit ses fruits Et midi mûrit des lunes
Tout se vide et se remplit Au rythme de l’infini Et disons la vérité La jeunesse est un trésor La vieillesse est un trésor L’océan est un trésor Et la terre est une mine L’hiver est une fourrure L’été une boisson fraîche Et l’automne un lait d’accueil
Quant au printemps c’est l’aube Et la bouche c’est l’aube Et les yeux immortels Ont la forme de tout
Nous deux toi toute nue Moi tel que j’ai vécu
Toi la source du sang Et moi les mains ouvertes Comme des yeux
Nous deux nous ne vivons que pour être fidèles A la vie
Il m’arrive parfois d’aller à la recherche d’une belle d’une vraie trace de joie dans l’armoire à souvenirs. En voilà une : une joie animale, forte. Elle réchauffe le cœur et le corps. Elle ne réveille pas mon inspiration, mais elle stimule ma respiration…
Rêvons Ô oui rêvons du risque de joie Belle et bleue Elle roule sur la vitre de mes oublis Simple joie Jaillit dans le soudain Du tendresse matin Regarde elle brûle et brille Au coin mauve D’un œil qui glisse sur nos restes de larmes Odeurs de lilas Aux angles durs des rancœurs de l’hiver Rondissent en fleurant Elle est là Sautillante Frissonnante Fondue dans le brise chagrin Du lourd glacier de nos mémoires pour demain
Je cherche dans le fond humide de ma réserve à mots, un verbe qui pourrait survivre sans complément, sans adverbe, sans tous ces parasites qui au mieux affadissent au pire empoisonnent l’essence première du mot, cette saveur originelle qui lorsqu’elle fut la première fois utilisée suffisait, exprimait à elle seule ce qui était ressenti, c’est-à-dire vu, entendu, touché, goûté. Ces mots verbes existent je le sais, je les cherche, je les traque. Mais il y a aussi ceux que la grammaire a décidé d’entrer dans la catégorie des noms communs. A-t-on pris le temps de s’interroger sur la signification de ce commun, qu’on ajouter pour désigner ce qui pourtant désigne à lui seul l’essentiel. Peut-être s’agit-il d’une juste opposition au qualificatif propre. Serait-ce la propreté ou la propriété qu’on veut opposer au commun, au collectif. Il y aurait donc le mot qui appartient à un seul et ce qui est à tous ; pourquoi pas ! Mais le commun peut aussi être vu comme le banal, comme le courant, qui n’a aucune aspérité, aucune singularité. Ne dit-on pas d’un vin qu’il est commun pour éviter de dire qu’il n’est pas bon… Le vin, le ciel, le vent, la brume, le mauve, l’amour, que de noms communs qui dans ma réserve occupent une place singulière… 10 mars 2023
J’ai plongé la main, Dans le fond mauve de ma poche à sourires. Il y restait quelques miettes d’air marin ; Dans le doux creux de ma paume de cire J’entends, elles chuchotent un chant câlin. Ô si beaux ces mots loin du pire. Lavés, salés, à ma bouche les ai portés, comme le bon pain. Les yeux j’ai fermés : la mer est entrée, elle a tant à me dire…
Ce qui me manque lorsque je n’écris pas ? C’est simple C’est le frisson, Oui je sais Ce ne sont qu’ombres noires ou bleues Dissipées sur la longue plaine blanche De mes inspirations C’est si peu Et pourtant je frissonne Oui je frissonne Là à l’instant Regarde ma main Elle tremble comme une feuille Mon cœur s’affole J’ai le souffle court les lèvres sèches Les yeux emplis des buées de l’intérieur Oui je frissonne De bonheur de douleur Les mots passent se posent Je les entends Je les écris Tu les lis Et je vois Tu frissonnes
Ce matin le réveil est un peu difficile. Il faut dire que rares sont les nuits calmes et sereines sans tous ces mauvais rêves que pour se protéger on répugne à appeler cauchemars. Le réveil est un véritable supplice. Je me traîne jusqu’à la cuisine tout en marmonnant : « s’il faisait beau, au moins je pourrais prendre mon café dehors ». Mais bien sûr il pleut, nous sommes le trois novembre, comment peut-il en être autrement ? Et en plus pour couronner le tout, c’est mardi. Un mardi de novembre. Je marmonne : il faudrait que je me bouge…
J’allume la radio avec le petit espoir d’entendre quelque chose d’engageant, d’encourageant : une bonne nouvelle quoi ?
J’appuie sur le bouton. Grésillement. Et puis une info : un flash info comme on le dit. Et c’est vrai qu’en guise de flash on ne peut faire mieux. Je dois le dire : j’ai sursauté et me suis cru sur la station qui passe en boucle toute la journée les mêmes sketches. Je vérifie. Non pas d’erreur je suis bien sur France Imper.
« … Sur recommandation du tribunal académique et après consultation du conseil insurrectionnel, le gouvernement a décidé de présenter demain mercredi un projet de loi à l’assemblée, portant modification du calendrier, avec pour principale réforme, l’élimination pure et simple du mardi… »
Eliminé le mardi : disparu, envolé… Je n’écoute pas les commentaires qui suivent cette annonce avec notamment un premier débat opposant les défenseurs du mardis aux avocats de tous les autres jours et particulièrement celui du dimanche dont on dit qu’il a usé de toutes ses relations pour préserver ce jour sacré qui semblait lui aussi être condamné…
Et voici que je me redresse, que je bombe presque le torse de satisfaction : quel bonheur de savoir qu’on est en train de peut-être vivre son dernier mardi de novembre…
Ce matin à la une de mon journal rêvé des bonnes nouvelles :
Contre toute attente et alors que sur tous les plateaux de télévision, ont été invités les plus grand spécialistes, locaux, régionaux et nationaux en matière de zoologie, de sociologie animale, de psychologie féline, tout le monde, sans exception, après avoir observé attentivement, la photographie présentée à la une de cet article a affirmé – certes après quelques réflexions profondes (mais silencieuses) – : « oui il s’agit bien d’un chat, nous vous le confirmons sans ambiguïté ! » Il faut bien l’appeler chat, car c’est un chat !
Bien sur quelques journalistes friands de polémiques ont bien tenté d’introduire le doute.
« Oui, admettons qu’il s’agisse d’un chat, mais ne pensez-vous pas que votre rapidité inhabituelle à désigner comme chat, cet animal ne soit de nature à stigmatiser cet animal en l’enfermant dans une catégorie animalière qui disons-le, est aussi constitué d’éléments perturbants et perturbateurs.
Ce à quoi les spécialistes, sans se concerter, répondirent tous en chœur qu’il n’était quand même pas compliqué d’appeler chat, un chat…
Les mauvaises nouvelles, il y en a trop, ou ce ne sont qu’elles qu’on entend, qu’on retient, qu’on partage. Je vais donc essayer , tous les jours, autant que possible de trouver une bonne nouvelle, de la raconter, et si je n’en trouve pas, je l’inventerai, je la rêverai et je la partagerai. Pour commencer voici la ronde des bonnes nouvelles …
Italian chemist and writer Primo Levi (1919-1987).
Nous découvrons tous tôt ou tard dans la vie que le bonheur parfait n’existe pas, mais bien peu sont ceux qui s’arrêtent à cette considération inverse qu’il n’y a pas non plus de malheur absolu. Les raisons qui empêchent la réalisation de ces deux états limites sont du même ordre : elles tiennent à la nature même de l’homme, qui répugne à tout infini. Ce qui s’y oppose, c’est d’abord notre connaissance toujours imparfaite de l’avenir ; et cela s’appelle, selon le cas, espoir ou incertitude du lendemain. C’est aussi l’assurance de la mort, qui fixe un terme à la joie comme à la souffrance. Ce sont enfin les inévitables soucis matériels, qui, s’ils viennent troubler tout bonheur durable, sont aussi de continuels dérivatifs au malheur qui nous accable et, parce qu’ils le rendent intermittent, le rendent du même coup supportable.
Incroyable, ils se parlent ! Que tu dis-tu ? J’ai bien entendu ? Ils se parlent ! Tu me dis qu’ils se parlent ? Tu divagues…Ils ne peuvent pas se parler, c’est impossible ! Se parler, se parler, mais je rêve. Pour se dire quoi ? Oui, c’est ça, que se disent t’ils ? Est-ce que tu les as entendus ? C’est grave, il faut qu’on prévienne. Il va se passer quelque chose, tu te rends compte. Parce que s’ils se parlent, cela veut dire qu’ils ont levé la tête, qu’ils se regardent, qu’ils se voient…
L’aurore s’allume ; L’ombre épaisse fuit ; Le rêve et la brume Vont où va la nuit ; Paupières et roses S’ouvrent demi closes ; Du réveil des choses On entend le bruit.
Tout chante et murmure, Tout parle à la fois, Fumée et verdure, Les nids et les toits ; Le vent parle aux chênes, L’eau parle aux fontaines ; Toutes les haleines Deviennent des voix !
Tout reprend son âme, L’enfant son hochet, Le foyer sa flamme, Le luth son archet ; Folie ou démence, Dans le monde immense, Chacun recommence Ce qu’il ébauchait.
Qu’on pense ou qu’on aime, Sans cesse agité, Vers un but suprême, Tout vole emporté ; L’esquif cherche un môle, L’abeille un vieux saule, La boussole un pôle, Moi la vérité !
…Des guirlandes d’étoiles descendaient du ciel noir au-dessus des palmiers et des maisons. Elle courait le long de la courte avenue, maintenant déserte, qui menait au fort. Le froid, qui n’avait plus à lutter contre le soleil, avait envahi la nuit ; l’air glacé lui brûlait les poumons. Mais elle courait, à demi aveugle dans l’obscurité. Au sommet de l’avenue, pourtant, des lumières apparurent, puis descendirent vers elle en zigzaguant. Elle s’arrêta, perçut un bruit d’élytres et, derrière les lumières qui grossissaient, vit enfin d’énormes burnous sous lesquels étincelaient des roues fragiles de bicyclettes. Les burnous la frôlèrent ; trois feux rouges surgirent dans le noir derrière elle, pour disparaître aussitôt. Elle reprit sa course vers le fort. Au milieu de l’escalier, la brûlure de l’air dans ses poumons devint si coupante qu’elle voulut s’arrêter. Un dernier élan la jeta malgré elle sur la terrasse, contre le parapet qui lui pressait maintenant le ventre. Elle haletait et tout se brouillait devant ses yeux. La course ne l’avait pas réchauffée, elle tremblait encore de tous ses membres. Mais l’air froid qu’elle avalait par saccades coula bientôt régulièrement en elle, une chaleur timide commença de naître au milieu des frissons. Ses yeux s’ouvrirent enfin sur les espaces de la nuit.
« L’histoire que tu vis, celle de chaque jour, est simple, donc incompréhensible. Aucun livre n’en fait mention, aucune lanterne de papier ne l’éclaire. Regarde. L’essentiel est dans ce que tu oublies et qui se tient devant toi. C’est par l’infime que tu trouveras l’infini, par ce calme regard sur l’ombre bleue, peinte sur une tasse de porcelaine blanche. L’âme, sans doute, est imprégnée de cette couleur, ainsi que de lambeaux de vieux français et de chants anonymes, éternels…
C’est inhabituel mais j’ai supprimé la première version de cette micro-nouvelle, que j’ai publiée ce matin, car sur des conseils éclairés, je l’ai très légèrement modifiée, et je le crois beaucoup améliorée.
Plage de Cotonou, Bénin
Comme tous les matins, Il prend le train. Comme tous les matins, il sort son livre, prend son casque et invite Léo Ferré, à l’accompagner dans sa lecture ferroviaire. Camus sous les yeux, Ferré dans les oreilles : le trajet devient voyage. Quelques minutes passent, et les compagnons de « route », tout doucement s’effacent.
Ce matin-là, il lui semble pourtant, dès le début que quelques détails ont changé. Il ne pourrait dire lesquels mais quand il a posé le pied dans le compartiment, cherchant sa place habituelle (il aime les rites, il en a besoin pour s’envoler), il lui a semblé qu’aucun des visages ne lui étaient familiers. Curieux, cela fait quinze ans qu’il fait ce trajet, sensiblement aux mêmes heures, et tout le monde se connaît, ou plutôt tout le monde se reconnait, prenant évidemment grand soin à ne rien se dire pour ne pas prendre le risque de percer toutes ces petites bulles dans lesquelles chacun s’est enfermé.
Il s’assied, sort son casque, s’énervant au passage sur les nœuds qui comme toujours ont profité de la nuit pour se former. Il sort un livre de poche. De poche parce qu’il ne faut pas trop se charger. Il commence sa lecture.
Évidemment il s’agit de Camus. C’est l’étranger qu’il a choisi ce matin dans le rayon dédié à son maître absolu. Il l’ouvre, au hasard, et de toute façon sait qu’en quelques secondes il sera transporté. Il commence sa lecture : c’est le passage où Meursault est sur la plage et le drame va se produire ….
« C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent… » Il lève les yeux, pour reprendre son souffle : chaque mot est une vibration intérieure qui le secoue. Autour de lui les visages sont pâles, on devine l’angoisse… Il n’y prête pas attention. Il continue.
« Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver… » Il s’arrête, le souffle court. Il comprend que ce sont des gouttes de sueur qui tombent sur la page. « La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. »
Le train s’est arrêté, brusquement, il ne comprend pas tout de suite ce qui se passe. C’est la police ferroviaire, elle a surgi dans le compartiment. Ils se sont approchés de lui, et ont fait signe d’enlever le casque.
Que se passe-t-‘il ici monsieur ?
Il ne se passe rien, je lis c’est tout…
Mais vous ne pouvez pas, ce n’est pas possible, cela trouble le voyage des autres passagers !
Cela trouble le voyage des autres passagers. Il ne comprend pas, enfin pas tout de suite. Le policier est toujours devant lui, le regard un peu menaçant :
Vous savez lire non ?
Il pointe une petite affichette sur laquelle est écrit :
« Compartiment non-lecteur, no reading »
Il est discipliné et demande seulement une petite faveur : celle de terminer les quelques lignes qui lui restent sur cette page.
« J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur… »
Tout d’abord personne ne s’est aperçu de rien, et quand on ne dit personne, on doit vite reconnaître que de toute façon on ne parle pas de beaucoup. Certes, il ne s’agit pas, une fois de plus, d’affirmer que le nombre de lecteurs diminue, mais de reconnaître que la lecture est de plus en plus instrumentale, et de moins en moins viscérale. Et quand j’utilise le terme de viscéral, il est celui qui est le plus approprié. Il s’agit de cette lecture qui part de l’œil, puis prend le frais dans l’arrière-pays de la tête avant de descendre dans les tripes, et tout remuer. Cette lecture a besoin de ces mots qui vibrent, de ces mots qui caressent, qui chantent, qui surprennent, de ces mots qui essoufflent, qui apaisent… Pourtant ce matin, comme tous les jours Jules a commencé à feuilleter ces livres qu’il aime tant. Il a tourné quelques pages, rapidement, puis a pris son temps, et s’est arrêté gorge serrée. Partout sur la page, des trous, au début d’un vers, au milieu d’une strophe, dans un titre. Des mots se sont envolées, ils ont disparu. Il pense à une plaisanterie, un canular peut-être : qui aurait pu dans la nuit prendre le temps de lui voler des mots, des mots si beaux. Il s’attarde sur un texte d’Eluard : dans ce magnifique texte, les étoiles se sont évanouies, les fleurs se sont fanées, les paupières se sont fermées. Il poursuit ses lectures et partout des trous ont pris la place des caresses, de la douceur, de la pluie. La mer et ses vagues ont disparu, plus de vent, pas un soupir, pas un frisson. Tous les mots qu’il aiment ont été enlevés. Jules est persuadé qu’il rêve encore, il se pince pour s’éveiller. Mais rien n’y fait, les mots, ses si beaux mots se sont échappés. Où se sont-ils cachés ? Un peu déprimé, il ouvre la radio, peut-être une explication. Jules n’aime pas la radio, parce que ce sont des sons électriques, mais ce matin il se sent seul, si seul. Il écoute, il n’est pas un habitué, il écoute avec attention, avec curiosité et doucement, tout doucement il commence à sourire. Voici ce qu’il entend : « vous êtes bien sur votre radio habituelle, mais nous prions nos auditeurs de nous pardonner, ce matin pour une raison que nous ignorons encore, beaucoup de nos mots habituels ne passe plus à l’antenne, ils ne parviennent plus à sortir de la bouche de nos chroniqueurs et journalistes ». Jules écoute, il sourit, il est bien, tous ses mots sont là, ils ont pris la place des mots en ique, des mots en tion, des mots en eur, il est si bien, c’est comme une douce mélodie… »
Comme tous les matins, Jules se
lève tôt, s’habille rapidement, et visage encore barbouillé des restes de la nuit,
s’en va acheter la presse. Il ne se contente pas du seul journal régional, il aime
aussi les quotidiens nationaux. Jamais les mêmes, il butine, il n’aime s’enfermer
dans aucune camisole, encore moins de papier. Il aime ce moment ou devant le
présentoir, il hésite, il compare les unes, les titres du jour et suivant son humeur,
il en choisit un ou deux, jamais les mêmes. Il paie, les plie soigneusement et accélère
le pas, impatient de les étaler sur la table, tout en buvant un grand bol de
café.
Trois unes l’ont attiré ce matin : la première « Ecoute l’automne », la seconde : « Le monde : une île ! » et la troisième « Elle aime la lune ». Surprenants ces titres, on ne dirait pas de l’actualité se dit-il sur le chemin du retour. Mais il n’ouvre pas les journaux, il aime ce rite matinal, qu’il ne veut pas transgresser sous prétexte de curiosité.
Jules est dans sa cuisine, le
café est prêt. Il s’installe. Comme d’habitude, son bol est légèrement sur la gauche
pour qu’il puisse étaler les journaux et il commence sa revue de presse. Il débute
par « Elle aime la lune ». Il lit rapidement les quelques lignes qui
accompagnent la photo de la une. C’est vrai que cela lui semble léger, plus doux
que d’habitude. Il ouvre le journal, poursuit sa lecture : « mais qui
est-elle celle qui aime la lune ? »
Bref il lit et l’impression se confirme. Sa lecture est agréable ! Il ne parvient pas à en expliquer les raisons, mais il se sent bien. Il ouvre son deuxième quotidien, « Ecoute l’automne » : mêmes impressions, douceur, bonheur, sourires. D’ailleurs il le sent parfaitement qu’il sourit. Il est bien, tellement bien qu’il s’empresse d’ouvrir le troisième : « Le monde : une île ! ». Et là, comment dire c’est l’apothéose : c’est comme le premier stade de l’ivresse, il se sent gai, insouciant avec l’envie de s’étirer en souriant. C’est ce qu’il fait d’ailleurs !
C’est dans ce mouvement qu’il aperçoit le gros titre du quotidien régional : « Catastrophe dans le monde de la presse nationale : les lettres R et les lettres S ont totalement disparu des rédactions ! ».
Une nouvelle rubrique : « mes rêves éveillé, et je précise que bien sûr celui qui est éveillé, c’est moi, je rêve et j’écris : voici le premier de cette petite série
C’est un mardi matin du mois de novembre 2020, je crois, que tout a commencé. Ou plutôt que tout a recommencé. C’est simple. Ce matin-là, au réveil, aucun écran n’est éclairé. Et quand je dis aucun, c’est vraiment aucun !
Ecrans petits et grands, Écrans numériques, Écrans électroniques, Ecrans cathodiques, C’est le noir, Noir sidéral, Pas une diode, Pas un clic, C’est la panique
C’est impossible, il doit y avoir un hic. Chacun accuse : c’est la prise, c’est le câble, c’est le réseau électrique…. Au saut du lit, le premier geste est pour l’écran. Vite : réveiller la machine, vite regarder, on ne sait jamais…Une information importante est peut-être arrivée dans la nuit. Mais là rien, l’écran est figé, glacé, il ne réagit pas. Le doigt s’agite, le cœur palpite… Et c’est ainsi qu’au même moment, dans tout le pays, des millions de personnes allument, rallument leur téléphone et rien ne ,se passe. Ils triturent le câble, vérifient la prise, cherchent un coupable : l’époux, l’épouse, les enfants, le chat, l’état. En quelques minutes, la panique enfle, elle s’installe, partout. En quelques minutes… Façon de parler. Le temps est difficile à estimer. L’heure aussi, n’existe que sur des écrans : l’heure est numérique, l’heure est électronique. Ce matin l’heure n’existe plus, elle s’est échappée, elle s’est enfuie. Le jour est levé. Les pas sont lourds, les épaules sont basses. Il faut se résoudre à prendre le petit déjeuner. Tout le monde se retrouve autour de la table, les écrans vides et gris sont posés à côté du bol, petits objets inertes. Il se produit alors quelque chose d’incroyable, les visages se redressent, les lèvres remuent, et des sons sortent, au début ce ne sont que des grognements. Puis des mots se forment : tiens on avait oublié comme c’est joli un mot, même petit. Partout, on parle, on se parle. Pour commencer la météo, et incroyable on regarde par la fenêtre. Formidable cette application, on voit le temps qu’il fait. Et tout s’accélère, des mots, puis des phrases, des conversations, des sourires.
Il est huit heures, Partout cela bourdonne, Parfois cela ronchonne, Il est huit heures, Plus un clic Numérique, électronique, L’heure est si belle, Vêtue de ses plus belles aiguilles….
Elle les
écoute avec respect et attention et sans même s’étonner de ce qu’ils font là au
creux de sa main elle leur répond qu’elle est bien d’accord, que ça fait
longtemps que tout cela elle le dit, elle, elle le pense.
« Moi je
vous crois, moi je suis comme vous ». Vous savez ce qu’il faut faire c’est
continuer à ne pas douter, à ne pas douter de vous, il faut continuer à poser
toutes les questions que vous avez dans la tête parce que si vous ne posez plus
de questions les autres ils croiront qu’ils ont gagné, ils croiront que vous
êtes devenus comme eux, fades, tristes, avec que des réponses toutes faites,
des réponses toutes simples, des réponses pour être comme les autres comme tous
les autres, mais vous comme moi on n’est pas comme les autres, nous on veut
encore et toujours s’émerveiller, on veut encore et toujours dire que rien
n’est sûr, que ce qui est vrai ça
n’existe pas ou pas longtemps, parce qu’on se trompe toujours »
Vous le savez bien avant il
fallait pour être bien, pour être comme les autres, dire que la terre était
plate, et quand on disait autrement on mourrait et ben maintenant moi je vous
le dis il faut continuer à douter, à douter de tout même de ce qui semble être
sur et il faut rêver, il faut voir le possible partout.
Tenez moi par exemple j’ai envie
de croire qu’un jour pour aller à l’autre bout du monde il n’y aura plus besoin
d’avions il suffira de prendre un ascenseur pour l’espace et d’attendre là dans
une espèce de cabine, d’attendre que la terre tourne et alors quand juste en
dessous il y aura la ville, on descendra c’est simple non, et bien vous savez
j’ai envie d’y croire.
« J’ai envie aussi de dire
qu’un jour on ira dans une école où on a apprendra à poser des questions, à
tout remettre en question plutôt qu’à ingurgiter les réponses des autres, de
tous les autres. Vous savez il faut que vous reteniez une chose, il n’y a
qu’une chose qui vous appartient ce sont les questions que vous posez, que vous
vous posez, les réponses elles ne vous appartiennent pas, les réponses elles
sont toujours la propriété de quelqu’un d’autre de quelqu’un que vous ne connaitrez
jamais ».
Elle avait toujours la main tendue
devant elle et plus elle parlait plus elle entendait sa voix comme si elle
venait d’ailleurs, le groupe d’enfants qu’elle avait dans la main grandissait, elle le sentait, elle le sentait, pas parce
qu’ils devenaient plus lourds, mais parce qu’elle les voyait sourire, parce
qu’elle les voyait exister.
Ils existaient et ils étaient en
train de le comprendre.
Le rêve c’est beau, le rêve on
devrait pouvoir l’enregistrer, on devrait pouvoir se brancher le matin pour
revoir le merveilleux de la nuit. C’est ce qu’elle se dit ce matin en ouvrant
la fenêtre elle a encore plein d’images de la nuit dans la tête derrière les
yeux. Quand elle a posé le pied sur la terrasse elle s’attendait presque à
trouver le sable, de ce sable si fin, de ce sable qui ressemble tant à de
l’eau. Le sable, l’eau, les grains, les gouttes, elle sourit en s’étirant, elle
va appeler ses frères pour leur donner la réponse. Ce matin elle est heureuse
elle sait qu’elle est dans le vrai, elle sait que c’est comme cela qu’on
l’aime, que c’est comme cela qu’on l’admire.
Elle ferme les yeux juste une
seconde et là dans son écran intérieur, il y a un coucher de sommeil, un
coucher de sommeil, tiens donc, pourquoi
pas après tout, quand la nuit est terminée quand elle a été belle, que les
couleurs que le rêve a fabriqué n’existent pas encore, quand les enfants sont
si petits qu’ils tiennent au creux d’une main, quand les autres, les
bien-pensants ne sont que des figurants alors on a bien le droit de parler d’un
coucher de sommeil.
De l’eau, il y en a au robinet
mais ce n’est pas celle-ci qui l’intéresse. Elle va descendre pour s’approcher
de la mer, de cette mer.
Elle entre dans l’appartement son
compagnon dort encore, elle s’habille pour aller au bord de l’eau. En même
temps elle se dit qu’il ne faut pas qu’elle oublie de téléphoner à ses frères
pour leur dire que dans une petite poignée de sable il y a presque 12000 grains
de sable. Ils vont lui demander comment elle peut le savoir et elle va leur
expliquer. Mais elle se dit qu’ils ne la
croiront pas, qu’ils lui diront qu’elle a fumé.
Qu’elle a fumé ! N’importe
quoi, jamais elle ne s’amusera à cela mais alors : qui pour la croire ? Là tout de suite
maintenant, elle va voir si ce truc-là ne marche que pour le sable, elle s’est
approchée de ce qui ressemble à la mer, même si derrière elle distingue encore
les montagnes.
Elle recueille entre ces deux
mains un peu de cette eau, c’est presque la même sensation que le sable, elle
ferme les yeux 18 546. Ca y est, cette fois elle a la réponse, elle s’en
doutait de toute façon, il y a plus de gouttes d’eau c’est sûr.
Penser à
téléphoner à ses frères, à son père et leur dire qu’il y a plus de gouttes
d’eau que de grains de sable.
Elle allait remonter chez elle
quand soudain elle a entendu que quelqu’un l’appelait par son prénom, d’abord
elle n’a vu personne et puis en baissant les yeux presque devant ses pieds nus,
elle a vu tout un groupe de gens, minuscules, à peine plus grand qu’un ongle.
Elle s’est baissée et avec la main droite elle les a ramenés dans le creux de
sa main gauche, avec un peu de sable humide ; elle a porté la main à
hauteur des yeux et elle a vu tout un groupe. Qui ils étaient, elle ne savait
pas, ce qu’ils faisaient là elle ne savait pas non plus mais en prêtant bien
l’oreille et parce que la mer était calme elle distinguait bien quelques
paroles, cela semblait être des paroles de colère. Ils étaient bien une dizaine,
des enfants là au creux de sa main.
« On en a marre, personne ne nous croit, personne ne nous croit jamais, on est toujours à nous dire qu’on est trop petit, qu’on verra, qu’on comprendra plus tard quand on sera plus grand, on n’en peut plus de ne plus exister, nous ce qu’on sait c’est qu’un jour on rencontrera quelqu’un qui nous écoutera qui nous croira qui nous verra et alors on existera ».
Alors elle s’est assise là par
terre, enfin plutôt par sable parce que quand on est au bord de la mer on
oublie la terre, même si la terre elle porte le sable sur elle et la mer aussi
mais ça aussi c’est une autre question.
« Pourquoi on nous dit qu’il
ne faut pas jouer avec la terre, que c’est sale, et quand on est à la mer on nous oblige à
jouer avec le sable : c’est compliqué les mots, nous on voudrait qu’on
nous laisse comprendre ce qu’on veut ».
« Pourquoi on nous dit qu’il
faut être sage à l’école et en même temps si on parle trop à table on nous dit :
sois sage, parle pas à table ! Et après à l’école on nous dit que si on ne
dit rien, si on ne parle pas c’est qu’on ne s’intéresse pas ! »
« Et pourquoi on dit des
vieux qui ne disent pas grand-chose mais que tout le monde écoute quand il
récitent une phrase qui ne veut rien dire qu’ils sont des sages. On y comprend
rien on ne veut pas être des sages on veut pouvoir parler quand on a envie de
dire quelque chose ».
« Pourquoi quand les grands,
les adultes parlent de nous, ils cherchent à savoir ce qu’on pense ce qu’on
ressent, alors qu’ils ne nous le demandent jamais pourquoi ils disent à notre
place ce qu’on pas envie de dire. »
Elle les écoute, en silence parce
que le moindre bruit risque de couvrir leur voix elle les écoute et elle sait
qu’ils ont raison ? Ils continuent leur liste de pourquoi.
« Pourquoi quand on est tout
petit on nous oblige à embrasser des vieilles tantes fripées à l’odeur de
naphtaline en nous disant que ça lui fera plaisir que c’est une vieille tante,
qu’elle a jamais eu d’enfants et que quand on est grand, un peu plus grand on nous dit que c’est pas
bien d’embrasser le premier venu même si
il est jeune, même s’il est beau, même si on l’aime. »
« Pourquoi on nous dit, à
longueur de journée : tu ne peux pas comprendre quand on pose des
questions sur ce qui nous intéresse, nous rend curieux et par contre on nous
dit d’essayer de comprendre de faire des efforts quand on est à l’école ? »
Et puis
soudain alors que la liste ne cessait de s’allonger, elle a poussé un petit cri,
à peine de l’étonnement car rien ne l’étonne et un rien l’étonne c’est
d’ailleurs ce qui fait qu’elle est si étonnante et que tout le monde aime quand
elle est là.
Là, dehors à
la place de l’immense terrasse, il y avait la plage, et plus loin à la place du grand pré qui
bordait le bâtiment, de l’eau, de l’eau bien bleue. En fait ce qu’elle voyait
devant elle ce n’était rien d’autre que la mer, de la mer et de la plage. On ne
dit pas comme cela d’habitude ? De la mer et de la plage ? Incorrect,
cette formulation et bien tant pis se dit-elle moi ça me plait, ça a plus de
sens !
Tant d’autres
auraient hurlé de terreur, ou seraient partis se recoucher certains d’être
encore en plein sommeil ou sous l’emprise de quelques substances
hallucinogènes. Mais elle, il lui en
fallait plus pour la déstabiliser, elle n’a pas mis longtemps à réagir et à
chercher puis trouver une réponse, une réponse que pourtant elle garde bien au
chaud dans une de ses boîtes à
explications.
Son souci
pour le moment c’est le sable, juste au bord de la porte fenêtre, il ne
faudrait pas qu’il entre, elle n’aime pas le sable quand il s’insinue là où il
n’est pas fait pour aller. Elle n’a pas fait de bruit pour ne pas réveiller son
compagnon et s’est dit qu’il faudrait chercher le parasol et des serviettes de
plage, c’est quand même mieux pour le sable, surtout qu’ils annoncent le beau
pour les prochains jours. Elle sort sur la terrasse, enfin sur la plage, tout
en se disant qu’il faudrait qu’elle ajoute deux ou trois choses dans sa liste
Téléphoner
à sa mère pour lui demander où sont les rabanes
Ajouter à
la liste de course de la crème solaire
Regarder
les horaires des marées
Elle est dehors les pieds nus
dans le sable. Le sable il est encore plein de fraîcheur, ça lui fait comme un
gazouillis sous les pieds. Alors machinalement elle se baisse et prend une
poignée de sable dans le creux de la main.
C’est un sable comme elle n’en a
jamais touché, d’une douceur incroyable, elle ferme les yeux presque
machinalement, et là soudain comme une diapositive qui se projette sur son
écran intérieur, elle lit 1239, elle ne comprend pas immédiatement, mais
elle a un pressentiment. Alors elle
jette sa poignée de sable et elle en prend une autre, plus grosse celle-ci, elle ferme les yeux et
elle lit 12763.
Incroyable elle vient de
comprendre : tout en gardant les yeux fermés elle laisse couler comme un
filet de sable et elle voit les chiffres qui défilent, elles referment les
mains et c’est le chiffre 9734 qui s’affiche. Super, ce truc ça lui plaît, elle
va pouvoir enfin savoir : plus de gouttes d’eau ou plus de grain de
sables ?
Une nouvelle écrite il y a quelques années, je la publierai en 4 parties ….
Un matin elle
s’était levée plus rapidement que d’habitude avait tiré les rideaux d’un geste
précis, ouvert la fenêtre et en quelques secondes avait décidé que cette
journée ne serait pas comme les autres. Pas comme les autres parce que tout le
lui disait, partout, ce qu’elle voyait, ce qu’elle sentait, ce qu’elle
ressentait, ce qu’elle entendait lui confirmait sa certitude de la nuit,
aujourd’hui serait la journée des réponses, la journée ou tout s’éclairerait.
Cette nuit comme souvent, comme parfois des questions avaient tourné en boucle
dans sa tête des questions sur la vie, sur la mort, sur l’amour, sur les
autres, des questions sur l’absurde, sur la bêtise, sur l’indifférence, des
questions sur l’insuffisance, sur le mépris, sur les fausses idées, sur le
temps, pas sur le temps des nuages, pas sur le temps du soleil, non sur le
temps qui s’accroche aux pendules, aux aiguilles ce temps qui vous pique.
Cette nuit
elle avait eu 25 ans et comme elle est quelqu’un d’organisé contrairement à ce
que certains croyaient autrefois parce qu’on s’attache trop aux détails aux
apparences elle a décidé cette nuit de chasser toutes ces questions et demain
de chercher les réponses, toutes les réponses.
Elle n’a pas
tout de suite remarqué le changement dans le paysage, concentrée qu’elle était
à cette nouvelle journée qui s’ouvrait, les yeux grands ouverts, il y avait
comme une liste qui se déroulait derrière son regard rieur, elle n’aimait pas
être prise au dépourvu et aimait organiser ses journées.
Aujourd’hui,
c’était entre autres.
Finir ses courses sur internet
Choisir un cadeau pour sa sœur
Téléphoner à sa mère pour lui dire qu’elle avait
choisi un cadeau pour sa sœur
Choisir un cadeau pour sa mère avec ses frères
Téléphoner à ses frères pour leur dire qu’elle allait
choisir un cadeau pour leur mère
Faire un gâteau pour ce soir
Prévenir par téléphone ses amis qu’elle ferait un
gâteau pour ce soir
Finir les courses pour faire un gâteau pour ce soir
Téléphoner à sa mère pour lui demander ce qu’elle
aimerait comme cadeau pour Noël
Dire à son compagnon de changer la litière du chat
Téléphoner à ses autres amis pour dire qu’elle ferait
un gâteau pour ce soir
Et plein d’autres choses encore
Et puis
soudain alors que la liste ne cessait de s’allonger, elle a poussé un petit cri,
à peine de l’étonnement car rien ne l’étonne et un rien l’étonne c’est
d’ailleurs ce qui fait qu’elle est si étonnante et que tout le monde aime quand
elle est là.
Ce qui est triste et surtout dangereux dans ce monde qui n’est déjà plus celui du demain mais celui du jamais c’est qu’on ne parle plus, on ne se parle plus. On ne se parle plus parce qu’on ne sait plus on ne veut plus s’écouter. Les mots qui sortent de votre bouche et qui essaient alors avec cette fière humilité de s’assembler pour former une pensée, de formuler un avis, un point de vue voire même d’exprimer une conviction ne sont plus écoutés, ils sont simplement entendus comme un bruit de plus dans cette monstrueuse cacophonie médiatique. Ils sont alors immédiatement passés au gros tamis des réactions claniques qui s’estiment supérieures parce qu’elles sont persuadées d’être nourries d’idéologies qui ne sont rien d’autres que des dogmes. On ne cherche pas qui tu es lorsque tu parles mais on s’intéresse à ce que tu es pour t’enfermer dans une cage ou une pensée différente devient la preuve d’une trahison. On cherche à te dire à qui tu appartiens où à qui tu dois désormais appartenir. C’est ainsi qu’aujourd’hui se construit le soit disant débat politique. Lorsque je formule des idées lorsque j’exprime des convictions que j’ai pris le temps de construire avec exigence et respect je suis immédiatement renvoyé dans des périmètres idéologiques que je combat pourtant de la même manière depuis toujours. C’est par exemple ce qui se produit lorsque je parle de ma vision de la laïcité. En conséquence et ce post est une rare exception je me tais et je m’épanouis dans l’expression poétique qui pour quelques temps est préservée…
Un souffle De vie. Pour longtemps. Deux sourires, Soudain. En format souvenir. Une joie, Qui cogne Aux fenêtres d’un civilisé du retard. Rapide, Un regard qui dure. Deux regards qui tremblent Et ils comptent Sur leurs échiquiers intérieurs Les fous qui leur jouent Un hymne de mots Pour un soir Qui dure Et ils trouvent ensemble La route des autres Et ils s’aiment Vite
Ecoute petit homme, Ecoute. Il est si beau ce monde qui ne dit rien. Il est si beau ce monde, Il te parle, c’est le tien.
Regarde petit homme heureux, Regarde ces furieux, Fanatiques, frénétiques, Ils ont le cœur électrique.
Ils préparent la prière, Hymne cathodique Aux rimes numériques, C’est le matin du malin.
Nuques raides, regards vides, Les impatients sont livides, Epuisés, lessivés, Un long sommeil les a lavés.
Ô Nuit blanche et câline, Ne t’épuise plus à blanchir Ces haines rances à mourir. Semées sur l’écran creux De leurs rêves sans bleu.
La nuit les a libérés. Il est l’heure, Affamés, ils attendent La victime par eux condamnée. Leurs mots sont prêts Ils vibrent, affutés, aiguisés, Ils vont frapper !
Pas un regard pour ton monde qui sourit. Ils attendent leurs matins numériques.
Rien ne brille, rien ne bouge
Hystériques ils cliquent, ils cliquent Ils cliquent, Et ce matin, petit homme, C’est une claque, Une claque pour les creux. Les écrans sont lisses et vides.
Les nouvelles du jour ? Parties, envolées, manipulées, falsifiées ? Que va-t-on devenir, on est seul, isolés…
Le monde les voit Il pleure de cette embolie Il rit de cette folie
Mais cette nuit, petit homme, Le monde a agi. Le monde ne regrette rien Il le fallait, il l’a fait.
C’est si simple, Petit homme La poubelle était pleine, Le monde l’a vidée, Et dehors l’a laissée.
Pourquoi tant de trains, de rails, de gares sombres, de lumières au jaune blafard. Et bien je vais être sincère : j’aime ça, profondément, intensément. C’est tout et simplement déjà beaucoup. Ô vous pourriez répondre que c’est un peu facile que j’ai besoin de fabriquer de la mélancolie ou de pousser celle que je peux parfois avoir en moi. Et après tout, pourquoi pas ? Je l’assume. Il serait certes plus facile de se contenter de ces images à l’académisme convenu et surtout confortable. Mais non, à cela je ne parviens pas. Mes inspirations doivent prendre le chemin de l’émotion. Pour surgir, pour picoter le bord des yeux, oui, elles attendent le train, elles aiment le métal qui gémit, les odeurs que fabrique la vitesse électrique.
Et quand la gorge commence à serrer, quand on comprend que les larmes sont sur le chemin, on se dit alors qu’il faut y aller, se laisser porter et dériver sur ce long fleuve ferré…
Non, décidément je ne parviens pas à rester sans écrire. Ô bien sûr, il m’arrive de traverser un long désert poétique. Ma boussole s’affole à chercher l’oasis des rimes. Les rives mauves tapissées de mots aux ombres courbes se sont éloignées. Alors je ne cherche plus, je marche sur cette longue feuille sèche où mes pas glissent en crissant. Je tourne alors les yeux vers tous les arrières pays de mes rêves inachevés. Je souris en entendant coulis, clapotis et cliquetis qui emplissent en dansant ce bel et blond flacon…