Quelques mardis en novembre, suite…

Je suis allĆ© au siĆØge du journal local. Je leur ai demandĆ© s’il Ć©tait possible d’avoir les journaux de la semaine derniĆØre. Ils m’ont amenĆ© un tas de papier grisĆ¢tre dans lequel je trouverais peut-ĆŖtre la derniĆØre trace d’HĆ©lĆ©na. Je ne sais mĆŖme pas ce que je cherche, je ne sais mĆŖme pas ce que je veux. Bien sĆ»r, sous la rubrique des faits divers je ne trouve rien. Il ne s’agit que d’un banal accident de la circulation. En plus il a eu lieu dans une autre rĆ©gion. Il n’y a donc aucun intĆ©rĆŖt Ć  gaspiller du papier pour relater un Ć©vĆ©nement qui n’aurait pu mĆŖme pas m’intĆ©resser.

C’est en lisant la rubrique nĆ©crologique que j’ai compris que le coup de tĆ©lĆ©phone de tout Ć  l’heure Ć©tait bien rĆ©el. « Madame et monsieur Vaudour ont l’immense douleur de vous apprendre le dĆ©cĆØs accidentel de leur fille HĆ©lĆ©na dans sa vingt- deuxiĆØme annĆ©e. Ni fleurs, ni couronnes, ni condolĆ©ances. La cĆ©rĆ©monie et l’inhumation, Ć  la demande de la famille se dĆ©rouleront dans la plus stricte intimitĆ© »… Mes yeux ne se dĆ©tachent pas de ces lignes, où quelques lettres se sont aujourd’hui arrangĆ©es pour Ć©crire une formule de mort. J’en veux Ć  cet alphabet parfois capable d’Ć©crire les plus beaux mots d’amour, mais qui aujourd’hui, avec la complicitĆ© d’un papier de mauvaise qualitĆ© annonce aux citoyens cultivĆ©s qu’un des leur est parti pour toujours.

Je n’achĆØte jamais le journal, je ne pouvais pas ĆŖtre au courant. De plus, pendant la semaine, je vis avec des horaires un peu dĆ©calĆ©s. Quand les autres rentrent chez eux, moi j’en sors. Et puis le retour d’HĆ©lĆ©na Ć©tait si proche, je ne pouvais pas m’imaginer mĆŖme dans mes moments les plus noirs qu’elle aussi pouvait ne plus revenir. Je n’arrive plus Ć  penser, il faudrait que j’aie du remords, il faudrait que je m’en veuille de n’avoir rien fait,  de n’avoir pas su,  de n’avoir pas Ć©tĆ© lĆ . Il faudrait que je remonte le temps jusqu’Ć  ce mardi soir où HĆ©lĆ©na m’a quittĆ© par deux fois.

Il est cinq heures, je marche. J’ai toujours le journal Ć  la main. J’ai les dents si serrĆ©es que j’en ai les mĆ¢choires douloureuses. Je marche, tout droit. HĆ©lĆ©na, dĆ©cĆ©dĆ©e, accidentellement. J’ai ces mots en tĆŖte, et Ć  force de les entendre, Ć  force de me les rĆ©pĆ©ter, je ne les comprends plus, ils deviennent de simples sons qui rythment mes pas. J’accĆ©lĆØre pour vĆ©rifier si je peux contrĆ“ler quelques-uns uns de mes muscles.

Il est tard, je ne sais pas ce que j’ai fait de ma journĆ©e. Je ne suis pas allĆ© au ciné‑club, je ne les ai pas prĆ©venus. Je suis assis devant un verre de biĆØre. Je n’ai plus aucune sensation. Je suis la sensation elle-mĆŖme. Je suis une sensation, un bouquet de sensations Ć  la recherche d’une victime. Je suis le cri qui a dĆ©jĆ  eu lieu et qui attend d’ĆŖtre entendu. Je suis la souffrance qui s’excuse de ne pas ĆŖtre plus forte. Je suis en train de passer dans une journĆ©e placĆ©e sous le signe de la pluie, placĆ©e sous le signe du lundi. Une journĆ©e où le seul symptĆ“me de vie tient en quelques lignes au milieu d’un mauvais journal de province. Il fait nuit. Partout. Je pleure sur un grand lit. J’ai vu que le journal n’Ć©tait que de papier, je me suis souvenu que tout ce dont je croyais ĆŖtre sĆ»r ne m’avait Ć©tĆ© annoncĆ© que par des objets inanimĆ©s. Je voudrais que les lettres de papiers n’existent jamais, que les mots transportĆ©s dans des cĆ¢bles Ć©lectriques ne puissent ĆŖtre que fabriquĆ©s. Pourtant je sais aussi que partout des yeux se sont promenĆ©s et se promĆØnent encore sur les mĆŖmes lettres.  Je sais que partout il y en a d’autres qui continuent Ć  rire, Ć  espĆ©rer. Je sais que partout il y a des jeunes filles qui pourraient s’appeler HĆ©lĆ©na et qu’on les attend, qu’on les attend pendant que d’autres s’efforcent de les supprimer « accidentellement » dans leurs magnifiques cercueils d’acier. Il est de plus en plus tard, et je vais t’Ć©crire HĆ©lĆ©na, je vais t’Ć©crire cette lettre que tu aurais pu attendre,  pour demain, pour tous les autres jours

Larmes de vitres…

Vitre grise est en sanglot,

Petites gouttes s’enfuient.

Tout va si vite.

C’est le train qui traverse.

C’est le train qui transperce.

C’est le train qui oublie.

Pas un visage contre la vitre,

Pas un regard pour la terre meurtrie,

La pluie est seule,

Elle s’ennuie.

Homme pressƩ

Ecoute-lĆ , je t’en prie,

Quelques larmes

Sur la vitre elle essuie…

30 janvier 2020

Quelques mardis en novembre : suite…

On comprend aisĆ©ment Ć  la lecture de ce passage Ć©crit il y a quarante ans, que Internet, les textos n’existaient pas. En effet je parle de « tĆ©lĆ©grammes » . La prĆ©histoire…..

Cette nuit-lĆ , l’orage est terrible. Il fait si chaud, rien ne va plus.  Je n’arrive pas Ć  dormir. Il faudra encore attendre demain pour la revoir. Ce matin-lĆ , une odeur de RĆ©mi flottait en moi. J’avais tant envie de la revoir, de lui parler de cette derniĆØre semaine que nous aurions Ć  passer l’un sans l’autre.

Elle n’Ć©tait pas au train habituel. Je me suis dit qu’elle a peut‑être eu un contre temps, je ne laisse pas l’angoisse s’installer tout de suite et dĆ©cide de me renseigner sur les horaires des prochains trains.

J’ai passĆ© le week‑end Ć  attendre. HĆ©lĆ©na n’est pas venue. Je ne sais pas quoi faire, je n’ai pas le moindre numĆ©ro où la joindre. Je me rĆ©signe Ć  attendre le lundi pour appeler au magasin. Je me dis qu’elle essaie aussi de me joindre. Peut‑être. Elle aurait pu m’envoyer un tĆ©lĆ©gramme. J’attends, je n’arrive pas Ć  me rĆ©soudre Ć  autre chose qu’attendre. Demain Ƨa ira mieux, je l’entendrais au bout du fil, au bout de ce cordon qui nous relie depuis un an.

Ici le personnel des Nouvelles Galeries embauche Ć  huit heures. Je me dis qu’il doit en ĆŖtre de mĆŖme lĆ -bas. A huit heures moins dix je suis dĆ©jĆ  devant une cabine. Je connais le numĆ©ro par cœur. J’entends mon impatience au creux de l’Ć©couteur imprĆ©gnĆ© d’une dĆ©sagrĆ©able odeur de tabac froid.

       ‑ Bonjour, je voudrais parler Ć  HĆ©lĆ©na.

       ‑ A HĆ©lĆ©na, monsieur ? Vous ĆŖtes sĆ»r, vous ĆŖtes un de ses proches ?

       ‑ Je ne suis pas un de ses proches, je suis celui qu’elle aime. Je l’ai attendu tout le week‑end. J’ai envie de lui parler, s’il vous plaĆ®t, passez-la-moi. Ce ne sera pas long, je veux juste l’entendre…

       ‑ Si c’est une plaisanterie je ne la trouve pas du meilleur goĆ»t, surtout pour HĆ©lĆ©na !

       ā€‘ Je ne comprends pas ce que vous me dites, je n’ai pas envie de plaisanter. C’est tout simple, je l’aime et j’ai envie de le lui dire. 

       ‑ Je crois que je commence Ć  comprendre. Mon pauvre monsieur ! Vous n’ĆŖtes pas au courant ?

       ‑ Mais au courant de quoi !    

       ‑ Ecoutez, c’est pas facile Ć  dire, mais il faudra bien que vous l’appreniez un jour ou l’autre. HĆ©lĆ©na a eu un accident de voiture. Elle a Ć©tĆ© blessĆ©e mortellement. Mardi soir… Elle rentrait chez elle. Elle a Ć©tĆ© tuĆ©e sur le coup. C’est notre nouveau directeur qui conduisait. Il la raccompagnait chez elle. Ils avaient eu une rĆ©union…                   

       ‑ …

       ‑ Monsieur, vous m’entendez ? Vous savez, ce n’est pas Ć©tonnant que vous n’ayez pas Ć©tĆ© prĆ©venu. Ses parents sont venus reconnaĆ®tre le corps et dĆØs le lendemain ils l’ont fait ramener chez eux. L’enterrement a eu lieu jeudi. Je crois qu’ils ne voulaient pas que cela se sache. Ils Ć©taient tellement abattus.

Quelques mardis en novembre : suite…

Nous ne sommes pas rentrĆ©s tout de suite, nous avons marchĆ© dans les rues. MĆŖme la grande rue, d’habitude si droite, si austĆØre s’est sentie obligĆ©e de composer avec les courbes harmonieuses que dĆ©crivait notre amour retrouvĆ©. Nous nous sentions fous, nous nous sentions vrais, comme si nous Ć©tions les explorateurs d’un premier pays. La ville nous entourait, comme un relief involontaire. Nous la forcions Ć  s’habituer Ć  nous. De toutes ces avenues rectilignes, nous faisions des chemins, des riviĆØres. Les gens qui nous croisaient, nous les Ć©pinglions Ć  notre tableau de chasse de la tendresse. La ville avait disparu, elle Ć©tait entrĆ©e dans notre dĆ©clinaison de bonheur.

Je ne pourrais pas raconter ces deux jours. Il n’y a pas encore de mots suffisamment affranchis de leurs lourdeurs grammaticales pour mĆ©riter de figurer en bonne place dans le compte rendu de ces Ć©motions. Lorsqu’elle est repartie Ć  la fin de ce week‑end, j’étais heureux, j’avais hĆ¢te de me retrouver seul pour jouir Ć©goĆÆstement de chacun de nos souvenirs. Tout s’Ć©tait enchaĆ®nĆ© si intensĆ©ment, violemment presque, que j’en Ć©tais essoufflĆ©. J’avais besoin de tout relire, de m’imprĆ©gner plusieurs fois des plus belles pages que nous avions Ć©crites. Je ne lui ai pas parlĆ© de mes angoisses. Elle ne m’a pas parlĆ© de son soleil. Nous nous sommes contentĆ©s de nous-mĆŖmes et nous sommes aperƧus que c’Ć©tait dĆ©jĆ  beaucoup.

Pendant quelques temps nos week‑end se sont succĆ©dĆ© comme s’ils Ć©taient plus nombreux. Les semaines n’Ć©taient mĆŖme pas de simples parenthĆØses, elles n’Ć©taient plus que les inspirations obligĆ©es que nous prenions avant notre remontĆ©e Ć  la surface. HĆ©lĆ©na me paraissait de plus en plus proche de moi. Je voyais en elle tout ce dont je m’Ć©tais persuadĆ© au cours de mes brĆØves accalmies optimistes. Je m’efforƧais de l’apprendre par cœur chaque fin de dimanche pour me la rĆ©citer au cours de mes nuits solitaires. Mais je me plaisais Ć  oublier un peu d’elle, pour la redĆ©couvrir avec passion Ć  chacun de ses retours. Je lui parlais de plus en plus, avec douceur, avec lenteur. Sa personne flottait toujours en moi, comme une prĆ©sence discrĆØte et de plus en plus indispensable. Tout Ć©tait si nouveau, tout Ć©tait si simple.

Nous sommes presque arrivĆ©s au bout de notre parcours. HĆ©lĆ©na pourra bientĆ“t revenir dans la rĆ©gion. Elle a fait ses preuves et n’aurait pas de mal Ć  obtenir une nouvelle mutation. Il ne nous reste plus que deux ou trois week‑end et nous serons Ć  nouveau ensemble, Ć  plein poumon. Aujourd’hui, HĆ©lĆ©na est bizarre, sa prĆ©sence ne paraĆ®t pas ĆŖtre totale. Il y a dans le balancement de ses regards une espĆØce d’aller-retour vers un ailleurs dont j’essaie de supprimer l’apparence gĆ©ographique. Je ne suis pas inquiet, je me dis qu’elle est en train de rĆ©aliser que bientĆ“t nous n’aurons plus besoin de ce quai de gare.

Tribunal acadĆ©mique : M et N

Voici bien longtemps que le tribunal acadĆ©mique ne s’Ć©tait rĆ©uni. Le problĆØme Ć  traiter est on ne peut plus d’actualitĆ©….

Le tribunal acadĆ©mique s’est rĆ©uni ce matin en sa forme plĆ©niĆØre et consultative. Il vient, en effet, d’être saisi par un grand nombre de citoyens, et a rendu un avis important, difficile, mais Ć“ combien urgent.
Pour cette occasion, exceptionnelle, un collĆØge de jurĆ©s a Ć©tĆ© constituĆ©. Sa composition est, convenons- en un peu particuliĆØre. Y siĆØgent : un poĆØte, une militaire, un adolescent, une militante, un amoureux Ć©conduit, un clown au chĆ“mage, une dresseuse d’ours, un cruciverbiste, et une religieuse dĆ©froquĆ©e…
Revenons aux faits : depuis quelques temps deux mots, et non des moindres, posent un problĆØme. Deux mots qui, si on n’y prĆŖte garde, pourraient se ressembler. Il suffit d’ailleurs de les entendre. Deux mots, aussi, qui lorsqu’on Ć©crit sur une feuille de papier un peu verglacĆ©e peuvent dĆ©raper…


Le prĆ©sident du tribunal rĆ©sume en quelques mots la dĆ©cision qui vient d’être rendue.
Ā« Mesdames et Messieurs les jurĆ©s, chĆØres et chers collĆØgues, nous nous sommes rĆ©unis ce matin pour examiner, vous le savez : Haine et Aime… Les dĆ©bats ont Ć©tĆ© animĆ©s mais sans haine et c’est cela que j’aime. Ā»
Ā« Aime et Haine vous le savez, vous le constatez, sont proches Ć  l’oreille, ils le sont aussi Ć  l’écrit et nous ne devons plus courir le risque qu’ils soient confondus… Ā»


Ā« A l’oreille, donc, les deux mots sont si proches qu’on les croirait, tout droit, sortis de l’alphabet. M est devant N, c’est un fait. Mais pouvons-nous, acceptons-nous d’en dire autant de Aime et de Haine. Cette promiscuitĆ© est nausĆ©abonde, prĆ©judiciable et disons le Ā« inacceptable Ā». En consĆ©quence nous exigeons, que N soit isolĆ© et relĆ©guĆ© Ć  la place qu’il mĆ©rite et qui lui revient, en derniĆØre position aprĆØs le Z. DĆ©cision exĆ©cutable immĆ©diatement. Ā»


Ā« L’autre problĆØme est le risque de dĆ©rapage Ć  l’écrit. Certes nous conviendrons que ce n’est pas courant, mais le collĆØge des jurĆ©s souhaite ne prendre aucun risque. Qu’un distrait oublie le H de haine et que la main tremble et ajoute une jambe au n et le mal est fait. Les deux mots doivent, c’est impĆ©ratif ĆŖtre sĆ©parĆ©s, distinguĆ©s. En consĆ©quence, le tribunal dĆ©cide que quiconque dĆ©cide d’utiliser ou d’écrire le mot haine doit, au prĆ©alable, adresser une demande Ć©crite au collĆØge des jurĆ©s qui Ć  compter de ce jour devient un jury permanent. Cette demande devra indiquer les raisons pour lesquels le demandant envisage d’utiliser ce mot. Les jurĆ©s ont prĆ©cisĆ© que cette demande devrait ĆŖtre adressĆ© sur une feuille de papier fleuri, et que la police utilisĆ©e serait le colibri… Le demandant sera ensuite convoquĆ© et devra sous contrĆ“le et avec le sourire Ć©crire 100 fois le mot AIME..

Quelques mardis en novembre : suite…

HĆ©lĆ©na ne peut ĆŖtre belle que pour moi seul. Je ne peux pas concevoir qu’elle puisse traverser les regards de tous ces quelconques qui pĆ©nĆØtrent dans sa bulle brune.  Ma jalousie est sans faille, elle est un modĆØle, une perfection. Depuis quelques jours, elle a atteint sa plĆ©nitude, elle rĆØgne sans partage et ne me permet aucun Ć©cart. Je ne puis supporter l’idĆ©e que d’autres l’utilisent, profitent des plaisirs qu’elle procure Ć  ĆŖtre regardĆ©e et entendue. Je ne puis supporter l’idĆ©e qu’elle puisse rire, de peur que ses Ć©clats de joie puissent Ć©clabousser d’espoir les fantasmes pornographiques de certains tĆ©moins de son spectacle dont je veux rester l’abonnĆ© permanent. 

Je la vois, dansante, comme lors de nos premiĆØres rencontres, si loin de moi, si charnelle, si courbe. Je la sens prĆŖte Ć  m’abandonner, Ć  franchir la derniĆØre marche de cette folie qui nous rĆ©unissait, qui nous rĆ©ussissait. Je la sens prĆŖte Ć  oublier l’Ć©clat des multitudes de couleurs qui nous accompagnaient Ć  chaque baiser. Je la sens prĆŖte Ć  oublier tout ce que nous nous sommes dit et Ć  Ć©liminer tout ce que nous avions encore Ć  nous avouer. Le trajet n’est pas trĆØs long, mais j’ai tout le temps d’imprimer plusieurs pages de ce journal d’angoisse dont les titres sont composĆ©s Ć  partir de gros caractĆØres de haine et de dĆ©sespoir. L’arrĆŖt est comme un entracte, comme la lumiĆØre que l’on relĆ¢che aprĆØs une longue projection.

J’ai continuĆ© Ć  supporter cette semaine sans comprendre si j’avais envie qu’elle se termine ou s’Ć©ternise. Le vendredi suivant est enfin arrivĆ©. HĆ©lĆ©na doit ĆŖtre lĆ  Ć  vingt et une heures trente- sept, comme d’habitude. Je l’attends, comme jamais je n’ai attendu : parfaitement, scientifiquement mĆŖme. A moi tout seul, je suis le condensĆ© de tout ce qu’il faudrait savoir Ć  propos de l’attente. Et je conjugue ce verbe Ć  tous les temps de l’impatience. Dans ce combat contre les minutes, tout mon corps et tout ce qui me reste de forces physiques est concentrĆ© au centre de mes pupilles. Je sais où je vais la voir apparaĆ®tre. Je sais de quelle faƧon elle descendra. J’ai dĆ©jĆ  rempli l’espace grisĆ¢tre du quai, de l’espoir de sa prĆ©sence Ć  venir. Lorsque le train est annoncĆ© et entre en gare, j’ai peur de me tromper. J’ai peur.

Je la vois enfin. Ses longs cheveux noirs pendent comme une certitude. Son corps tout entier semble ĆŖtre surlignĆ© de soleil. Elle rayonne, comme une promesse, comme un soulagement. Son sourire est violent, il me frappe en plein doute, il me secoue, me relĆØve. Toute ma semaine de noir s’effiloche, s’autodĆ©truit, s’extermine Ć  la vue de ce printemps importĆ© par la S.N.C.F. Elle s’approche de moi depuis une Ć©ternitĆ©, et dĆ©jĆ  je sais que nous allons vivre un week‑end extraordinaire. Elle me parle, je la regarde.  Elle me serre, elle m’Ć©touffe et moi je la reconstitue, piĆØces aprĆØs piĆØces. Elle s’excuse. Elle n’a pas Ć©crit parce qu’elle n’avait pas le moral. Son travail, la fatigue… Et elle ne voulait pas m’inquiĆ©ter. Je lui dis que ce n’est pas grave, que maintenant elle est lĆ  et que nous avons du retard Ć  rattraper.                   

Deux touches de vague il a posĆ©es…

C’est un soir ordinaire

Vide de beau.

Et toi, homme d’en haut

Tu rĆŖves, tu espĆØres,

Une belle ombre Ć  ton tableau

Sur le quai, tu as posƩe.

Un peintre de nuit est passƩ.

Quelques instants il a contemplƩ.

Un sourire il a taillƩ,

Pointes de plume il a trempƩes.

Deux touches de vague

Il a posƩes.

Sur une lourde tâche de gris,

Deux gouttes qui brillent,

En chantant, il a mƩlangƩes.

 » Ouvre les yeux, l’ami,

Tout est fini, tu seras heureux ! »

28 janvier

Quelques mardis en novembre : suite…

J’avais l’impression que tout Ć©tait de plus en plus impossible, qu’il y avait un autre moi-mĆŖme, lĆ -bas. J’Ć©tais persuadĆ© qu’il y avait un morceau de mon ĆŖtre pour qui HĆ©lĆ©na resterait toujours celle de ce mois de mai où RĆ©mi Ć©tait parti pour toujours.

HĆ©lĆ©na Ć©tait plus qu’HĆ©lĆ©na, elle Ć©tait en train de devenir un cancer intĆ©rieur qui me rongeait. Plus elle Ć©tait loin, plus elle Ć©tait floue dans la mĆ©moire de mon miroir et plus je la sentais se rapprocher au fond de moi-mĆŖme. Elle ne m’habitait plus, elle me minait. Sa prĆ©sence Ć©tait si soutenue, si Ć©paisse que les frontiĆØres entre mes territoires de douleurs et de bonheurs devenaient de plus en plus imprĆ©cises.

Le soir de ce coup de tĆ©lĆ©phone, je suis sorti. Je voulais savoir si la solitude pouvait continuer Ć  ĆŖtre l’alibi fourni Ć  l’extermination de tous les sourires de mon visage noyĆ© au milieu d’un regard perdu. Une fois de plus je me suis infiltrĆ© dans l’un de ces tramways jaunes et une fois de plus, j’ai ressenti les mĆŖmes sensations.       

Elles ne sont d’abord que des rĆ©actions physiques Ć  l’enfermement et aux vibrations. Puis elles se transforment, deviennent une vĆ©ritable prĆ©sence intĆ©rieure. Elles sont une partie intĆ©grante de moi-mĆŖme, elles prennent possession de mes pensĆ©es et je me synthĆ©tise alors en une espĆØce de regard vide. Je commence toujours par ressentir une douleur aux tempes qui m’enserre progressivement. Puis mes mĆ¢choires se crispent, les muscles maxillaires s’agitent frĆ©nĆ©tiquement et la souffrance se fait plus vive. Peu Ć  peu, le reste de mon corps disparaĆ®t pour ne plus devenir que l’empaquetage discret et civilisĆ© de cette sensation plurielle dont j’entends de plus en plus distinctement la voix.

Puis il y a le silence, le vide, ou plutĆ“t il y a ce subtil dĆ©calage progressif où les voix Ć©coutĆ©es finissent par n’ĆŖtre plus qu’entendues. Et, Ć  l’instant mĆŖme où la sensation parvient au terminus de son parcours, autour de moi, ne subsistent plus que quelques prĆ©sences orales qui forment, en alternance avec les vibrations du vĆ©hicule, une douce mĆ©lodie Ć  laquelle je m’habitue de plus en plus.

Il y a quelques heures, HĆ©lĆ©na me parlait au creux d’un Ć©couteur gris. A prĆ©sent je me fabrique une douleur immense, qui m’envoie rĆ©guliĆØrement quelques secousses Ć©lectriques tant les artifices que je dĆ©ploie pour la rendre vraie me reviennent en pleine mĆ©moire ou en plein espoir.

C’est mon soleil, il est levĆ©…

DĆ©jĆ  publiĆ© sur les mots d’Eric, le 10 juin, j’avais envie, ou besoin de vous proposer Ć  nouveau ce texte ce matin….

Ecoute petit homme…

Ecoute petit homme,

Ecoute.

Il est si beau ce monde qui ne dit rien.

Il est si beau ce monde,  

Il te parle, c’est le tien.

Regarde petit homme heureux,

Regarde ces furieux,

Fanatiques, frƩnƩtiques,

Ils ont le cœur Ć©lectrique.

Ils préparent la prière,

Hymne cathodique

Aux rimes numƩriques,

C’est le matin du malin.

Nuques raides, regards vides,

Les impatients sont livides,

EpuisƩs, lessivƩs,

Un long sommeil les a lavƩs.

Ɣ Nuit blanche et cĆ¢line,   

Ne t’épuise plus Ć  blanchir

Ces haines rances Ć  mourir.

SemĆ©es sur l’écran creux

De leurs rĆŖves sans bleu.

La nuit les a libƩrƩs.

Il est l’heure,  

AffamƩs, ils attendent

La victime par eux condamnƩe.

Leurs mots sont prĆŖts

Ils vibrent, affutƩs, aiguisƩs,

Ils vont frapper !

Pas un regard pour ton monde qui sourit.

Ils attendent leurs matins numƩriques.

Rien ne brille, rien ne bouge.

HystƩriques ils cliquent, ils cliquent,

Ils cliquent.

Et ce matin, petit homme,  

C’est une claque,

Une claque pour les creux.

Les Ʃcrans sont lisses et vides.

Les nouvelles du jour ?

Parties, envolĆ©es, manipulĆ©es, falsifiĆ©es ?

Que va-t-on devenir, on est seul, isolĆ©s…

Le monde les voit

Il pleure de cette embolie

Il rit de cette folie

Mais cette nuit, petit homme,

Le monde a agi.

Le monde ne regrette rien

Il le fallait, il l’a fait.

C’est si simple,

Petit homme

La poubelle Ʃtait pleine,

Le monde l’a vidĆ©e,

Et dehors l’a laissĆ©e

26 janvier 2020

Mes Everest : LĆ©o FerrĆ©, le lit….

Cette antichambre du tombeau
Où froissent comme des drapeaux
Les draps glacés par la tempête
Ce tabernacle du plaisir
Avec la porte du dƩsir
Battant sur l“ennui de la fête
Cette horizontale faƧon
De mettre le cœur Ć  raison
Et le reste dans l“habitude
Et cette pâleur qu“on lui doit
Dès que l“on emmêle nos doigts
Pour la derniĆØre solitude

Le lit
Fait de toile ou de plume
Le lit
Quand le rêve s“allume

Cette maison du rĆŖve clos
Sur le grabat, dans le berceau
Au point du jour ou de Venise
Cette fraternitƩ de nuit
Qui peut assembler dans un lit
L“intelligence et la bêtise
Qu“il soit de paille ou bien de soie
Pour le soldat ou pour le roi
Pour la putain ou la misĆØre
Qu“il soit carré, qu“il soit défait
Qu“importe lorsque l“on y fait
Autre chose que la priĆØre

Le lit
Enfer pavƩ de roses
Le lit
Quand la mort se repose

Qu“il soit de marbre ou de sapin
Quant au lit qui sera le mien
Dans le néant ou la lumière
Je veux qu“on ne le fasse point
Et qu“on y laisse un petit coin
Pour un ami que j“ai sur Terre
Cet ami que je laisserai
Quand il me faudra dƩteler
Pour l“aventure ou la poussière
Ce frĆØre de mes longues nuits
Et que l“on appelle l“ennui
Au fond du lit des solitaires

Le lit
Quand s“endort le mystère
Sans bruit
Dans la vie passagĆØre

Quelques mardis en novembre : suite…

La boĆ®te aux lettres est vide. Je la regarde sans surprise. Pas mĆŖme quelques mots, pour me faire croire que la parenthĆØse du week‑end n’est faite que de pointillĆ©s. Goutte Ć  goutte, l’angoisse continue Ć  se dĆ©verser. Peu Ć  peu elle devient soupƧon. De plus en plus elle ressemble Ć  de la jalousie et ainsi peut revenir Ć  son point de dĆ©part.

DerriĆØre mes yeux, HĆ©lĆ©na est lĆ . Elle me montre du regard, elle me nargue. Je regarde toujours cette boĆ®te et elle est lĆ  Ć  sourire de me voir abattu devant ce vide qu’elle m’a fait parvenir… Je l’entends rire dans l’en dedans de ma chair. Je suis en train, en quelques secondes, de lui fabriquer le week‑end sucrĆ© auquel je n’ai pas participĆ©. Je ne contrĆ“le plus les images que je fabrique, je les laisse s’installer, je les laisse soutenir un siĆØge qui risque d’ĆŖtre trĆØs long.

Je suis sorti. HĆ©lĆ©na est partout. Elle est dans toutes les silhouettes de brunes. Je la vois toujours de dos, avec quelques-uns autres, toujours prĆŖtes Ć  se retourner pour ne pas me sourire. Je dĆ©cide de l’appeler, de vĆ©rifier son existence. Je ne suis mĆŖme plus tout Ć  fait sĆ»r d’ĆŖtre retournĆ© la voir aprĆØs la mort de RĆ©mi. En quelques minutes je suis revenu en arriĆØre.             

Je suis retournĆ© sur la place du marchĆ©. Je suis allĆ© voir si la fenĆŖtre Ć©tait toujours fermĆ©e. Elle m’a donnĆ© son numĆ©ro au magasin, il y a trois semaines Ć  peine, mais en me recommandant bien de ne l’appeler qu’en cas d’extrĆŖme urgence. Je me sens dans un cas d’extrĆŖme urgence. Il me faut patienter un long moment avant que le standard ne me la passe. Au creux de mon Ć©couteur je n’entends plus que mon souffle court et j’essaie de discerner quelques indices de vie lĆ  où elle se trouve. Elle arrive enfin.

       ‑ Que se passe-t-il ?

Je la devine un peu affolĆ©e. Je lui dis que j’ai seulement envie de lui parler, qu’elle me manque, que sans elle le week‑end a Ć©tĆ© trop long. Je lui dis que j’attendais une lettre. J’aligne toutes ces banalitĆ©s, une Ć  une, sans mĆŖme m’en apercevoir. Elle rĆ©pond par demi- mots qu’elle empile sur des silences qui me pĆØsent. Je lui parle de son dernier week‑end et elle me parle du prochain. Je lui demande si elle pense Ć  moi et elle, elle veut savoir quel temps il fait ici… Je lui dis que je l’aime, comme la premiĆØre fois, elle me rĆ©pond qu’elle le sait, que je lui manque aussi, que l’inventaire a Ć©tĆ© long et pĆ©nible. Elle me fait clairement comprendre qu’il faut qu’elle retourne travailler. Je l’embrasse et raccroche avec hĆ©sitation.

Je regrette dĆ©jĆ  de l’avoir appelĆ©e. Je ne suis pas rassurĆ©, je suis dans la situation de celui qui ne comprend rien, de celui qui ne peut se rĆ©soudre Ć  comprendre que rien ne se passe, que tout est comme avant. Je sens seulement un mur de bĆ©ton qui se construit lentement autour de moi. On aurait dit que sa voix Ć©tait fabriquĆ©e, qu’HĆ©lĆ©na n’Ć©tait nĆ©e que pour ĆŖtre au bout du fil de n’importe quel tĆ©lĆ©phone. On aurait dit que la distance qui nous sĆ©parait Ć©tait un mensonge en face de nos regards qui se devinaient. C’est ce soir-lĆ  que j’essayais d’envisager HĆ©lĆ©na autrement que brune, autrement que ma brune. J’essayais de la voir dans une autre ville, de l’entendre parler, rĆŖver. Un jour j’irai la voir là‑bas, j’irai voir si elle est la mĆŖme sous ce fameux soleil provenƧal. J’irai la voir sans le lui annoncer, pour qu’elle ne soit pas prĆŖte,  pour qu’elle soit comme elle est toujours, quand elle est sans moi.

Mes Everest : « voir un ami pleurer » Jacques Brel…

Bien sĆ»r, il y a les guerres d’Irlande
Et les peuplades sans musique
Bien sƻr, tout ce manque de tendre
Et il n’y a plus d’AmĆ©rique
Bien sĆ»r, l’argent n’a pas d’odeur
Mais pas d’odeur vous monte au nez
Bien sƻr, on marche sur les fleurs
Mais, mais voir un ami pleurer!Bien sƻr, il y a nos dƩfaites
Et puis la mort qui est tout au bout
Nos corps inclinent déjà la tête
ƉtonnĆ©s d’ĆŖtre encore debout
Bien sûr, les femmes infidèles
Et les oiseaux assassinƩs
Bien sĆ»r, nos cœurs perdent leurs ailes
Mais, mais voir un ami pleurer!Bien sƻr, ces villes ƩpuisƩes
Par ces enfants de cinquante ans
Notre impuissance Ć  les aider
Et nos amours qui ont mal aux dents
Bien sƻr, le temps qui va trop vite
Ces mƩtro remplis de noyƩs
La vƩritƩ qui nous Ʃvite
Mais, mais voir un ami pleurer!Bien sûr, nos miroirs sont intègres
Ni le courage d’ĆŖtre juif
Ni l’Ć©lĆ©gance d’ĆŖtre nĆØgre
On se croit mĆØche, on n’est que suif
Et tous ces hommes qui sont nos frĆØres
Tellement qu’on n’est plus Ć©tonnĆ©
Que, par amour, ils nous lacĆØrent
Mais, mais voir un ami pleurer!

Quelques mardis en novembre : extraits…

Je vais publier quelques extraits supplĆ©mentaires de ce premier roman Ć©crit il y a quarante ans et retravaillĆ© il y a 25 ans. Nous retrouverons dans ces passages qui se suivent, le narrateur, qui souffre de l’absence de HĆ©lĆ©na : elle est partie, assez loin, ils se voient de moins en moins souvent »

C’Ć©tait la derniĆØre semaine de novembre, un mardi. Ce soir-lĆ , HĆ©lĆ©na m’a tĆ©lĆ©phonĆ©. Simplement pour me dire qu’elle ne pourrait pas venir le prochain week‑end. Il y avait un inventaire Ć  effectuer obligatoirement avant les fĆŖtes de fin d’annĆ©e. C’est curieux, mais je m’y attendais. Je ne lui ai presque rien dit, je ne l’ai mĆŖme pas interrogĆ©. J’avais la sensation d’ĆŖtre Ć  nouveau entrĆ© dans une des courbes de la spirale qui ne me quittait pas depuis presque deux ans. Je me suis mĆŖme entendu lui dire que ce n’Ć©tait pas grave, qu’on en serait d’autant plus heureux de se retrouver la semaine d’aprĆØs. Elle m’a dit que c’Ć©tait pas marrant un inventaire, qu’il leur faudrait rester enfermĆ©s dans le magasin pendant deux jours. Je ne l’Ć©coutais mĆŖme plus, j’étais dĆ©jĆ  tombĆ© entre les griffes de cette angoisse monstrueuse que je connaissais trop bien. Elle m’a dit quelques mots d’amour auxquels j’ai rĆ©pondu par quelques soupirs qu’elle ne pouvait entendre.

Je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas pourquoi il faudrait attendre quinze jours de plus. Je m’Ć©tais habituĆ© Ć  ce rythme hebdomadaire. Les trois premiers jours de la semaine se vivaient dans l’Ć©cho du week‑end, et les deux suivants Ć©taient comme un souffle que l’on retient avant de prendre une nouvelle bouffĆ©e d’air frais. Je ne lui en veux pas. Je m’oblige Ć  ne pas voir la situation en noir. Je me dis que je recevrai une lettre, certainement plus longue que d’habitude. Elle remplacera un peu ce week‑end qui nous a Ć©tĆ© volĆ©.

Je vis cette fin de semaine un peu bizarrement, avec cette boule d’angoisse que j’entends rouler au creux de mon estomac Ć  chacun de mes dĆ©placements. Je n’ai rien fait, je n’ai mĆŖme pas attendu. J’ai, une fois de plus, eu la sensation de ne vivre qu’une histoire toute simple dont je n’Ć©tais que le tĆ©moin. Je me sens plus que jamais inscrit dans le provisoire.

Tout n’Ć©tait finalement que provisoire, son absence, ce silence qui Ć©touffe, ce dimanche si creux, si terriblement « dimanche ». Tout n’est que provisoire, je me sens de passage au milieu de cette histoire dont je distingue de plus en plus les contours de la fin dans l’agonie de ce week‑end.

Le monde boite bas

Souviens-toi passager,

Souviens-toi,

C’est un mardi,

Un petit mardi

Aux bords affaissƩs.

Tout va si vite,

Tant de terres traversƩes

Tant de terres sĆ©parĆ©es…

Souviens-toi,  

DerriĆØre la vitre,

C’est un homme qui pleure,

Personne ne le voit.

Chacun est Ć  son clic,

Les larmes ne s’affichent pas.  

L’homme regarde le monde,

Les autres ne le voient pas,

Rides sur le front,

Ils habitent le monde numƩrique.

L’homme pleure le monde perdu,  

Son monde frissonne et boite bas.

21 janvier

Lundi frileux…

Ce matin 7 h 10

C’est un lundi frileux

Tu le sens, tu l’entends,

Ton souffle sonne creux.

Tu pousses la porte

Le froid est lĆ , vif et bleu.

Il est prĆŖt et attend.

C’est long une nuit de feu

A se prendre au sƩrieux.

Il est lĆ , nu et noir brillant,

Il te tend deux bras noueux

Prends un peu de temps et regarde le…

LĆ -bas…

LĆ -bas, au bout de l’Ile d’Ouessant…

Quand le monde est si bruyant,

Qu’il couvre mĆŖme le vent,

Quand les regards sont de travers,

Que les yeux se noient dans le triste amer,

N’entre pas dans l’arĆØne !

N’aiguise pas tes lames numĆ©riques !

Fais comme tes pĆØres,  

RĆŖve d’AmĆ©rique !

Il faut que tu marches jusqu’au bout.

LĆ -bas, si loin,

Tu verras :

L’île se blottit

Entre les bras bleus de l’ocĆ©an.

LĆ -bas, en bord de pluie

Tu verras :

Le doux demain clair

Il t’attend et sourit. Ā 

Si tu ne peux pas partir,

Reste tĆŖte haute,

Marche jusqu’aux souvenirs.

Prends le chemin le plus malin.

Cours, vole, rĆŖve, espĆØre,

Souris de cet air qui te fouetteĀ !

Mais ne laisse pas gagner

La fanfare des maudits.

Laisse-les agiter, vocifĆ©rer.  

Demain tu verras,

Ils seront oubliƩs.

AprĆØs Armand retrouvons Marc, son pĆØre…

Toujours dans cette sĆ©rie de portraits, extraits de mon roman « voyage contre la vitre », celui de Marc, le pĆØre de Armand…

Mi-septembre le passage de l’Ć©tĆ© Ć  l’automne

Marc craignait le passage d’une saison Ć  l’autre. Septembre Ć©tait de ces mois qui le faisaient hĆ©siter entre mĆ©lancolie et espoir. Il n’avait pas de prĆ©fĆ©rences parmi ces quatre pĆ©riodes mĆ©tĆ©orologiques. A chacune il trouvait du charme.

Ce qu’il redoutait le plus, c’Ć©tait le passage. Ce moment un peu confus, Ć  la durĆ©e inĆ©gale, où tout s’emmĆŖle, le hier et le demain, la nostalgie et l’impatience. Il dĆ©teste tous ces instants de la vie où l’on ne peut qu’hĆ©siter sur une conduite Ć  tenir. Il apprĆ©hende ces sĆ©jours en salle d’attente d’aĆ©roport où l’on hĆ©site entre deux dehors : celui d’où on vient et celui où l’on va.

Cette annĆ©e, il vit la fin de l’Ć©tĆ© comme une agonie. Il saisit les premiers signes du recroquevillement. Il entend les premiĆØres lamentations de toutes les gammes de vert qui sentent monter en eux des effluves de brouillard. L’automne se devine, dĆØs la fin du mois d’aoĆ»t. Il n’est encore qu’une vague silhouette Ć  l’horizon, un « homme qui vient Ć  hauteur des roseaux »… L’automne s’entend, il est dans le vent, plus frais, plus messager de la pluie, qui traverse là‑haut entre les collines fatiguĆ©es. Il aperƧoit l’Ć©tĆ© qui recule, qui subit, qui ne combat plus, qui s’Ć©conomise pour un prochain retour. Les gens sont revenus, ils sont rentrĆ©s. Ils sont dans leurs maisons, ils se prĆ©parent Ć  attendre ce qu’ils viennent juste de laisser. Tout le monde entre dans sa coquille. Toutes les portes, hier ouvertes aux regards, aux cris, aux chants d’oiseaux, toutes les portes aujourd’hui s’impermĆ©abilisent.

Retrouvons Armand…

Toujours dans la relecture de mes manuscrits, j’ai dĆ©jĆ  publiĆ© de nombreux extraits de celui-ci « un voyage contre la vitre », un roman avec de nombreux jeunes personnages, l’un d’eux Armand que nous avons dĆ©jĆ  rencontrĆ©, est un jeune garƧon un peu particulier…

Armand n’aime pas le sport. Armand n’aime pas les Ć©missions pour la jeunesse Ć  la tĆ©lĆ©. Armand n’invite jamais de copains de son Ć¢ge Ć  la maison, pas plus qu’il ne se rend chez les autres. Armand ne prend jamais de fous rires. Armand ne se sert jamais une deuxiĆØme part de frites. Armand n’aime pas les rĆ©crĆ©ations trop longues et souffre quand il faut aller Ć  la piscine. Armand n’est ni matheux, ni littĆ©raire, il ne prĆ©fĆØre et ne dĆ©teste ni l’un, ni l’autre. Armand aime apprendre mais il n’aime pas l’Ć©cole parce qu’on passe trop de temps Ć  rĆ©pĆ©ter les mĆŖmes choses et surtout Ć  apprendre ce qu’il ne faut pas savoir. Armand aime parler avec son pĆØre, rire avec sa mĆØre. Armand n’aime pas poser des questions inutiles et rĆ©pugne encore plus qu’on lui en pose des stupides : »qu’est ce que tu voudras faire quand tu seras plus grand ?  » Armand aime quand il pleut, et prĆ©fĆØre contempler un vieux remorqueur rouillĆ© plutĆ“t qu’un hors‑bord flambant neuf. Armand, c’est un peu tout cela, c’est aussi tout ce que Marc ne sait pas et ne veut pas savoir.

Une journĆ©e d’automne… inĆ©dit de 1980…

Je range, je fouille, j’ouvre de vieux cahiers et tombe parfois sur des bouts, sur des essais, parfois maladroits, un peu emphatiques, mais je suis indulgent avec celui qui Ć©crivait il y a quarante ans. Je cherche les traces, dans les mĆ©moires du papier…

C’était une journĆ©e d’automne qui se terminait par petites flaques, sur le pavĆ© gluant. Plus rien n’avait l’odeur du neuf. Dans chaque grain de poussiĆØre, dans chaque molĆ©cule de vie, un parfum de moisissure tirait des larmes aux passants du soir. Dans les yeux de ceux qui se croisaient, il y avait cette lueur de dĆ©sespoir, si vraie, si dure, si fatidique, si irrĆ©versible. Comme si…

Comme si la destinĆ©e de chacun Ć©tait contenue dans ce bruit, sourd et continu, bruit qui m’arrache encore des larmes tant il est dur de se sentir glisser sur des pentes où l’amour n’existe plus que par pointillĆ©s jaunĆ¢tres. Le ronflement de l’alentour produisait comme un halo de brouillard, mais il m’étouffait plus que n’importe quel autre, il m’étouffait en dedans, il me bouffait mon printemps qui Ć  cette heure-ci n’était pourtant encore qu’inscrit en marge, en attente de frĆ©nĆ©sie, en attente d’irrĆ©el…

J’aime le bois…

Dans la mƩmoire des arbres couchƩs,

J’entends des rĆŖves de papier.

J’aime le bois

Ma main se pose,

RĆŖche et sĆØche,

Craque l’Ć©corce.

Une Ć  une,

Bƻches blondes sont empilƩes

Elles sonnent,

Elles claquent,

Trouvent une place

Je ferme les yeux.

J’aime le bois

Aux belles odeurs de pain frais .

PoĆØmes de jeunesse…

Photographie : Alice NƩdƩlec

Des visages creux qui jouent la ressemblance

Sur un air de chaƮne Ơ la peur accrochƩe

Quand je suis ici je voudrais ĆŖtre ailleurs

Parce que je ne vis plus

J’imagine

Si je tombe dans un trou je veux qu’il soit profond

Parce que je ne veux pas vivre au sol

ClouƩ pour la vie

FƩvrier 1981

Retrouvons Jules, Jules qui s’interroge sur le temps…

De temps je replonge dans la lecture, d’un de mes romans que je retravaillerai peut-ĆŖtre, pour le proposer Ć  la publication. Je vous propose ce nouvel extrait, où nous retrouvons Jules qui s’interroge sur le temps…

Le temps :  chaque fois qu’il dit ce mot Jules hĆ©site, c’est si complexe un mot comme celui-ci, un mot qui va avec les nuages, le soleil, les pendules, un mot qui accompagne la pluie et les rides, un mot qui ne va jamais seul, toujours Ć  s’adjoindre des adjectifs mĆ©tĆ©orologiques, toujours Ć  accompagner des verbes pour vieillir, des verbes pour mourir. Jules est persuadĆ© que ce n’est pas un hasard que le mot soit le mĆŖme pour dĆ©signer la vie qui fait mal quand elle passe et le ciel qui s’agite chaque matin. Lui, il sait que le temps, quand il est Ć  l’orage, quand il est mauvais Ƨa lui trouble son temps Ć  vieillir, son temps machine Ć  fabriquer des secondes pour ajouter Ć  sa sĆ©rie. Il sait, mais il ne peut pas expliquer et encore moins comprendre.

Alors il ne dit rien Jules. Et il fait des choses que personne ne pourrait comprendre parce qu’elles semblent inutiles, les autres ils aiment quand c’est rentable, quand on peut raconter aux autres ce qu’on a vu, entendu et compris.

Parfois Jules il regarde les autres qui dorment. Et il aime Ƨa Jules les autres qui dorment, surtout quand il s’agit d’une fille. Quand il trouve une fille, quand elle accepte parfois d’aller dans un lit avec lui, il attend le moment où il la verra dormir. Il est persuadĆ© qu’alors il se passera quelque chose, qu’il n’en sera pas exclu. Il en a passĆ© des mi- nuits Ć  observer, Ć  attendre le sommeil de quelques belles, jusqu’à espĆ©rer qu’il se passe quelque chose, un malaise, un questionnement. Parfois Ƨa marche, mais souvent rien, comme une bĆŖte Ć  contempler, Ć©tendue de chair, inerte, Ć  peine soulevĆ©e d’une inspiration.

Une nuit, c’était en Juillet, il a vu. Elle n’était pas belle comme les autres, elle n’était pas celle dont les chasseurs de femme aiment Ć  se vanter, elle n’était pas celle qu’on couche sur papier glacĆ© pour montrer aux lĆ©gionnaires de passage. Elle n’était pas belle, elle Ć©tait autre, il n’y avait rien Ć  dire de son corps, de cette enveloppe Ć  laquelle on passe tant d’énergie, c’était un corps en attente d’amour. Elle Ć©tait de celle qu’on ne drague pas parce que ce mot est mĆ©canique, qu’il ressemble trop Ć  racler, elle Ć©tait de celle avec qui on vit dĆØs qu’on la rencontre. Une histoire, une force, une beautĆ© qui ne perd pas de temps Ć  utiliser de mots.

Il l’avait rencontrĆ©e sortant d’une pharmacie, les larmes aux yeux. Leurs regards s’étaient arrĆŖtĆ©s, avaient abandonnĆ© les nuisances environnantes. Elle pleurait, il le voyait, il savait dĆ©jĆ  et elle l’écoutait lui dire qu’elle Ć©tait triste et qu’elle ne s’en cacherait pas. Il faisait lourd, elle Ć©tait triste.

Elle Ć©tait triste, il ne saurait jamais pourquoi, c’était une histoire de l’ailleurs, en dehors d’eux et il l’aimait dĆ©jĆ  avec sa douleur. Il lui avait effleurĆ© la joue du revers de la main, comme pour sĆ©cher ses larmes, elle avait penchĆ© la tĆŖte dans un geste de merci. Il lui avait proposĆ© un verre, une menthe fraĆ®che, bleue pour que Ƨa frissonne dans le corps. Il lui avait parlĆ© de cette journĆ©e qui s’étouffait dans une fin d’aprĆØs-midi ridicule, lui avait dit qu’aujourd’hui Ć©tait effaƧable jusqu’à cet instant où il l’avait vue, comme une tĆ¢che de vrai sur le convenu de l’étĆ©.

Mes Everest : « La musique » Baudelaire.

La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste Ʃther,
Je mets Ć  la voile ;

La poitrine en avant et les poumons gonflƩs
Comme de la toile,
J’escalade le dos des flots amoncelĆ©s
Que la nuit me voile ;

Je sens vibrer en moi toutes les passions
D’un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempĆŖte et ses convulsions

Sur l’immense gouffre
Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir
De mon dƩsespoir !

PoĆØmes de jeunesse : « peut-ĆŖtre… »

Je continue de fouiller mes archives et lĆ , j’ai trouvĆ© ce petit texte sur une feuille volante, Ć©crit Ć  la plume, je pense qu’il date de 1979…

C’est le soir comme tous les jours

Un homme se meurt

Ou il pĆ©rit noyĆ© dans l’ocĆ©an

De tortures

Un homme aime

Ou il pleure sur sa compagne

Finale

Point Ć  la ligne

Un homme naƮt

Ou il crie parce qu’il ne connait

Personne

Pas mĆŖme en rĆŖve

Un homme tue

Ou triche contre ses rĆØgles

TrĆØs propre

Bien baptisƩ

Un homme hurle

Il a peur

Alors il Ʃcrit

Tout droit

Au cœur

Peut-ĆŖtre

Gare Ć  l’attente…

J’attends le Ter : il ne vient pas…

FigƩ sur le quai,

Raide,bougon,

Je conjugue l’attente

A tous mes temps d’impatience.

PressƩ, fripon,

Le prƩsent me tente,

Dodu, rond

Il est presque parfait,

Las, long,

Mon temps est passƩ.

Sans câlins, ni chansons

J’ai vendu le futur

A un trousseur de wagons

16 janvier 19 h 49

Au fond de l’armoire…

Dans mon placard Ć  rĆŖves heureux,

Sous une pile de linge bleu,

J’ai trouvĆ© deux vieilles feuilles blanches.

Tendres et belles,

A l’automne, endormies,

Sur leurs peaux pas un pli.

Doucement je les ai libƩrƩes.

Dans l’armoire au parfum cirĆ©,

Elles se sont ƩtirƩes.

Chantent les mots ronds,

Dansent les points pour les i,

Sur feuilles qui pƩtillent,

C’est une symphonie.

Petit nuage de poussiĆØre,

Deux moineaux ƩtonnƩs

Sur une branche se sont posƩes

16 janvier

Rouge…

Petit homme a pris ses crayons,

Dans sa boƮte Ơ couleurs

Il choisit du blanc, le bleu, du gris…

Feuille blanche pĆ¢lit d’ennui.

FroissƩe, elle en gƩmit,

Il manque un ami.

Feuille le dit :

Le rouge est lĆ  !

Petit homme n’oublie pas…

Petit homme entend,

Les belles plumes a taillƩes,

Au creux du vent les a trempƩes.

Ses voiles de papier il a hissƩes.

La fenĆŖtre il a ouvert…

Oh petit homme,

Le peintre est passĆ©…

15 janvier

Dans la rĆ©serve Ć  mots…

C’est dit, c’est dĆ©cidĆ©, il le faut, vous le voulez, vous devez parler !  Oui c’est cela, pas de doute, il faut que vous vous exprimiez, vous le ressentez. C’est trĆØs fort, presque un rĆ©flexe. Il faut que cela sorte !  C’est bien, c’est normal… Mais attention au mauvais rĆ©flexe ! Il peut conduire Ć  une fausse route…

Voici donc quelques conseils.

Avant tout, il faut que vous respiriez, que vous ressentiez, que vous rĆ©flĆ©chissiez. Ceci fait, vous descendrez tranquillement dans votre rĆ©serve Ć  mots. Vous seul connaissez le chemin qui y conduit. Et lĆ , attention, vous entrez sans frapper !  Pas de cris, pas de brusque lumiĆØre. Un mot qu’on surprend est un mot qui bondit, qui rugit. Un rĆ©veil brutal et il vous saute Ć  la gorge.

Finies les courbes qui ondulent, oubliƩes les rondes voyelles. Le mot mal choisi est aigre, et coupant.

 Entrez, Ć©veillez chacun avec le ton qui lui convient. Et surtout, surtout, pensez Ć  ce que vous vouliez dire, Ć  ce que vous souhaiteriez partager. Attention, il ne faut pas vous prĆ©cipiter.  Comparez, et si vous le pouvez : goĆ»tez ! Il faut que l’accord soit parfait.

Votre casier Ơ mots ainsi garni de bons et beaux mots, refermez (toujours sans claquer la porte ), remontez, et bien sƻr dƩgustez.

Mes Everest, Victor Hugo. « Quand la lune apparaĆ®t dans la brume des plaines »

En hommage Ć  la brume, un de mes thĆØmes favoris, un poĆØme d’un de mes maĆ®tres, pas le plus connu, mais tellement beau

Quand la lune apparaƮt dans la brume des plaines,
Quand l’ombre Ć©mue a l’air de retrouver la voix,
Lorsque le soir emplit de frissons et d’haleines
Les pâles ténèbres des bois,

Quand le boeuf rentre avec sa clochette sonore,
Pareil au vieux poƫte, accablƩ, triste et beau,
Dont la pensĆ©e au fond de l’ombre tinte encore
Devant la porte du tombeau ;

Si tu veux, nous irons errer dans les vallƩes,
Nous marcherons dans l’herbe Ć  pas silencieux,
Et nous regarderons les voƻtes ƩtoilƩes.
C’est dans les champs qu’on voit les cieux.

Nous nous promĆØnerons dans les campagnes vertes ;
Nous pencherons, pleurant ce qui s’Ć©vanouit,
Nos âmes ici-bas par le malheur ouvertes
Sur les fleurs qui s’ouvrent la nuit !

Nous parlerons tout bas des choses infinies.
Tout est grand, tout est doux, quoique tout soit obscur.
Nous ouvrirons nos coeurs aux sombres harmonies
Qui tombent du profond azur.

C’est l’heure où l’astre brille, où rayonnent les femmes.
Ta beauté vague et pâle éblouira mes yeux.
Rêveurs, nous mêlerons le trouble de nos âmes
A la sƩrƩnitƩ des cieux.

La calme et sombre nuit ne fait qu’une priĆØre
De toutes les rumeurs de la nuit et du jour ;
Nous, de tous les tourments de cette vie amĆØre
Nous ne ferons que de l’amour !

Soudain, un besoin d’ocĆ©an…

Au bord du soir grisant,

J’ai l’amer qui me remonte.

Vite,

Il est encore temps.

Ne pas finir pendu au clou

D’un jour lourd aux angles coupants.

Soudain, un besoin d’ocĆ©an

Envie de souffles,

Soif de vents,

Je ferme les yeux…

Derrière la vitre de mes mémoires salées

J’entends la longue plainte de l’ocĆ©an…

14 janvier

Fleuve oublie

Au matin qui s’ennuie,

Fleuve ne frissonne plus,

Sans un flot, lisse et nu

Fleuve entre dans la ville.

Si loin le chant de la source,

Si loin la caresse blanche

De l’eau claire qui jaillit.

Tout est oubliƩ,

Fleuve se laisse aller,

Entre deux rives rĆŖches

Sa mƩmoire de brume mauve,

Il a abandonnƩ.

Scintille la nuit…

C’est un soir ordinaire,

Longue pluie du jour

A laissƩ quelques flaques qui luisent

PĆ¢le et timide

Une nuit d’ailleurs

Ecarte large ses maigres bras

Elle vient de si loin.  

IntimidƩe

Elle hƩsite Ơ entrer.

On l’oublie, elle le sait

Et ne veut pas dƩranger,

De son pas noir et lƩger

Nuit avance sur la pointe des pieds.

Il est tard,

Ville qui brille

Avale ma nuit .

13 janvier 22 h 16

Dis lui…

Un peu en panne sĆØche, je reviens avec ce court texte, inspirĆ© par la douleur que je ressens quand je commets l’erreur de passer un peu trop de temps sur les rĆ©seaux sociaux, fossoyeurs des mots, de mes mots….

Monde bleu s’est effacĆ©

Au soir tombant

Tremblant, il a reculƩ.

TĆŖte basse,

Dans un long bout de vide

Seul et triste

Il s’est retirĆ©

Entends la plainte de monde bleu,

Quelques larmes

Sur ses rides ont coulƩ

Entends-le qui appelle :

Oh mots, oh mes mots

Vous m’avez abandonné…

Oh mots, oh mes mots,

Que vous a-t-on fait,

Qui vous a sali,

Que vous a-t-on promis ?

Homme sans haine,

Tu es seul aussi,

RƩponds Ơ monde bleu,

Dis-lui que tu viens,

Dis-lui que tu rƩsistes,

Dis lui…

13 janvier

Mes Everest : « tu ne dis jamais rien » LĆ©o FerrĆ©…

En hommage Ć  un autre LĆ©o, qui vient d’entrer dans le monde, ce magnifique texte d’un autre LĆ©o…

Je vois le monde un peu comme on voit l’incroyable
L’incroyable c’est Ƨa c’est ce qu’on ne voit pas
Des fleurs dans des crayons Debussy sur le sable
A Saint-Aubin-sur-Mer que je ne connais pas

Les filles dans du fer au fond de l’habitude
Et des mineurs creusant dans leur ventre tout chaud
Des soutiens-gorge aux chats des patrons dans le Sud
A marner pour les ouvriers de chez Renault

Moi je vis donc ailleurs dans la dimension quatre
Avec la Bande dessinƩe chez mc 2
Je suis Demain je suis le chĆŖne et je suis l’Ć¢tre

Viens chez moi mon amour viens chez moi y a du feu

Je vole pour la peau sur l’aire des misĆØres
Je suis un vieux Bœing de l’an quatre-vingt-neuf
Je pars la fleur aux dents pour la derniĆØre guerre
Ma machine Ơ Ʃcrire a un complet tout neuf

Je vois la stĆ©rĆ©o dans l’œil d’une petite
Des pianos sur des ventres de fille Ć  Paris
Un chimpanzƩ glacƩ qui chante ma musique
Avec moi doucement et toi tu n’as rien dit

Tu ne dis jamais rien tu ne dis jamais rien
Tu pleures quelquefois comme pleurent les bĆŖtes
Sans savoir le pourquoi et qui ne disent rien
Comme toi, l’œil ailleurs, Ć  me faire la fĆŖte

Dans ton ventre dƩsert je vois des multitudes
Je suis Demain C’est Toi mon demain de ma vie
Je vois des fiancƩs perdus qui se dƩnudent
Au velours de ta voix qui passe sur la nuit

Je vois des odeurs tièdes sur des pavés de songe
A Paris quand je suis allongƩ dans son lit
A voir passer sur moi des filles et des Ʃponges
Qui sanglotent du suc de l’Ć¢ge de folie

Moi je vis donc ailleurs dans la dimension ixe
Avec la bande dessinƩe chez un ami
Je suis Jamais je suis Toujours et je suis l’Ixe
De la formule de l’amour et de l’ennui

Je vois des tramways bleus sur des rails d’enfants tristes

Des paravents chinois devant le vent du nord
Des objets sans objet des fenĆŖtres d’artistes
D’où sortent le soleil le gĆ©nie et la mort

Attends, je vois tout près une étoile orpheline
Qui vient dans ta maison pour te parler de moi
Je la connais depuis longtemps c’est ma voisine
Mais sa lumiĆØre est illusoire comme moi

Et tu ne me dis rien tu ne dis jamais rien
Mais tu luis dans mon cœur comme luit cette Ć©toile
Avec ses feux perdus dans des lointains chemins
Tu ne dis jamais rien comme font les Ʃtoiles

Petit homme…

Ce soir je suis grand-pĆØre pour la troisiĆØme fois…Je ne pouvais pas, ne pas lui offrir quelques mots

Bienvenue petit homme,

Bienvenue !

On est lĆ ,

On attend !

Le coffre Ć  sourires est plein Ć  craquer…

Elle est belle la vie,

Si belle, tu sais.

Tu verras elle brille dƩjƠ pour toi.

Ecoute petit homme

Ɖcoute ces rires d’enfants,

Ils chantent ton arrivƩe.

Ɖcoute…

Tes sœurs seront bientĆ“t lĆ 

Roule, roule, bonheur

Petit homme est lĆ …

10 janvier 2020

C’est le matin qui siffle…

Dans le bout de nuit

Qu’il te reste Ć  inventer,

Tu te cognes aux angles secs

D’ombres Ć©paisses.

Elles avalent le son de feutre

De ton pas glissant.

Pas un chant, pas un souffle,

C’est le matin qui siffle.

Le silence est lourd

Des mots doux qu’il retient ;

Il traƮne avec lui

Des restes de rĆŖves,

Images brĆØves d’un monde enfoui

Au fond du ciel sombre

D’une mĆ©moire endormie.  

Tu avances, à tâtons,

Ta main se pose,

Longue caresse,

Sur la peau de papier.

Ton cahier est lĆ ,

Il est seul,

Sourires

Il attend. Ā 

10 janvier

N’oublie pas…

5 janvier 2015, 5 janvier 2020 : en hommage aux victimes de la barbarie

Dans l’hiver bleu

De ta mƩmoire encombrƩe

N’oublie pas

Les lourdes traces

Que la haine a laissƩes.

Dans les flammes ocres

De tes souvenirs douloureux

N’oublie pas

Les douces braises

Que l’humanitĆ© a attisĆ©es.

Sur la route mauve

De ta libertƩ ƩcartelƩe

N’oublie pas

Les regards effarƩs

Des plumes qui se sont envolĆ©es…

7 janvier 2020

Retrouvons Jules…

Cela fait bien longtemps que nous n’avons retrouvĆ© Jules, Jules qui retrouve Lisa quand il s’endort… Un nouvel extrait de ce roman que j’ai tant aimĆ© Ć©crire…

Jules se souvient de tous ces lendemains qu’il attendait, avec l’espoir qu’ils signifient autre chose qu’un jour qui commence. Il se souvient de toutes ces femmes qui l’ont quittĆ© sans l’avoir acceptĆ©, sans avoir compris ce qui pourrait les retenir. Toutes ces femmes qui ne comprennent pas l’orage, qui se ferment aux premiers grondements et lui qui s’ouvre, qui attend que le premier Ć©clair frappe.

Aujourd’hui il n’a pas de mĆ©moire, il a bien plus, il a Lisa. Elle est lĆ  quelque part, il ne se souvient pas mais sait qu’elle existe. Elle est derriĆØre un de ces murs auxquels il se heurte toutes les nuits quand il cherche le passage.

Lisa, elle n’existe pas, elle est une ombre qui attend que son soleil la rappelle. Lisa comme une ombre de midi, quand il fait si chaud qu’on Ć©conomise le moindre geste, pour faire des rĆ©serves quand le soleil nous laisse enfin en paix.

C’est avec elle que tout a commencĆ©. C’est avec elle qu’il a connu son premier orage. Il a un fragment d’elle au fond de lui. Il le lui a pris il y a longtemps. Il se souvient, quand il s’endort, quand le temps est lourd, quand les corps sont moites, elle est lĆ , il l’entend, elle s’approche. Ƈa fait comme une pluie lĆ©gĆØre, une pluie timide qui hĆ©site Ć  fabriquer de la flaque. Il ferme les yeux et le noir de derriĆØre est adouci par les couleurs qui entrent, des couleurs qui le caressent, qui lui disent de s’endormir. Quand il s’assoupit, quand il a enfin trouvĆ© le passage, qu’il sait ĆŖtre arrivĆ© au pied du dernier mur, il entend le bruit de cette mĆ©canique, une machine qui rugit, une voix d’homme qui s’éloigne.

Et puis quand il s’enfonce encore plus profond, dans le sommeil, c’est une voix frĆŖle, douce comme une litanie qui lui caresse les tempes. C’est une voix qui tremble, qui pleure, qui appelle.

Jules en a marre de ces Ć©puisants voyages nocturnes. Ils se terminent toujours au mĆŖme endroit, c’est un lieu gris, il le sait, il le sent, mais le matin c’est fini, il n’y a plus rien, il est seul. Il faudrait qu’il en parle, il faudrait qu’il raconte, qu’on lui tienne la main un soir d’orage. Il faudrait que tout cela cesse, il faudrait qu’il puisse vivre comme les autres.

Jules est comme dans un rĆŖve. Il y a tout Ć  l’heure, ce qui s’est passĆ©, il se souvient. Et Jules doute. Et lĆ , il est seul Ć  se poser les mĆŖmes questions, celles de l’existence, celles du vrai auquel on croit si fort parce que les autres en font partie. Mais Jules il doute de plus en plus. Depuis qu’il est nĆ© il y a ces moments où rien ne fonctionne. Il doute, il ne sait pas si c’est lui qui est dĆ©rĆ©glĆ© ou si c’est les autres. Il a cette sensation trĆØs pĆ©nible de vivre une autre histoire de la regarder de l’extĆ©rieur avec les yeux d’un tĆ©moin.

Il est un zappĆ©, il est un Ć©cran sur lequel les autres, font dĆ©filer une suite d’histoires qui ne le concernent pas. Il passe de l’un Ć  l’autre et quand on le rejette lorsqu’il comprend qu’il est un inconnu il ne se met plus en colĆØre et n’est mĆŖme plus surpris. Il a fini par s’habituer, par se dire que la vie c’est Ƨa, ce zapping, ce passage d’un monde Ć  l’autre. Il est comme un acteur qui passe d’un personnage Ć  l’autre. A chaque fois il se sent bien, c’est nouveau, le regard des autres lui permet d’exister au moins pour un court instant. Et puis il faut passer Ć  autre chose, un autre rĆ“le.

Il se dit aussi que l’existence c’est peut-ĆŖtre mieux ainsi, une addition, une accumulation hĆ©tĆ©roclite de petits bouts, de tranches de vie. Sa seule erreur est de s’attacher de trop vouloir en profiter, jusqu’au bout mĆŖme quand le rideau est baissĆ©.

J’ai trempĆ© ma plume dans la lumiĆØre de ses yeux…

Homme marche en riant,

Deux trois miettes de nuit

Attendent au silence montant.

Sur le chemin, Homme est arrêté.

En plein vol, un mot a attrapƩ.

Sur les lignes de sa main,

Doucement l’a posĆ©.

Toute la journƩe,

Homme a poli,

Homme a aimƩ

Mot rond aux lettres repliƩes.

Quand le soir est arrivƩ,

Souriant, Homme l’a libĆ©rĆ©.

Mot doux s’est envolĆ©.

Il chantait, il dansait, il planait.

Si gai, dans l’air lĆ©ger,  

Sur un fil d’encre bleue,

En sifflant il s’est posĆ©.

Homme est reparti

Et dans le soir fredonnant,

J’ai trempĆ© ma plume

Dans la lumiĆØre de ses yeux.

4 janvier 2020

Mes Everest : Paul Verlaine, il pleure dans mon coeur

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pĆ©nĆØtre mon cœur ?

0 bruit doux de la pluie

Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie
0 le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui Ć©cœure.
Quoi ! nulle trahison ? …
Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peine

De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine!

PoĆØmes de jeunesse : « coupables : on votĆ©…

La foule l’avait condamnĆ© Ć  mourir

Parce qu’il avait tuĆ©

Une des brebis

De leur troupeau d’indiffĆ©rence

Ils aimaient la vie…

Le dimanche en voiture

Dans un cortĆØge funĆØbre

Qu’ils vĆ©nĆ©raient

Parce qu’ils avaient pour jumeau

Ce pays FRANCE

Ils poussaient dans ce jardin

Où les mauvaises herbes

Meurent au napalm

A la balle perdue

Où à la torture cachée

Ils ignoraient que le lendemain

Peut ĆŖtre celui du je t’aime

Pour eux

Il était celui du rêve électrisé

Qu’ils croyaient avoir eu

Ils faisaient l’amour

Comme on achĆØte le journal

Bonjour

Merci

Il fait beau

C’est tout

Ils disent aimer un enfant

Parce qu’Ć  NoĆ«l

Ils le font lƩgionnaire

Ou infirmiĆØre

Parce qu’il le brĆ»le

Sur une plage quand vient l’Ć©tĆ©

Institutionnelle

Ils le grille

CƓtƩ face, cƓtƩ pile

CĆ“tĆ© cœur

Ils ont peur

Ils ont du fric

Ils ont peur

Ils ont le flic

Et toi t’es mort

Pour eux…

Mai 1979

Il manquait un voyageur : 317 voix

Comme vous le savez, certains de mes Ć©crits participent aux diffĆ©rents concours organisĆ©s par le site Short Edition, parmi eux, la micro nouvelle « il manquait un voyageur » rencontre un succĆØs auquel je ne m’attendais pas… Je suis dĆ©sormais classĆ© Ć  la 12 ĆØme place et je peux encore monter dans le classement. Si le cœur vous en dit et si vous avez envie de soutenir ce texte je vous invite Ć  vous rendre sur le site et Ć  voter : https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/il-manquait-un-voyageur-1

Au fond de mes poches de brume…

Le 30 dƩcembre

J’ai cherchĆ© un souffle d’inspiration

Au fond de mes poches de brume

Trois mots ronds y dormaient.

Entre mes doigts plumes,

Je les ais ƩveillƩs.

Dans la lumiĆØre bleue d’un souvenir d’étĆ©

Ils se sont envolƩs.

Doucement sur le chemin

Ont posƩ une, puis deux,

Belles lettres

TimbrĆ©es de belle rosĆ©e.  

Ecoute la poƩsie du matin,

Petite musique qui revient.

2 janvier 2020