J’irai au bout de mes rêves. En voilà une bonne, une belle idée qu’on ne peut que partager. Mais…. Car il y a un mais : qu’y aura-t-il t’il au bout ? Je serai tenté de dire où de penser qu’au bout il y a le réveil et la dure loi de la réalité. De cette réalité propre au matin : une réalité raide, enkylosée ou ankylosante. Je ne sais quel ordre choisir. Et puis le bout, c’est la fin. Arriver au bout c’est terminer, achever, conclure, mettre un point final. Et s’agissant des rêves, ceux que je fais, qu’il me reste à faire, ceux que j’ai oubliés, ceux que je rêve de commencer, s’agissant d’eux je ne veux pas mais surtout pas aller au bout.
Non,décidément non, je ne veux pas aller au bout mes rêves. Je veux plutôt les poursuivre…
Poursuivre ses rêves : tiens donc qu’elle drôle d’idée ! Peut-être une nouvelle page de ce nouveau carnet.
En ouvrant mon journal ce matin dont, au passage, la qualité du papier se dégrade de plus en plus, ce qui a pour conséquence de noircir les doigts, j’ai malencontreusement renversé ma tasse de café.
La journée commence vraiment mal, ai-je failli dire…Non, en fait, oui je l’avoue je l’ai dit !
Et ce d’autant plus qu’il n’y avait plus de lait, que le pain était sec, que le chat miaulait sans raisons apparentes, que la chaudière ne voulait pas démarrer, qu’évidemment il pleuvait et que j’avais perdu mon parapluie et égaré les clés de ma voiture. Voiture qui ne démarrera certainement pas lorsque j’aurai retrouvé les clés si j’en crois le texto laissé par le voisin : « vous avez laissé vos phares allumés ». Texto que je ne découvre que maintenant étant donné que je ne savais plus où était mon portable. Bref il me semble que toutes les conditions sont quand même réunies pour que je m’autorise, un tout petit peu, à râler.
Et me voici donc à feuilleter mon journal imbibé de café froid (oui mon micro-onde est en panne et du fait de la panne de la chaudière je n’ai pas d’eau chaude et comme hier en voulant réparer une vieille lampe de chevet j’ai fait un mauvais branchement j’ai provoqué un court-circuit et grillé la cafetière). Bref je feuillette et que lis-je en gros caractères gras ?
« Le 2 novembre devient la journée nationale sans râler ». La décision a été prise à la suite d’une pétition adressée au président de la république par un florilège de professions victimes régulières des râleurs. Il s’agit notamment des professeurs, des garagistes, des plombiers, des facteurs, des météorologues j’en passe et bien d’autres…
Et comment dire, j’ai terminé la lecture de mon journal en me disant : « oh après tout, il n’y a pas de quoi râler… »
La
pluie a cessé. Je sors. J’ai la sensation d’être en pointillé, d’émerger d’une
longue nuit. J’ai envie de rentrer chez moi, par le bus. J’aime les bus, je m’y
sens bien. Je trouve extraordinaire de pouvoir partager aussi intimement
quelques minutes de vie dans un si petit espace. Il y a une espèce de magie
dans ces moments où tout le monde s’essaye à la pensée mélancolique. On se
croirait dans un colloque du silence. Chacun s’efforce d’apporter sa
contribution à la construction de cette atmosphère. Personne ne semble avoir
conscience qu’il ne se contente que de se déplacer, d’aller d’un point à un
autre. Certains parlent, murmurent plutôt, et cela ne fait que rajouter à la
solennité de l’instant. Les bribes de phrases perçues plus qu’entendues se
rejoignent d’un bout à l’autre du véhicule et tissent une toile d’araignée à
laquelle les pensées de chacun s’accrochent. Lorsque tout est fini, lorsqu’il
faut quitter ce domaine clos, la sensation est bizarre. On se croirait
débarquant dans un port inconnu, l’air entre à pleins poumons, et l’on regrette
la rapidité du voyage.
Le
soleil est bas, il en est à ce niveau d’indécision que les encyclopédistes de
la littérature romantique appellent le crépuscule. Pour ma part, je vois une
lumière basse qui enveloppe le quartier dans une espèce de coton inconfortable.
C’est une sensation multidirectionnelle, et c’est peut‑être cela qui la rend si
digne. Quand une lumière est si présente, quand elle vous pénètre, quand elle
vous essouffle, quand elle se subtilise à votre ouïe, qu’elle calfeutre les
regards et donne aux mots qui sortent des bouches des goûts exotiques, alors,
il est temps de se nouer la gorge, il est temps d’y croire à cette fameuse
grandeur crépusculaire.
J’arrive
chez moi un peu après souper. Le retard, comme d’ailleurs tout ce qui émane de
ma personne, ne pourra être qu’universitaire. Il aura le privilège d’être
affranchi et anobli avant d’avoir pu se transformer en insouciance ou
incorrection. Sur la table de la cuisine un couvert m’attend avec fierté. Ce
repas que je prends seul me donne de l’importance, m’installe officiellement
dans le statut de celui qui est trop occupé pour s’attarder à de basses considérations
horaires. Je regarde autour de moi, tout semble être mis en place pour rimer
avec simplicité et honnêteté.
Il m’arrive parfois d’aller à la recherche d’une belle d’une vraie trace de joie dans l’armoire à souvenirs. En voilà une : une joie animale, forte. Elle réchauffe le cœur et le corps. Elle ne réveille pas mon inspiration, mais elle stimule ma respiration…
Il était cet ours chien qu’on serre contre soi en souriant. Petit bonheur simple dont on respire ensuite l’écume des effluves enfouies…
Texte extrait de « le huitième jour de la semaine »
Ma vie est semblable à l’enfant tumultueux de retour à la maison, gagné par l’ardeur d’un jeu au-dehors : elle me quitte très souvent, elle me revient de loin en loin, encombrée par une émotion que les premiers mots apaisent. Je n’écris que très peu, et ce peu est encore trop, en regard des quelques instants qui éclairent le chemin où je vais : il y a très peu d’événements dans une vie. Parfois, il n’y a que l’événement de son désastre, de son lent engloutissement dans le désastre quotidien. Ainsi perd-on toutes forces dans l’impur mélange des jours. Qu’est-ce donc que la vie ordinaire, celle où nous sommes sans y être ? C’est une langue sans désir, un temps sans merveille. C’est une chose douce comme un mensonge. Je connais bien cet état. J’en sais – par le cœur – la banalité et la violence. L’âme y est comme une ruche, vidée de ses abeilles. L’âme, c’est-à-dire le corps, c’est-à-dire l’aube, c’est-à-dire tous les noms du monde car tous les noms sont les pétales d’une unique fleur de songe, l’âme donc, s’abstrait, s’évade, s’ennuie. S’étiole.
Et si l’on ne se disait rien Se croiser et se sourire Se parler et se souvenir Et si l’on se disait tout Se rencontrer et s’étonner Se séduire et s’aimer Et si l’on se disait demain Se rêver et se promettre S’espérer et s’oublier Souffrir dans un souffle Seul et perdu Dans la foule des absents
La Charente avec dans le fond Rochefort et le pont transbordeur, photo réalisée par ma cousine Aline Nédélec
A l’ouest de mon premiers regard S’étire en glissant ce long soupir Chant de brumes d’autres mémoires Il est difficile d’être triste longtemps Ce n’est plus ton rire qui invite au combat Je garde en secret ce fond de silence Je te l’offre tu feras un bouquet de fleurs séchées
Si mon désir d’écrire remonte à l’enfance, il ne s’est pas concrétisé par les moyens ordinaires : l’inspiration, l’imagination, le silence, les litres de gros rouge entonnés devant une machine à écrire d’occasion, les pelouses folles d’une résidence secondaire où on médite, allongée toute vacante en suçant des herbes, le milieu des gens de lettres, le grave bureau à dossiers, téléphones et fétiches, connais pas. L’imagination ? Je n’en ai pas. Le tout-France littéraire ? Je l’ignore et il me le rend bien. Le matériel ? Un papier de cantine entraînant le Bic entraînant les doigts entraînant les mots. Autour de moi étaient le merveilleux et le sordide, le temps volé à reconquérir d’urgence, l’oubli instantané à gagner de vitesse, le soir, de traduire le creux des heures sous l’ampoule nue ou le vasistas maigre.
Voilà pour le vieil homme. – Mais moi, à la fin de ce récit, et dussé-je mourir aujourd’hui même, je me vois maintenant au milieu de ma vie, je contemple le soleil du printemps sur ma feuille blanche, je repense à l’automne et à l’hiver, et j’écris : Narration, mon Saint des Saints, rien n’est plus que toi de ce monde, rien n’est plus juste que toi. Narration, patronne du Guerrier Lointain, ma maîtresse. Narration, le plus spacieux de tous les véhicules, char céleste. Œil de la narration reflète-moi, car toi seul sais me reconnaître et me rendre justice. Bleu du ciel, descends jusqu’à l’abîme par la narration. Narration, musique de la sympathie, fais-nous grâce, donne-nous la grâce et sanctifie-nous. Narration, mélange fraîchement les caractères, parcours de ton souffle les successions de mots, assemble-toi en écriture et trace dans le tien notre dessin à tous. Narration, recommence, c’est-à-dire renouvelle ; repousse encore et à nouveau une décision qui ne doit pas être (…) Successeur, quand je ne serai plus, tu me trouveras au pays de la narration, dans le Neuvième Pays. Narrateur dans ta cabane en plein champ envahie par les herbes, toi l’homme doué du sens de l’orientation, tu peux tranquillement te taire, garder peut-être le silence dans les siècles des siècles, écoutant l’extérieur, descendant à l’intérieur de toi-même, mais ensuite, roi, enfant, rassemble tes forces, redresse-toi, appuie-toi sur tes coudes, souris à la ronde, reprends une profonde respiration, et fais à nouveau entendre celui qui apaise tous les conflits, ton : « Et… »
Ces chutes de bois sonore qui ne lui parvenaient pas, il les entendait, de seconde en seconde, dans les battements de son sang; il savait à la fois que, chez lui, il guérirait, et qu’il allait mourir, que sur la grappe d’espoirs qu’il était, le monde se refermerait, bouclé par ce chemin de fer comme par une corde de prisonnier; que rien dans l’univers, jamais, ne compenserait plus ses souffrances passées ni ses souffrances présentes : être un homme, plus absurde encore qu’être un mourant… De plus en plus nombreuses, immenses et verticales dans la fournaise de midi, les fumées des Moïs fermaient l’horizon comme une gigantesque grille : chaleur, fièvre, charrette, aboiements, ces traverses jetées là-bas comme des pelletées sur son corps, se confondaient avec cette grille de fumées et la puissance de la forêt, avec la mort même, dans un emprisonnement surhumain, sans espoir. Les chiens maintenant hurlaient d’un bout à l’autre de la vallée; d’autres, derrière les collines, répondaient; les cris emplissaient la forêt jusqu’à l’horizon, comblant de leur profusion les espaces libres entre les fumées. Prisonnier, encore enfermé dans le monde des hommes comme dans un souterrain, avec ces menaces, ces feux, cette absurdité semblable aux animaux des caves. A côté de lui, Claude qui allait vivre, qui croyait à la vie comme d’autres croient que les bourreaux qui vous torturent sont des hommes : haïssable. Seul. Seul avec la fièvre qui le parcourait de la tête au genou, et cette chose fidèle posée sur sa cuisse : sa main.
Il l’avait vue plusieurs fois ainsi, depuis quelques jours : libre, séparée de lui. Là, calme sur sa cuisse, elle le regardait, elle l’accompagnait dans cette région de solitude où il plongeait avec une sensation d’eau chaude sur toute la peau. Il revient à la surface une seconde, se souvint que les mains se crispent quand l’agonie commence. Il en était sûr. Dans cette fuite vers un monde aussi élémentaire que celui de la forêt, une conscience atroce demeurait : cette main était là, blanche, fascinante, avec ses doigts plus hauts que la paume lourde, ses ongles accrochés aux fils de la culotte comme les araignées suspendues à leurs toiles par le bout de leurs pattes sur les feuilles chaudes; devant lui dans le monde informe où il se débattait, ainsi que les autres dans les profondeurs gluantes. Non pas énorme : simple, naturelle, mais vivante comme un œil. La mort, c’était elle.
Cher intrus, que j’ai voulu aimer, je t’épargne. Je te laisse ta seule chance de grandir à mes yeux : je m’éloigne. Tu n’auras, à lire ma lettre, que du chagrin. Tu ne sauras pas à quelle humiliante confrontation tu échappes, tu ne sauras pas de quel débat tu fus le prix, le prix que je dédaigne… Car je te rejette, et je choisis… tout ce qui n’est pas toi. Je t’ai déjà connu, et je te reconnais. N’es-tu pas, en croyant donner, celui qui accapare ? Tu étais venu pour partager ma vie… Partager, oui : prendre ta part ! Être de moitié dans mes actes, t’introduire à chaque heure dans la pagode secrète de mes pensées, n’est-ce pas ? Pourquoi toi plutôt qu’un autre ? Je l’ai fermée à tous. Tu es bon, et tu prétendais, de la meilleure foi du monde, m’apporter le bonheur, car tu m’as vue dénuée et solitaire. Mais tu avais compté sans mon orgueil de pauvresse : les plus beaux pays de la terre, je refuse de les contempler, tout petits, au miroir amoureux de ton regard… Le bonheur ? Es-tu sûr que le bonheur me suffise désormais ?… Il n’y a pas que le bonheur qui donne du prix à la vie. Tu me voulais illuminer de cette banale aurore, car tu me plaignais⁹ obscure. Obscure, si tu veux : comme une chambre vue du dehors. Sombre, et non obscure. Sombre, et parée par les soins d’une vigilante tristesse ; argentée et crépusculaire comme l’effraie, comme la souris soyeuse, comme l’aile de la mite. Sombre, avec le rouge reflet d’un déchirant souvenir… Mais tu es celui devant qui je n’aurais plus le droit d’être triste… Je m’échappe, mais je ne suis pas quitte encore de toi, je le sais. Vagabonde, et libre, je souhaiterai parfois l’ombre de tes murs… Combien de fois vais-je retourner à toi, cher appui où je me repose et me blesse ? Combien de temps vais-je appeler ce que tu pouvais me donner, une longue volupté, suspendue, attisée, renouvelée… la chute ailée, l’évanouissement où les forces renaissent de leur mort même… le bourdonnement musical du sang affolé… l’odeur de santal brûlé et d’herbe foulée… Ah ! tu seras longtemps une des soifs de ma route ! Je te désirerai tour à tour comme le fruit suspendu, comme l’eau lointaine, et comme la petite maison bienheureuse que je frôle… Je laisse, à chaque lieu de mes désirs errants, mille et mille ombres à ma ressemblance, effeuillées de moi, celle-ci sur la pierre chaude et bleue des combes de mon pays, celle-là au creux moite d’un vallon sans soleil, et cette autre qui suit l’oiseau, la voile, le vent et la vague. Tu gardes la plus tenace : une ombre nue, onduleuse, que le plaisir agite comme une herbe dans le ruisseau… Mais le temps la dissoudra comme les autres, et tu ne sauras plus rien de moi, jusqu’au jour où mes pas s’arrêteront et où s’envolera de moi une dernière petite ombre….
Je termine aujourd’hui la publication de ce très long texte, commis il y a plus de quarante ans et auquel j’avais donné le titre ronflant de » Avant que ne meurent les victoires écorchées… »
Avant que ne meurent les victoires écorchées
Avant que ne s’entendent les discours du hasard
Tu regardes
Pour savoir
Pour l’espoir
Dans la foule pas un qui ne bouge
Pas un qui ne songe à remuer son poids de graisse
Alphabétique
Pas un qui n’oublie son anonymat
Pas un qui n’épèle son nom
Pas un pour croire qu’il y autre chose
Au dessus d’eux
Pas un qui n’ait un visage qui se reconnaît
Parce que tous attendent le lendemain
Qui suivra leur journée d’adoption
Qui passe en les tuant
Par paquets de minutes
Qu’ils ont volés à la pendule de ceux qui veulent pas
Mais qui sont morts
Pour l’instant ils ne marchent pas
Ils avancent
Mécaniques amnésiques
D’un mot qui revient
Sur toutes les lèvres pincées
Des ceux qu’on dit gagnants
Alors toi t’as plus que tes amis
Derrière d’autres fenêtres
Alors tu te dis que les leurs vont s’ouvrir
Et t’entends déjà le frémissement d’une autre foule
La foule aux visages ouverts
Alors tu joues une dernière fois à perdre l’espoir
Je m’aperçois que j’ai rarement mentionné mon attachement à Philippe Djian, il est un de mes maîtres vivants…Je relis souvent ce texte qui m’interroge, nous interroge sur notre amour de l’écriture. Il est un peu long, mais cela vaut le coup d’aller jusqu’au bout…
Si ma mémoire est bonne, on m’a déjà interrogé sur les processus créateurs il y a environ vingt ans, à l’occasion de la publication de mon premier livre. Pour être franc, je n’en savais pas beaucoup sur la question, à l’époque. Je pensais qu’il s’agissait de s’asseoir derrière une table et de fermer les yeux quelques minutes pour que la machine se mette en marche. Et ça fonctionnait, avec un peu de chance. Aujourd’hui, bien entendu, je n’en sais pas davantage. Je sais que la table demeure un élément important mais j’ai remarqué que je n’étais pas obligé de fermer les yeux. Un trombone ou un élastique feront très bien l’affaire.
Je ne crois pas à l’inspiration. De même, je ne crois pas qu’il y ait de génie en littérature. Je crois qu’il y a de bons pêcheurs. Il y a des gens qui n’attrapent rien malgré un matériel sophistiqué et de solides appuis à terre. Et d’autres, qui n’ayant embarqué que le strict minimum, peut-être une simple ligne et un hameçon, reviennent les bras chargés et un simple sourire aux lèvres. Ceux-là ont le style. J’ai toujours pensé que le livre existait avant même que je ne commence à l’écrire. J’imaginais qu’un bout de fil dépassait du sol et que si je m’y prenais avec patience et adresse, j’allais pouvoir tirer toute la bobine sans rien casser. C’est encore un peu le cas aujourd’hui. Si je devais dresser la liste du matériel nécessaire, je dirais que l’exercice demande un peu de chance, pas mal de foi, une assez bonne vue et beaucoup d’humilité. J’ajouterais à cela un ego à géométrie variable et du style.
Il faut donc de la chance, pour commencer. Il faut trouver le bon bout de la bobine, plus communément nommé l’incipit. La première phrase, si vous préférez. J’y attache personnellement la plus extrême importance car je considère qu’elle renferme, dans une certaine mesure, le roman tout entier. Elle est, à tout le moins, la première pierre. Celle sur laquelle toutes les autres vont venir s’appuyer au fur et à mesure. Elle va décider, par sa taille et sa forme, de la direction et de l’humeur du livre à venir. Il est donc conseillé de la tourner et la retourner dans tous les sens, d’en examiner les moindres détails durant quelques jours avant de se précipiter car ensuite, il sera trop tard. C’est la raison pour laquelle je pense que les neuf dixièmes des cours de « creative writing» devraient être consacrés à la recherche puis à l’étude intensive de cette première phrase. Sa rumination systématique et attentive fournit la plupart du temps une foule d’indications secondaires invisibles au premier coup d’œil, telles que la situation climatique, sinon géographique, le milieu social dans lequel nous allons évoluer, l’état d’esprit du narrateur ainsi que ses préoccupations et par-là sa vision du monde. Qui a dit ou pensé ces premiers mots et pourquoi ? Comment le personnage les a-t-il choisis ? Quelle expérience connaît-il au moment où il les exprime ? Pour le savoir, il suffit de tirer doucement sur le fil de la bobine et le voile commencera à se lever. Reste que tomber sur la bonne première phrase est un coup de chance. Mais chacun sait qu’on peut aider la chance… Ensuite intervient la foi. Je pense qu’un écrivain peut faire l’économie de l’inspiration, qui me semble relever de l’attirail folklorique et peut encore amuser les enfants, mais il ne peut se passer de la foi. C’est le seul carburant possible, le seul qui permettra de mener l’entreprise à son terme. Écrire un livre demande une volonté à toute épreuve, sous peine d’encombrer les librairies d’ouvrages qui n’ont pas le moindre intérêt et se ressemblent tous les uns les autres. Un écrivain qui n’a pas la foi ne peut pas produire autre chose. L’écrivain doit avoir en lui une confiance absolue car le voyage ne sera pas de tout repos. Ce sera long, pénible, la fatigue et les doutes se feront une joie de lui compliquer la tâche et personne ne viendra l’aider. D’où, une fois encore, l’importance de la première phrase. Car c’est en elle que l’écrivain puisera ses forces. C’est elle qui lui insufflera la foi nécessaire. Il ne s’agit plus dès lors d’une quelconque et vulgaire confiance en soi mais de quelque chose qui la dépasse et apparaît sous un jour émouvant.
Avoir une bonne vue est essentiel, même si l’on a la foi. Il y aura de longues heures, des jours entiers ou plus encore, à guetter. Il faudra se méfier des leurres, percer des brumes plus ou moins opaques et balayer l’espace d’un regard juste. Le regard de l’écrivain est sa seule arme. L’aiguiser, son seul devoir. Il pourra ensuite considérer sous l’angle qui lui conviendra des territoires mille fois explorés et les soumettre à un style. Avoir une bonne vue conduit à trouver la bonne voix. Plus tard, ces deux éléments pourront s’inverser, ou mieux encore ne faire plus qu’un. Jean-Luc Godard a déclaré qu’un travelling était une affaire de morale. Le regard, et par conséquent le style, sont également une affaire de morale. Là où il n’y a pas de regard, il n’y a pas de morale et donc rien qui ne puisse identifier un écrivain comme une personne unique.
Une fois qu’il a découvert son originalité, un écrivain doit aussitôt recourir à l’humilité, sous peine de foncer dans le mur. L’aveuglement est un défaut rédhibitoire. L’écrivain doit être capable de contrôler son ego, par tous les temps et dans toutes les occasions. Dans un sens comme dans l’autre. Il doit pouvoir le laisser enfler, mais aussi le dégonfler, selon les circonstances. Vous ne ferez rien de bon avec un ego de taille moyenne, mais pas davantage avec le grand modèle si vous ne parvenez pas à le maîtriser. Le problème est identique à celui que l’on rencontrerait en chevauchant un animal sauvage : il nous emmènerait très vite et très loin mais il n’y aurait plus personne pour relater l’expérience. Donc, prudence !
En dressant la liste du matériel nécessaire, selon moi, à la création littéraire, j’ai livré de nombreuses indications sur ma méthode.
On aura compris que je n’établis aucun plan et pratique une sorte d’élargissement, d’exploration de surfaces concentriques à partir de la première phrase. D’un point de vue cinématographique, cela équivaudrait au passage d’un plan serré à un plan plus large, chaque degré étant électrisé par le hors-cadre.
Cela constitue la première partie de mon travail, qui consiste en la rédaction d’une vingtaine de feuillets. Ce n’est pas un brouillon mais le texte définitif des premières pages du roman. Ainsi le socle s’est élargi. Pressée comme un citron, la première phrase a révélé la plupart de ses secrets et l’on commence à y voir plus clair. À ce stade, il faut effectuer le même travail qu’avec la première phrase : lecture, rumination, exploration systématique de tous les détails et appropriation.
C’est l’étape la plus importante, mais aussi la plus étonnante et la plus gratifiante. Le moment est venu où l’on va découvrir et comprendre vers quoi le roman veut nous attirer. Quelle est la signification de certains signes demeurés jusque-là incompréhensibles. Quelle est la voix qui s’est emparée de vous et quel est le discours qu’elle cherche à faire entendre. Il faut alors se résoudre à une immersion complète qui peut prendre plusieurs jours. Il faut écouter et se souvenir de tout ce que l’on apprend avant de remonter à l’air libre. Et alors seulement, vous pouvez y aller.
Il peut arriver les choses les plus étranges au cours de cette phase. Ainsi par exemple, à propos du roman sur lequel je suis en train de travailler[2]. Un homme et une femme reçoivent quelques amis chez eux. J’en ai écrit une vingtaine de pages, puis je me suis aperçu que les dialogues entre le mari et la femme avaient une sonorité bizarre et que la femme ne s’adressait pas directement aux autres. À la relecture, je ne comprenais pas pourquoi et il m’a fallu un bon moment avant de trouver la clé de l’énigme : cette femme était morte et ne vivait plus que dans l’esprit de son mari. Ainsi tout s’éclairait.
Il faut donc bien écouter ce que très vite, le roman essaye de vous dire. C’est souvent bien plus intéressant que le thème qu’un auteur voudrait aborder a priori et qui requiert la plupart du temps l’utilisation d’un chausse-pied ou entraîne tout le monde dans des contorsions abominables.
Cette phase a également pour objet de reconstituer ses forces. Encore qu’il s’agisse plutôt d’une espèce de transfusion sanguine qui va directement de l’embryon du roman dans les veines de l’auteur. Je pense que cette image est bien plus juste qu’il n’y paraît dans la mesure où elle suggère la présence de deux entités, le roman et l’auteur, et l’obligation d’un échange de l’un à l’autre. En se laissant vampiriser par l’auteur, le roman se donne les moyens d’exister. Il en résulte que, selon moi, l’écriture d’un roman n’est pas un exercice tout à fait solitaire. Et je pense qu’une grande partie de cette confiance en soi que j’ai évoquée, n’a pas d’autre origine.
Il se peut également que la vraie nature du roman se révèle beaucoup plus tard. J’ai ainsi été obligé de m’atteler à une trilogie à la fin d’un premier ouvrage[3]. Celui-ci était déjà dans les vitrines des librairies lorsque j’ai pris conscience qu’il en appelait un autre. J’y ai donc travaillé, mais ce n’était pas une suite, tous les personnages étaient nouveaux et les deux narrateurs différents. J’ai donc terminé ce second volume dans un état de perplexité avancé. Puis un matin, une troisième voix s’est fait entendre, m’apprenant qu’elle s’était cachée dans les deux premières. Je n’avais plus qu’à écrire la troisième partie pour que tout rentre dans l’ordre. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait.
Je donne cet exemple pour insister sur un point qui me paraît essentiel : la création n’est pas le fruit d’un effort de volonté mais plutôt celui d’une certaine souplesse. Je pense qu’il faut s’y glisser plutôt que d’y entrer en force. Savoir lire entre ses propres lignes et en tirer les conséquences. Je n’ai jamais commencé un roman avec une idée derrière la tête. Céline disait que les idées étaient vulgaires et qu’il suffisait d’ouvrir un journal pour en trouver. J’ajouterais qu’elles finissent toujours par apparaître à un moment ou à un autre et qu’il est donc inutile de s’en préoccuper à l’avance, sous peine de transformer le roman en une tribune et l’auteur en philosophe, en historien, en psychanalyste ou en théoricien. Or, il n’est pas là pour ça.
Il faut donc aller tout droit vers ce dont on a vraiment envie, sans aucun détour. Dans une interview, John Ford déclarait qu’il tournait parfois des scènes qui n’avaient rien à voir avec le scénario, simplement parce qu’elles s’imposaient à lui et qu’elles étaient sans doute la seule raison de faire le film. Voilà une bonne piste.
À la fin de l’un de mes livres, un mari donne quelques conseils à sa femme qui est écrivain[4]. J’aimerais vous les citer car ils me semblent contenir certaines règles qui vont dans le sens de ce que j’essaye péniblement d’exposer depuis un moment : Ne t’occupe pas de ce que l’on écrit sur toi, que ce soit bon ou mauvais. Évite les endroits où l’on parle des livres. N’écoute personne. Si quelqu’un se penche sur ton épaule, bondis et frappe-le au visage. Ne tiens pas de discours sur ton travail, il n’y a rien à en dire. Ne te demande pas pour quoi ni pour qui tu écris, mais pense que chacune de tes phrases pourrait être la dernière. Il y a bien sûr d’autres règles à respecter. Lorsque j’ai commencé à écrire, mon plus grand défaut était l’impatience. Mon travail n’avançait jamais assez vite et j’avais beaucoup de mal à accepter le peu de résultat concret d’une longue journée de labeur. J’imaginais sans doute que l’on pouvait écrire un roman à la faveur de quelques nuits d’illumination fiévreuse, confondant ainsi une course de cent mètres avec un marathon. Mais j’ai fini par comprendre que cette impatience me rongeait et rendait les choses encore plus difficiles. Je me suis donc imposé une discipline particulière : j’ai décidé que ma journée de travail ne se compterait plus en heures mais en mots. Je me suis imposé d’en écrire cinq cents parce que j’avais lu quelque part que c’était la cadence d’Hemingway et je m’y suis tenu durant un bon moment. J’ai ainsi fait connaissance avec la régularité, chose qui n’était pas dans mon tempérament. J’ai dû également admettre qu’un effort continu était indispensable. Ce qui signifie, de mon point de vue, que l’on ne peut pas rester simplement planté là en attendant que la chose vous tombe du ciel. Avoir la bonne attitude morale ne suffit pas. Il faut se lever et marcher à la rencontre. C’est-à-dire lutter contre l’impatience, accepter la monotonie, bousculer sa nature, enfin ce genre de choses.
Pour finir, je dois avouer que je n’ai jamais éprouvé un impérieux besoin d’écrire. Je peux d’ailleurs m’en passer pendant un long moment. Je me suis souvent interrogé à ce propos, me demandant ce qui n’allait pas chez moi. Les écrivains que je rencontrais semblaient au contraire incapables de résister à cette étonnante manie et ne s’en plaignaient pas un instant. Au bout d’un moment, j’ai fini par en conclure que je n’étais pas un écrivain vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an, mais seulement de temps en temps, par secousses si l’on peut dire. Pour être plus précis, je dirais que je n’ai pas toujours l’œil. Le passage de l’image ou du sentiment au mot ne se fait pas, ou alors d’une manière si banale ou si pauvre qu’il vaut mieux laisser tomber. En fait, j’ai l’impression d’être une machine qui n’est pas toujours en marche. Elle a pour fonction d’opérer une transformation entre ce que je reçois et ce que je délivre mais elle n’est pas branchée en continu et je ne sais pas comment y remédier. Je n’ai pas d’autre solution que d’être là au bon moment et je lorgne avec envie du côté de ceux qui bénéficient d’un matériel plus fiable.
La transformation dont il est question ici s’appelle le style. Quel que soit le domaine artistique considéré, là où il n’y a pas le style, il n’y a rien. Vous pouvez vous tenir au-dessus d’un filon d’or pur mais si vous n’avez pas le bon outil pour creuser, vous repartirez les mains vides. Céline, toujours lui, a également déclaré :« Au commencement était l’émotion. » Je pense qu’il aurait pu dire : « Au commencement était le style. »
À quoi bon chercher, si vous n’avez pas l’outil adéquat ? Que deviendront vos intentions les plus nobles ou les plus originales si vous n’avez pas le moyen de les exprimer au plus près ? Il arrive parfois que le style lui-même déclenche le processus créatif, que le ton précède la phrase, que la couleur induise le sujet ou que le rythme existe avant la mélodie.
La véritable angoisse de la page blanche, selon moi, n’est pas celle du contenu mais de la forme. « Le style ne constitue pas le contenu, mais il est la lentille qui concentre le contenu en un foyer ardent» (Jacob Paludan). Comme les quelques rares éléments capables de déclencher une émotion esthétique, le style est une notion très difficile à définir, ses contours sont assez vagues et sa substance volatile, donc réticente à l’analyse. Si bien que la plupart des auteurs, non seulement s’imaginent, mais peuvent tranquillement affirmer en posséder un. Malheureusement, acquérir puis travailler un style est sans doute la chose la plus dure et la plus délicate qui soit. Beaucoup reculent devant l’épreuve, mais le résultat est là.
D’une manière générale, je n’entretiens guère de relations avec les écrivains. En revanche, je fréquente régulièrement des musiciens, des peintres et des cinéastes. Je les écoute parler de leur travail ou je lis leurs interviews avec beaucoup d’intérêt car ils sont pour moi d’un enseignement très riche et lumineusement transposable au domaine de la littérature. Les nouvelles tendances de l’art contemporain, les recherches de certains cinéastes sur la bande-son ou le support, ou les dernières compositions de Steve Reich ou Phil Glass, par exemple, évoquent une multitude de pistes possibles. La manière dont ils ont résolu certains problèmes ou s’y sont cassé les dents constitue une somme d’informations infiniment précieuses. Si bien que la multiplication des passerelles entre les différentes formes d’expressions artistiques est non seulement souhaitable, mais indispensable aux progrès que nous nous proposons d’accomplir. Et Dieu sait que nous en avons besoin.
Je continue la publication de ce très long ( trop…) poème écrit il y a quarante ans. Pour en permettre une lecture sans coupure j’ai créé une nouvelle catégorie ajoutée au menu, avec le titre suivant : » les victoires écorchées… »
Où as-tu été, mon fils aux yeux bleus ? Où as-tu été, mon cher petit ? J’ai trébuché sur le bord de douze montagnes brumeuses, J’ai marché et rampé sur six chemins tordus, J’ai pénétré au cœur de sept forêts tristes, J’ai été à la rencontre d’une douzaine d’océans morts, J’ai marché dix mille miles dans la bouche d’un cimetière, Et c’est une dure, et c’est une dure, c’est une dure, c’est une dure, Et c’est une pluie dure qui va tomber.
Qu’as-tu vu, mon fils au yeux bleus? Qu’as-tu vu, mon cher petit? J’ai vu un nouveau-né entouré de loups du désert, J’ai vu un chemin de diamants avec personne dessus, J’ai vu une branche noire dégoulinante de sang, J’ai vu une pièce pleine d’hommes avec leurs marteaux qui saignaient, J’ai vu une échelle blanche toute couverte d’eau, J’ai vus dix mille bavards dont la langue était cassée, J’ai vu des fusils et des épées effilées dans les mains de jeunes enfants, Et c’est une dure, et c’est une dure, c’est une dure, c’est une dure, Et c’est une pluie dure qui va tomber.
Qu’as-tu entendu, mon fils aux yeux bleus? Qu’as-tu entendu, mon cher petit? J’ai entendu le son du tonnerre, rugir un avertissement, Entendu le hurlement d’une vague qui pourrait noyer le monde entier, Entendu cent batteurs dont les mains étaient en flamme, Entendu dix mille chuchotements que personne n’écoutait, Entendu une personne affamée, et entendu beaucoup de gens rire, Entendu la chanson d’un poète qui mourait dans le caniveau, Entendu le cri d’un clown qui pleurait dans la rue, Et c’est une dure, et c’est une dure, c’est une dure, c’est une dure, Et c’est une pluie dure qui va tomber.
Qui as-tu rencontré, mon fils aux yeux bleus Qui as-tu rencontré, mon cher petit? J’ai rencontré un jeune enfant aux côtés d’un poney mort, J’ai rencontré un homme blanc qui promenait un chien noir, J’ai rencontré une femme dont le corps brûlait, J’ai rencontré une jeune fille qui m’a donné un arc-en-ciel, J’ai rencontré un homme qui était blessé par l’amour, J’ai rencontré un autre homme qui était blessé par la haine, Et c’est une dure, c’est une dure, c’est une dure, c’est une dure, C’est une pluie dure qui va tomber.
Que vas-tu faire, mon fils aux yeux bleus? Que vas-tu faire, mon cher petit? Je vais sortir avant que la pluie ne commence à tomber, Je vais marcher au plus épais de la plus noire et épaisse forêt, Où les gens sont nombreux et ont les mains vides, Où les boulettes de poison ont envahi leurs eaux, Où la maison dans la vallée ressemble à la prison sale et humide, Où le visage du bourreau est toujours bien caché, Où le désir est laid, où les âmes sont oubliées, Où noire est la couleur, où zéro est le nombre, Et je le dirai et je le penserai et je le raconterai et je le soufflerai, Et je le projetterai de la montagne pour que chacun puisse le voir, Et puis, je resterai sur l’océan jusqu’à ce que je commence à sombrer, Mais je connaîtrai bien ma chanson avant de commencer à chanter. Et c’est une dure, c’est une dure, c’est une dure, c’est une dure, C’est une pluie dure qui va tomber.
Un très long texte écrit entre 1979 et 1980 , comme chaque année depuis l’ouverture de ce blog je vais le republier en plusieurs parties, pour, je l’espère, que vous preniez le temps de l’apprécier…
Avant que ne s’entendent les victoires écorchées,
Avant que ne meurent les discours du hasard,
Tu t’inocules dans les veines un poison qui n’existe pas
Sinon pour ceux qui peuvent en souffrir.
Tu vois des chefs piétinant des pelouses d’enfants
Avec un artiste à leur trousse,
Pour que leurs morts s’ajoutent.
Tu insultes la silhouette d’un muscle
D’institutions barbelées
Qui sert d’ombre à des gladiateurs de cirques kakis.
T’ajoutes ta larme à celle du clown au chômage.
Tu espères toujours la parole à ceux qui ont peur,
Magnifique ! Que dire de plus. Le lire, le relire et fermer les yeux
L’instituteur regardait les deux hommes monter vers lui. L’un était à cheval, l’autre à pied. Ils n’avaient pas encore entamé le raidillon abrupt qui menait à l’école, bâtie au flanc de la colline. Ils peinaient, progressant lentement dans la neige, entre les pierres, sur l’immense étendue du haut plateau désert. De temps en temps, le cheval bronchait visiblement. On ne l’entendait pas encore, mais on voyait le jet de vapeur qui sortait alors de ses naseaux. L’un des hommes, au moins, connaissait le pays. Ils suivaient la piste qui avait pourtant disparu depuis plusieurs jours sous une couche blanche et sale. L’instituteur calcula qu’ils ne seraient pas sur la colline avant une demi-heure. Il faisait froid ; il rentra dans l’école pour chercher un chandail.
Il traversa la salle de classe vide et glacée. Sur le tableau noir les quatre fleuves de France, dessinés avec des craies de couleurs différentes, coulaient vers leur estuaire depuis trois jours. La neige était tombée brutalement à la mi-octobre, après huit mois de sécheresse, sans que la pluie eût apporté une transition et la vingtaine d’élèves qui habitaient dans les villages disséminés ne venaient plus. Il fallait attendre le beau temps. Daru ne chauffait plus que l’unique pièce qui constituait son logement, attenant à la classe, et ouvrant aussi sur le plateau à l’est. Une fenêtre donnait encore, comme celles de la classe, sur le midi. De ce côté, l’école se trouvait à quelques kilomètres de l’endroit où le plateau commençait à descendre vers le sud. Par temps clair, on pouvait apercevoir les masses violettes du contrefort montagneux où s’ouvrait la porte du désert.
Un peu réchauffé, Daru retourna à la fenêtre d’où il avait, pour la première fois, aperçu les deux hommes. On ne les voyait plus. Ils avaient donc attaqué le raidillon. Le ciel était moins foncé : dans la nuit, la neige avait cessé de tomber. Le matin s’était levé sur une lumière sale qui s’était à peine renforcée à mesure que le plafond de nuage remontait. A deux heures de l’après-midi, on eût dit que la journée commençait seulement.
Je voudrais inventer une couleur nouvelle Eveiller ma palette endormie Oh oui je voudrais qu’elle sursaute Et s’étonne d’une si belle teinte Et ma plume lisse et luisante attendra Elle se souviendra en soupirant De ses nombreuses plongées Dans l’écume grise des automnes fatigués Dans le mauve vibrant de l’étreinte du jours couchants Dans le presque bleu des océans agités O plume impatiente Tu fabriqueras des rimes qui roulent Et se jettent en riant Sur les rives vierges de mes douces feuilles Aux marges pleines d’un vertige coloré
Je vous assure, il m’a lancé un regard, franchement je m’en remets difficilement. Lancer un regard, ce ne doit quand même pas être des plus simples, il faut évidemment savoir viser, car lancer un regard sans savoir vers qui l’envoyer c’est un peu comme un coup d’épée dans l’eau. Encore qu’un coup d’épée dans l’eau a au moins deux vertus celle de faire de provoquer des remous (même si on ne veut pas dans ce cas précis faire de vague) et celle de trancher dans le vif, surtout s’il s’agit d’eau courante. Mais revenons à nos moutons, revenons à ce regard lancé, et qui semble t’il a atteint sa cible (puisque la personne victime du jet prétend qu’on lui a lancé un regard), est ce que ce regard est vif, acéré, aiguisé, perçant même. Imaginons les dégâts provoqués par un regard qui en plus d’avoir été lancé est aussi perçant. La personne, appelons-là la victime, risque de se retrouver comme le disait Corneille « percée jusqu’au fond du cœur d’une atteinte imprévue » …. En conclusion, ce que je crois c’est qu’un regard n’est jamais lancé au hasard, à l’aveugle dirions-nous car il faut être clair une fois lancé le regard ne peut revenir en arrière, ce n’est pas un boomerang et le lanceur doit autant que possible avoir les yeux en face des trous s’il ne veut pas rater sa cible.
Je n’y vois goutte, drôle d’expression. A travers la vitre crépie d’une humidité matinale ce que je distingue c’est une flaque de timide lumière. Elle essaie de me parler, de me dire que les larmes de la nuit vont sécher, qu’un peut-être soleil lisse me réveillera d’un bref et chaud clin d’œil. Je suis à une goutte de l’espoir…
Je rêve du matin au rose bleuté Les angles secs d’une mauvaise nuit A ton rire parfumé se sont accordés Il fera beau je le sais Au pays d’un vieux silence enfoui Il est l’heure je le sais Il est l’heure des amours permis Si loin des raides lois des tristes diseurs Morales grises qui essoufflent Le joli vent des souvenirs Je rêve d’un beau chagrin Aux larmes séchées Il n’y a plus rien qui ne presse C’est un matin si léger Pour tenter d’encore aimer
Voici bien longtemps que le tribunal académique ne s’était réuni. Le problème à traiter est on ne peut plus d’actualité….
Le tribunal académique s’est réuni ce matin en sa forme plénière et consultative. Il vient, en effet, d’être saisi par un grand nombre de citoyens, et a rendu un avis important, difficile, mais ô combien urgent. Pour cette occasion, exceptionnelle, un collège de jurés a été constitué. Sa composition est, convenons- en un peu particulière. Y siègent : un poète, une militaire, un adolescent, une militante, un amoureux éconduit, un clown au chômage, une dresseuse d’ours, un cruciverbiste, et une religieuse défroquée… Revenons aux faits : depuis quelques temps deux mots, et non des moindres, posent un problème. Deux mots qui, si on n’y prête garde, pourraient se ressembler. Il suffit d’ailleurs de les entendre. Deux mots, aussi, qui lorsqu’on écrit sur une feuille de papier un peu verglacée peuvent déraper…
Le président du tribunal résume en quelques mots la décision qui vient d’être rendue. « Mesdames et Messieurs les jurés, chères et chers collègues, nous nous sommes réunis ce matin pour examiner, vous le savez : Haine et Aime… Les débats ont été animés mais sans haine et c’est cela que j’aime. » « Aime et Haine vous le savez, vous le constatez, sont proches à l’oreille, ils le sont aussi à l’écrit et nous ne devons plus courir le risque qu’ils soient confondus… »
« A l’oreille, donc, les deux mots sont si proches qu’on les croirait, tout droit, sortis de l’alphabet. M est devant N, c’est un fait. Mais pouvons-nous, acceptons-nous d’en dire autant de Aime et de Haine. Cette promiscuité est nauséabonde, préjudiciable et disons le « inacceptable ». En conséquence nous exigeons, que N soit isolé et relégué à la place qu’il mérite et qui lui revient, en dernière position après le Z. Décision exécutable immédiatement. »
« L’autre problème est le risque de dérapage à l’écrit. Certes nous conviendrons que ce n’est pas courant, mais le collège des jurés souhaite ne prendre aucun risque. Qu’un distrait oublie le H de haine et que la main tremble et ajoute une jambe au n et le mal est fait. Les deux mots doivent, c’est impératif être séparés, distingués. En conséquence, le tribunal décide que quiconque décide d’utiliser ou d’écrire le mot haine doit, au préalable, adresser une demande écrite au collège des jurés qui à compter de ce jour devient un jury permanent. Cette demande devra indiquer les raisons pour lesquels le demandant envisage d’utiliser ce mot. Les jurés ont précisé que cette demande devrait être adressé sur une feuille de papier fleuri, et que la police utilisée serait le colibri… Le demandant sera ensuite convoqué et devra sous contrôle et avec le sourire écrire 100 fois le mot AIME..
Anton se souvient quand ils ont pris la voiture avec Marcel
son père. Il était très tôt quand ils sont entrés sur l’A7. Ils ont roulé près
de deux heures sans rien dire avec simplement le bruit du moteur et les
chuintements des autres voitures, plus rapides, et qui vous doublent en
produisant ce souffle, chuuuinnt, si caractéristique quand la vitre est
légèrement ouverte. Ce bruit, Marcel dit que c’est un chuintement. C’est vrai
que c’est un mot qui va bien, parce que si on ouvre la vitre plus grand, c’est
pas pareil ça ne chuinte plus, c’est autre chose, un autre son qu’on ne retient
pas, qu’on n’arrive pas à capturer dans sa mémoire pour en faire un joli mot.
Il se souvient. Ils se sont arrêtés sur une aire, il faisait
chaud, il y avait le bruit des camions et on entendait les premières cigales. L’A7
c’est le sud et le sud c’est les cigales. Le sud : l’air est sec, les
cigales vibrent, les chuintements se gravent dans la mémoire, les camions
rugissent au loin. Anton regarde Marcel qui s’étire dans un sourire. Ils sont
sortis de la voiture, sans rien dire, parce que dans ces moments-là, il ne faut
rien dire pour ne pas prendre le risque d’abîmer ce qui va entrer en vous. Ils
sont sortis et il y a eu le claquement simultané des deux portières, bruit de
métal et de cuir, enfin il pense que le cuir c’est ce bruit là que ça fait. Ils
ont marché quelques dizaines de mètres et maintenant les odeurs prennent toute
la place dans la machine à émotions.
Les odeurs sur une aire d’autoroute : il y a l’essence
bien sûr, le caoutchouc un peu chaud aussi, un mélange qui se marie avec les
bruits qu’on entend. Marcel et Anton sont bien mais ne le disent pas, ils le
savent, le comprennent sans se regarder, c’est écrit dans le silence tranquille
qui s’est posé entre eux. Anton a quand même levé la tête, son regard a croisé
celui de Marcel, et aujourd’hui Anton se souvient. C’est ce jour-là, il avait
une dizaine d’années, qu’il a commencé à comprendre ce que c’était qu’être un
autre, être différent, il a compris que c’est accepter de se jeter dans les
bras de l’émotion, entièrement, sans réfléchir, sans s’interdire, y compris
dans ces moments et ces lieux que tous ceux qui discourent sur le bonheur, sur
le beau rejettent et abandonnent sur les rives bleues de leur vie.
Ces marcheurs de rêve vous vendent des plages blanches, des couchers de soleil et soudain vous êtes là sur une aire d’autoroute, un peu après Montélimar. Votre voiture n’a pas d’acajou, les sièges sentent la chaleur, mais quand vous sortez, là, avec votre père, votre père cet incroyable personne qui vous a dit : « pas d’interdit, ne retiens pas, laisse-toi aller, ne trie pas tes émotions ». Et les émotions entrent à plein bouillons. Bien sûr une voix bien-pensante est là pour vous rappeler que ce n’est pas normal, ridicule même. Mais vous vous moquez, vous laissez entrer et ça fait comme une vague et c’est la première fois que Anton s’est dit : « ça y est j’ai compris, je suis un autre… »
Extrait de mon quatrième roman en voie d’achèvement…
Voici que le silence a les seules paroles Qu’on puisse, près de vous, dire sans vous blesser ; Laissons pleuvoir sur vous les larmes des corolles ; Il ne faut que sourire à ce qui doit passer. À l’heure où fatigués nous déposons nos rôles, Au même lit secret les dormeurs vont glisser ; Par chaque doigt tremblant des herbes qui nous frôlent, Vous pouvez me bénir et moi vous caresser. C’est à votre douceur que mon sentier m’amène. De ce sol lentement imprégné d’âme humaine, L’oubli, lent jardinier, extirpe les remords. L’impérissable amour erre de veine en veine ; Je ne veux pas troubler par une plainte vaine L’éternel rendez-vous de la terre et des morts.
Les demoiselles de Ponteau ce sont ces quatre grandes cheminées à Martigues. Elles ont été la source de mon inspiration pour l’écriture d’une nouvelle que j’ai proposée à un concours organisée par la médiathèque Louis Aragon.
C’est une nouvelle policière, une nouveauté pour moi, et je viens d’apprendre que j’avais remporté l’un des prix, celui de la « restitution d’un pan d’une histoire peu connue de Martigues »….
Dans les prochains jours je publierai cette nouvelle..
J’aurai voulu vous parler de pluie Pour le faire j’ai cherché le bon sens Par où faut-il commencer Ce que je vois Ce que j’entends Ce que je ressens L’humidité qui me traverse La douceur de la flaque qui s’étend Et me voici dans le trouble Le mot roule sous ma langue Mot gros mot gras mot gris Mot trouble
Trouble trouble trouble
Le mot répété ne sert plus à rien Il s’écroule Où es-tu Goutte de pluie Goutte de rien J’attends
Ne chantez pas la Mort, c’est un sujet morbide Le mot seul jette un froid, aussitôt qu’il est dit Les gens du « show-business » vous prédiront le « bide » C’est un sujet tabou… Pour poète maudit La Mort! La Mort! Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles Il semble que la Mort est la sœur de l’amour La Mort qui nous attend, l’amour que l’on appelle Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours La Mort La Mort…
La mienne n’aura pas, comme dans le Larousse Un squelette, un linceul, dans la main une faux Mais, fille de vingt ans à chevelure rousse En voile de mariée, elle aura ce qu’il faut La Mort La Mort… De grands yeux d’océan, une voix d’ingénue Un sourire d’enfant sur des lèvres carmin Douce, elle apaisera sur sa poitrine nue Mes paupières brûlées, ma gueule en parchemin La Mort La Mort…
« Requiem » de Mozart et non « Danse Macabre » (Pauvre valse musette au musée de Saint-Saëns!) La Mort c’est la beauté, c’est l’éclair vif du sabre C’est le doux penthotal de l’esprit et des sens La Mort La Mort… Et n’allez pas confondre et l’effet et la cause La Mort est délivrance, elle sait que le Temps Quotidiennement nous vole quelque chose La poignée de cheveux et l’ivoire des dents La Mort La Mort…
Elle est Euthanasie, la suprême infirmière Elle survient, à temps, pour arrêter ce jeu Près du soldat blessé dans la boue des rizières Chez le vieillard glacé dans la chambre sans feu La Mort La Mort… Le Temps, c’est le tic-tac monstrueux de la montre La Mort, c’est l’infini dans son éternité Mais qu’advient-il de ceux qui vont à sa rencontre? Comme on gagne sa vie, nous faut-il mériter La Mort La Mort…
Envie de republier cette micro nouvelle… Peut-être parce que c’est la saison…
Il neigeait fort depuis plusieurs heures. Le silence prenait de plus en plus de place, tout était étouffé, amorti, pas le moindre craquement. C’était l’empire du coton. Il n’était pas sorti, préférant la chaleur de la cheminée, à l’avance épuisé à l’idée d’enfiler chaussettes, bottes, pulls et manteau. Bref il hibernait. Parfois il tirait un peu le rideau, pour constater l’avancée du blanc. C’est tout. Tout était simple. Soudain un long craquement, comme un journal qu’on déchire. Il regarde le feu, ce n’est pas d’ici que cela vient. Cela craque de plus en plus, cela crépite même. Il y a peut-être des branches qui ployant sous le poids de cette neige lourde n’ont pas résisté. Non ce qui est curieux c’est que cela craque tout doucement, puis cela s’accélère. En fait ça grince, comme quand on est sur un port et que le vent s’engouffre dans les mâts. Comme quand on est en mer…. Il reste là, devant les braises, toujours intrigué par les ces sons qui tanguent et qui roulent. Il faudrait qu’il aille voir. Il pense à la mer et sourit. Il sourit pour se moquer de lui-même : être capable d’entendre la mer, même ici montagne… Certes ce n’est pas très haut, mais c’est la montagne quand même. Il va sortir. Pour voir, pour entendre. Il met beaucoup de temps à s’habiller, il n’est pas pressé de se confronter à ce qui ressemble de plus en plus à une tempête de neige. Il n’a pas peur. Pourquoi aurait-il peur ? Il est à l’extérieur, il fait le tour de la maison, pas très rapidement, il s’enfonce, le son des bottes quand il lève la jambe et qu’elles s’extirpent de la couche de neige fraîche est magnifique, c’est un son épais, un son qu’on pourrait écrire. Tiens s’il devait l’écrire il écrirait « onfk ». Oui c’est bien ça « Onfkkkkk ». Il a fait le tour. Derrière chez lui, c’est une forêt avec de grands sapins. Une fois on lui a dit ou il a lu quelque part que ces sapins ont le tronc si droit qu’autrefois on venait les couper pour en faire des mâts. Des mâts pour les bateaux de la marine royale… La mer, toujours la mer… Il faudrait qu’il arrête de la voir partout. Il est devant la forêt. Les mâts sont dressés. Ils sont noirs dans le soir qui tombe. Les branches si blanches font de belles voiles. Quand ils ferment les yeux, il sent les embruns qui lui fouettent le visage. Il est bien, c’est salé. « Onfkkkk », une mouette s’est envolée quand il s’est avancé. Elle a ri de tout ce blanc, il l’a regardé planer. Il est bien, il est rentré.
Et si vous cessiez de vous haïr ! Oui c’est à vous que je parle, ne tournez pas la tête… Oui, vous, femmes et hommes enfermés dans vos camisoles idéologiques. Vous qui maniez avec dextérité la fine lame du mépris. Oui, vous, je vous en prie, prenez le temps, Il reste encore du beau pour espérer Vous niez ? Les autres, ce sont les autres me dites-vous. Les autres, toujours les autres : Les ceux qui ne savent pas, Les ceux qui ne comprennent pas, Les ceux qui dérangent les angles mous de vos certitudes carrées. Mais vous n’y êtes pour rien, vous êtes dans le vrai, vous le savez. Bien au chaud entre les raides épaisseurs de vos convictions avariées, Vous jugez, vous condamnez, vous accusez, C’est bien triste vous savez. Il faut vous redresser. Je vous plains, C’est vrai, Je voudrais tant vous dire Que tout n’est que rien, Que tout n’est que vain, Allez un effort s’il vous plait, Ce sera tellement mieux lorsque vous vivrez…
Un texte tiré de l’ouvrage « l’été 80″. Cet extrait est l’introduction de » Gdansk est déjà dans l’avenir « .
…Le temps s’était couvert et la tempête est arrivée portée par le vent du nord. Ce vent était très fort, d’un seul tenant, sans trêve aucune, un mur, lisse et droit. Et la mer de nouveau s’est déchaînée. De la pluie est venue pendant la nuit et elle a été chassée par la force du vent. Toute la nuit ce vent a hurlé, sous les portes, dans les failles des murs, dans la tête, les vallées, le cœur, le sommeil. De même la chambre de laquelle je vous écris a été toute la nuit dans le grondement sombre et massif de la mer. Entre ses eaux, des déplacements s’opéraient, terribles, des fracassements, des éboulements aussitôt colmatés que survenus et dont la violence s’évanouissait dès la surface atteinte, à peine l’air touché, dans un déferlement d’une énorme blancheur…
Ce texte est le début du prologue de » Et ils dansaient le dimanche « . Dès ces première lignes j’ai été saisi et ébloui par la beauté poétique de cette prose… Et ce n’est qu’un début
« Je t’attends, je serai patiente », m’a-t-elle dit dans un rêve, son visage voilé par un rideau. À peine ai-je eu le temps de distinguer une silhouette, des boucles brunes, des jambes maigres au ras d’une combinaison, une poignée d’épingles à cheveux sur une sorte de guéridon. De toutes mes forces, j’ai essayé de retrouver ses traits, de parfaire le rêve, donner chair à une image furtive, l’habiller de temps, de mémoire. Je serai patiente.
Ces mots m’ont poursuivie alors que je tentais de distinguer la provenance d’un bruit étrange dans la chambre. Il m’a semblé entendre une feuille tomber, puis deux. J’ai arpenté mon petit périmètre de silence. Le bruit a repris, comme la chute d’une présence infime. J’ai laissé mon regard flotter de part et d’autre de la pièce, oubliant tout ce qui pouvait parvenir de l’extérieur, oubliant la ville et ses rumeurs d’asphalte, le soleil trop fort qui cognait au carreau. Aux aguets entre les murs, je me sentais devenir la proie de moi-même. C’est alors que j’ai aperçu contre la plinthe une sorte de phasme, un brin de vie mi-paille mi-herbe qui tentait de retrouver le plein air, le plein jour, la pleine clarté. Une créature minuscule, une fibre froissée dans un coin de ma chambre et de ma vie.
Que peut-il bien se passer lorsque j’écris ? C’est une question, pour être franc, que je me pose finalement peu, elle est d’ailleurs un peu de même nature que cette question récurrente : « mais pourquoi écrivez-vous ? » Cette question je la trouve souvent inutile et finalement embarrassante. Elle oblige à aller chercher certainement ce qui n’existe pas, où alors dans l’esprit tourmenté de questionneurs professionnels qui veulent des explications, des raisons ( je n’oublie d’ailleurs jamais que s’il y a plusieurs sens au mot raison, celui qui domine n’est jamais très loin de la morale, cette morale qui comme le dit Léo Ferré est toujours la morale des autres…) à une activité que pour ma part je considère presque comme naturelle. J’écris comme je respire, sans trop réfléchir à ce qui se produit, ou à ce qui ne se produirait pas si je cessai l’action interrogée. Lorsque je me demande pourquoi je respire, je finis par étouffer. Expliquer, analyser, justifier, comprendre, c’est malheureusement le début d’une forme de contrôle et je ne veux surtout pas prendre le contrôle. L’écriture, telle que je la conçois mais c’est certainement pour cette raison que je n’ai jamais été publié, ne doit pas se soumettre au contrôle, à son propre contrôle. Le risque étant à mon avis de ne plus écrire au sens où je l’entends mais plutôt de se soumettre à une forme de règlement intérieur de l’écriture. Alors oui bien sur vous pouvez m’objecter que dans mes poésies j’exerce une certaine forme de contrôle sur le choix de mes mots, des mes rimes, de mes rythmes. Mais lorsque je le fais, il me semble que je le fais librement, je dirai que je suis libre parce que je le ressens au moment où je le fais. Je ne le fais pas pour ressentir dans l’après. Et je n’ai jamais la certitude que la lecture produira la même émotion que l’écriture, c’est le défi, c’est aussi le risque permanent. C’est aussi parfois j’en conviens une forme d’angoisse. Oui bien sûr il y a des jours où l’écriture semble fluide, facile, elle ruisselle comme si elle n’était que le prolongement d’un acte premier, originel, ( il me semble que cet acte premier c’est tout simplement la vie ) qui provoque cet écoulement émotionnel. Et puis il y a des jours où rien ne se passe et je ne cherche plus à comprendre ce qui explique que rien ne sort. Et je termine ce long billet en me disant qu’il faudrait peut-être qu’un jour je me demande pourquoi parfois je n’écris pas ?
Ne laisse pas le soin de gouverner ton cœur à ces tendresses parentes de l’automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L’œil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau: tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n’a plus de vitres. Tu es impatient de t’unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D’autres chanteront l’incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t’identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l’impossible.
Pourtant.
Tu n’as fait qu’augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d’une entente qui s’affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. A quand la récolte de l’abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires…
Qu’est-ce qui t’a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre?
A l’occasion du festival international du film d’éducation à Évreux organisé pat les CEMEA j’ai été interviewé avec mon ancienne collègue Géraldine Chambon par deux élèves du lycée François 1er du Havre. Bravo à eux pour leur fraîcheur et la pertinence de leurs questions…
En ce jour anniversaire du vote de la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’état, un extrait de ce magnifique livre de Delphine Horvilleur, « vivre avec nos morts », dans lequel elle propose une magnifique définition de la laïcité.
« La laïcité française n’oppose pas la foi à l’incroyance. Elle ne sépare pas ceux qui croient que Dieu veille, et ceux qui croient aussi ferme qu’il est mort ou inventé. Elle n’a rien à voir avec cela. Elle n’est ni fondée sur la conviction que le ciel est vide ni sur celle qu’il est habité, mais sur la défense d’une terre jamais pleine, la conscience qu’il y reste toujours une place qui n’est pas la nôtre. La laïcité dit que l’espace de nos vies n’est jamais saturé de convictions, et elle garantit toujours une place laissée vide de certitudes. Elle empêche une foi ou une espérance de saturer tout l’espace. En cela, à sa manière, la laïcité est une transcendance. Elle affirme qu’il existe toujours en elle un territoire plus grand que ma croyance, qui peut accueillir celle d’un autre venu y respirer. »
Parfois, euh souvent, et vous le savez bien lectrices et lecteurs de ce blog j’aime regarder la vie qui défile à travers une vitre ferroviaire.
A travers cette grise vitre, je vois ce précieux temps qui s’enfuit vite, très vite. Et je reste immobile, figé dans la contemplation. Immobile dans un monde qui avance…
Je retrouve un peu de cette sensation pleine de poésie de se trouver les pieds ballants au bord du monde et attendre indéfiniment d’être gagné par la sensation de la vitesse de rotation de la terre. Quarante mille kilomètres en 24 heures, on finira bien par le ressentir…
Bref, je prends le temps de regarder le temps qui passe, qui pousse, qui file, qui glisse… Et j’accepte enfin de perdre du temps…
Oui depuis quelques temps j’aime cette idée, cette fausse idée de perdre du temps. Temps qui coule à travers mes poches trouées, temps qui fuit qui s’enfuit…
» Arrête de perdre du temps » aurais-je dit il y a peu… Et aujourd’hui je savoure cette idée de ce temps qu’on croit perdu, parce qu’on l’a rempli de quelques petits riens, petits cailloux éphémères.
Je ne perd plus mon temps, mieux encore je le trouve, le retrouve. Il est là, par petits bouts. Je le ramasse, le garde tout contre moi, bien au chaud et me dis que je le trouverai demain ou plus tard et je passerai du bon temps…
Je vois brûler l’eau pure et l’herbe du matin Je vais de fleur en fleur sur un corps auroral Midi qui dort je veux l’entourer de clameurs L’honorer dans son jour de senteurs de lueurs
Je ne me méfie plus je suis un fils de femme La vacance de l’homme et le temps bonifié La réplique grandiloquente Des étoiles minuscules
Et nous montons
Les derniers arguments du néant sont vaincus Et le dernier bourdonnement Des pas revenant sur eux-mêmes
Peu à peu se décomposent Les alphabets ânonnés De l’histoire et des morales Et la syntaxe soumise Des souvenirs enseignés Et c’est très vite La liberté conquise La liberté feuille de mai Chauffée à blanc Et le feu aux nuages Et le feu aux oiseaux Et le feu dans les caves Et les hommes dehors Et les hommes partout
Tenant toute la place Abattant les murailles Se partageant le pain Dévêtant le soleil S’embrassant sur le front Habillant les orages Et s’embrassant les mains Faisant fleurir charnel Et le temps et l’espace Faisant chanter les verrous Et respirer les poitrines
Les prunelles s’écarquillent Les cachettes se dévoilent La pauvreté rit aux larmes De ses chagrins ridicules Et minuit mûrit ses fruits Et midi mûrit des lunes
Tout se vide et se remplit Au rythme de l’infini Et disons la vérité La jeunesse est un trésor La vieillesse est un trésor L’océan est un trésor Et la terre est une mine L’hiver est une fourrure L’été une boisson fraîche Et l’automne un lait d’accueil
Quant au printemps c’est l’aube Et la bouche c’est l’aube Et les yeux immortels Ont la forme de tout
Nous deux toi toute nue Moi tel que j’ai vécu
Toi la source du sang Et moi les mains ouvertes Comme des yeux
Nous deux nous ne vivons que pour être fidèles A la vie
Ma décision est prise : aujourd’hui je ne vais pas perdre de temps à chercher une bonne nouvelle. C’est à la fois ridicule, très fatigant mais surtout déprimant. En effet, convenons-en, ce qui est le plus extraordinaire quand on cherche, c’est lorsqu’on trouve.
Non, aujourd’hui je vais choisir une autre méthode, faire confiance au hasard, ou à la chance et je vais attendre patiemment que bonne nouvelle vienne à moi.
Au moment du petit déjeuner, je suis tendu, pensant un peu naïvement que c’est au petit matin que les bonnes nouvelles sont annoncées.
Mais rien… Si, une seule chose est à noter : je renverse ma tasse de café, encore très chaud sur la magnifique chemise blanche que j’ai mise pour l’occasion. On ne peut quand même pas accueillir une bonne nouvelle vêtu d’un vieux polo grenat qui pluche…
Le matin passe : rien. Ce n’est pourtant pas faute de tout mettre en œuvre pour que le hasard remplisse sa mission. Pour être clair je me comporte comme un hyper actif, je surfe littéralement, sur tout ce qui passe, sur tout ce que j’entends, que je vois, que je pressens, que je suppose, mais évidemment, je ne provoque rien : il ne se passe rien !
L’après-midi s’étire : rien, toujours rien ! Pas la moindre bonne nouvelle et encore pire, une succession de petites tracasseries me font dire que ce n’est pas mon jour, que je n’ai pas de chance. Quand le soir arrive et qu’il va être temps de clore, enfin, cette journée somme toute assez banale, un peu dépité et déçu je finis par prendre la décision, comme tous les jours, de chercher, de fouiller.
Je m’installe devant mon ordinateur que j’ai d’ailleurs malmené toute la journée, je bouge légèrement la souris. J’entends alors un de ces horribles sons numériques. Sur l’écran est affiché le message suivant :
Erreur fatale : ouvrez votre panneau de configuration et procédez à une analyse de votre système
J’ouvre le fameux panneau et comme je suis obéissant je procède à l’analyse de mon système…
On me dit de sauvegarder le journal de cette opération. Je m’exécute. Je sauvegarde le journal de cette opération. Je l’enregistre ; et une fois n’est pas coutume je l’imprime
La page sort de l’imprimante. Une seule phrase est écrite, plus d’une centaine de fois
« Mauvais nouvelle : votre mémoire est saturée vous devez procéder à un nettoyage et éliminer les fichiers inutiles »
Je suis d’une grammaire oubliée Je conjugue le verbe attendre A tous les temps de l’impatience J’écoute aux portes des sourires croisées J’y entends le chant secret des absents Je cherche des traces d’amitiés Les arrime aux belles et rondes rimes Sur la rive mauve de mes basses marées Ô vous qui ne me voyez J’attends Oui j’attends vous le savez Un signe de la main A ceux qui se baissent pour pleurer
Elle les
écoute avec respect et attention et sans même s’étonner de ce qu’ils font là au
creux de sa main elle leur répond qu’elle est bien d’accord, que ça fait
longtemps que tout cela elle le dit, elle, elle le pense.
« Moi je
vous crois, moi je suis comme vous ». Vous savez ce qu’il faut faire c’est
continuer à ne pas douter, à ne pas douter de vous, il faut continuer à poser
toutes les questions que vous avez dans la tête parce que si vous ne posez plus
de questions les autres ils croiront qu’ils ont gagné, ils croiront que vous
êtes devenus comme eux, fades, tristes, avec que des réponses toutes faites,
des réponses toutes simples, des réponses pour être comme les autres comme tous
les autres, mais vous comme moi on n’est pas comme les autres, nous on veut
encore et toujours s’émerveiller, on veut encore et toujours dire que rien
n’est sûr, que ce qui est vrai ça
n’existe pas ou pas longtemps, parce qu’on se trompe toujours »
Vous le savez bien avant il
fallait pour être bien, pour être comme les autres, dire que la terre était
plate, et quand on disait autrement on mourrait et ben maintenant moi je vous
le dis il faut continuer à douter, à douter de tout même de ce qui semble être
sur et il faut rêver, il faut voir le possible partout.
Tenez moi par exemple j’ai envie
de croire qu’un jour pour aller à l’autre bout du monde il n’y aura plus besoin
d’avions il suffira de prendre un ascenseur pour l’espace et d’attendre là dans
une espèce de cabine, d’attendre que la terre tourne et alors quand juste en
dessous il y aura la ville, on descendra c’est simple non, et bien vous savez
j’ai envie d’y croire.
« J’ai envie aussi de dire
qu’un jour on ira dans une école où on a apprendra à poser des questions, à
tout remettre en question plutôt qu’à ingurgiter les réponses des autres, de
tous les autres. Vous savez il faut que vous reteniez une chose, il n’y a
qu’une chose qui vous appartient ce sont les questions que vous posez, que vous
vous posez, les réponses elles ne vous appartiennent pas, les réponses elles
sont toujours la propriété de quelqu’un d’autre de quelqu’un que vous ne connaitrez
jamais ».
Elle avait toujours la main tendue
devant elle et plus elle parlait plus elle entendait sa voix comme si elle
venait d’ailleurs, le groupe d’enfants qu’elle avait dans la main grandissait, elle le sentait, elle le sentait, pas parce
qu’ils devenaient plus lourds, mais parce qu’elle les voyait sourire, parce
qu’elle les voyait exister.
Ils existaient et ils étaient en
train de le comprendre.
Le rêve c’est beau, le rêve on
devrait pouvoir l’enregistrer, on devrait pouvoir se brancher le matin pour
revoir le merveilleux de la nuit. C’est ce qu’elle se dit ce matin en ouvrant
la fenêtre elle a encore plein d’images de la nuit dans la tête derrière les
yeux. Quand elle a posé le pied sur la terrasse elle s’attendait presque à
trouver le sable, de ce sable si fin, de ce sable qui ressemble tant à de
l’eau. Le sable, l’eau, les grains, les gouttes, elle sourit en s’étirant, elle
va appeler ses frères pour leur donner la réponse. Ce matin elle est heureuse
elle sait qu’elle est dans le vrai, elle sait que c’est comme cela qu’on
l’aime, que c’est comme cela qu’on l’admire.
Elle ferme les yeux juste une
seconde et là dans son écran intérieur, il y a un coucher de sommeil, un
coucher de sommeil, tiens donc, pourquoi
pas après tout, quand la nuit est terminée quand elle a été belle, que les
couleurs que le rêve a fabriqué n’existent pas encore, quand les enfants sont
si petits qu’ils tiennent au creux d’une main, quand les autres, les
bien-pensants ne sont que des figurants alors on a bien le droit de parler d’un
coucher de sommeil.
De l’eau, il y en a au robinet
mais ce n’est pas celle-ci qui l’intéresse. Elle va descendre pour s’approcher
de la mer, de cette mer.
Elle entre dans l’appartement son
compagnon dort encore, elle s’habille pour aller au bord de l’eau. En même
temps elle se dit qu’il ne faut pas qu’elle oublie de téléphoner à ses frères
pour leur dire que dans une petite poignée de sable il y a presque 12000 grains
de sable. Ils vont lui demander comment elle peut le savoir et elle va leur
expliquer. Mais elle se dit qu’ils ne la
croiront pas, qu’ils lui diront qu’elle a fumé.
Qu’elle a fumé ! N’importe
quoi, jamais elle ne s’amusera à cela mais alors : qui pour la croire ? Là tout de suite
maintenant, elle va voir si ce truc-là ne marche que pour le sable, elle s’est
approchée de ce qui ressemble à la mer, même si derrière elle distingue encore
les montagnes.
Elle recueille entre ces deux
mains un peu de cette eau, c’est presque la même sensation que le sable, elle
ferme les yeux 18 546. Ca y est, cette fois elle a la réponse, elle s’en
doutait de toute façon, il y a plus de gouttes d’eau c’est sûr.
Penser à
téléphoner à ses frères, à son père et leur dire qu’il y a plus de gouttes
d’eau que de grains de sable.
Elle allait remonter chez elle
quand soudain elle a entendu que quelqu’un l’appelait par son prénom, d’abord
elle n’a vu personne et puis en baissant les yeux presque devant ses pieds nus,
elle a vu tout un groupe de gens, minuscules, à peine plus grand qu’un ongle.
Elle s’est baissée et avec la main droite elle les a ramenés dans le creux de
sa main gauche, avec un peu de sable humide ; elle a porté la main à
hauteur des yeux et elle a vu tout un groupe. Qui ils étaient, elle ne savait
pas, ce qu’ils faisaient là elle ne savait pas non plus mais en prêtant bien
l’oreille et parce que la mer était calme elle distinguait bien quelques
paroles, cela semblait être des paroles de colère. Ils étaient bien une dizaine,
des enfants là au creux de sa main.
« On en a marre, personne ne nous croit, personne ne nous croit jamais, on est toujours à nous dire qu’on est trop petit, qu’on verra, qu’on comprendra plus tard quand on sera plus grand, on n’en peut plus de ne plus exister, nous ce qu’on sait c’est qu’un jour on rencontrera quelqu’un qui nous écoutera qui nous croira qui nous verra et alors on existera ».
Alors elle s’est assise là par
terre, enfin plutôt par sable parce que quand on est au bord de la mer on
oublie la terre, même si la terre elle porte le sable sur elle et la mer aussi
mais ça aussi c’est une autre question.
« Pourquoi on nous dit qu’il
ne faut pas jouer avec la terre, que c’est sale, et quand on est à la mer on nous oblige à
jouer avec le sable : c’est compliqué les mots, nous on voudrait qu’on
nous laisse comprendre ce qu’on veut ».
« Pourquoi on nous dit qu’il
faut être sage à l’école et en même temps si on parle trop à table on nous dit :
sois sage, parle pas à table ! Et après à l’école on nous dit que si on ne
dit rien, si on ne parle pas c’est qu’on ne s’intéresse pas ! »
« Et pourquoi on dit des
vieux qui ne disent pas grand-chose mais que tout le monde écoute quand il
récitent une phrase qui ne veut rien dire qu’ils sont des sages. On y comprend
rien on ne veut pas être des sages on veut pouvoir parler quand on a envie de
dire quelque chose ».
« Pourquoi quand les grands,
les adultes parlent de nous, ils cherchent à savoir ce qu’on pense ce qu’on
ressent, alors qu’ils ne nous le demandent jamais pourquoi ils disent à notre
place ce qu’on pas envie de dire. »
Elle les écoute, en silence parce
que le moindre bruit risque de couvrir leur voix elle les écoute et elle sait
qu’ils ont raison ? Ils continuent leur liste de pourquoi.
« Pourquoi quand on est tout
petit on nous oblige à embrasser des vieilles tantes fripées à l’odeur de
naphtaline en nous disant que ça lui fera plaisir que c’est une vieille tante,
qu’elle a jamais eu d’enfants et que quand on est grand, un peu plus grand on nous dit que c’est pas
bien d’embrasser le premier venu même si
il est jeune, même s’il est beau, même si on l’aime. »
« Pourquoi on nous dit, à
longueur de journée : tu ne peux pas comprendre quand on pose des
questions sur ce qui nous intéresse, nous rend curieux et par contre on nous
dit d’essayer de comprendre de faire des efforts quand on est à l’école ? »
Et puis
soudain alors que la liste ne cessait de s’allonger, elle a poussé un petit cri,
à peine de l’étonnement car rien ne l’étonne et un rien l’étonne c’est
d’ailleurs ce qui fait qu’elle est si étonnante et que tout le monde aime quand
elle est là.
Là, dehors à
la place de l’immense terrasse, il y avait la plage, et plus loin à la place du grand pré qui
bordait le bâtiment, de l’eau, de l’eau bien bleue. En fait ce qu’elle voyait
devant elle ce n’était rien d’autre que la mer, de la mer et de la plage. On ne
dit pas comme cela d’habitude ? De la mer et de la plage ? Incorrect,
cette formulation et bien tant pis se dit-elle moi ça me plait, ça a plus de
sens !
Tant d’autres
auraient hurlé de terreur, ou seraient partis se recoucher certains d’être
encore en plein sommeil ou sous l’emprise de quelques substances
hallucinogènes. Mais elle, il lui en
fallait plus pour la déstabiliser, elle n’a pas mis longtemps à réagir et à
chercher puis trouver une réponse, une réponse que pourtant elle garde bien au
chaud dans une de ses boîtes à
explications.
Son souci
pour le moment c’est le sable, juste au bord de la porte fenêtre, il ne
faudrait pas qu’il entre, elle n’aime pas le sable quand il s’insinue là où il
n’est pas fait pour aller. Elle n’a pas fait de bruit pour ne pas réveiller son
compagnon et s’est dit qu’il faudrait chercher le parasol et des serviettes de
plage, c’est quand même mieux pour le sable, surtout qu’ils annoncent le beau
pour les prochains jours. Elle sort sur la terrasse, enfin sur la plage, tout
en se disant qu’il faudrait qu’elle ajoute deux ou trois choses dans sa liste
Téléphoner
à sa mère pour lui demander où sont les rabanes
Ajouter à
la liste de course de la crème solaire
Regarder
les horaires des marées
Elle est dehors les pieds nus
dans le sable. Le sable il est encore plein de fraîcheur, ça lui fait comme un
gazouillis sous les pieds. Alors machinalement elle se baisse et prend une
poignée de sable dans le creux de la main.
C’est un sable comme elle n’en a
jamais touché, d’une douceur incroyable, elle ferme les yeux presque
machinalement, et là soudain comme une diapositive qui se projette sur son
écran intérieur, elle lit 1239, elle ne comprend pas immédiatement, mais
elle a un pressentiment. Alors elle
jette sa poignée de sable et elle en prend une autre, plus grosse celle-ci, elle ferme les yeux et
elle lit 12763.
Incroyable elle vient de
comprendre : tout en gardant les yeux fermés elle laisse couler comme un
filet de sable et elle voit les chiffres qui défilent, elles referment les
mains et c’est le chiffre 9734 qui s’affiche. Super, ce truc ça lui plaît, elle
va pouvoir enfin savoir : plus de gouttes d’eau ou plus de grain de
sables ?
Une nouvelle écrite il y a quelques années à l’occasion de l’anniversaire de ma grande fille, je la publierai en 4 parties ….
Un matin elle
s’était levée plus rapidement que d’habitude avait tiré les rideaux d’un geste
précis, ouvert la fenêtre et en quelques secondes avait décidé que cette
journée ne serait pas comme les autres. Pas comme les autres parce que tout le
lui disait, partout, ce qu’elle voyait, ce qu’elle sentait, ce qu’elle
ressentait, ce qu’elle entendait lui confirmait sa certitude de la nuit,
aujourd’hui serait la journée des réponses, la journée ou tout s’éclairerait.
Cette nuit comme souvent, comme parfois des questions avaient tourné en boucle
dans sa tête des questions sur la vie, sur la mort, sur l’amour, sur les
autres, des questions sur l’absurde, sur la bêtise, sur l’indifférence, des
questions sur l’insuffisance, sur le mépris, sur les fausses idées, sur le
temps, pas sur le temps des nuages, pas sur le temps du soleil, non sur le
temps qui s’accroche aux pendules, aux aiguilles ce temps qui vous pique.
Cette nuit
elle avait eu 25 ans et comme elle est quelqu’un d’organisé contrairement à ce
que certains croyaient autrefois parce qu’on s’attache trop aux détails aux
apparences elle a décidé cette nuit de chasser toutes ces questions et demain
de chercher les réponses, toutes les réponses.
Elle n’a pas
tout de suite remarqué le changement dans le paysage, concentrée qu’elle était
à cette nouvelle journée qui s’ouvrait, les yeux grands ouverts, il y avait
comme une liste qui se déroulait derrière son regard rieur, elle n’aimait pas
être prise au dépourvu et aimait organiser ses journées.
Aujourd’hui,
c’était entre autres.
Finir ses courses sur internet
Choisir un cadeau pour sa sœur
Téléphoner à sa mère pour lui dire qu’elle avait
choisi un cadeau pour sa sœur
Choisir un cadeau pour sa mère avec ses frères
Téléphoner à ses frères pour leur dire qu’elle allait
choisir un cadeau pour leur mère
Faire un gâteau pour ce soir
Prévenir par téléphone ses amis qu’elle ferait un
gâteau pour ce soir
Finir les courses pour faire un gâteau pour ce soir
Téléphoner à sa mère pour lui demander ce qu’elle
aimerait comme cadeau pour Noël
Dire à son compagnon de changer la litière du chat
Téléphoner à ses autres amis pour dire qu’elle ferait
un gâteau pour ce soir
Et plein d’autres choses encore
Et puis
soudain alors que la liste ne cessait de s’allonger, elle a poussé un petit cri,
à peine de l’étonnement car rien ne l’étonne et un rien l’étonne c’est
d’ailleurs ce qui fait qu’elle est si étonnante et que tout le monde aime quand
elle est là.
Samedi ? Eh bien, c’est dit, je m’accorde une pause en prose. Oui bien sûr, vous me direz que peu de différences vous ne voyez, si ce n’est la modeste preuve de ma paresse, à pêcher de la rime au bout de ma ligne. C’est vrai, j’en conviens il est des jours, comme celui-ci, ou rien ne mord. Dans ma boîte à appâts j’avais ce matin, un bel échantillon : des illes, des ouches, des oules, des oins, et bien d’autres « queues de vers » toutes bien fraîches, prêtes pour la pêche du samedi. Je les ai préparées, et à mon hameçon les ai accrochées. Une première j’ai lancée. Au passage, j’avoue être assez fier du rond dans l’eau, bien plus réussi qu’un rondeau. J’ai ensuite choisi d’appâter avec une ille, car mon intention était de prendre du gros. Du gros mot évidemment ! Ciel, ça mord ! Vite, je mouline ! Déception, pas de bille, ni de quille, encore mois de grille. Autant vous dire que j’ai tenté avec une ouche, une oule, et même un petit oin et au bout de la ligne : rien ! Oh tant pis, me dis-je, c’est samedi, je fais une pause. Point à la ligne…